Pourquoi le binôme Liberté /Responsabilité ?

L’Université de La Manouba organise, du 8 au 10 Mai 2024, la 11ème édition de son symposium international interdisciplinaire, dédiée cette année au binôme Liberté/Responsabilité ; un binôme devenu intemporel et presque désincarné et remis à l’ordre du jour par l’actualité nationale et mondiale.

Quoique les questions d’ordre philosophique traitées par Platon, Aristote, Averroès, Thomas d’Aquin, Ibn Khaldoun, et bien d’autres, représentent un topo classique dans la pensée humaine, le binôme est actuellement remis à l’ordre du jour, dans le débat public, suite aux nouvelles questions inhérentes aux processus de libération de l’individu.

Il est possible de dire que l'éveil de l'homme à la réflexion en général et à la philosophie en particulier est intimement lié à sa conscience de sa liberté et de sa responsabilité. Durant des millénaires, la configuration  prémoderne conçoit la liberté et la responsabilité par rapport à la transcendance : l'homme face au destin et à Dieu (aux dieux). D’un point de vue théologique, la réponse à la question de la liberté de l'homme, dans ses choix, détermine le degré de sa responsabilité devant son créateur. Cette question a eu bien sûr des conséquences politiques très graves, il suffit de se rappeler les suites des controverses entre Mu’tazilites et Ascharites. Chacune de ces doctrines voulait fonder le dogme en cherchant à trouver, dans les arguments et les impasses de la polémique, un équilibre entre l’homme et Dieu : plus on donne de la liberté au premier, moins on attribue de la puissance au second.

Ces querelles étant une étape historique dépassée, car depuis le cogito de Descartes « je pense donc je suis », un autre moment et une autre configuration ont vu le jour. « L'homme a atteint l'âge de l'autonomie », disait Kant pour définir les Lumières, il est désormais auteur et responsable de ses actes qui lui ouvrent le livre de l'univers, et mettent à sa portée des puissances inédites. Depuis, sa liberté et sa responsabilité prennent appui sur le couple savoir et pouvoir.

«La liberté des Modernes» (Benjamin Constant) est ancrée dans les affaires de la cité dont Rousseau délimite le cadre, les normes et l’horizon, dans son Contrat social, qui sera la bible des Révolutionnaires de 1789. Par ailleurs, la science et la technique donnent à l'homme moderne des libertés inouïes, amenant Zarathoustra de Nietzsche à conclure, que dans la modernité occidentale, Dieu ne fonde plus le politique, ni le social, ni le savoir, il est désormais une affaire de conscience privée.

Les malheurs du XXème siècle ont remis en question ces horizons promis par les Lumières. La liberté et le progrès n’ont pas empêché les grandes guerres, les massacres et les génocides. Néanmoins les acquis de la liberté au niveau des mœurs, des pratiques, des sciences et des arts ont pu éclore et séduire les élites de plusieurs pays dont celle du monde arabe depuis la fin du XIX siècle, durant l’âge de la Nahdha avec des noms comme : Tahtaoui, Kheireddine ou Kacem Amine.

C’est dans cette ère de grand bouillonnement, que les sciences humaines ont pu imposer leur légitimité. Les travaux de Freud ont remis en question les élans illimités du libre-arbitre. Quant à Montesquieu pour qui « la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent », il introduit une nouvelle dimension à ce qui relie la liberté à la responsabilité. Pour le sociologue, l'historien, le psychologue, l’anthropologue, et bien d’autres chercheur.e.s, la liberté est la conviction de l'acteur social au moment d'agir que personne ne peut contester.

Ainsi, liberté et responsabilité, ont dû faire face aux épreuves de leurs limites et de leurs conséquences. Les conquêtes de l'homme moderne, dans les domaines des sciences et/ou de la société, qui ont donné matière à sa liberté, le mettent aujourd'hui face à la vulnérabilité de ses choix.

Comme le montrent Rosanvallon et Dubet, avec le début de ce siècle, nous vivons la crise des institutions qui donnaient naguère aux sociétés et à l’individu la certitude du vivre-ensemble, à l'image de l'Etat-providence, l’école et la famille… Par ailleurs, la pandémie du Covid19 et le réchauffement climatique nous poussent à redéfinir la responsabilité dans l’horizon d’une éthique qui soit vigilante à l'incertitude et au risque que nous imposent la technique et la vie sur la planète Terre.

Ainsi, face aux nombreux enjeux de la raréfaction des ressources naturelles, de la globalisation, du changement climatique, des flux croissants des mobilités choisies et imposées, de l’évolution exponentielle de l’intelligence artificielle et des rapports sociaux tendus, une responsabilité nécessite d’être assumée et un cadrage éthique s’impose.

Un tel état des lieux entraîne inéluctablement une nouvelle réflexion autour des libertés et sur les conditions dans lesquelles elles ont été acquises et s’exercent concrètement.

L’histoire juridique des différentes libertés (d’expression, de pensée, de croyance, de culte, de conscience, de réunion, de presse …) montre qu’elles ont été accompagnées et engendrées par des luttes collectives qui ont dessiné les cadres de leur naissance et les formes de leur application. Ce qui explique que la responsabilité accompagnant la définition de la notion de liberté soit encadrée par celles d’égalité et de justice et de droits civiques conquis face aux pouvoirs politiques. Aborder la liberté avec ses différentes sphères, individuelle, de groupe et civique, ne peut échapper au contexte de crise de l’universalité des droits humains.

Quand la tyrannie sans visage de la technique et de la finance, relayée par les moyens de communications numériques, règne sans rival, ne serait-il pas légitime de se demander de quelle liberté (juridique, politique, etc.) peut-on encore parler ? quelle en serait l’objet et les limites ? Quelle responsabilité morale ? éthique ? politique ?… doit-on invoquer ? et quelles sont les parties (les instances, les acteurs) qui devraient en formuler les termes et l’objet ?

Voici des questions que l’UMA soumet à la réflexion et au débat. Ainsi et dans la continuité des précédentes éditions, les chercheur.e.s d'appartenances disciplinaires diverses, sont invité.e.s à présenter et à débattre leurs travaux de recherche autour du binôme liberté / responsabilité et à saisir l'opportunité offerte par ces journées de dialogue multi, inter et trans-disciplinaire pour développer des collaborations futures en la matière.

Enseignant.e.s-chercheur.e.s, post doctorant.e.s, doctorant.e.s et étudiant.e.s sont invité.e.s à prendre part aux échanges concernant les deux notions liberté/responsabilité, afin de communiquer les résultats de leurs recherches actuelles et passées et d’explorer de nouvelles pistes de production de connaissance. Les interactions dans les conférences, les sessions de communication, les tables rondes, les master class, les ateliers ou les challenges lancés dans le symposium, exploreront les modalités innovantes pour booster une contribution efficace de l’Université.

Axes du symposium 

Cinq axes sont proposés pour structurer le débat autour du binôme liberté/ responsabilité :


English version of the call for contribution to the 11th edition of the Manouba University's Academic Symposium 

 Freedom/Responsability   11th La Manouba University Symposium

The University of La Manouba is organizing the 11th edition of its interdisciplinary international symposium from May 8 to 10, 2024. This edition is dedicated to the Freedom/Responsibility binary, a concept that has regained significance and is being widely discussed in national and international contexts today.

While philosophical inquiries into the relationship between freedom and responsibility have been central throughout history, especially in the works of scholars like Plato, Aristotle, Averroes, Thomas Aquinas, and Ibn Khaldun, this binary is currently a focal point of public debates addressing contemporary issues related to individual liberation.

The awakening of human reflection, particularly in the realm of philosophy, has deep roots in the awareness of personal freedom and responsibility. In earlier times, notions of freedom and responsibility often intertwined with transcendence, with individuals grappling with their destiny and relationship with the divine. From a theological standpoint, the extent of human responsibility to their creator was intricately connected with the concept of free will. The balance between man and the divine was a matter of serious contention, as evidenced by historical disputes such as those involving the Mu'tazilites and Ascharites.

These theological debates have evolved since the era of Descartes and his iconic statement "Cogito, ergo sum" or "I think, therefore I am." Subsequent to Descartes, Kant marked a new chapter by proclaiming that humanity had entered an era of autonomy and enlightenment. In this phase, human freedom and responsibility were increasingly shaped by knowledge and empowerment, leading individuals to assume authorship of their actions and the consequences thereof.

Benjamin Constant highlighted that the modern concept of freedom is closely linked to civic engagement. The Social Contract penned by Rousseau delineated the norms and boundaries of society, which served as a guide for the revolutionaries of 1789. The advent of science and technology has further expanded the realms of freedom for modern man, prompting Nietzsche to observe that in Western societies God no longer dictates political, social, or cognitive systems; instead, the crucial role is assigned to human conscience. The misfortunes of the 20th century have cast doubt on the promises of the Enlightenment. Despite the ideals of freedom and progress, they have not been able to prevent major conflicts like wars, massacres, and genocides. Nevertheless, freedom has brought significant advancements in morals, practices, sciences, and arts that have captivated elites in various countries, including in the Arab world since the late 19th century during the Nahdha era with prominent figures such as Tahtaoui, Kheireddine, and Kacem Amine.

During this exciting period, the human sciences gained recognition. Freud's work questioned the unfettered impulses of free will, while Montesquieu, who believed in doing what the laws allow, introduced a new perspective on the relationship between freedom and responsibility. Sociologists, historians, psychologists, anthropologists, and other scholars argue that freedom lies in the social actor's conviction that their actions are unchallengeable.

Therefore, freedom and responsibility have been facing challenges that have tested their limits and consequences. The triumphs of modernity, whether in science or society, that have enabled freedom, now expose humanity to the repercussions and responsibilities of human decisions.

As we entered this century, scholars like Rosanvallon and Dubet noted a crisis in institutions that traditionally provided societies and individuals with certainty in coexistence. Moreover, contemporary issues such as the Covid-19 pandemic and global warming compel us to redefine responsibility within ethical boundaries and caution towards technological uncertainties.

Consequently, considering the numerous challenges like dwindling natural resources, globalization, climate change, mobility, AI, and strained social interactions, taking responsibility is imperative, but necessitating dynamic and strong ethical considerations.

This assessment naturally prompts a rethink on freedoms and the circumstances under which they were attained and practiced. The historical context of various freedoms, including expression, thought, belief, worship, conscience, assembly, and press, highlights that they emerged from collective struggles that shaped their origins and applications. Thus, the sense of responsibility, integral to defining freedom, is rooted in equality, justice, and civil rights that have been achieved through struggles against political powers. Exploring the realms of freedom, whether individual, communal, or civic, cannot ignore the backdrop of the crisis in universal human rights. When technology and finance dominate unchecked, it raises legitimate questions about other forms of freedoms (legal, political, etc.) that we can discuss. What are the goals and limitations? What freedoms can still be addressed under such circumstances? Should we re-consider ethics and politics? Who are the relevant parties (authorities, stakeholders) that should define the terms and the subject matter?

UMA poses these questions for consideration and discussion. Continuing from prior editions, researchers across different fields are encouraged to present and discuss their work related to the freedom/responsibility nexus and to advantageously utilize these days of dialogue. Future collaborations are intended to evolve through interdisciplinary, multidisciplinary, and transdisciplinary conversations and debates.

Educators, scholars, and students are invited to engage in conversations revolving around the concepts of freedom/responsibility, share their current and past research outcomes, and explore new avenues for the creation of free/accountable knowledge.

Through various interactions at conferences, communication sessions, round tables, masterclasses, workshops, or challenges introduced in the symposium, inventive approaches will be explored to enhance the University’s societal impact.

Five axes are suggested to guide discussions on the freedom/responsibility binary:
- Freedom, knowledge, and commitment;
- Responsibility, Institutions, and businesses;
- Science, technology, and ethics;
- Forms of expression and communication;
- Freedom, information disorder, and ethical dilemmas.

 النسخة العربية

Coming soon...