J'ai soutenu au mois de novembre 2014 ma thèse de doctorat à l'Institut des Sciences de la Terre de Grenoble, sous la direction d'Henri-Claude Nataf et de Nathanaël Schae er. L'objectif de mes travaux de thèse était de caractériser le rôle joué par les uctuations turbulentes d'un écoulement uide, conducteur d'électricité, dans l'induction d'un champ magnétique de grande échelle. J'ai réussi à montrer que non seulement la prise en compte des uctuations turbulentes était déterminante pour expliquer l'ensemble des données d'observations faites sur une expérience en sodium liquide nommée Derviche Tourneur Sodium (DTS) et que celles-ci favorisaient amplement la production d'énergie magnétique.
Représenté gure 2, le dispositif expérimental de DTS, qui fait l'objet de cette étude, est un modèle de laboratoire d'un noyau planétaire au sein duquel du sodium liquide est agité par rotation di érentielle autour d'un axe. L'écoulement en rotation qui en résulte est soumis à un champ magnétique fortement inhomogène donnant à l'expérience DTS la particularité de reproduire le régime magnétostrophique des noyaux planétaires où force de Coriolis et force magnétique sont à l'équilibre. L'écoulement est représenté par des contours colorés. La diversité des appareillages de mesures disponibles sur l'expérience fait de celle-ci un outil d'étude privilégié pour comprendre les di érents mécanismes d'induction magnétique responsables des dynamos planétaires.
La plupart des objets astrophysiques, tels les planètes ou les étoiles, produisent leur propre champ magnétique à partir de la forte agitation d'un uide conducteur d'électricité, comme un métal en fusion ou un plasma ionique. On appelle ce phénomène l'e et dynamo et il est à l'oeuvre dans la région dynamo reportée gure 1. Celui-ci s'observe lorsque les mécanismes d'induction magnétique l'emportent sur la dissipation par e et Joule du milieu conducteur. Les coeurs planétaires sont constitués d'un immense noyau de métal liquide, qui est vigoureusement agité par la convection thermique. L'écoulement uide qui en résulte est particulièrement complexe et aucune expérience en laboratoire n'est aujourd'hui capable de le modéliser (Roberts and King, 2013).
Les déplacements uides des noyaux planétaires sont animés de mouvements à grande échelle et s'organisent principalement autour de l'axe de rotation de la planète. On parle souvent d'induction magnétique par e et oméga lorsqu'il existe un fort cisaillement de vitesse dans le volume fluide. Ce mécanisme d'induction est observé dans de nombreuses expériences en laboratoire (Colgate et al., 2011; Brito et al., 2011) mais ne permet pas à lui seul de mener à l'apparition d'un un e et dynamo (Braginskii, 1964). Cependant, comme dans la plupart des écoulements naturels, l'écoulement uide des noyaux planétaires est entrainé dans des régimes turbulents où des uctuations de petites échelles cohabitent avec l'écoulement principal. Il en résulte des mécanismes d'induction plus complexes à travers lesquels les uctuations du uide agissent collaborativement avec l'écoulement de grande échelle pour donner naissance au phénomène de dynamo. A l'heure actuelle, l'ensemble des dispositifs expérimentaux mettent en avant le caractère anti-dynamo des uctuations turbulentes (Frick et al., 2010; Rahbarnia et al., 2012; Ravelet et al., 2012).
La particularité des écoulements turbulents est qu'ils s'organisent sur une large gamme d'échelle spatiale, ce qui rend di cile les études numériques dans ce domaine (celles-ci sont limitées par la résolution numérique disponible). Par conséquent les études expérimentales restent une approche privilégiée pour explorer les mécanismes d'induction associés aux uctuations turbulentes. Mieux comprendre ces mécanismes constitue aujourd'hui un des dé s majeurs pour la communauté. La turbulence uide pourrait en e et être l'ingrédient manquant à notre compréhension des dynamos planétaires. L'objectif de ma thèse était d'évaluer le rôle joué par la turbulence dans l'e et dynamo. Pour ce faire, j'ai caractérisé les mécanismes d'induction associés aux mouvements d'un uide conducteur dans une expérience en sodium liquide, en séparant les contributions de l'écoulement principal (à grande échelle) et des uctuations turbulentes.
L'expérience DTS se distingue par sa con guration originale au sein de laquelle un écoulement de Couette sphérique est soumis à un champ magnétique de forte intensité. Une forte induction magnétique par e et oméga a été enregistrée à la surface et dans le volume fluide par Brito et al. (2011). Plus récemment, Figueroa et al. (2013) ont démontré l'existence d'instabilités de couche limite provoquant le développement de jets turbulents pénétrant l'ensemble du volume uide. Cependant les travaux de Nataf (2013) émettaient des doutes quant à l'importance des uctuations turbulentes de l'écoulement et évaluaient leurs contributions au champ magnétique induit dans des proportions inférieures à 1% de l'énergie magnétique totale.
J'ai prolongé les travaux de Nataf (2013) en appliquant des méthodes inverses à l'ensemble des mesures expérimentales disponibles et à l'aide d'un modéle numérique décrivant la dynamique du champ magnétique. Je parviens ainsi à isoler la production du champ magnétique qui est issue des uctuations turbulentes et à cartographier l'ensemble de l'écoulement fluide à grande échelle en supposant ce dernier symétrique autour de l'axe de rotation, voir Cabanes et al. Il apparaît que, pour être convenablement expliquées, la majorité des observations réalistes au sein de l'expérience (plus de 200 mesures magnétiques) requiert de fortes contributions des uctuations turbulentes et que celles-ci sont en partie modélisées par une augmentation apparente de la conductivité électrique du uide. Cette forte modi cation de la conductivité électrique est observée pour plusieurs fréquences d'entraînement du uide pour lesquels j'ai réalisé une inversion et constitue le résultat majeur de mon étude. En e et, il faut imaginer que les mouvements turbulents du sodium liquide s'organisent de telle manière qu'ils ampli ent les courants électriques (ou diminuent la dissipation ohmique du milieu), conférant ainsi au fluide une conductivité apparente supérieure à sa conductivité naturelle. Des simulations numériques directes que j'ai réalisées en parallèle con rment ce phénomène dont on apporte la première observation en laboratoire Cabanes et al.
Ce résultat n'est pas sans conséquence puisque une augmentation de la conductivité électrique apparente du uide par les uctuations implique que la turbulence peut favoriser l'e et dynamo. En maîtrisant davantage les conditions expérimentales m'ayant mené à ce résultat, nous pourrions reproduire ce phénomène et imaginer en n une dynamo en laboratoire dans une con guration proche de celle d'un noyau planétaire. L'augmentation de la conductivité électrique du uide dans des régimes turbulents était déjà connue des études numériques dans le cadre desquelles l'écoulement uide est simulé par ordinateur. Seulement jusqu'alors les études expérimentales rapportaient une réduction de la conductivité du fluide, défavorable à l'effet dynamo, et non une augmentation comme je l'observe dans l'expérience DTS.