Nous avons migré dans une grande exploitation qui employait 200 fellagas pour la culture des orangers, de la vigne et aussi de l'élevage. Même schéma, une attaque de nuit à feu nourri. J'ai dû faire, personnellement, un parcours assez long pour rejoindre mon poste et je me suis aperçu qu'une ombre noire se trouvait derrière des moellons. J'ai donc fait les sommations. Réponse : "Ne tirez pas, Capitaine Longret". Sans suite...
Etant affecté au bureau, je m'occupais de la comptabilité et des finances des trois compagnies. J'ai eu la désagréable surprise de constater un déficit dans l'ordinaire d'une des compagnies. J'ai mené ma petite enquête auprès des hommes de cette compagnie, qui se sont plaints de très mal manger. J'ai donc demandé rendez-vous au commandant qui m'a chargé de voir ce qui se passait et de faire un rapport au plus vite. Lors de mon prochain voyage à Alger j'ai rencontré les fournisseurs de ladite compagnie qui m'ont précisés que le responsable des achats, qui faisait habituellement la fête la nuit précédente, venait toujours juste en fin de marché et ramassait les restes au prix fort. Suite à mon rapport, il a finalement été muté et remplacé par un sergent avec lequel tout est rentré dans l'ordre.
Lors de mon tour de garde de nuit, j'ai trouvé une sentinelle endormie dans le mirador; ce qui lui a valu un réveil par un petit coup sur le casque. J'avais pris soin, auparavant, d'isoler son arme !
Nous faisions, des gardes dans une huilerie où il arrivait de temps à autre d'avoir à subir des tirs pendant une trentaine de minutes. Heureusement personne n'a été blessé.
Je me rendais souvent à Alger, sans escorte, pour divers achats. En général nous étions trois, le chauffeur et un caporal et je suis heureux d'être parmi ceux qui ont eu la chance de rentrer chez eux, compte tenu du nombre important de kilomètres parcourus. Une seule fois, j'ai aperçu, au loin, des eucalyptus en travers de la route (vers Les Issers) et j'ai demandé au chauffeur de stopper et de faire demi-tour.
Nous avions la chance d'avoir un capitaine très décontracté. Il m'a demandé, un jour, de le descendre avec nous à Alger en remontant par Fort de l'Eau où il avait une visite à faire. En rentrant, je le voyais lire son bréviaire et je me suis permis de lui dire qu'il serait préférable qu'il tienne son PM, ce à quoi il m'a répondu : nous sommes sous la protection de la vierge Marie, nous ne craignons rien. (Merci André POISSON).
Un jour, coup de téléphone de l'intendance : manque de fonds pour régler les salaires. De ce fait : " Vous devez descendre à Alger pour retirer l'argent nécessaire " (environ 20/25 millions de francs). Après rendez-vous pris avec la banque, nous descendons à Alger (le chauffeur, deux assistants et moi) à bord d'un command-car. Arrivés à la banque en fin de matinée, nous avons attendu trois heures pour avoir un contact et encore deux heures pour percevoir les fonds. Nous avons dû, ensuite, reconnaître chaque liasse et attendre les instructions avant de reprendre la route. Il était environ 20 h 00 et nous avions 100 kilomètres à parcourir de nuit pour le retour. Nous avons roulé avec les "yeux de chat" pour ne pas se faire repérer. Inutile de vous dire la trouille ! Il nous a fallu trois heures pour rentrer finalement sans problèmes, mais stressés.
Travaux de piste par le 77e BG, 2e Compagnie
Au cours de mon séjour à Mirabeau, j'ai eu une crise de dysenterie épouvantable. Le traitement prescrit étant demeuré sans effet, je suis retourné voir le capitaine RAGUENES. Celui-ci avait reçu entre temps les résultats de l'analyse demandée pour déceler éventuellement la présence d'amibes. Comme il n'y avait rien d'anormal, il m'a recommandé d'aller au mess, de prendre deux doses de "Ricard" pur et de me mettre au lit. Traitement souverain ! Nette amélioration, mais après une semaine de dysenterie, j'avais perdu 4 kilos.
Pendant notre long séjour dans cette ferme, nous avons subi non pas "Les oiseaux d'Hitchcock" mais les rats... C'était épouvantable. Toutes les nuits, entre 10 h 00 et 11 h 00, ils arrivaient en rangs serrés. Heureusement, nous dormions dans des draps-sacs remontés jusqu'au dessus de la tête. Les rats nous passaient sur le corps et nous les renvoyions par de grands coups de coude. J'avais acheté une lessiveuse assez profonde où nous mettions des grains et tous les soirs et les matins, nous les faisions cramer avec de l'essence.
J'ai le regret d'avoir perdu un très bon ami qui travaillait avec moi. Un dimanche, je m'étais inscrit pour aller me baigner à Dellys en bord de mer. Mon ami aurait aimé y aller aussi. Un peu dépressif et cafardeux, et finalement pas bien décidé, je lui ai proposé de prendre ma place et mon maillot de bain car il n'en avait pas. Malheureusement, je ne l'ai jamais revu. Une lame de fond a entraîné quatre personnes au large. Les corps ont été retrouvés le lendemain.
À MIRABEAU, nous avons construit les accès au bled par des pistes et aussi une chapelle. Nous avons assuré la pacification et la sécurisation de la région par le déminage et les contrôles, des femmes transportaient des grenades et même des armes. Nous avons aussi combattu : un groupe d'intervention partait avec les hélicoptères Alouette et Sikorsky pour dégager les grottes dans lesquelles nous trouvions : munitions, ravitaillement et une infirmerie pour les blessés FLN. Notre sergent-chef, condamné par le FLN, a trouvé la mort au cours d'une attaque.
En CONCLUSION
Mon passage en ALGERIE m'a profondément marqué. À 85 ans je repense souvent au vécu de cette période lorsque j'ai du mal à m'endormir.
Trois faits m'ont beaucoup perturbé : Un harki, ayant fait la guerre de 1940, avait obtenu plusieurs médailles et il était fier de venir aux commémorations avec ses décorations. Il se savait condamné par le FLN et avait demandé à un gradé de notre compagnie de pouvoir séjourner dans le camp. Réponse : vous devez retourner dans le bled. Le pauvre homme n'a pas fait plus de 500 mètres avant d'être abattu. J'ai vu, également, une jeune fille blessée par une balle explosive d'une mitrailleuse de 30. Le haut de sa cuisse était en bouilli. Nous lui avons fait des compresses en attendant son transfert à l'hôpital MAILLOT à Alger. Elle hurlait, c'était épouvantable.
Enfin, PALESTRO... Nous venions d'arriver en Algérie. Sans commentaires !!!
Lors de mon séjour, il m'arrivait de fréquenter des cafés, avec contact avec la population musulmane. Plusieurs arabes m'ont dit : vous allez quitter l'Algérie, mais après votre départ tout ça finira dans le sang. Nous allons nous entre-tuer. Et c'est ce qui s'est malheureusement produit.
FIN