« On est alors plus capable à la fois de penser et d’agir. »
(Aristote ; Ethique à Nicomaque, VIII, 1)
La nécessité s’est fait sentir de rendre publiques, par le site que voici, les productions d’un groupe catholique de professeurs de philosophie, qui existe depuis 2015 et se retrouve, depuis lors, chaque année, dans la perspective de mettre en commun des recherches et réflexions généralement réalisées sur un même thème. On trouvera ces productions sous forme de comptes-rendus téléchargeables, dans les pages de ce site.
Ce groupe bénéficie, depuis son origine, de l’accompagnement des Dominicains. Il tient à traiter des problèmes philosophiques les plus divers en tenant compte de l’éclairage apporté par la foi catholique, gageant qu’une « philosophie chrétienne » est non seulement possible mais très féconde, y compris quant à la pratique de l’enseignement philosophique qui fait évidemment partie des activités communes de ses membres.
Choisir un nom pour une organisation de ce type ne peut s’improviser. Après quatre ans d’existence, forts de la connaissance et de l’amitié des membres de ce groupe entre eux, ainsi que de l’orientation que nous choisissons à nouveau de donner à ses rencontres annuelles, nous optons pour le nom de Saint Justin, c’est-à-dire le nom d’un des premiers philosophes chrétiens, qui se caractérise autant par son attachement à la foi – pour laquelle il a consenti au martyre – que par son ouverture extraordinaire à la sagesse « païenne ». (Je ne peux mieux faire, pour expliciter ce point, que de donner ci-dessous des extraits de ses écrits, qui comblent d’espérance l’intelligence de ceux qui ont à cœur de tenir ensemble les exigences de la foi et celles de la raison naturelle.)
Jacques Maritain exprimait, dans sa Réponse à Jean Cocteau (1926), cette même espérance en ces termes : « Je sais les erreurs qui ravagent le monde moderne, et qu’il n’a de grand que sa douleur ; je vois partout des vérités captives, quel Ordre de la Merci se lèvera pour les racheter ? » Nous serions heureux quant à nous de participer au moins à cette mission.
Marc Conturie
(professeur de philosophie au lycée Saint-Jacques-de-Compostelle de Dax)
TEXTES DE SAINT JUSTIN MARTYR (v.100 - v.165) :
« Nous avons appris que le Christ est le premier-né de Dieu, et nous avons indiqué qu’il est le Logos, dont le genre humain tout entier a reçu participation. Ceux qui ont vécu selon le Logos sont chrétiens, même s’ils ont été tenus pour athées, comme par exemple, parmi les Grecs, Socrate, Héraclite et leurs semblables et, parmi les Barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël, Elie et tant d’autres… » (Apologie I ou Grande Apologie [v.148-154], §46)
« Ce n’est pas que les enseignements de Platon soient étrangers à ceux du Christ, mais ils ne leur sont pas semblables sur tous les points, non plus que ceux des autres, Stoïciens, poètes ou prosateurs.
En effet, dans la mesure où chacun d’eux, en vertu de sa participation au divin Logos séminal, a contemplé ce qui lui était apparenté, il en a parlé excellemment, mais le fait que d’aucuns se sont contredits eux-mêmes sur des points essentiels montre à l’évidence qu’ils ne possédaient ni une science infaillible ni une connaissance irréfutable. C’est pourquoi, ce qui a été dit excellemment par tous nous appartient, à nous chrétiens, car après Dieu nous adorons et nous aimons le Logos, né du Dieu inengendré et ineffable, puisqu’il est devenu homme pour nous, afin de prendre part aussi à nos misères, pour nous en guérir. De fait, tous les écrivains pouvaient, grâce à la semence du Logos implantée en eux, voir la réalité, d’une manière indistincte, car autre chose est la semence d’un être et sa ressemblance, accordées aux hommes à la mesure de leur capacité, autre chose cet être même, dont la participation et l’imitation se réalisent en vertu de la grâce qui vient de Lui. » (Apologie II ou Requête au Sénat [160], §13)
AUTRES TEXTES QUE NOUS AIMONS :
« Il y avait autre chose dans ces liens qui captivait encore plus le cœur : causer et rire en commun, les complaisances pleines d’égards mutuels, plaisanter ensemble, ensemble être sérieux, quelquefois être en désaccord mais sans animosité (comme on peut l’être avec soi-même), et, en cas de rarissime désaccord, s’en servir pour assaisonner l’accord habituel, apprendre quelque chose les uns aux autres ou l’apprendre les uns des autres, regretter avec inquiétude les absents, accueillir avec liesse les arrivants, de tous ces signes et d’autres analogues jaillis du cœur de qui aime et est aimé de retour, exprimés par le visage, par la langue, par les yeux, par mille gestes agréables, et de tous ces signes faire des braises pour faire fondre âmes et de plusieurs n’en faire qu’une. » (Saint Augustin, Confessions, IV, §VIII)
« Le philosophe, aujourd’hui, comme à toute époque, se trouve placé dans une certaine situation historique dont il est très peu vraisemblable qu’il soit en mesure de s’abstraire réellement ; ce n’est que par une fiction dont il est dupe qu’il s’imagine pouvoir faire le vide en soi et autour de soi. Or, cette situation implique comme une de ses données essentielles l’existence du fait chrétien avec tout ce qu’il implique – cela qu’on adhère ou non à la religion chrétienne, que l’on considère comme vraies ou comme fausses les affirmations chrétiennes centrales. Ce qui est clair à mes yeux, c’est que nous ne pouvons pas penser comme s’il n’y avait pas eu avant nous des siècles de chrétienté, de même que, dans l’ordre de la théorie de la connaissance nous ne pouvons pas penser comme s’il n’y avait pas eu des siècles de science positive. Seulement l’existence du donné chrétien comme celle de la science positive ne joue ici qu’un rôle de principe fécondant. Elle favorise en nous l’éclosion de certaines pensées auxquelles en fait nous n’aurions peut-être pas accédé sans elle. » (Gabriel Marcel, « Position et approches concrètes du mystère ontologique », dernières pages)
Au Couvent des Sœurs dominicaines de Dax (octobre 2019)