Montaigne, la raison et la foi

Séance Philopop du 16 février 2021: Montaigne, la raison et la foi par Didier Carsin

Cliquez sur le lien ci-après pour accéder à la vidéo: séance du 16/02/2021

Cette séance a une suite: voir la vidéo-conférence du 11 mars 2021, Montaigne et la présomption humaine

Lecture du début de l'Apologie de Raymond Sebon, chapitre 12 du Livre II des Essais de Montaigne

Je lis les Essais dans la collection Quarto/ Gallimard, traduction d'André Lanly.

PLAN DE LA SEANCE :

1- Le projet de la Théologie naturelle de Raymond Sebon (1385- 1432)

a- Les circonstances de sa traduction par Montaigne et de la rédaction de l'Apologie de Raymond Sebon

b- La théologie de l'Eglise catholique (Thomas d'Aquin) : l'articulation de la foi et de la raison

c- La théologie rationnelle de Raymond Sebond : la rationalisation intégrale de la foi

2- Le fidéisme de Montaigne (Dieu ne peut être connu que par la foi/ la raison humaine est incompétente pour parler de Dieu)

a- La foi comme « infusion extra-ordinaire »

b- Les conséquences de cette théologie fidéiste : 1- une critique de la prétention de la raison à s'élever à Dieu (elle ne peut ni le connaître ni le concevoir) ; 2- une critique de la croyance religieuse ordinaire (qui n'est pas la foi) ; 3- une critique de l'idée de supériorité de l'homme sur les autres créatures (les bêtes) qui prétend s'appuyer sur la présence en lui de la raison

3- La foi et la croyance : examen de la religion chrétienne telle qu'elle se pratique

a- La distinction entre la foi («nous tenons à Dieu par lui ») et la croyance ordinaire (« nous tenons à Dieu par nous » ; « nous recevons notre religion à notre façon et par nos mains »)

b- C'est à la pratique qu'on peut mesurer la réalité de la foi : l'absence de foi des Chrétiens

c- La majorité des Chrétiens croient sincèrement avoir la foi mais « ne savent pas ce que c'est que croire »

d- Pour examiner la religion chrétienne dans sa vérité effective, il ne faut plus la rapporter aux dogmes auxquels elle est censée se conformer, mais aux motivations humaines qui sont à la source des croyances religieuses :

- « Nous ne servons volontiers la dévotion que lorsque cela flatte nos passions » : l'exemple des guerres de religion (la religion comme prétexte)

- La croyance religieuse comme effet de la coutume : « Nous sommes Chrétiens au même titre que nous sommes ou périgourdins ou allemands »

- La leçon du relativisme : « Un autre pays, d'autres témoins (…) pourraient imprimer en nous de la même manière une croyance contraire ».

Notre lecture s'arrête ici. Elle se prolongera ultérieurement par une réflexion sur « la vanité et le néant de l'homme » (p- 544). « Considérer l'homme seul (….) dépourvu de la grâce et de la connaissance divines » (p- 546), ce sera dégager sa « présomption » (« notre maladie naturelle et originelle ») qui est à la source des prétentions de la religion et de la raison (p- 549), et conduit à imaginer une supériorité de l'homme sur les bêtes, fondée sur la raison.

La discussion qui a eu lieu en fin de séance, a traité surtout de la question de savoir comment Montaigne peut avoir la foi chrétienne tout en déclarant qu'il est chrétien comme il est périgourdin. La réponse à cette question exige qu'on distingue avec lui la foi (« infusion extra-ordinaire » qui vient de Dieu) de la croyance religieuse reçue. La vérité de la foi est absolue et s'atteste par la pratique, non par des discours. Elle inspire une vie chrétienne (amour du prochain), elle ne fonde pas un système de « vérités » et de dogmes censés s'imposer universellement. Les discours et les usages se placent seulement sur le terrain humain : ils sont relatifs (et Montaigne admet par là qu'il est chrétien comme il est périgourdin). Ainsi, le chrétien n'a pas le droit d'absolutiser sa croyance chrétienne, il n'a aucunement le droit de présenter le christianisme comme « la » vérité, aux autres hommes (pas plus que les fidèles des autres religions). Aucun homme ne peut prétendre parler adéquatement de Dieu, et encore moins parler au nom de Dieu.