Le personnage éponyme de cette lignée de batusairés est a l’évidence Henri Terral dit « Lou batusaïré de Bouissezou ».Je garde de lui une image exemplaire : grand,svelte, cultivé, un chrétien social dans la ligne de Marc Sangnier, un républicain modéré qui n’a jamais été séduit par les pamphlets maurrassiens. Attentif au bien-être des hommes, il a cherché a réduire leur dur travail en innovant et au besoin en inventant quelques machines et leurs accessoires, qui ont durant sa vie active marqué le monde du battage dans notre montagne.
On lui doit l’invention du monte paille tournant qui, sans déplacer la batteuse, pivotait de 90° a droite ou à gauche afin de répartir plusieurs paillarges à la demande du client ou selon la configuration du sol. Le monte gerbes qui réduisait le travail des lanceurs de gerbes, ils leur suffisaient de les déposer sur une sorte de tapis roulant à chaînes pour alimenter la batteuse, il pouvait être utilisé à droite ou à gauche. Un engreneur automatique pouvant remplacer le donneur de paille qu’il n’a pas fini de mettre au point faute de matériel fiable, en particulier les lames qui tranchaient l’attache des gerbes. Le double nettoyage du grain qui comprenait une ventilation et un secouage de petite dimension monté sur les deux dernières batteuses qu’il a construites à Boissezon. La construction d’un prototype de batteuse surbaissée qui s’est révélée à l’usage trop longue, trop lourde et peu manœuvrière.
Enfin au terme de sa carrière la batteuse presse, une batteuse et une presse assemblée et noyées sur un même châssis qui a nécessité trois longues années de recherches.
Retiré en 1947 chez son neveu Joseph Terral dit « Pipot » entrepreneur de battages à la Fontblanque, le prototype fut construit durant l’hiver 1950-1951, avec des moyens réduits, les produits sidérurgiques à la sortie de la guerre étaient rares et relativement chers. En six mois la machine était terminée, les essais concluants eurent lieu à Farrières en mars 1951 devant la grange construite quelques années plus tôt et dans laquelle était stockée une partie de la récolte de céréales destinée à cette opération. IL me semble utile de préciser que la partie métallique et les mécanismes ont été construits et assemblés par Joseph Terral fils et son beau frère Henri Douau, qui pour la circonstance ont utilisé le premier appareil à soudure électrique du canton de Murat sur Vèbre. Les boiseries sont l’œuvre d’Alfred Rascol, menuisier à Moulin-Mage. Pour assurer la traction et l’entraînement, un tracteur Latil à 4 roues motrices et directrices d’une puissance de 65 CV avait été acquis. Cet ensemble pouvait se déplacer sur route à la vitesse de 30 Km/h, sa mise en service ne dépassait pas 30min. Une révolution !
Pour obtenir une qualité de roulage permettant cette vitesse, la batteuse presse était équipée d’un train de roulement à pneus du type basse pression qui tenait lieu d’amortisseurs. Voyant les avantages de ce nouveau matériel, son neveu Joseph Terral le poussa au maximum de ses capacités sans incidents notables pendant la campagne de battage de 1951 qui comprenait le Pays bas, La Salvetat et sa région et le canton de Murat.
En complément avec une grosse batteuse BROUHOT et une moyenne CASE avec chacune leur presse, elles vivent alors leurs dernières campagnes…
Henri Terral travaillait sur plans à l’amélioration de sa nouvelle machine, il parvint à réaliser quelques modifications intéressantes : en particulier la possibilité de replier verticalement le canal de la presse en situation de déplacement. Cela pour raccourcir l’encombrement. Il modifia également les engrenages réducteurs de la presse tournant à l’air libre en ajoutant au mécanisme présent une boite à bain d’huile, silencieuse, sans vibration et nettement plus légère.
Joseph Terral de son coté se mit à la recherche d’un constructeur susceptible de leur fournir une usine et des machines outils dont il manquait cruellement.
Il parvint à trouver à Gimont (GERS) les établissement Pujos qui consentirent à participer à une opération 50 50, en clair construire durant l’hiver une machine pour chaque partenaire avec des clauses qui me sont inconnues. Fin octobre 1951, le gendre et le fils de Joseph Terral déménagèrent avec femme et enfants à Gimont. Henri Terral suivit pour s’assurer de la bonne conduite des travaux.
Les deux têtes de série furent construites et au printemps 1952 une deuxième batteuse presse nouvelle monture compléta le parc de Joseph Terral à Lafonblanque. En 1954 il acheta à Monsieur Pujos la deuxième machine construite à Gimont, le voila propriétaire des trois engins rendant obsolètes les autres matériels.
Le prototype fut confié à Jean Bubert de Moulin-Mage nouvellement embauché mais capable d’assumer la campagne 1954. Les (neuves) une au fils et une au gendre, toutes disposant du même type de tracteur ce qui constitua un pas vers la standardisation. La capacité de battage explosa ! Joseph Terral voyant les résultats contacta plusieurs constructeurs de batteuses en France pour leur vendre la licence de fabrication. Il ne reçut aucune réponse favorable, la fin de l’ère des batteuses avait sonné. Tous lui firent remarquer que cette machine arrivait sur le marché dix ans trop tard et que le futur marché et le seul créneau porteur serait la moissonneuse batteuse.
Curieusement Henri Terral avait planché sur ce type de machine et avait dessiné un système à vis sans fin à pas inversé qui permettait d’alimenter les moissonneuses batteuses ; Il expédia les plans à un grand constructeur Américain de Détroit, il ne reçut pas de réponse. Il comprit leur silence quand son neveu Joseph Terral acheta les deux premières moissonneuses batteuse du canton ver 1955 ou 1956, elles étaient dotées d’une vis semblable qui équipait les marques Case, Massey Harris et sans doute bien d’autres. C’était le seul système compatible pour alimenter ces nouvelles machines.
Hors battages, Henri Terral travailla également sur un système de boite à vitesse à commande électrique, un modèle semblable a équipé les 402 Peugeot haut de gamme. Appelée boite cotal, elle étaient basée sur le principe dessiné par Henri Terral qui avait eu la malencontreuse idée de confier ce projet à un cabinet d’ingénieurs pour s’assurer des possibilités de ce projet. Cette demande de renseignements qui n’était pas protégée n’eut aucune suite.
Pour tout son travail et ses recherches, Henri Terral n’a jamais perçu de royalties, il a sans doute bien vécu comme un notable de nos montagnes à cette époque. Sa grande passion était la chasse, fidèle client de la manufacture de Saint Etienne, il possédait deux fusils calibre 12, un Idéal et un Robust, les connaisseurs apprécieront. Fins tireurs avec son neveu Joseph, ils allaient chasser la bécassine à Jougla, les perdreaux aux Pays bas et le lièvre dans les tènements connus d’eux seuls. Ses chiens étaient un magnifique couple d’Epagneuls Bretons.
L’oncle et le neveu étaient complémentaires : Joseph Terral était plus manuel, Henri Terral plus visionnaire. Joseph avait été formé à l’école pratique de Mazamet, Henri avait passé le brevet simple à Saint-Thomas de Brusque (12) et sans doute côtoyé le compagnonnage. Son dessin était inspiré du trait des compagnons.
Au final que reste t-il de toutes ces recherches et des machines construites ?
Une batteuse presse de la deuxième génération est conservée au musée des battages à l’ancienne de Murat sur Vèbre qui chaque année contribue aux fêtes organisées par cette association, sous l’œil attentif et bienveillant de Jean Bubert dernier témoin actif de cette époque révolue. Les personnes intéressées peuvent la voir et remercier ces hommes qui ont sauvé de la casse et de l’oubli une pièce unique et notable de notre patrimoine commun de la montagne.
Pierre DEMAY