Projet de recherche et résultats

Contexte général

Notre projet vise à comprendre le comportement asymptotique (en temps long) des trajectoires quantiques. Ces objets constituent une modélisation mathématique de l'état d'un système quantique soumis à des mesures indirectes répétées.

Plus précisément, la situation considérée est celle d'un système quantique fixé S, en interaction avec un environnement E ; les mesures, qui, par essence en mécanique quantique, perturbent l'état de l'objet observé, sont faites uniquement sur E. L'intrication entre S et E causée par l'interaction induit une modification de l'état de S, qui est cependant moins destructive que si S était observé directement. Ces mesures sont répétées, et on s'intéresse alors à l'évolution de l'état de S. Des expériences récentes, par exemple celles de l'équipe de S. Haroche au laboratoire Kastler-Brossel, ont montré la pertinence de ce type de modèle (cavité QED ou « boîte à photons »). Leur a déjà permis des progrès en optique quantique.

L'aléa inhérent à la mécanique quantique fait qu'à tout instant, le résultat des mesures sur E, et par conséquent l'évolution de l'état du système S, sont aléatoires. Obtenir une meilleure compréhension de ce processus aléatoire (qui est précisément ce que l'on appelle « trajectoire quantique ») permettrait de développer le contrôle de systèmes quantiques, nécessaire par exemple au cryptage quantique. En particulier, il semble naturel (et confirmé par la simulation) que la distribution de cet état aléatoire converge en temps long. Un tel résultat de convergence aurait de nombreuses applications, par exemple pour l'estimation des paramètres d'un système physique via des mesures indirectes, ou pour le calcul numérique de fonctionnelles de l'état par méthode de Monte-Carlo, le résultat de convergence étant une étape vers un algorithme de Metropolis. Cette étude pourrait donc déboucher sur de nouvelles méthodes, ou a minima l'optimisation de méthodes numériques de calcul d'états stationnaires de systèmes quantiques.

Objectif et méthodes

Notre objectif principal est de montrer la convergence en loi des trajectoires quantiques, donc du processus aléatoire des états d'un système subissant des mesures indirectes. Cette question naturelle de physique mathématique, issue d'un modèle de mécanique quantique, comporte plusieurs ingrédients.

Lorsque le modèle est à temps discret, la suite des états constitue une chaîne de Markov. C'est cependant une chaîne de Markov extrêmement singulière (chaque étape de temps produit un nombre fini d'états possibles, mais la mesure limite est typiquement supportée sur tous les états du système). Lorsque le modèle est à temps continu, on sait décrire l'évolution par une équation différentielle stochastique dite « équation de Schrödinger stochastique ». Le processus est ici aussi markovien, mais encore une fois trop singulier pour que les outils usuels (par exemple les inégalités fonctionnelles) s'appliquent. On peut montrer que le comportement asymptotique de la suite d'états est essentiellement dicté par celui de la trajectoire d'un vecteur auquel on applique un produit aléatoire de matrices. Ici aussi les résultats connus sur de tels produits aléatoires sont inapplicables : ils supposent qu'à chaque étape, le nouveau facteur est choisi de manière indépendante du passé, et suivant une loi fixe. Dans notre cas, le choix est markovien.

Le problème de la convergence en loi des trajectoires quantiques peut donc s'énoncer intégralement en langage probabiliste. Cependant, l'absence de solution à ce jour semble indiquer que de nouveaux concepts sont nécessaires. Il est naturel de chercher des éléments pertinents dans d'autres domaines des mathématiques et de la physique. Tout d'abord, dans l'information classique et quantique : l'expérience considérée consiste en effet à extraire de l'information quantique par des mesures classiques. Par ailleurs, le formalisme thermodynamique semble permettre d'obtenir des informations sur la statistique des mesures effectuées sur l'environnement, qui peuvent se traduire en des informations sur la statistique des états du système. Enfin, il serait utile d'en apprendre plus sur l'existence de comportements génériques dans des systèmes physiques soumis à des opérateurs de Schrödinger aléatoires, avec corrélations en temps, qui peuvent eux aussi être modélisés par des produits de matrices aléatoires non indépendantes. Par ailleurs, pour s'assurer que nous produisions des résultats exploitables pour des applications pratiques, il nous faudra nous inspirer de résultats issus de la théorie du contrôle quantique et de la physique numérique et créer des liens avec des équipes expérimentales comme celles du LKB-ENS, du LPA-ENS ou du Quantronics Group du CEA-Saclay.

Résultats obtenus