Séminaire PHITECO 2023
Prendre soin de l'esprit :
santé mentale et milieu technique
du 23 au 27 janvier 2023
Amphithéâtre FA 100 (Centre Benjamin Franklin) - Université de technologie de Compiègne
Retrouvez le dossier spécial consacré au séminaire « Prendre soin de l'esprit : santé mentale et milieu technique » dans les Cahiers Costech
Organisation : Elodie Gratreau, Florent Levillain & Vincenzo Raimondi
Inscriptions : par mail à chimene.fontaine@utc.fr
La crise du Covid-19 a fragilisé la santé mentale publique en même temps qu’elle a mis en lumière une crise de la psychiatrie déjà dénoncée par les professionnel·les du secteur depuis quelques années. Entre stigmatisations des maladies mentales et nécessité pour chacun·e d’avoir droit à une santé mentale de qualité, une question se pose : comment prendre soin de l’esprit ?
Souvent, l’esprit – en santé comme en souffrance – est pensé dans des perspectives réductionnistes soit biologisantes et neurologisantes, soit au contraire de l’ordre de l’immatériel et du symbolique. Contre ces réductionnismes, ce séminaire souhaite explorer la perspective de l’esprit en relation avec les mondes socio-techniques dans lesquels il évolue. Quelles techniques ont été et sont mobilisées aujourd’hui pour prendre soin de l’esprit ? Et dans quels contextes, avec quels enjeux ?
Nous proposons d’examiner ce que « prendre soin » peut activement signifier face à cet objet complexe qu’est l’esprit, à travers les regards croisés de nombreuses disciplines (psychiatrie, philosophie des techniques, anthropologie, histoire, épistémologie, design…).
Les inscriptions sont désormais closes.
PROGRAMME DU SÉMINAIRE PHITECO 2023
LUNDI 23 JANVIER
10h00 Elodie Gratreau, Florent Levillain & Vincenzo Raimondi, Présentation du séminaire
11h25 Hugo Bottemanne (AP-HP ; Sorbonne Université et Institut du cerveau), Un esprit probabiliste ? Introduction à la théorie du cerveau bayésien
14h00 Xavier Briffault (Cermes3), Les technologies numériques connectées pourraient-elles apporter une solution à l’impasse paradigmatique actuelle de la (recherche en) psychiatrie ?
15h25 Yannick Prié & Toinon Vigier (LS2N, Nantes Université), Utilisation de la réalité virtuelle pour l'évaluation de fonctions cognitives pour l'aide au diagnostic en psychiatrie et psychologie clinique
Après 16h35 : Yannick Prié & Toinon Vigier (LS2N, Nantes Université), Démonstration d'un dispositif de réalité virtuelle
MARDI 24 JANVIER
10h00 Astrid Chevance (AP-HP ; CRESS, U. de Paris - INSERM), « Est ce que ça va me guérir docteur ? ». Challenges de l’évaluation des interventions thérapeutiques en psychiatrie
11h25 Jean-Claude Dupont (CHSSC, UPJV), Neurotransmission, psychotropes et marqueurs : interactions historiques et épistémologiques
14h00 Hervé Guillemain (Temos, Le Mans Université), Qu'est-ce qu'une pratique thérapeutique efficace ? Propositions historiennes pour étudier les dispositifs techniques de soin psychiatrique au XXe siècle
15h25 Patrick Renaud & Eva Hardy (EnsadLab, EnsAD), Intervention du Design dans des Espaces Habités spécifiques au service du bien-être de l'humain, deux exemples : l'Ehpad, l'entreprise
MERCREDI 25 JANVIER
10h00 Ateliers à destination des étudiants
11h25 Ateliers à destination des étudiants
14h00 Elodie Gratreau (Costech, UTC), Convergence technologique et naturalisation de la maladie mentale
15h25 Elodie Gratreau (Costech, UTC), Atelier. De patiente à chercheure : psychiatrie et auto-encapacitation
JEUDI 26 JANVIER
10h00 Rénald Gaboriau (MJ Lab), Les dispositifs numériques comme médiateurs : un objet est toujours donné. Exemples du robot et de la projection de jeux interactifs
11h25 Baptiste Moutaud (LESC, Université Paris Nanterre - CNRS), Soigner le spectre. Entrainement cognitif pour la schizophrénie, économie du cerveau des neurosciences et politiques de santé mentale en France
14h00 Anne Alombert (Université Paris 8), Panser les écrans et les esprits : l'écologie de l'attention dans le milieu numérique
15h25 Anne Guénand (Costech, UTC), Comment la technique peut contribuer à prendre soin des personnes isolées doublement fragilisées par la crise sanitaire et la perte d’autonomie ?
VENDREDI 27 JANVIER
10h00 Zoë Dubus (TELEMMe, Univ. d’Aix-Marseille), Des thérapies de choc au « set and setting », évolution des méthodes d’administration de LSD, 1950-1970
11h25 Tonya Tartour (Centre Émile Durkheim / Cermes3), Une innovation à effet retard ? Appropriations et usages différenciés des innovations pharmacologiques en psychiatrie. Le cas des injections de neuroleptiques à action prolongée
14h00 Séance de conclusion à destination des étudiants
ARGUMENTAIRE
La pandémie de la Covid-19 et les restrictions sanitaires qu’elle a engendrées n’ont pas été sans effet sur la santé mentale de la population, et notamment des jeunes, comme le montre par exemple le récent rapport de l’Observatoire national du suicide publié par la DREES. Et pourtant, ce n’est qu’une mise en lumière d’une santé mentale en dégradation depuis plusieurs années, avec notamment une augmentation significative des symptômes anxieux liés aux crises mondiales (crise écologique et éco-anxiété, crises démocratiques, guerres…) et des travaux sur l’impact des nouvelles technologies sur le bien-être populationnel. Cette dégradation de la santé mentale nous met face aux difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit pour nous de prendre soin de notre santé mentale : la nôtre dont nous ne maîtrisons pas les élans, celle d’autrui dont la vie psychique nous demeure fondamentalement inaccessible, et celle de la société en prise avec des impératifs politiques et socio-économiques. Car, par ailleurs, la psychiatrie, à qui incombe a priori la tâche du soin psychique, est en crise, comme le signale par exemple l’ouvrage Psychiatrie : l’état d’urgence paru en 2018. Quels sont les obstacles que rencontrent les soins psychiques ? Et si une menace plane sur la discipline dont l’objet est précisément la maladie mentale, que reste-t-il pour le soin de l’esprit ?
Ce contexte de crise est propice à s'interroger sur la nature de l'objet vers lequel la pratique curative est dirigée : quels sont les contours de cet esprit que l'on cherche à soigner ? Entre psychanalyse, psychiatrie et neurosciences, la conception de l'esprit oscille entre une entité immatérielle (la psyché) appréhendée au niveau symbolique par le travail de parole, et un objet matériel (le cerveau) dont il serait possible de cartographier les régions ou d'identifier les composantes fondamentales. Entre ambition naturaliste et savoir-faire du thérapeute, la science du soin de l'esprit se confronte parfois à deux formes de réductionnisme : soit évaporé dans une sorte d'éther mental, soit confiné à l'enclos du crâne, l'esprit est limité à une perspective exclusivement subjective, ou au contraire à un objet observable et mesurable.
Contre ces réductionnismes, ce séminaire revendique une dimension écologique de l'esprit, un esprit incarné dans des situations, déployé dans des dynamiques sociales, façonné par les prothèses techniques qui transforment les possibilités d'interaction avec le monde. Cette approche incarnée et énactive ouvre la possibilité d'une pratique du soin aux différents points de contact de l'esprit et de son milieu : habitat, dynamique sociale, enculturation, outils techniques, etc. Elle laisse aussi imaginer les possibles reconfigurations de l'esprit selon les techniques qu'il utilise, et invite ainsi à se ressaisir d’une question souvent absente des travaux portant sur les disciplines médicales et le soin : dans quelle mesure la technique participe-t-elle à la formation, à l’altération ou encore à la régénération de l'esprit ?
Parmi les questions dont nous aimerions traiter :
1. Techniques & psychiatrie contemporaine
On trouve aujourd’hui dans la littérature le constat que l’objet technique a été largement évacué des travaux portant sur les disciplines médicales et le soin en vertu de l’idée selon laquelle toute technique ne serait qu’instrument froid ne servant qu’à atteindre une fin définie. C’est peut-être une conception encore plus franchement marquée en psychiatrie, où il est question de soigner la psyché, généralement conçue comme essentiellement immatérielle et symbolique même dans son soin, et ce malgré l’expansion des théories de l’origine biologique de la maladie psychique, largement appuyées par l’essor de la génétique et des neurosciences. Pourtant, nombreux sont désormais les travaux mettant en évidence la place structurante de l’objet technique dans les mondes humains, y compris dans leur dimension symbolique. Quelles sont les techniques mobilisées aujourd’hui pour soigner l’esprit ? Par qui sont-elles employées, et comment ? Quel intérêt y a-t-il à dépasser l’écueil d’une conception de la technique comme instrumentale, froide et réductionniste, et celui d’une conception purement symbolique et a-technique du soin psychiatrique (voir par exemple Venet, 2020) ?
2. Le soin de l’esprit dans l’histoire
Prendre soin de l’esprit est une préoccupation des sociétés humaines documentées au moins depuis la Grèce Antique (Caire, 2019). La philosophie en particulier s’est saisie de la question de ce qu’est un esprit sain et de l’hygiène à entretenir pour le conserver et, précisément, en prendre soin (mens sana in corpore sano). Elle s’est aussi attelée, comme l’ont fait les sciences cognitives, à produire des compréhensions variées, parfois opposées mais souvent complémentaires, de ce qu’est l’esprit, la conscience, la cognition. Que peut nous apprendre l’histoire des techniques de soin de l’esprit, et l’histoire des idées sur l’esprit ?
3. Écologie de l’esprit et techniques de soi(n)
Nos esprits évoluent dans des environnements socio-techniques complexes. Il apparaît aujourd’hui important et même nécessaire d’étudier dans le détail ces milieux techniques qui façonnent nos esprits et que nos esprits façonnent en retour dans des processus d’individuation impliquant notamment des techniques de soi. Comment caractériser les dispositifs techniques qui, aujourd’hui, interviennent directement sur nos esprits, sur notre bien-être ou au contraire sur notre mal-être — qu’ils soient pensés explicitement en ce sens ou non ? Comment évaluer, expliciter leur impact concret sur nos esprits, et la manière dont nous nous emparons de ces effets (empowerment) ? Comment prendre soin de l’esprit par la technique, avec quelles approches, quelles pratiques du design ?
4. Santé mentale et dispositifs numériques
À l’heure où le numérique ouvre de nouvelles possibilités d’interaction, de partage, de formation et de travail, nous faisons aussi le constat d’une dépendance généralisée aux technologies numériques qui menace notre santé mentale en même temps que le lien social. De nombreuses études semblent mettre en évidence les effets nuisibles liés à la surexposition aux écrans (Spitzer 2019) : troubles du développement cognitif et de l’apprentissage, dégradation des capacités d’attention et de concentration, troubles du sommeil et de l’humeur, dépression… D’autres, au contraire, soulignent les opportunités offertes par le numérique dans le domaine de la santé mentale. Nous aimerions approfondir les manières dont les applications contemporaines du numérique viennent modifier notre relation aux autres et à nous-mêmes. Ce sera aussi l’occasion de réfléchir à des pistes orientées vers des écologies numériques alternatives favorisant l’épanouissement personnel et collectif.
LIVRET DES RÉSUMÉS (EN PDF)