Séminaire PHITECO 2021 « Penser la technique avec Bernard Stiegler » 

18-22 janvier 2021 - Université de technologie de Compiègne 

Organisation : Florent Levillain & Vincenzo Raimondi, équipe CRED (Costech)

Comment la technique façonne-t-elle nos façons de percevoir, de penser, d’agir et d’interagir ? Cette question, raison d’être du séminaire PHITECO, est l’héritage de Bernard Stiegler. Le philosophe n’a cessé de mettre en avant et décliner l’idée d’une technique anthropologiquement constitutive, une technique constitutive de nos manières de penser et agir, et plus fondamentalement de ce que nous sommes. Sa disparition l’été dernier est ainsi l’occasion de revenir aux fondements d’un séminaire qu’il avait contribué à créer, auquel il participait régulièrement depuis plus de trente ans, et plus généralement avait irrigué par son travail sur le sens technique de la condition humaine.

« En panne d’essence », l’être humain trouve son être au milieu des techniques qu’il invente et fabrique, et qui l’inventent et le fabriquent en retour. Le caractère constituant et constitutif de la technè pour l’identité et la pensée humaine est peut-être l’innovation majeure de l’œuvre de Bernard Stiegler. Plus qu’une philosophie de la technique, c’est une pensée de la pratique et dans la pratique, faisant de l’outil la condition même de l’individuation, de la transmission, et d’une pensée qui s’organise dans le temps. Pour le philosophe, l’homme est en effet le produit d’un processus évolutif qui a fait de l’artificialité et de la prothéticité les fondements de son être au monde. En tant que prothèses cognitives et corporelles, ses techniques (du silex au numérique, en passant par l’écriture) lui permettent en effet d’extérioriser, transmettre et développer sa mémoire, ses savoirs, son savoir-faire. C’est sous le nom de thèse « TAC » (Technique comme Anthropologiquement Constitutive/Constituante) que le séminaire PHITECO a développé au fil des années les conséquences de cette approche foncièrement technique de la cognition.

A cette considération nouvelle de la technicité s’adjoint un questionnement sur le plan moral et politique. Si la pensée humaine est tributaire de la construction d’outils ou d’organes techniques, se pose la question d’évaluer la contribution positive ou négative de ces outils au développement de la société. Aujourd’hui, sommes-nous bien outillés pour penser ? La réévaluation du statut anthropologique de la technique permet en effet de guider une réflexion sur le présent de notre civilisation et sur son destin. Stiegler n’a eu de cesse de révéler les enjeux des mutations cognitives, sociales, politiques et économiques associés aux développements technologiques contemporains. C’est parce que ces enjeux sont parfois opaques et que les conséquences de ces développements nous échappent, qu’il est nécessaire de comprendre « ce qui s’y joue réellement et s’y transforme en profondeur », afin de les prévoir et d’orienter leur évolution. Autrement dit, adopter une position critique vis-à-vis de la technique permet de mieux se l’approprier. Pour ce faire, il est primordial de reconnaître la nature ambivalente de la technique en tant que pharmakon, mot grec qui signifie à la fois remède et poison. Porteur d’une puissance curative et destructrice, tout objet technologique apporte nécessairement autant de solutions que de nouveaux problèmes, et donc de nouvelles dérives possibles. C’est pourquoi, d’après Stiegler, penser la technique signifie aussi chercher des remèdes, apporter du soin, afin de « panser » les plaies du monde dans lequel nous vivons.

Le séminaire développera l’héritage de Bernard Stiegler autour de 3 terrains de recherche principaux : 1) la question du devenir technique de l’être humain ; 2) la question des industries culturelles et des technologies de l’esprit ; 3) la question de la crise écologique et de l’anthropocène.