Séminaire PHITECO 2017
Technique et politique
du 23 au 27 janvier 2017
Amphithéâtre L200 (Centre Pierre Guillaumat) - Université de technologie de Compiègne
Organisation : Vincenzo Raimondi, équipe CRED (Costech)
Le thème de cette année est « Technique et politique ». Nous nous intéresserons à de nombreuses questions :
la relation entre nouvelles technologies (dont le web) et démocratie ;
les enjeux politiques du design et des dispositifs techniques ;
l’histoire des techniques et ses liens avec les transformations politiques.
Veuillez trouver ci-dessous l'argumentaire et le programme complet du séminaire.
Ouvert à tous, ce séminaire permet aux élèves-ingénieurs inscrits de valider 4 ECTS TSH sur le semestre de printemps (UV SC01).
Séminaire PHITECO « Technique et politique »
Si la technique est constituante de notre humanité, alors cela signifie que la politique (l’organisation de la vie dans la cité, l’exercice du pouvoir, mais aussi les conflits, dissensus et luttes pour cette organisation et ce pouvoir), en tant qu’il s’agit peut-être d’un phénomène spécifiquement humain, est ouverte voire conditionnée par la technique. Plusieurs sens peuvent être donnés à cette assertion :
La technique rendrait possible ou habiliterait l’existence de la politique en général. Quelles sont les conditions techniques, voire technologiques, de la pratique politique, ou de certaines pratiques politiques ? L’inter-objectivité (Latour), les inscriptions matérielles, les systèmes d’écriture (et notamment la raison graphique), la traçabilité, la distinction public/privé, la spécialisation du travail et ses conséquences pour l’apparition de classes sociales possiblement antagonistes, l’apparition d’un espace public et de territoires, le principe de propriété, etc. sont quelques pistes parfois envisagées en histoire et en anthropologie. On peut aussi penser aux différentes techniques qui permettent le déroulement des opérations électorales et la validation de leurs résultats, en relation avec un régime politique donné. La psychologie sociale a également pu travailler sur les mécanismes d’institution ou d’obéissance à une autorité de la part d’un collectif et, plus généralement, sur les techniques du pouvoir (domination, propagande, etc.).
La technique rendrait possible l’existence de certaines politiques en particulier. Y a-t-il des techniques, des technologies, des choix techniques ou des systèmes techniques qui seraient intrinsèquement solidaires de régimes politiques spécifiques, en tant que causes (déterminantes, constituantes, conditionnantes, etc.) ou en tant qu’effets (déterminés, conditionnés, constitués, etc.) de ces régimes politiques ? Ou y a-t-il des techniques qui ont été politiquement flexibles ou indéterminées, se prêtant à des usages politiques antagonistes ? Sur un plan historique, peut-on par exemple invoquer le caractère constitutif de certaines techniques pour penser des événements comme la Révolution française, les totalitarismes du xxe siècle, ou des phénomènes comme la taylorisation du travail ? Existe-t-il des technologies ou des techniques démocratiques (Mumford), mais aussi des techniques choisies, conçues ou fonctionnant de manière démocratique ? Que peut être (ou pourrait être) ce « fonctionnement démocratique » (ouverture, émancipation, convivialité, centralité de l’utilisateur, techniques douces, etc.) ? On peut aussi penser au développement récent des plateformes web à initiative citoyenne, qui seraient les vecteurs d’une démocratie participative ou d’une société collaborative. Pour les promoteurs de la civic tech, l’innovation technologique aurait pour vocation en effet de servir l’intérêt général et de permettre une gestion optimisée de la chose publique. Bref, plus de trente après le texte séminal de Langdon Winner[1], comment décrire et concevoir la valeur politique des objets techniques (dans leur matérialité et dès leur conception), sans commencer par les usages ou par le principe d’une construction sociale de la technique ? L’apport des philosophies critiques de la technique est ici important (École de Francfort, Ellul, Illich, Jarrige, etc.).
La reconnaissance d’une constitution de la politique par la technique peut rendre plus urgente une réflexion sur les opportunités et les modalités de développement d’une politique des objets et des dispositifs techniques. Comment, par exemple, envisager une recherche et/ou une posture en design qui assumerait et développerait sa nature et ses enjeux politiques, depuis les intentions du concepteur jusqu’à l’expérience de l’usager ? Par ailleurs, doit-on défendre la neutralité du net ? La sociologie des techniques, par l’intermédiaire notamment du concept de « démocratie technique[2] », a également pu étudier les modes de déploiement de controverses politiques et sociales concernant des choix techniques, de la conception à l’implémentation ou à la diffusion. Enfin, les sciences cognitives étudiant les phénomènes de délibération et de décision (en situation d’incertitude, etc.) peuvent apporter des éléments permettant de mieux comprendre la nature des choix techniques. Dans l’autre sens, certains dispositifs d’observation, de modélisation et de remédiation développés en sciences cognitives (neuro-imagerie, interfaces cerveau-machine, prothèses, etc.) suscitent des interrogations sur les enjeux politiques de leurs déploiement et diffusion.
L’enjeu central du séminaire sera donc tout d’abord de cartographier les relations, existant à de multiples niveaux, entre technique et politique. Si cette mise en perspective s’avérait féconde, il pourrait être envisageable d’en dégager des pistes d’actions programmatiques, tant en matière de design que d’organisation de la recherche.
[1] « Do artifacts have politics ? », Daedalus, Vol. 109 / 1, 1980, pp. 121-136.
[2] Michel Callon, Pierre Lascoume, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
PROGRAMME DU SÉMINAIRE
Lundi 23 janvier
9h30-12h15 Pierre Steiner, Guillaume Carnino et Vincenzo Raimondi (UTC) Introduction du séminaire
14h-15h15 Julien Mattern (Université de Pau) Sociologie critique de l’innovation technologique : le cas du pass Navigo
15h30-16h45 Delphine Gardey (Université de Genève) Do Politics have Artifacts ? Une histoire matérielle et sociale de l’Assemblée Nationale, France (1789-1940)
Mardi 24 janvier
9h30-10h45 Louis Ujéda (UPEC) La biologie de synthèse entre promesses et réalité : politiques des biotechnologies en développement
11h-12h15 Francesca Musiani (ISCC-CNRS) Infrastructures et « pratiques situées » : approches “Science and Technology Studies” à la gouvernance d’Internet
14h-15h15 J.-F. Laslier (CNRS, Paris School of Economics) Expériences sur la réaction des citoyens devant de nouvelles règles de vote
15h30-16h45 Clément Mabi (UTC) Pourquoi les technologies numériques sont-elles politiques ?
Mercredi 25 janvier
9h30-10h45 Nicolas Loubet (UMAPS Communication) Que nous apprend TheDAO des organisations pilotées par des algorithmes ?
11h-12h15 Agnès Roby-Brami (UPMC) Les technologies d’assistance: un enjeu politique entre corps et société
14h-15h15 Nathalie Przygodzki-Lionet (Lille 3) Techniques et Justice pénale: quelques apports de la Psychologie légale
15h30-16h45 Pierre-Henri Gouyon (MNHN-CNRS) Le fil de la vie : génétique, société et politique face à la diversité des comportements
Jeudi 26 janvier « journée design »
9h30-10h45 Stéphanie Cardoso (Bordeaux Montaigne) Approche par le design : pour une politique des robots assistants dans les EHPAD. Intérêt général, expérience usager et enjeux
11h-12h15 Dominique Sciamma (Strate) Les écoles de Design : nouveaux IEP ?
14h-15h15 Thomas Watkin (Université de Nîmes) Design et politique(s) ou décliner la notion de “public”
15h30-16h45 Guillaume Gronier (Luxembourg Institute of Science and Technology) L’UX Design appliquée à la conception d’une politique environnementale : enjeux techniques, politiques, démocratiques et industriel
Vendredi 27 janvier
9h30-10h45 Clément Marquet (Telecom ParisTech) Qu’est-ce qu’un data center ? Analyse d’une controverse autour de la territorialisation des données informatiques en banlieue parisienne
11h-12h15 Victor Petit (UTC) Comment promouvoir une technologie démocratique ? Vers une démocratie des communs ?
14h-16h45 Vincenzo Raimondi (UTC) Séance de conclusion
ARGUMENTAIRE ET LIVRET DES RÉSUMÉS (EN PDF)