HGGSP Th3 Introduction
Histoire et mémoire, histoire et justice
Histoire et mémoire, histoire et justice
Guernica officiellement reconnue comme “lieu de mémoire” en Espagne, Courrier International, 2 août 2023
Crime contre l'humanité : En Arabie Saoudite, les gardes-frontières auraient abattu des «centaines» de migrants éthiopiens, Libération, 21 août 2023
"Une question de responsabilité historique" : 90 ans après la fin de l'Holodomor, l'Ukraine se souvient et veut faire reconnaître un génocide, France Info, 25 novembre 2023
Guerre en Ukraine : ce nouveau rapport édifiant sur le programme russe d’adoption forcée d’enfants ukrainiens, Le Figaro, 4 décembre 2024
A. Histoire et mémoire
Définitions
Si l’Histoire et la mémoire se réfèrent toutes les deux au passé, elle se situent dans un registre différent. L’Histoire est une science qui se construit au travers de traces, de documents et de méthodes d’analyse. La recherche historique s’efforce d’atteindre la vérité sur ce qui s’est passé et d’en transmettre la connaissance. Elle transmet la mémoire collective. L’historien ne doit pas juger le passé à l’aune des critères moraux, sociaux ou politiques actuels mais seulement essayer de comprendre le passé. Il faut cependant se méfier car parfois, l’Histoire peut être instrumentalisée par les gouvernements, que ce soit au niveau de l’enseignement ou au niveau des commémorations nationales. Celles-ci mettent en lumière le rapport des Etats à leur histoire. Selon l’intellectuel et historien André-Jean Tudesq, la réalité historique tend alors souvent à s’effacer derrière la remémoration.
Le devoir de mémoire
La mémoire est différente pour chaque individu et pour chaque groupe. Elle cherche à entretenir le poids du passé sur le présent et relève de l’affectif. Face aux atrocités commises, le concept de « devoir de mémoire » est apparu. Devoir de mémoire : obligation morale de se souvenir d'un événement tragique. Il est lié aux notions de justice et d’éthique et prend un caractère idéologique ou affectif. Ce devoir de mémoire est remis en cause par les historiens à l’instar de Philippe Joutard : « Dans un État de droit et une nation démocratique, c’est le devoir d’histoire et non le devoir de mémoire qui forme le citoyen », ou d’Henri Rousso qui affirme que « la morale ou plutôt le moralisme ne fait pas bon ménage avec la vérité historique ».
Au devoir de mémoire correspond son antithèse : le devoir d’oubli. Cette injonction intervient pour permettre la réconciliation nationale après des évènements traumatisants pour les communautés : L’Edit de Nantes, qui met un terme aux 8 guerres de religion qui ont secoué le Royaume de France de 1562 à 1598, appelle à un oubli volontaire des atrocités pour assurer la construction de la paix. La même démarche est employée en Espagne après la période franquiste afin de faciliter la transition démocratique.
Les lois mémorielles
Le devoir de mémoire s‘impose au plus haut sommet de l’Etat avec l’instauration de lois mémorielles. Loi mémorielle : Loi exprimant le point de vue officiel d'un État sur un événement dans le but de lutter contre la négation de faits historiques. Entre 1990 et 2005, 4 lois mémorielles sont votées. La Loi Gayssot en 1990, réprime tout acte raciste, antisémite ou xénophobe et transforme en délit le négationnisme du génocide juif. En 2001, est reconnu le génocide arménien perpétré par la Turquie en 1915 durant la Première guerre mondiale. On estime que ce génocide, toujours renié par la Turquie, a abouti à la mort de 1.5 million d’Arméniens. En 2001, la loi Taubira reconnaît la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité. En 2005, la France reconnaît la contribution nationale en faveur des Français rapatriés qui ont participé à la colonisation. Ces 4 lois mémorielles ont des objectifs différents : création de nouveaux droits ou de nouveaux délits, reconnaissance d’un fait ou lecture d’un fait historique. Ce dernier objectif se réfère à la loi de 2005 et crée des polémiques ainsi que des tensions internationales avec les pays concernés. En effet, l’injonction est que les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française en outre-mer et notamment en Afrique du Nord. Le peuple et le gouvernement algériens s’insurgent. En France, les historiens protestent contre cette volonté d’imposer une histoire officielle et de restreindre leur liberté et la recherche de la vérité. D’autres protestations émergent, cette fois contre la loi mémorielle de 2001. La reconnaissance d’un génocide est un acte positif mais sélectif. D’autres génocides sont ignorés. Ainsi, une loi mémorielle répondrait davantage à une logique communautariste, à une guerre de mémoire et à une concurrence des victimes. Le député Noël Mamère déclare ainsi que « nos indignations ne doivent pas être sélectives ». Françoise Chandernagor dénonce le risque pour chaque communauté de réclamer une loi mémorielle afin de « sacraliser son propre malheur ». En décembre 2005, 19 historiens réclament l’abrogation de l’ensemble des lois mémorielles.
B. histoire et justice
La Cour pénale internationale
La découverte des camps au sortir de la Seconde guerre mondiale souligne la nécessité de définir dans le droit les différents crimes qui ont été perpétrés et de juger les criminels. Si différents tribunaux nationaux, exceptionnels ou internationaux sont mis en place dès 1945, la multiplication des conflits et des exactions à l’échelle mondiale dans la seconde moitié du XXème siècle et en ce début de XXIème siècle pousse à la création d’une justice internationale. En 2012, la Cour pénale internationale est créée. Elle est compétente pour juger les génocides, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes d’agression. Pour cette instance internationale, la justice est une condition essentielle à une paix durable et à la construction d’un avenir dépourvu de violence. 106 Etats ont signé le statut de Rome qui fixe les règles de fonctionnement de cette institution internationale. La juridiction de la CPI ne s’exerce que sur le territoire d’un Etat ayant ratifié le Statut de Rome, quelle que soit la nationalité de l’auteur présumé. La juridiction de la CPI peut cependant s’étendre à d’autres Etats si la Cour est saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU. Dans le cadre de la guerre en Ukraine, la CPI a émis un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine le 17 mars 2023. Si Vladimir Poutine pénètre dans un pays ayant ratifié le Statut de Rome, celui-ci est tenu de l’arrêter et de le remettre à la CPI. La participation de Vladimir Poutine à la réunion des BRICS qui a lieu en Afrique du Sud en août 2023 pose problème au gouvernement de ce pays d’accueil. Pour l’instant, l’Afrique du Sud refuse d’envisager une collaboration avec la CPI et de respecter les engagements du Statut de Rome.
Définir les crimes pour pouvoir poursuivre en justice
Pouvoir juger, c’est aussi définir précisément les crimes. Les crimes de guerre sont des infractions graves aux Conventions de Genève signés en 1949. Il s’agit de traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit international humanitaire. Sont reconnus comme crimes de guerre le fait d'utiliser des enfants soldats, de tuer ou de torturer, d’attaquer intentionnellement des hôpitaux, des monuments historiques, ou des bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative. Le crime d'agression désigne l'emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l'intégrité ou l'indépendance d'un autre État. L’invasion russe de l’Ukraine rentre dans ce cadre. Le combat du juriste polonais d’origine juive, Raphaël Lemkin permet l’adoption du crime de génocide. En 1946, le génocide est pour la première fois reconnu comme un crime de droit international par l'Assemblée générale des Nations Unies. Le génocide est un crime proscrit par le droit international. Le génocide désigne l’extermination physique intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Le crime contre l’humanité désigne les actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile. La liste des crimes contre l’humanité est extensive et comprend entre autres le meurtre, la réduction en esclavage, la déportation, la torture, le viol, la persécution. Le crime contre l’humanité est imprescriptible. Le génocide est considéré comme un crime contre l’humanité. Si de nombreux génocides ont eu lieu à travers l’histoire plus ou moins récente, seuls 4 sont reconnus par l’ONU : le génocide des Arméniens, le génocide perpétré par les nazis contre les Juifs et les Tsiganes, le génocide des Tutsis au Rwanda et le massacre de milliers de musulmans de Bosnie, en 1995 à Srebrenica. D’autres cas font débat au sein de la communauté des historiens à l’instar la famine provoquée par Staline en Ukraine, les massacres commis par les Khmers rouges au Cambodge ou la situation au Darfour. De nombreuses violences sont dénoncées comme étant des crimes contre l’humanité. En février 2017, le président français Emmanuel Macron affirme lors d’un voyage en Algérie que la colonisation est un crime contre l’humanité. En février 2023, les Etats-Unis accusent les Russes de crimes contre l’humanité en Ukraine et ce de manière incontestable ; l’Etat islamique est accusé en avril 2023 de crimes contre l’humanité à grande échelle par une commission d’enquête de l’ONU.
Historiens et témoins au service de la justice et de la mémoire
Rendre la justice dans des pays qui ont été en proie à des conflits, c’est permettre le passage d’un état de guerre à un état pacifié. On parle alors de justice transitionnelle. Justice transitionnelle : ensemble de mesures auxquelles un nouveau pouvoir a recours pour rétablir la paix et le droit dans un contexte de sortie de conflit ou de transition démocratique. Si les crimes commis sont jugés dans un délai raisonnable, le rôle de l’historien est inexistant. A l’inverse, plus le procès a lieu dans une temporalité éloignée des faits commis, plus son expertise va être sollicitée. De même, les victimes survivantes sont indispensables à l’établissement des responsabilités. « L’avènement du témoin » selon l’expression d’Annette Wieviorka a émergé lors des procès tardifs des criminels nazis. Le procureur Gideon Hausner, qui convoque à la barre plus d’une centaine de victimes lors du procès d’Adolf Eichmann en 1987, affirme ainsi : « Ainsi espérais-je donner au fantôme du passé une dimension de plus, celle du réel ». Pour l’historienne Annette Wieviorka, ce mouvement intronise le témoin comme porteur d’histoire et de mémoire. D’autres procès contre des criminels nazis suivent celui d’Adolf Eichmann, y compris en France où se déroulent les procès du milicien Paul Touvier (1994) et de Maurice Papon (1997-1998). Tous ces procès partagent les mêmes caractéristiques : de très nombreux témoins et une très forte médiatisation. De même, ces procédures sont filmées dans leur intégralité pour servir à l’histoire. En effet, ces procès servent à donner une leçon d’histoire aux jeunes générations.