Océan et espace : quelles spécificités ?
A. Les océans
Au XVème siècle, la connaissance du globe terrestre, aussi bien en termes de continents que d’océans, est assez limitée. Seuls 3 continents constituent le monde entier aux yeux des contemporains de l’époque : l’Europe, l’Asie et l’Afrique. En conséquence, la proportion d’océan parcourue et cartographiée était très lacunaire. Avec les grands voyages maritimes qui ont lieu dans la seconde moitié du XVème siècle ainsi qu’avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, la connaissance terrestre s’enrichit.
La maîtrise de l’espace maritime devient un enjeu économique, voire géopolitique : « Qui tient la mer, tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même » affirme Walter Raleigh, officier et explorateur britannique du XVIIème siècle.
Si l’ensemble du globe terrestre nous est connu aujourd’hui et que l’exploration et l’exploitation des océans est depuis longtemps entreprise, force est d’admettre que nous sommes très loin d’une maîtrise de cet environnement liquide. Seuls 5% des fonds marins ont été cartographiés de manière topographique et 90% des fonds marins restent inexplorés. Ainsi, 65% de la surface de la planète nous est relativement inconnue.
Cette ignorance est une gageure dans la mesure où l'océan rend viable l'existence sur terre. Recouvrant 71% de la surface de notre « planète bleue », les océans représentent 99% de l'espace dans lequel la vie peut se développer sur terre. « Depuis 1991, nous en avons appris davantage sur la topographie de Mars que sur notre propre planète, surface terrestre et fonds marins compris » affirme le vice-amiral Shin Tani, Président du comité directeur de la GEBCO. Ainsi, le point 10 du Plan France 2030 consacre des investissements dans le champ des fonds marins pour une « meilleure compréhension du vivant ».
Ces lacunes dans les connaissances n’empêchent pas l’exploitation de ces vastes surfaces d’eau. Que ce soit pour les ressources halieutiques, les minéraux, les nodules polymétalliques ou les hydrocarbures, les formes d’extraction des ressources océaniques sont nombreuses. Les océans sont aussi à la base de nos communications et de nos échanges. Ces échanges ne se limitent pas aux marchandises mais aussi aux flux de données. Ceux-ci transitent par câbles sous-marins qui constituent la « colonne vertébrale » des télécommunications mondiales. 99% du trafic total sur Internet est assuré par ces câbles qui totalisent 1,3 million de kilomètres. En 2021, on dénombrait plus de 420 câbles dont le plus long mesurait près de 39 000 km. En septembre de la même année, un consortium composé entre autres d’Orange, de Google et de Facebook, a annoncé étendre le câble 2Africa qui devrait ainsi atteindre près de 45 000 kilomètres de long. Ces câbles sous-marins sont des infrastructures critiques, c’est-à-dire des constructions décisives pour notre société.
B. L’espace
Si l’espace a toujours été un objet de fascination qui a généré des hypothèses voire des convictions sur le fonctionnement de l’univers, il faut attendre les XVème-XVIème siècles pour avoir de meilleures connaissances sur cette étendue qui nous sépare des astres, et plus généralement qui sépare les astres entre eux. Les outils de mesures scientifiques permettent des avancées importantes depuis le XVIème siècle. Après la découverte de l’ensemble des parties du globe, les humains se lancent à la conquête de cette nouvelle frontière qu’est l’espace au XXème siècle et plus particulièrement depuis la guerre froide.
Aucun accord international n’a jamais pu être obtenu sur une définition de la frontière de l’espace. Certains pays considèrent que la ligne dite « de Kármán » qui commence à 100 km d’altitude est pertinente car le vol aérodynamique y est impossible ; enfin, les derniers pensent qu’il faut retenir l’altitude minimale à laquelle il est possible de se maintenir en orbite, soit environ 125 kilomètres. Cette absence de consensus n’empêche pas la communauté internationale de tenter de légiférer.
En 1967, l’ONU ratifie un traité de l’espace qui pose les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique. L’ONU y proclame que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra‑atmosphérique doit s’effectuer pour le bien de tous les peuples et que son utilisation doit se faire à des fins pacifiques. L’ONU encourage dans cette perspective la coopération internationale. De même, il ne peut y avoir de proclamation de souveraineté de l’espace atmosphérique : l’espace doit être libre d’accès pour l’ensemble des Etats.
En 2025, 117 pays dans le monde ont ratifié le traité tandis que 21 pays ont signé le traité mais ne l’ont toujours pas ratifié. Il s’agit principalement de pays appartenant au Sud global.
Un certain nombre de pays qui ont ratifié le traité semble désormais vouloir s’en affranchir. Le SPACE Act, loi votée en 2015 aux États-Unis, confère ainsi le droit aux entrepreneurs américains d’extraire, d’exploiter et de céder les ressources spatiales. Donald Trump affirme dans un décret présidentiel de 2020 que « L’espace extra-atmosphérique est un domaine d’activité humaine juridiquement et physiquement unique, et les États-Unis ne le considèrent pas comme un bien commun mondial ». Les Etats-Unis sont suivis par le Luxembourg et les Emirats Arabes Unis dans cette vision commerciale de l’espace qui rejette l’universalisme. L’espace, comme les océans, est un lieu de projection de l’activité terrestre et de ses rivalités.
La course à l’espace, qui était à l’origine uniquement trustée par les deux grandes puissances de la guerre froide (les Etats-Unis et l’URSS), ne se limite plus à ces deux pays. De nouveaux acteurs Etatiques ainsi que des entreprises privées ont rejoint ce club fermé qui a accès à l’espace. En décembre 2021, 95 États sont propriétaires d’au moins un satellite et 40 d’entre eux ont créé leur agence spatiale. Cependant, une dizaine d’États possèdent à eux seuls 90 % des satellites. De même, les pays ayant les moyens financiers de construire des sites de lancement sont rares. On y trouve une nette domination des Etats-Unis, de la Russie, de la France, de la Chine et du Japon qui restent les grandes puissances spatiales du XXIème siècle. Avoir une ou plusieurs bases de lancement sur son sol est un acte d’indépendance qui préserve la souveraineté d’une nation dans son accès à l’espace.
Le nombre de satellites envoyé dans l’espace a augmenté de manière drastique ces dernières années, passant de 2000 en 2018 à plus 10 000 en 2024. Cette croissance est dû à la société SpaceX détenue par Elon Musk et sa constellation Starlink. Ce projet a pour ambition de proposer un accès à Internet haut débit partout dans le monde, avec, à terme, 12 000 satellites stationnés en orbite terrestre basse. D’autres acteurs se lancent aussi dans la constitution de constellations de satellites à l’instar de la Chine au travers de son projet Qianfan, ou de la France au travers de OneWeb.
Les satellites sont fondamentaux pour un grand nombre de services sur lesquels nous comptons chaque jour tels les prévisions météorologiques, les distributeurs de billets ou le GPS. Ces satellites sont duals, c’est-à-dire qu’ils ont une utilisation aussi bien civile que militaire. La surveillance de la terre est permanente et est indispensable dans le cadre d’une guerre. « Dissimuler une manœuvre militaire d’une ampleur significative va devenir à court terme extrêmement difficile et probablement à terme impossible » affirme le général Philippe Steininger prenant l’exemple de la congestion routière à Belgorod la veille de l’invasion de l’Ukraine, repérée par Google Maps.
Face à cette explosion du nombre d’objets dans l’espace, les dangers pour les installations spatiales sont nombreux. Environ 36 000 objets d’une taille supérieure à 10 centimètres et un peu moins d’un million dépassant le centimètre tournent autour de la Terre. 90 % de ces objets sont des débris, par définition non manœuvrables, qui ont un fort pouvoir destructeur.
Les innovations liées à la conquête spatiale ont connu des adaptations dans notre vie quotidienne. On leur doit les couches pour bébé, les couvertures de survie ou le téflon mais aussi de grands progrès médicaux tels les dialyses ou les pompes à insuline.