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Donner accès à la connaissance :
grandes étapes
de l’alphabétisation des femmes
du XVIème siècle à nos jours dans le monde
Donner accès à la connaissance :
grandes étapes
de l’alphabétisation des femmes
du XVIème siècle à nos jours dans le monde
Le sous-investissement dans l'éducation coûte chaque année des milliers de milliards de dollars dans le monde, selon l'Unesco, France Info, 17 juin 2024
A. L’alphabétisation des femmes en France et en Europe du XVIème au XXème siècle
Les populations européennes connaissent des disparités dans l’accès à l’alphabétisation selon la religion majoritaire de leur pays. En effet, le protestantisme prône la lecture de la Bible comme moyen direct de contact avec Dieu et encourage donc à l’alphabétisation des populations protestantes. Les populations des pays du Nord et du centre de l’Europe sont donc alphabétisées beaucoup plus tôt que les pays catholiques d’Europe de l’Ouest et du Sud.
L’Eglise catholique proscrit en effet la lecture individuelle de la Bible de peur de l’apparition d’hérésie et par souci de conserver la mainmise du clergé sur les fidèles.
D’autre part, la naissance de l’imprimerie au milieu du XVème siècle révolutionne l’accès à l’écrit. Les ouvrages étaient depuis le Moyen-âge recopiés et enluminés sur des parchemins durant des mois dans des monastères. Il s’agissait d’œuvres d’art onéreuses de part le temps de réalisation et les matières employées.
Réputée inventée par Gutenberg à Mayence en 1450, l’imprimerie permet d’imprimer rapidement des livres et de réduire leur prix ; l’utilisation progressive du papier permet de baisser encore les coûts de production. Un marché de livres de seconde main se développe en complément qui permet un accès aux livres encore plus vaste.
Une partie de la population française est alphabétisée à la fin du XVIIème siècle : près du tiers des hommes et un huitième des femmes signaient déjà en se mariant. Cela implique une éducation, au moins rudimentaire, à la lecture et à l’écriture. L’étude des signatures dans les registres de mariage indique une progression de l’alphabétisation à la fois chez les hommes et chez les femmes au cours du XVIIIème siècle. Ainsi, au début de la Révolution française, on dénombre 47% des hommes et 27% des femmes pouvant signer leur acte de mariage. Cette progression ne doit pas masquer que 63% des Français et des Françaises sont néanmoins encore complètement analphabètes malgré ces progrès dans les apprentissages. Le XIXème siècle, siècle de l’industrialisation en France, voit de nets progrès avec des taux d'alphabétisation qui s’élèvent désormais à 78% des hommes et 65% des femmes au début de la IIIème République. Si l’alphabétisation progresse, force est de constater l’écart d’apprentissage entre les sexes.
Une série de lois votée tout au long du XIXème siècle encadre et promeut dans une certaine mesure les progrès de l’alphabétisation féminine. En 1850, la loi Falloux ordonne l’ouverture des écoles pour les filles dans les communes de 800 habitants, faisant le pendant à la Loi Guizot qui imposait, 17 ans plus tôt, à chaque commune de plus de 500 habitants d’avoir une école publique pour les garçons.
Si la loi Duruy de 1867 contraint les communes de plus de 500 habitants à se doter d'une école primaire de filles, se mettant ainsi au diapason de la loi Guizot de 1833 pour les garçons, il est néanmoins nécessaire de préciser qu’à cette occasion est mis en place un programme national d'enseignement primaire féminin. Les filles ont donc un enseignement particulier qui correspond aux attentes de la société envers leur sexe : l’école doit former des épouses et des mères. Clarisse Juranville, institutrice et autrice de manuel scolaire rappelle dans un manuel de 1890 les attentes de la société envers les femmes : « Le travail à l’aiguille, je l’ai dit bien des fois, joue le rôle le plus important dans l’existence de la femme ; il est le gagne-pain de l’ouvrière, la source du bien-être et de l’économie pour la mère de famille, le meilleur palliatif contre l’ennui ».
En 1880, la loi Camille Sée institue un enseignement secondaire laïc pour les filles leur permettant un accès au collège et au lycée.
Le grand changement dans l’alphabétisation globale de la France intervient par l’intermédiaire des Lois Jules Ferry de 1881-1882. L’école devient alors gratuite, laïque et obligatoire pour les enfants des deux sexes entre 6 ans et 13 ans révolus. Dans une IIIème République anticléricale, l’éducation des filles devient un enjeu de survie de la République. Jules Ferry proclame ainsi en 1870, 11 ans avant ses lois scolaires, que : « Les évêques le savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient tout. D’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari. C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme, c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève ; il faut que la démocratie choisisse sous peine de mort. Il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Eglise ». L’éducation féminine est donc un enjeu politique, religieux et sociétal.
Les différentes lois scolaires améliorent la scolarisation et l’alphabétisation des filles. Si elles représentent 12% des élèves scolarisés dans le secondaire en 1885, les filles représentent 26% des cohortes en 1914 au collège et au lycée. La même année, elles représentent 10% des étudiants. Désormais, on ne compte plus à cette date que 2,7% de femmes illettrées au moment de leur mariage.
Au XXème siècle, d’autres lois scolaires sont mises en place, effaçant progressivement les différences d’éducation entre les deux sexes. 1924 est une date importante puisque les filles ont désormais le droit de passer le Baccalauréat et ne sont plus contraintes de suivre un programme scolaire spécifique. Cependant, il faut attendre 1969 pour que les filles et les garçons soient réunis au sein des mêmes établissements. C’est le début de la mixité.
B. L’alphabétisation des femmes dans le monde du XVIème siècle au XXème siècle
La colonisation européenne du monde caractérise la période allant du XVIème siècle au XXème siècle. Comme en Europe, l’accès à l’alphabétisation est en lien avec la religion. On constate la même disparité de genre dans l’accès à la lecture et à l’écriture mais une certaine proportion de filles fréquente aussi les écoles coraniques en Afrique.
De même, à partir du XIXème siècle, les missionnaires chrétiens se lancent dans l’alphabétisation des populations conquises en lien avec leur tâche de conversion. Les enfants profitent de cette alphabétisation, plus rudimentaire pour les filles, pour apprendre à lire et à écrire. L’alphabétisation est le signe de la conversion. Les colonisateurs qui se glorifient d’une mission civilisatrice ouvrent des écoles. Les garçons sont prioritaires dans la mesure où ils doivent pouvoir assister les colonisateurs. Mais les filles ne sont pas laissées en reste dans la mesure où les Etats coloniaux veulent s’appuyer sur elles pour diffuser « la civilisation ». La IIIème République communique beaucoup sur son œuvre scolaire dans les colonies. Cependant, si l'école permet de légitimer les métropoles, celles-ci se méfient : elles craignent que des élites indigènes n'émergent. Aux yeux des empires coloniaux, il est indispensable de maintenir les indigènes dans une situation de subordination et de ralentir l’exode rural. Pour les filles, comme en métropole, l’alphabétisation est indissociable de l’enseignement ménager. L’œuvre scolaire reste donc limitée : dans les années 1950, seuls 15 % des enfants d’Afrique francophone sont scolarisés, et les filles ne représentent que 20 % de cette petite minorité. Les mouvements indépendantistes et nationalistes investissent dans l’éducation dans le cadre des luttes pour la décolonisation.
C. L’alphabétisation des femmes dans le monde aujourd’hui
En 1950, les pays colonisés ou nouvellement décolonisés connaissent les taux les plus faibles d’alphabétisation. Moins de 55% de leur population est alphabétisée tandis que les pays développés dépassent les 95% de leur population âgée de 15 ans et plus qui sait lire et écrire. Ces taux d’alphabétisation progressent au cours de la seconde moitié du XXème siècle dans l’ensemble des pays du monde.
En 2022, les pays développés dépassent désormais les 99% d’alphabétisation tandis que les pays en développement dépassent en moyenne les 75%. Cependant, l’Afrique et certains pays d’Asie, qui ont connu une forte colonisation, accusent un retard dans l’alphabétisation de leur population. De même, le niveau de développement des pays est en lien direct avec leur capacité à investir dans l’éducation. En 2022, les pays africains sont ceux qui connaissent les plus faibles taux d’alphabétisation et ces taux rejoignent les chiffres de la période précoloniale dans les pays les moins avancés. Ceux-ci se concentrent principalement dans les pays du Sahel et sont le plus souvent en proie à des déstabilisations politiques liées à des guerres ou des attaques djihadistes. Cependant, les progrès mondiaux dans l’accès à l’alphabétisation sont indéniables : en 1820, seule 12% de la population mondiale était alphabétisée tandis que ce taux atteint 85% en 2015.
Cependant, si des progrès globaux ont été réalisés, les filles sont toujours celles qui souffrent le plus d’analphabétisme ou d’illettrisme dans le monde. En 2021, 132 millions de filles âgées de 6 à 17 ans sont encore privées d’école et 1 fille sur 4 ne va pas à l’école dans les pays en développement. 516 millions de femmes dans le monde sont encore analphabètes, soit 63% des adultes analphabètes dans le monde. Les deux tiers des personnes illettrées à travers le monde sont des femmes.
Cette discrimination de genre a de multiples causes : l’aide aux tâches domestiques, les mariages précoces, les attentes sociétales concernant le rôle d’épouse et de mère des filles, les conceptions idéologiques qui font que l’école n’est destinée qu’aux garçons ou encore la pauvreté des familles. A cela s’ajoute d’autres difficultés qui freinent la scolarisation des filles : le tabou lié aux menstruations ou les dangers d’agressions sur le chemin de l’école. Il y a aussi les interdits idéologico-religieux comme en Afghanistan. En août 2021, 4 élèves sur 10 dans l'enseignement primaire afghan étaient des filles. Après le départ en catastrophe des Américains et de leurs alliés de l’Afghanistan, les Talibans ont réformé la société selon leurs valeurs : le retour à l'école de toutes les filles afghanes de plus de 12 ans a été reporté sine die, tandis qu’en décembre 2022, l'enseignement universitaire pour les femmes a été suspendu jusqu'à nouvel ordre.
Cependant, dans le cadre des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD) l’ONU fixe comme 4ème ambition prioritaire l’éducation et plus particulièrement l’éducation des filles. Ces 17 objectifs doivent « sauver le monde ». Outre le principe fondamental de l’égalité entre les sexes, de nombreuses études soulignent en effet que les pays ne pourront se développer sans la scolarisation des filles. « L’éducation multiplie non seulement les chances des filles et des femmes de trouver un emploi, d’être en bonne santé et de participer pleinement à la société mais elle a aussi une forte incidence sur la santé de leurs enfants et accélère la transition des pays vers une croissance démographique stable », souligne le rapport de l’UNESCO en 2014.
Plus les filles sont scolarisées, plus l’âge du mariage recule et ainsi l’âge de la première grossesse. On constate que plus une fille est éduquée, moins elle fait d’enfants. Les pays les moins avancées dans l’échelle du développement sont pénalisés par une forte fécondité. Eduquer les filles reviendrait donc à les soustraire à la problématique du poids démographique et à les aider à sortir de la pauvreté. « Lorsque le niveau d’instruction moyen de la population d’un pays donné augmente d’une année, la croissance annuelle du PIB par habitant progresse de 2 à 2,5 % » insiste le rapport de l’UNESCO.
Les projections de certaines études tablent sur une baisse de la population mondiale à partir de 2066 en prenant en compte ce qu’ils considèrent être comme une évidence, c’est-à-dire des progrès déterminants dans la scolarisation des filles dans les années à venir.