HGGSP Th4
Introduction
Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
Pourquoi la France livre-t-elle trois vaches à l’Espagne chaque année ?, Courrier International, 3 août 2023
Guerre en Ukraine: les sites culturels sont de plus en plus ciblés selon l’Unesco, Le Figaro, 9 août 2023
Les Pitons de Sainte-Lucie pourraient perdre le label de patrimoine mondial de l’UNESCO, France Info, 10 août 2023
La région d'Australie occidentale abroge une loi qui protégeait le patrimoine aborigène, les communautés autochtones inquiètes, France Info, 9 août 2023
Chine : deux personnes arrêtées pour avoir creusé un trou à l'aide d'une pelleteuse dans la Grande Muraille, France Info, 5 septembre 2023
Des nouveaux biens africains entrent au Patrimoine mondial de l'Unesco, RFI, 18 septembre 2023
Un ancien centre de torture intègre l'UNESCO, TVA nouvelles, 19 septembre 2023
Patrimoine mondial de l’Unesco: «La représentation du continent africain y progresse vraiment», RFI, 21 septembre 2023
Décoloniser les œuvres d’art ?, Mediapart, 5 février 2024
"Meilleure solution" ou projet "insensé" : en Angleterre, le tunnel autoroutier prévu à Stonehenge suscite la controverse, France Info, 7 janvier 2024
Un musée américain restitue au Ghana des objets royaux pillés pendant la colonisation, Le Figaro, 9 février 2024
La Suisse veut faire entrer le yodel au patrimoine de l’Unesco, Le Dauphiné libéré, 3 avril 2024
Où en est-on de la restitution d’objets historiques par la France à l’Algérie, Le Point, 10 juin 2024
À Madrid, le musée Thyssen se décolonise, non sans polémique, Courrier International, 27 juin 2024
« Ce buste a quitté l’Égypte illégalement » : une pétition lancée pour restituer la célèbre sculpture de la reine Néfertiti, Le Parisien, 10 septembre 2024
Le conflit au Liban pousse 300 professionnels de la culture à interpeller l'Unesco, France Info, 17 novembre 2024
L'Unesco place sous "protection renforcée provisoire" 34 sites libanais menacés par la guerre, France 24, 18 novembre 2024
Le patrimoine religieux, autre victime de la guerre d'Israël à Gaza et au Liban, RFI, 3 décembre 2024
Le rituel oriental du henné intègre le patrimoine immatériel de l'Unesco, Le Figaro, 4 décembre 2024
Les couvreurs-zingueurs parisiens inscrits à l'UNESCO, France Culture, 10 décembre 2024
Paris : une récade, objet du patrimoine culturel du Bénin, mise aux enchères, RFI, 20 décembre 2024
Le Bénin obtient la suspension de la vente en France de la récade du roi Béhanzin, RFI, 22 décembre 2024
« La musique ne disparaît jamais » : Un instrument à cordes afghan interdit par les Talibans, désormais classé à l’Unesco, Le Figaro, 30 décembre 2024
En Irak, le site mésopotamien de Nimrod au défi de la reconstruction après le passage des djihadistes, Le Figaro, 11 janvier 2025
Conférence de l’Unesco: « Onze pays d’Afrique n’ont toujours aucun site sur la liste du patrimoine mondial », RFI, 9 mai 2025
Le Mozambique veut récupérer 800 œuvres d’art pillées durant la colonisation, RFI, 28 mai 2025
Une loi française permet au tambour parleur de rentrer en Côte d’Ivoire, RFI, 7 juillet 2025
A. La construction et l’élargissement de la notion de patrimoine
Le patrimoine est ce qui est perçu par une société comme étant digne d’intérêt et devant de ce fait être transmis aux générations futures. La notion de patrimoine est donc une construction sociale qui diffère selon les sociétés et qui évolue au fil du temps.
En 1830, le poste d’inspecteur général des Monuments historiques est créé en France. Un monument historique désigne un bien meuble ou un immeuble. Il faut attendre le XXème siècle pour que cette référence évolue et soit remplacée par le mot « patrimoine » qui élargit considérablement ce qui est englobé dans cette notion. A partir des années 1960, le patrimoine n’est plus seulement un bâti rare et précieux qui célèbre la grandeur du pays et de son histoire ; il recouvre le bâti industriel et productif, les quartiers anciens…En somme, ce n’est plus seulement ce qui se rapporte aux personnages célèbres et à la Grande Histoire qui est digne d’intérêt mais les marqueurs du fonctionnement des sociétés et la vie quotidienne du peuple. Le patrimoine recouvre donc une palette de lieux, d’objets, de bâtis très divers. Désormais, tout peut devenir « patrimoine ».
Ce patrimoine est mis en valeur et protégé grâce à l’action de l’UNESCO. L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture est une institution spécialisée internationale de l'Organisation des Nations unies, créée le 16 novembre 1945 à la suite des dégâts engendrés par la Seconde Guerre mondiale. Le siège de cette institution est situé à Paris. Si la mission de l’UNESCO est fondamentale dans la protection du patrimoine, sa raison d’être est plus vaste. Elle doit « contribuer à l’édification d’une culture de la paix, à l’éradication de la pauvreté, au développement durable et au dialogue interculturel par l’éducation, les sciences, la culture, la communication et l’information ». Sa convention de 1972, élargit la notion de patrimoine aux sites naturels.
Des tensions géopolitiques peuvent rentrer en ligne de compte dans les actions des Etats au sein de l’UNESCO. Ainsi, les Etats-Unis modifient leur engagement au sein de l’UNESCO en fonction de leurs intérêts internationaux. Le pays avait quitté l’UNESCO en 1984 sous la présidence de Ronald Reagan pour des raisons financières avant de réintégrer l’organisation en 2003 sous la présidence de George W. Bush. Le président Barack Obama avait suspendu tous les financements à l’UNESCO en 2011 après l’intégration de la Palestine comme Etat membre, ce qui privait l’UNESCO de 22% de son budget. Quant à Donal Trump, il avait fait quitter les Etats-Unis de l’UNESCO en 2017 en invoquant « les partis pris anti-israéliens persistants » au sein de l’organisation. Le 12 juin 2023, le président Joe Biden annonce sa demande de réintégration au sein de l’UNESCO afin de ne pas laisser à la Chine une place trop importante dans le cadre de ce que l’on pourrait qualifier de nouvelle guerre froide pour l’hégémonie mondiale. Si l’acceptation de la réintégration des Etats-Unis à l’UNESCO ne fait pas de doute, elle est inquiétante face au revirement possible à chaque alternance politique à la tête de l’Etat fédéral.
B. Le patrimoine mondial de l’UNESCO : une construction des Etats et de la communauté internationale, de plus en plus diversifiée mais spatialement concentrée
Cet élargissement de la notion de patrimoine se traduit par le classement au patrimoine mondial de lieux comme le Mont-Saint-Michel, de villes comme celle de Nice, de sites naturels comme Les lagons de Nouvelle-Calédonie ou de la baguette ! En effet, la convention de l’UNESCO de 2003 élargit le patrimoine aux traditions ou aux expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel. On parle ainsi de patrimoine culturel immatériel (PCI). Depuis 2022, les savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain ont rejoint le PCI suite à une demande française, aux côtés des fêtes de l’ours dans les Pyrénées (2022) ou de la fauconnerie comme patrimoine humain vivant en 2021.
Comme le proclame l’UNESCO sur son site, « Les pyramides d’Egypte, la Grande Barrière de corail australienne, les Iles Galápagos en Equateur, le Taj Mahal en Inde, le Grand Canyon aux États-Unis ou l’Acropole en Grèce, sont quelques exemples des 1007 biens culturels et naturels inscrits à ce jour sur la Liste du patrimoine mondial ». Cependant, ce classement du patrimoine mondial est inégalement réparti dans le monde. En 2020, les 10 pays rassemblant le plus de sites inscrits à l’UNESCO totalisent 431 sites sur les 1007 répertoriés, soit 42% du total. De même, parmi les 10 pays ayant le plus de sites inscrits à l’UNESCO la même année, la moitié sont européens (Italie, Espagne, Allemagne, France et Royaume-Uni). La Chine est le deuxième pays au monde à avoir le plus de sites inscrits à l’UNESCO après l’Italie. Ces inégalités se retrouvent au niveau des continents. Sur les 1067 biens du patrimoine mondial inscrits à l’UNESCO en 2023, qu’ils soient culturels, naturels ou mixtes, 43% sont européens, 25% sont asiatiques et océaniens, 21% sont américains tandis que l’Afrique n’en totalise que 9%.
C. Une mission de préservation
La mission de l’UNESCO est la protection des sites inscrits sur ses listes. Ceux-ci peuvent faire l’objet de menaces de dégradations d’origine diverse telle l’érosion liée au temps, les risques sismiques, les risques climatiques, les défaillances des Etats, la guerre ou la construction de nouvelles infrastructures. Ainsi, en 1959, l'UNESCO lance une campagne internationale pour la préservation du site d’Abu Simbel menacé d’être englouti par la construction du grand barrage d'Assouan en Egypte. Les temples construits par Ramsès II (XIIIème siècle avant J.C.) et dédiés à Osiris et Isis sont démontés à partir de 1964. 1.035 blocs pesant chacun de 20 à 30 tonnes sont transportés au sec et remontés à l’identique au sommet de la falaise. Une cinquantaine de pays ont participé à l’opération qui a coûté 36 millions de $ et qui s’est achevé en 1968. 4 ans plus tard, en 1972, la même opération est conduite pour le temple de Philae (8 ans, 30 millions de $).
Certains sites font aussi l’objet de destructions ou de dégradations volontaires. Ainsi, en Afghanistan, deux bouddhas géants datant de la période pré-islamique ont été dynamités par les Talibans en 2001. De même, d’autres pays soumis à des conflits voient leur patrimoine menacé voire détruit volontairement : En 1991, durant la guerre en ex-Yougoslavie, la ville médiévale de Dubrovnik a été bombardée par les Yougoslaves. Cette attaque du 6 décembre 1991 avait endommagé 52 bâtiments de la Vieille ville et en avait détruit six complètement. En 2005, le TPIY a condamné le général qui n’avait pas empêché ce bombardement à 8 ans de prison. De même, en 2012, des mausolées situés à Tripoli en Lybie ont été détruits par des islamistes. En 1992, durant la guerre en Bosnie, la bibliothèque nationale a été volontairement incendiée tandis qu’en 2014, plusieurs milliers de livres ont connu le même sort aux mains des terroristes de l’Etat Islamique.
La passion qui se développe autour du patrimoine au nom de la préservation de l’histoire, de la fierté nationale et des bénéfices économiques liés au tourisme a engendré une patrimonialisation. La patrimonialisation désigne le processus de création, de fabrication de patrimoine. Celle-ci peut parfois se transformer en muséification empêchant toute évolution urbanistique. La muséification est le processus de mise en valeur (d'un espace ou d'une pratique) par la conservation et le développement touristique. Le risque de muséification est fréquemment évoqué dans des métropoles touristiques telles Venise ou Prague. Ce phénomène a même provoqué des débats autour du thème de la dépatrimonialisation. Les conséquences provoquées par le tourisme de masse sont en effet souvent critiquées par la population locale qui subit les nuisances et l’élévation du coût du foncier.
D. La restitution du patrimoine, une question morale et politique
Les Etats et les nations sont attachés à leur patrimoine. L’histoire coloniale ou les guerres ont donné lieu à travers le temps à des déprédations de la part des nations victorieuses qui ont ramené dans leurs pays les œuvres d’art qui étaient considérées comme précieuses. Les motivations invoquées peuvent être de l’ordre d’une meilleure conservation ou d’une meilleure mise en valeur mais ne sauraient cacher le pillage du patrimoine d’une nation vaincue. Par exemple, en 1892, l’armée coloniale française s’empare de 26 objets au palais royal du Bénin et les rapporte en France.
Selon des experts, on estime qu’entre 85% et 90% du patrimoine africain se trouverait hors du continent. En France, au moins 90 000 objets d’arts d’Afrique subsaharienne font partie des collections publiques françaises, dont 70 000 au musée du Quai Branly édifié par Jacques Chirac et rassemblant les collections d’arts dits premiers.
A partir de 2016, le président du Bénin réclame à Paris la restitution des œuvres pillées en 1892. La France, sous la présidence de François Hollande, refuse en invoquant « l’inaliénabilité des collections nationales ». En 2017, le président Emmanuel Macron annonce vouloir restituer ce patrimoine dans le cadre géopolitique d’une volonté de changement de rapports entre l’Afrique et la France. L’idée est de restituer les biens publics « pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l'époque ». Cependant, la question de la préservation des œuvres destinées à la restitution est soulevée. Ce patrimoine doit pouvoir être préservé et mis en valeur dans le pays d’origine après restitution. L’agence française de développement débloque un prêt de 25 millions d’euros pour la construction du musée et la rénovation des palais d’Abomey et la France effectue aussi un don de 10 millions pour l’accompagnement technique et la formation. La cérémonie officialisant la restitution a lieu en 2021, soit 5 ans après la 1ère demande officielle.