Français
A propos de l'exposition Point lacé, (INSA Lyon)
texte de Sophie Lvoff,
Extrémité inférieure de l’os de la cuisse.
L’os s’appelle le fémur.
Lorsque l’articulation est endommagée, on la remplace par une prothèse en métal.
Extrémité antérieure de la jambe, le plus gros des deux os de la jambe.
L’os s’appelle le tibia.
Lorsque l’articulation est endommagée, on la remplace par une prothèse en métal et en polyéthylène.
Arrière de la rotule.
Petit os plat, triangulaire, à angles arrondis.
Lorsque l’articulation est endommagée, on la remplace par une prothèse en polyéthylène.
Alors, le chirurgien opère :
Déplacement de la la rotule. Les extrémités de l’os du fémur et
du tibia sont coupés et remodelés pour recevoir les éléments métalliques.
Coupe rotulienne : l’os est préparé à recevoir les nouvelles prothèses.
Les deux parties de la prothèse sont attachées aux os.
Une des pièces se positionne sur l’extrémité du fémur.
L’autre, sur l’extrémité du tibia.
Les pièces métalliques fémorales et tibiales sont ancrées à l'os par des systèmes de fixation cimentés ou non cimentés.
Fixation de la rotule.
Un ciment spécial, le ciment osseux est utilisé pour la fixer.
De nos jours, certains chirurgiens utilisent de nouveaux matériaux : le métal sur le métal, la céramique sur la céramique, la céramique sur le polyéthylène.
L’exposition Point lacé de Lisa Duroux propose une recherche autour des articulations, des ligaments, des mécanismes et de l’artificiel. En utilisant des matériaux de récupération combinés à des formes spécifiques modelées en céramique, Duroux travaille l’articulation d’un corps disloqué, androgyne, désarticulé, dur et doux à la fois. C’est à partir des matériaux trouvés dans son atelier que l’artiste entame son processus créatif, comme on fabriquerait un Frankenstein. La sensualité et la tension se dessine dans la rencontre des matériaux : cuir, corde, câble et céramique. De cette union naît une nouvelle anatomie. Des parties de corps suspendues au plafond s’étirent jusqu’au sol : ici, une main, là, le solide rembourrage d’un torse, là encore, un genou, ailleurs, un ligament. L’enchevêtrement anthropomorphique de fils électriques, de câbles, de sangles, de cuir, de tuyaux en cuivre et de genouillères trouve un équilibre. Les cordelettes et les sangles industrielles évoquent un alpiniste arnaché avec soin qui gravirait une montagne dans un mouvement fluide. Les céramiques et les genouillères, quant à elles, nous rappellent à la fragilité du corps. Pour repousser ses limites, il faut du soin et de l’attention.
Dans cette exposition, le travail de construction de Lisa Duroux s’étend aussi aux oeuvres textiles. L’artiste a puisé dans son expérience du monde de la mode pour en extraire un système de construction des matériaux.
Un simple motif rappelant un col claudine, coupé comme une patron de chemise, vient bouleverser les instructions littérales auquel un manuel de couture l’aurait destiné. Il se transforme en une pièce inédite : un objet en trois dimensions dont le dynamisme fait écho aux mouvements constructivistes et Dada qui utilisaient des tissus drapés et superposés, des crochets et des cordes.
Une autre oeuvre évoque un site de fouilles archéologiques d’où l’artiste aurait déterré une forme industrielle et l’aurait recréée à différentes échelles, utilisant différents matériaux. Cette oeuvre, qui emprunte aux codes des musées d’histoire naturelle et à leurs expositions de fossiles et de masques, interroge notre confrontation aux matériaux et notre idôlatrie dès lors qu’ils sont exposés.
Avec sa palette de couleurs subtile qui laisse à la lumière le soin de percer entre les formes, l’installation de Lisa Duroux vient détourner les matériaux industriels de leur dureté première et nous invite à considérer l’articulation et les mécaniques d’un corps actuel (dé)connecté de son environnement.
Texte traduit par Louise Bouchu.
2017
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English
Exhibition Point lacé, (INSA Lyon)
text Sophie Lvoff,
2017
Lower end of the thigh bone.
This bone is called the femur.
The replacement part is usually made of metal.
Upper end of the shin bone, which is the large bone in your lower leg.
This bone is called the tibia.
The replacement part is usually made from metal and a strong plastic.
Back side of your kneecap.
Your kneecap is called the patella.
The replacement part is usually made from a strong plastic.
Then your surgeon will:
Move your kneecap (patella) out of the way,
then cut the ends of your thigh bone and
shin (lower leg) bone to fit the replacement part.
Cut the underside of your kneecap to prepare it
for the new pieces that will be attached there.
Fasten the 2 parts of the prosthesis to your bones.
One part will be attached to the end of your thigh bone
and the other part will be attached to your shin bone.
The pieces can be attached using bone cement or screws.
Attach the underside of your kneecap.
A special bone cement is used to attach this part.
Repair your muscles and tendons around the new joint
and close the surgical cut.
Some surgeons now use different materials, including metal on metal,
ceramic on ceramic, or ceramic on plastic.
Lisa Duroux’s “Point Lacé” is an investigation into joints, ligaments, mechanics, and artificiality. Using recovered materials in combination with specific forms crafted in ceramics, Duroux constructs an articulation of a dislocated body; androgynous, disjointed, hard and soft at the same time. Working first from the found materials in her studio, Duroux’s process is like that of creating a Frankenstein figure, where a tension and sensuality is felt from the meeting of materials like cords, leather, cables and ceramics and then the subsequent conception of a new anatomy. Parts of the body extend from the ceiling and finish into the floor: a hand over here, a sturdy, weight-bearing chest, a knee in the middle, a ligament over there. An equilibrium is reached through the anthropomorphism of electrical cords, straps, leather, copper pipe, and kneepads. The ropes and industrial straps evoke a laced-up and equipped Alpinist, moving fluidly up and down a mountain while the ceramics and kneepads reminds us that the body is fragile; care and caution are required to continue the physical exertion.
Additionally in this presentation, constructions extend in Duroux’s textile-based works, where the artist has taken her background in fashion design and garment fabrication and abstracted this system of materials. Based on a simple collar-bone portion pattern of a shirt, these works transform the literal paper instructions of “how to correctly make” this form into another: a 3-dimensional object recalling the dynamism in constructivism and Dada movements using draped and layered fabrics, hooks and strings.
Another piece recalls an archeological survey and excavation, where Duroux has unearthed an industrial, found form and recreated it in different scales and materials. Borrowing codes from an historical museum exhibit of fossils and masks, this piece allows us to consider the confrontation of materials and the fetishization of display.
With a subtle color palate that also allows light to pass through the forms, Duroux’s installation subverts the hardness of the industrial materials and asks us to question the articulation and mechanics of a present and (dis)connected body in space.
Sophie Lvoff
2017
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Memory is a strange place
à propos des sculptures de la série Pô mauv
2015
De grandes feuilles de métal sont découpées en plusieurs fragments puis assemblées et peintes à la bombe aérosol , pour créer des formes abstraites à la structure épurée.
Rectangles, lignes et motifs géométriques imparfaits se dessinent par soustractions à l’aide de pochoirs sur le métal brut. Ces soustractions de formes résonnent avec les fragments manipulés et nous rappellent le va-et-vient entre l’architecture et son interprétation fantasmée par le prisme d’une mémoire commune, entre le vestige et la vaine tentative de recomposer son histoire.
Développant en amont un travail d’expérimentation de formes sur papier, je sollicite le souvenir d’expériences visuelles acquises à travers l’observation de l'architecture et de ses extensions non-matérielles. Le but n’étant pas de restituer un plan détaillé mais plutôt de déceler et dessiner les traces que ces architectures auraient pu laisser dans ma mémoire. Il s’agit en quelque sorte d’un travail à l’aveuglette, une vision du monde sans certitude aucune. Reconnaître l’inconnu comme seule vérité.
Alors que la vue du métal nous renvoie à l’illusion de son intemporalité, l’utilisation du zinc lui oppose une certaine vulnérabilité. On voit alors ces sculptures s’écrouler sous leurs propres poids, la tension qui se crée avec l’apesanteur, la manière dont le métal se déchire, se courbe, se plie, et résonne avec le corps de l’artiste. Les gestes suggérés par la matière manipulée et ses empreintes visibles. Ce combat de la rigidité contre l’élasticité évoque à la fois une poétique de l’érotisme (on pense à James Graham Ballard sur la psycho sexualité des accidents) et une offensive désespérée à l’encontre de notre propension à se complaire dans l’illusion (Eva Hesse: Longing, Belonging and Displacement par Vanessa Corby).
Lisa Duroux
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Note d'intention
J’aborde la sculpture comme une possibilité d’investir et de dialoguer avec un espace. J’envisage ce medium comme le champ d’une activité empirique et comme le moyen d’aborder la notion de territoire. Par territoire j’entends un monde constitué de plans verticaux ou horizontaux, de formes pleines ou vides reliées par des câbles, des lignes tendues, conductrices.
Les formes que je réalise tiennent à des jeux d’équilibre et de tension entre les matériaux; dessins dans l’espace ou micro-architectures, les installations sculpturales se déploient sur un mode relevant de l’in situ. On retrouve des matériaux et des techniques ostensiblement bruts au service de résultats sobres. Les matériaux utilisés comme le métal, la céramique, le bois ou le plastique appartiennent au monde industriel.
Je convoque El Lissitsky et Fred sandback, me penche sur le minimalisme et la profusion du postmodernisme. Mon tour d'horizon glisse sur l'iconographie du XXe siècle sans pour autant m'en satisfaire.
Fascinée par les questions de modernité et de mélancolie des formes d’utopies, je m’intéresse aux systèmes mécaniques, aux machines (Radar, Chain Home, 2012). L’art de la composition, le constructivisme et l’histoire de l’art cinétique depuis le Futurisme jusqu’aux GRAV imprègnent les sculptures et les installations, de la machine récepteur aux multiples facettes (Radio detection and ranging, 2012) au grand mobile retenu par une pierre.
Telle une architecte je m’attache à réaliser des édifices, des espaces dans lesquels flottent des constructions et des structures inter-connectés.
Les installations ont parfois l’apparence d’instruments expérimentaux; tantôt une sculpture au dessin géométrique vient révéler et prendre la mesure de l’espace, tantôt un dispositif, dont la forme rappelle le pavillon de l’oreille, semble nous inviter à écouter le son environnant.
Si les logiques de dessin sont de mises dans mon travail, les installations redirigent le curseur vers la réalité d’un espace à mettre en scène.
Dès lors, les sculptures prennent une véritable densité physique, aidées en cela par un travail de composition très précis qui fait s'entremêler la nature des différents matériaux. Les postures se font plus instables, leurs rayonnements dans l'espace encore plus hypnotiques. Cette énergie contenue se déploie dans des lignes acérées, tendues, au point de sembler s'accrocher à la paroi.
Lisa Duroux
note d’intention,
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Texte à proposition de l'exposition 'Rien n'est vrai', ENBA Lyon
Le travail plastique de Lisa Duroux ouvre un sillon entre la culture alternative et la sculpture contemporaine. D' influence musicale indie, elle oriente l'abstraction de la sculpture minimale vers l'évocation du lien social, de la communauté, de la célébration. Avec une spontanéité et un sens net, kaléidoscopique du formalisme, elle transpose tantôt la dimension immersive de la culture underground tantôt son histoire sous la forme d'environnements plastiques. Au gré d'une gestuelle flibustière et au travers de configurations simples: Totem, formes centrales, tryptiques, jeux de plans, elle confronte les répertoires impassibles de la modernité aux aspects spectaculaires et ritualistes de la culture pop, aux idéaux contestataires, aux illusions idéologiques.
Les jardins dispersent par exemple, dans des chutes de polystyrène de couleur blanche et bleu glacier, des plantes hirsutes en bois ressemblant à des ailes ou à des flammes placées au ras du sol, sous le prisme d'un totem et d'un arc en ciel enchanteurs. Plus loin, trois disques optiques sont entreposés comme des cibles en réserve tandis que trois drapeaux noirs et blancs semblent indiquer la présence de pirates de l'abstrait. Passée la délectation d'un premier regard, une question implicite s'impose, celle d'un dénivellement du point de vue, d'une mise en éclat des perspectives historiques et sociales de l'art. Là où l'on pense reconnaitre l'élégance de Frank Stella se loge en réalité une interprétation du drone ou de l'histoire de l'anarchisme.
_Cibler toute appartenance pour essayer de s'en abstraire_ voilà le plan. Mais circuler entre le punk et le minimalisme ne se fait pas sans passer une frontière: le mur blanc. Are we living in a dream machine est l'expression de cette question éthique. L'installation construit un environnement de revendications politiques comme autant de citations dépassées par leur contexte d'exposition. Montrées sous un jour poétique, elles assimilent l'art contemporain à un dispositif psychédélique, illusoire, à déconstruire. Bombées sur le mur à l'aide de pochoirs, deux assertions se renvoient la balle: En tous cas pas de remord, (cf. Rebelles! de Pino Cacucci), et Rien n'est vrai tout est permis, (cf.slogan principal de la Magie du Chaos ). A leur côtés, des banderoles aux couleurs de la dream machine, semblables à des mâts de voiliers, attendent de trouver usage tandis qu'au centre de l'installation se tient la clé des champs: des dizaines de vélos et une charrette nous invitent au départ, au rassemblement, à l'alternative. Avec un certain surplomb on pointe alors l'illusion suprême, celle de se croire sans illusion.
Lucille Uhlrich, 2011
La Forme des Idées, Spatium, Villa Arson.