Sociobiologie: grégarisme et reconnaissance sociale chez le rat

Qu'est-ce que le grégarisme ?

Le rat est un animal grégaire, ce qui signifie qu'il forme des communautés et adoptent un comportement et un langage commun. Les études menées par Alberts et Galef sur des rats sauvages ont montré qu'un membre du groupe pouvait être retiré plusieurs jours et réintégré sans aucune difficulté ni aucune agressivité. Il y a donc bien une reconnaissance de chaque individu.

Les recherches de Adams et Boice en 1983 ont même prouvé que les femelles les plus socialement actives sont les plus désirables pour les mâles et les premières choisies pour élever une portée. De même, le "Guide for the Care and Use of Laboratory Animals" présente des études dans lesquelles des rats ont le choix entre vivre seul dans une grande cage accessoirisée ou vivre avec un congénère dans une petite cage vide: le rat choisit toujours la cage proposant un congénère !

Enfin, Luciano et Lore ont prouvé qu'un groupe de rats acceptait bien plus facilement un inconnu qui a été élevé avec des congénères plutôt qu'un rat qui a été élevé seul.

Mais comment ce lien grégaire se noue t-il ?

Le grégarisme de contact

En premier lieu, le grégarisme est subi passivement par les rats nouveaux-nés. Leur naissance nidicole, en totale dépendance de leur mère les oblige à rechercher le contact. Dès les premières heures de la naissance, plusieurs stimulus (thermiques et tactiles) sont à l'origine d'un besoin des jeunes altriciaux de se coller à leurs frères ou à leur mère.

UIne étude menée sur des ratons séparés en plusieurs groupes et traités avec des méthodes différentes prouvent que les bébés présentent le besoin du grégarisme de contact pour se développer correctement. En effet, le groupe témoin resté auprès de la mère et même le groupe mis auprès d'une femelle non-allaitante au comportement maternel ont grossi correctement. Les groupes mis uniquement sous des lampes chauffantes de plus ou moins forte chaleur n'ont pas présenté un poids adapté.

Le grégarisme de contact subsiste même en cas de perte des récepteurs ou des projecteurs (anosmie, cécité, surdité, néodécortication...).

Le grégarisme social

* La hiérarchie: Tout d'abord, tout propriétaire de rats a déjà été témoin du comportement agonistique, ce que l'on peut appeler de manière plus générale la hiérarchie. Il s'agit de toutes les formes de comportement visant à garder un certain niveau de calme et d'apaisement dans le groupe. Un exemple commun et récurent: la toilette mutuelle des rats.

Outre les dominants et les dominés facilement repérables par leurs attitudes, la hiérarchie chez le rat est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Il existe plusieurs "grades" au sein des dominants et des dominés, possédant chacun leur propre comportement social (voir l'article "Sociobiologie: étude du système hiérarchique du rat" pour en savoir plus).

* La communication: Le rat est aussi capable de communiquer, bien que l'humain ne puisse en détecter qu'une partie limitée. Les petites disputes, les jeux, les toilettages un peu brutaux peuvent engendrer des couinements tandis que les bagarres de forte intensité sont complétées par des hurlements et des soufflements. Le bruxisme est aussi une forme de communication: il s'agit du grincement de dents auquel l'animal peut avoir recours lors d'une situation plaisante ou au contraire d'un stress intense. De même, les rats communiquent en reniflant. C'est ainsi que les rats se transmettent des informations sur leur statut social: le dominant reniflera à cadence rapide face au dominé qui reniflera doucement.

* Le marquage urinaire: C'est un comportement bien connu du propriétaire de rats, l'animal laisse souvent une goutte d'urine derrière son passage. C'est un comportement social important, que ce soit dans l'optique de marquer son territoire, d'afficher son inclinaison sexuelle (ratte en période de chaleurs), ou simplement signaler son passage (voir rubrique "Éthologie du rat"). Cependant, les recherches menées par Alberts et Galef (1973) ont prouvé qu'il n'existait pas d'odeur commune pour le groupe. Laver tous les animaux (nouveau venu et anciens) ou leur appliquer une odeur commune n'aide en rien l'intégration de l'inconnu.

* Le jeu: Le rat est un animal très joueur: courses poursuites, retournements, petits bonds.. Les interactions sociales sous forme de divertissements sont nombreuses, surtout dans le jeune âge. Elles peuvent permettre aussi d'accentuer les positions hiérarchiques bien que ce ne soit pas forcément le cas.

* Le toilettage mutuel: Le rat passe une partie importante de sa vie à veiller à sa toilette et deux individus peuvent se toiletter mutuellement (allo-toilettage). Il s'agit d'un geste important dans une dynamique de groupe et une étude a permis de révéler que le toilettage est un service que les rats se rendent mutuellement et s'échangent (voir l'article "Sociobiologie: réciprocité et collaboration chez le rat"). Les rats dominants reçoivent plus facilement ce type de service que les dominés, mais les rats qui initient dans leur vie autant de toilettages mutuels qu'ils en reçoivent auraient une espérance de vie plus élevée !

Comment les rats se reconnaissent-ils ?

Nous avons vu que les rats développent une forme de reconnaissance et un contact privilégié avec les membres de leur famille. Mais comment font-ils ?

En, 1991 le scientifique Hepper a prouvé qu'il existe 3 formes de reconnaissances, basées sur les stimulus présentés par le congénère: la reconnaissance par association ou familiarité, par comparaison et par reconnaissance allélique.

* La reconnaissance par association: il s'agirait du mode de reconnaissance principal. Le rat apprends à reconnaître les signaux phénotypiques de son entourage familier, proche, et le considère comme apparenté. Tout rat qui sortirait de ce modèle serrait considéré comme non-apparenté.

Si l'on propose plus tard au jeune rat de choisir entre des congénères non-apparentés familiers et des rats apparentés non-familiers, il préférera se rapprocher de la première catégorie. Si on sépare en deux groupes une portée dès la naissance, le rat témoin choisira prioritairement le contact d'un frère qu'il a côtoyé.

* La reconnaissance par comparaison: Chaque rat assimile les signaux émanant de ses congénères conspécifiques. Lorsque le rat rencontre un individu inconnu, il compare les signaux qu'il connait et détermine une corrélation génétique avec l'inconnu. Si les signaux sont assez proches, l'inconnu sera alors considéré comme apparenté. C'est grâce à cette forme de reconnaissance que deux frères qui ont été séparés peuvent se rapprocher une fois remis ensemble.

* La reconnaissance allélique: Il s'agit ici d'une forme de reconnaissance moins efficace. Tous les congénères porteurs des allèles pris en compte par le rat témoin seront considérés comme apparentés. Il peut s'agir d'une odeur comme d'un trait physique particulier. Cette reconnaissance à partir d'un lot de gènes particuliers a été nommé en 1976 par Dawkins l'effet "barbe verte". Tous les porteurs de la barbe verte seront reconnus par leur entourage comme étant apparentés.

La solitude est-elle néfaste pour le rat ?

Oui sans aucun doute, la solitude est néfaste pour le rat ! Il arrive parfois qu'un propriétaire de rats fasse part de son expérience de rats ayant vécu seuls et qui n'en auraient pas été malheureux.

Cependant, le Yale Center Cancer qui étudie la cancérologie a prouvé que la solitude engendrait 3 fois plus de tumeurs et davantage malignes en comparaison d'un rat intégré dans un groupe. Les relations sociales sont protectrices contre les tumeurs mammaires, mais aussi contre le stress ou la néophobie. Il s'agit donc bien d'une nécessité pour l'animal.

De plus, la solitude peut avoir des effets néfastes sur la psychologie et peut être à l'origine de comportements déviants: hyperactivité, hyperphagie (et donc obésité résultante) selon Jahng et al, mais aussi réduction notable du taux de survie (Shaw et Gallagher, 1984). Il a même été constaté que le retrait d'un individu d'un groupe de rats entraînait un stress social chez les membres du groupe restants. L'isolement social est donc bien stressant (Greco et al. 1989 et D'Arbre et al. 2002).

Naturellement, le rat cherche à dormir contre un congénère, à la fois pour se réchauffer et pour se se sentir en sécurité (Van Loo et al. 2004). Quelque soit le temps passé avec votre rat dans une journée, cela ne pourra jamais compenser la présence d'un congénère.

Combien de rats pour un groupe optimal ?

Une étude effectuée en 2004 s'est intéressé au nombre de rats qu'un groupe devrait contenir. S'il est évident que la vie en groupe a des effets positifs tels que la réduction de la peur et l'amélioration des capacités cognitives des animaux (Hatch, Wiberg, Balazs et Grice, 1963 ou Morgan et Einon, 1975), combien le groupe doit-il contenir de rats ? Cette étude a analysé des groupes de rats vivants seuls, à 2, 4, 6 ou 12 animaux.

Les rats logés en groupe de 12 se sont montrés les moins craintifs et les meilleurs au test du labyrinthe que les groupes de 1,2 ou 4 rats.

Les logements en petits groupes comportant 4 et 6 rats avaient le meilleur taux de croissance et une mortalité plus faible. Cependant, les résultats de cette étude sont à prendre avec précautions: en effet le panel d'animaux était particulièrement restreint. De plus, des critères comme le taux de mortalité ou de croissance peut être liés à l'espace de vie disponible, la densité de peuplement, ou encore la concurrence pour les ressources...

Le rat peut-il éprouver du racisme ?

La réponse est oui... et non !

Une équipe de chercheurs du département de neurobiologie de l'Université de Chicago a mené une expérience avec des groupes composés de deux rats. L'un d'eux était enfermé dans un tube et l'autre devait l'en délivrer, ce qu'il faisait. Mais l'étude n'était menée qu'avec des rats de souche Wistar (donc uniquement avec des albinos). Les chercheurs se sont posé la pertinente question qui suit: le rat aidera t-il son compagnon si ce dernier n'est pas de la même souche ? Le rat dans le tube a donc été remplacé par un Hooded noir. Résultat: l'albinos n'a pas aidé le Hooded à sortir !

Cependant, un rat albinos élevé aux côtés du Hooded aidera ce dernier à sortir du tube, et aidera par la même occasion n'importe quel autre Hooded: une dynamique de comportement que l'on nomme "l'hypothèse de contact".

De plus, la génétique n'a rien à voir avec ce type de comportement: des albinos nouveaux-nés ayant été élevés auprès de Hooded n'aideront pas initialement des bébés issus de leur propre souche (les albinos) mais ils aideront à contrario les bébés rats de la souche avec laquelle ils ont été élevés (les Hooded).

Le contexte social est donc très important pour le rat, on ne peut donc pas tout à fait parler de racisme.

Découvrez et partagez notre infographie: "Mon rat peut-il vivre seul ?" !

Sources:

"Le grégarisme de contact du rat d'élevage"

"Les sociétés animales: évolution de la coopération et organisation sociale"

"In Cancer-Ridden Rats, Loneliness Can Kill", Yale Center Cancer

Rat Behavior and Biology

"Pro-social behavior in rats is modulated by social experience"

"Sniffing Behavior Communicates Social Hierarchy"

"Group or singly housed rats."

"Environment, Social Interaction, and Physical Activity as Determinants of Functional Outcome after Cerebral Infarction in the Rat"

"Chronic stress and social housing differentially affect neurogenesis in male and female rats"

"Removing individual rats affects indicators of welfare in the remaining group members"

"Short Communication: Rat’s Demand for Group Size"

"Reciprocal trading of different commodities in Norway Rat"

"Reciprocal affiliation among adolescent rats during a mild group stressor predicts mammary tumors and lifespan"