Sociobiologie: étude du système hiérarchique du rat

Rat alpha, bêta, oméga ?

La hiérarchie du rat est un système complexe qui peut être séparé en deux groupes: les dominants et les dominés. Mais à l'intérieur de ces groupes, il existe des sous-groupes.

Le rat Alpha est le dominant absolu qui commande l'ensemble du groupe.

Le rat Bêta est un rat qui côtoie le dominant et peut dominer lui-aussi d'autres rats (à l’exception d'Alpha). Il se fait peu attaquer par ce dernier, mais il a moins de chances de devenir dominant si celui-ci venait à disparaître.

Le rat Oméga est le dominé absolu: il se fait parfois agresser ou harceler par les autres. Il a cependant plus de chances de devenir dominant à son tour.

Les 3 types de dominance sociale

Il existe 3 types de dominance sociale:

Le despotisme: un unique individu domine tous les autres, sans distinction de rang entre les subordonnés

(Wilson, 1975).

La hiérarchie linéaire: un individu, l'Alpha, domine le groupe. L'individu Bêta domine sous Alpha. Pour qu'une hiérarchie linéaire puisse exister, les relations de dominance doivent être asymétriques (pour chaque duo de rats en interactions, l'un des deux doit être dominant) et transitives (pour un groupe de 3 animaux: si A domine B, et B domine C alors A domine C).

La hiérarchie non linéaire: les relations y sont intransitives: il y a une relation entre chaque duo d'animaux.

Les rats domestiques appliquent la hiérarchie linéaire (Baenninger, 1966) tandis que les rats sauvages auraient une organisation stratifiée en 3 classes: un rat appartenant à une classe traitant les autres membres de sa classe de manière approximativement égale (Barnett, 1964).

Hiérarchie et comportement du rat

La position hiérarchique peut théoriquement être déterminée par simple observation des comportements dans la cage. Le rat est un animal très social ayant une palette de comportements variés. Ainsi, nombreuses sont les interactions entre-rats. Notons par exemple le reniflage qui a une part importante dans l'ordre hiérarchique, la soumission, la simulation de saillies entre rats mâles, la toilette...

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas par le jeu que les rats obtiennent leurs rangs de dominants ou de dominés: en effet, la majorité des adversaires dans le jeu de combat alternent les rôles d'attaquants et de défenseurs (Poole et Fish, 1976). Malgré tout, la hiérarchie s'apprend tôt chez les rats. En effet, un ordre hiérarchique a pu être observé chez des ratons au cours des 3 premières semaines de sevrage dans des groupes de 2,3,4 et 5 mâles dans 87,5% des cas (mais pas dans les groupes comprenant 6 mâles), mais cette hiérarchie serait non-prédictive de leur statut social à l'âge adulte. Le rang hiérarchique des ratons étant corrélé aux nombres de rencontres de dominance entre les rats ainsi qu'au poids au sevrage. Plus tard, le poids au sevrage est remplacé chez le rat sauvage -en tant que critère de dominance- par l'âge de l'animal: les dominants étant les plus expérimentés de la colonie.

Durant les 9 semaines suivant le sevrage, l'ordre hiérarchique se stabilise ou s’intensifie chez les mâles comme chez les femelles (bien que ce soit à un degré moins marqué chez les femelles).

La positon hiérarchique est très importante pour le rat: en effet, elle détermine l'ordre d'accès à la nourriture, le rat dominant pouvant agir comme "pionnier" et être le premier à inspecter de nouvelles conditions, telles que goûter un nouvel aliment par exemple (Barnett et Spencer, 1951). Mais la hiérarchie détermine aussi les partenaires privilégiés de reproduction. Les rattes dominantes sont ainsi privilégiées pour les saillies et les mâles dominés voient leurs performances de reproduction inhibées (voir l'article: "Influences sur les performances de reproduction chez le rat"). Les femelles dominantes ont été observées pour contrôler la synchronie des œstrus (effet Whitten) dans leur colonie et même intercepter les mâles s'approchant de femelles subalternes pendant les périodes de reproduction (Ziporyn et McClintock, 1991).

Le rang le plus bas dans la hiérarchie (le rat oméga) est la position hiérarchique la plus constante.

Une étude menée sur 20 rats sauvages adultes en conditions naturelles a permis de montrer que les agressions manifestes de dominants sur les dominés restent rare (<5%) et que la plupart des combats se font entre rats de même niveau hiérarchique. La défaite aux combats entraîne une inhibition de l'initiative sociale, le rat qui amorce le combat étant plus probablement celui qui le gagnera (Ziporyn et McClintock, 1991).

A l'inverse des rats mâles, les femelles auraient tendance à se montrer agressives pour se défendre plutôt que pour attaquer.

Parmi les comportements les plus liés au rang hiérarchique, nous pouvons citer le reniflage. En effet, les rats se reniflent les flancs ou la région ano-génitale pour obtenir certaines informations tels que le statut hiérarchique (voir ci-dessous). Cependant, lors d'une face-à-face, le comportement de reniflage du visage du rat opposé diffère largement entre dominants et dominés. Tandis que les dominés diminuent la fréquence de reniflage (signal d'apaisement), les dominants eux l'accentuent ou la maintiennent. Ainsi, le comportement de reniflage en face-à-face est dicté par le statut social.

Des études menées sur des groupes de rats de nombres différents (groupes de 11,6 et 2 rats) montrent que tous les groupes peuvent atteindre la stabilité hiérarchique mais cette dernière sera plus difficile à atteindre pour les groupes plus importants. Une distinction doit être effectuée entre la stabilité hiérarchique à court terme et à long terme. Une hiérarchie établie sur le long terme serait plus stable.

Hiérarchie et environnement du rat

Parmi les facteurs environnementaux clef de l'établissement d'une hiérarchie, nous pouvons tout d'abord nous intéresser au stress. En effet, le stress peut affecter différemment la mise en place d'une hiérarchie si le facteur de stress se produit avant ou après une rencontre sociale entre deux rats. Le stress cause aussi une mémorisation à long terme du rang hiérarchique.

De plus, un stress important peut engendrer une perturbation de la dominance dans le groupe. En effet, des rats exposés à un choc inéluctable (en l’occurrence une décharge électrique) ont développé un état de stress sévère qui a perturbé la hiérarchie et la compétition alimentaire en entraînant une baisse uniforme des activités nécessaires à la dominance. Ces rats ont échoué plus tard à apprendre à échapper au choc électrique dans une situation différente. Ce serait l’inéluctabilité du choc qui serait la cause de ces perturbations, car les rats exposés à des chocs évitables n'ont pas montré ces déficits.

La possibilité de se renifler ou pas est aussi très importante pour les rats. En effet, les études de Barnett (1967) effectuées sur des rats sauvage ont montré que si deux groupes de rats sauvages pouvaient se renifler à travers une barrière, ils ne se battaient pas une fois mis tous ensemble.

Il est intéressant de noter que les rats dominants sont plus adaptés à la routine tandis que les rats dominés se sont montrés plus efficaces dans un environnement changeant (un labyrinthe changeant de configuration tous les 3 essais).

Qu'en est-il de la cage et de l'environnement social ? Une étude effectuée sur des souris de laboratoire a permis de découvrir que l'agressivité et le comportement hiérarchique s'est accru dans les cages les plus grandes comprenant les groupes sociaux les plus importants. Il est possible de diminuer l'agressivité dans un groupe social en réduisant temporairement leur espace de vie et/ou le nombre d'animaux dans le groupe. Cependant, la limitation de l'espace a un effet délétère sur les rats juvéniles (augmentation de l’anxiété) et qu'une augmentation des interactions sociales a un effet bénéfique sur l'activité des rats adultes. Il est aussi intéressant de noter que des jeunes rats n’interagissent pas de la même manière avec leur environnement s'ils vivent dans un groupe de jeunes rats ou de rats âgés.

Le rang social: une phéromone ?

Une étude menée sur 72 rats mâles Long-Evans répartis en 18 groupes a étudié si l'olfaction jouait un rôle important dans le comportement agoniste. Le rang hiérarchique d'un rat influence t-il la réaction d'un autre rat face à son odeur ?

Pour mener à bien cette étude, les chercheurs ont déterminé le dominant de chaque groupe grâce à un test consistant en la privation et la limitation d'accès à la nourriture. Chaque dominant de chaque groupe a ainsi pu être déterminé et il lui a été présenté des mâles étrangers dominants et dominés (immobilisés) issus d'autres groupes.

Il a ainsi pu être déterminé que le temps passé à examiner les rats dominés est plus long et que les rats ont un comportement de retrait face à l'odeur d'un dominant.

Cela prouve ainsi que les rats peuvent distinguer les odeurs des dominants et des dominés, et cela suggère aussi l'existence d'une phéromone qui serait le reflet du rang social du rat dans sa hiérarchie.

Sources:

"Quantitative Methods in The Study of Animal behavior" par Brian Hazlett

"A pheromone associated with social dominance among male rats", par Lester Krames, W.J Carr et Brian Bergman

"An investigation of individual, age and sexual differences in the play ofRattus norvegicus (Mammalia: Rodentia)" par Trevor B. Poole and Jane Fish

"Rank order in caged rats", par E.C. Grant et M.R.A. Chance

"The reliability of dominance orders in rats", par Louise P. Baenninger

"Aggressive behaviour in rats: Effects of winning or losing on subsequent aggressive interactions" par N.E. Van de Poll, F. De Jonge, H.G. Van Oyen et J. Van Pelt

"Stability of Social Status in Wild Rats: Age and the Role of Settled Dominance"

"The Hierarchy in Copulatory Competition and its Correlation with Paternity in Grouped Male Laboratory Rats"

"A longitudinal study of dominance in an outdoor colony of domestic rats", par Adams, Nelson, Boice et Robert

"Dominance and aggression in social groups of male and female rats"

"Group size as a determinant of dominance-hierarchy stability in the rat" par Becker, Gilbert; Flaherty et Thomas B.

"Sniffing behavior communicates social hierarchy", par Daniel W. Wesson

"Structural models: an introduction to the theory of directed graphs", par Haary, Norman et Cartwright

"Sociobiology: the new synthesis", par Wilson

"A role for glucocorticoids in the long-term establishment of a social hierarchy", par Marjan Timmer et Carmen, Sandi,

"Stress amplifies memory for social hierarchy" par Cordero, M. Isabel, Sandi et Carmen

"Inescapable shock and food-competition dominance in rats", par Peter M. Rapaport et Steven F. Maier

"Individual Differences in Behavioural Reaction To a Changing Environment in Mice and Rats"

"The secret life of the city rat: a review of the ecology of urban Norway and black rats (Rattus norvegicus and Rattus rattus)" par Alice Y. T. Feng et Chelsea G. Himsworth

"Modulation of aggression in male mice: influence of group size and cage size"

"Age dependent effects of space limitation and social tension on open-field behavior in male rats", par Hiroyuki Arakawa

"Occipital cortical morphology of the rat: Alterations with age and environment"