Dépression de consanguinité et dépression hybride: quels sont les risques en élevage?

Endogamie et exogamie: quelques définitions

Endogamie: choisir son partenaire à l'intérieur de son groupe (social, religieux, géographique ou professionnel).

Exogamie: choisir son partenaire à l'extérieur de son groupe (social, religieux, géographique ou professionnel).

Dans le cadre de l'élevage, c'est à l'éleveur qu'il incombe de décider des partenaires de chacune de ses reproductions. Ainsi, au niveau reproduction l'endogamie suppose t-elle la consanguinité (reproduction d'individus plus ou moins apparentés), tandis que l'hybridation relève de l'outcrossing ou outbreeding (reproduction d'individus non apparentés).

Il est de notoriété publique que la consanguinité soulève des risques importants pour la santé de la progéniture de toutes les espèces animales (l'Homme y compris). Mais il est moins connu que l'hybridation peut elle aussi avoir des effets délétères. Dans chacun des cas la valeur sélective de la population est réduite, ce qui signifie que le nombre de descendants d'un individu ayant atteint l'âge de se reproduire à leur tour est en baisse.

Les effets délétères de l'hybridation sont appelés dépression hybride ou dépression exogamique. Les effets délétères de la consanguinité sont appelés dépression de consanguinité ou dépression endogamique.

Pour mieux comprendre le vocabulaire utilisé dans cet article, vous pouvez vous aider de la rubrique "Génétique des populations".

La consanguinité en élevage

La consanguinité (parfois appelée inogamie) est une méthode de reproduction très utilisée en élevage, y compris en élevage de rats. Elle se divise en deux groupes: Linebreeding (reproduction d'individus de parenté plus ou moins lointaine) et Inbreeding (reproduction d'individus de parenté proche uniquement). Pour en savoir plus, lire notre article "Projet de reproduction en outbreeding".

Avantages de la consanguinité

La consanguinité n'est pas un remède miracle et ne peut pas permettre d'améliorer une lignée au sens propre. Elle va plutôt en révéler les défauts pour permettre à l'éleveur (et à la sélection naturelle) de les corriger. Ces allèles néfastes que l'on cherche à faire disparaître en les révélant sont appelés "charge génétique". Pour réduire les risques de dépression de consanguinité, il est conseillé d'utiliser une lignée ayant un antécédent de consanguinité pour exposer les gènes délétères à la sélection.

De plus, la consanguinité doit être utilisée de façon progressive, au fil des générations successives.

La consanguinité permet la "purge" et la "fixation".

La purge consiste en la perte des allèles délétères dans une population. Ce phénomène est aussi parfois appelé "la casse": les bébés développant certaines malformations (par exemple) et mourrant rapidement ne pourront pas se reproduire et transmettre leur tare.

La fixation d'un allèle désigne le cas où les autres allèles possibles associés à un locus ont disparu de la population. Par exemple, s'il existait des rats verts, roses et jaunes mais que seule cette dernière couleur ait survécu. Sur le locus correspondant à la couleur chez le rat, on ne pourrait plus trouver que le jaune: l'allèle serait fixé.

Risques de la consanguinité: la dépression de consanguinité

Les risques de la consanguinité sont bien connus. La dépression de consanguinité cause une chute de la valeur sélective des animaux, suite à une baisse de la fertilité, la présence de tares génétiques, de malformations... Il s'agit de l'expression d'allèles délétères révélées par l'état homozygote. Une consanguinité plus élevée cause généralement plus de risque de dépression de consanguinité, bien que toutes les espèces et toutes les lignées ne soient pas sensibles à la consanguinité de manière équivalente.

Il existe deux hypothèses concernant la base génétique de la consanguinité. Tout d'abord la superdominance: il s'agit de la supériorité de la valeur sélective de l'hétérozygotie sur l'homozygotie. La seconde hypothèse concerne l'expression de gènes délétères à l'état homozygote. Ces deux hypothèses ont des implications distinctes, en effet la superdominance entraîne fatalement l'infériorité de la population consanguine par rapport à la population de référence. La seconde permettrait d'obtenir une lignée consanguine stable jusqu'à l'apparition de mutations délétères. Keller et Waller (2002) favoriseraient cette dernière hypothèse.

Cependant, les études menées par Ralls et al (1988) sur 40 populations de mammifères en captivité ont prouvé que l'accouplement parent/progéniture réduisait en moyenne le taux de survie des jeunes de 33%.

De plus, les effets délétères de la consanguinité sont aggravés par les conditions stressantes. En effet, un environnement stressant augmente d'environ 69% la dépression de consanguinité.

La consanguinité dans l'élevage de rats

En premier lieu, il est intéressant de préciser que la consanguinité a permis de fixer de nombreuses lignées de rats de laboratoire telle que la souche Wistar, par exemple. La consanguinité est donc une méthode possible, ayant fait ses preuves dans le cadre de la recherche.

Cependant, les recherches de Ballou (1987) tendent à prouver que les effets de la consanguinité ne sont pas assez solides et il est difficile de fournir une stratégie luttant efficacement contre la dépression de consanguinité. Les tentatives pour purger la charge génétique d'une population sont souvent mal orientées.

L'hybridation en élevage

L'hybridation consiste à reproduire des individus issus de deux populations distinctes dont le génotype s'est différencié. L'environnement excerce des forces sur la population entraînant une adaptation génétique. Ansi les forces évolutives sont susceptibles de modifier la fréquence de certains gènes, les caractères physiologiques... Pour se faire, il existe plusieurs mécanismes que sont la mutation, la sélection naturelle, la dérive génétique ou la migration.

Avantages de l'hybridation: l'hétérosis

Lorsque l'hybridation entraîne une augmentation de la valeur sélective chez la progéniture de première génération, on parle d'hétérosis. Les mécanismes génétiques de l'hétérosis sont: tout d'abord la superdominance, soit l'avantage de l"hétérozygotie sur l'homozygotie. La création de nouvelles relations épistatiques positives, c'est-à-dire des allèles issus des deux parents engendrant une expression du gène supérieure chez la progéniture. Enfin, l'accumulations de gènes dominants positifs ou à l'inverse le masquage de mutations délétères récessives peuvent être en cause.

Il est à noter que le stress affecte positivement l'hétérosis.

Risques de l'hybridation: la dépression hybride

Les effets d'une dépression hybride peuvent être aussi délétères que celles d'une dépression de consanguinité. Les conséquences sur la progéniture ne se voient généralement qu'à la seconde génération, voire parfois à la troisième seulement.

On suppose que la dépression hybride trouve son origine dans la perturbation des interactions entre les gènes ou de la perturbation des interactions entres gènes en environnement. Ainsi les relation épistatiques positives entre les gènes sont diluées, c'est la rupture des gènes co-adaptés. La sous-dominance peut aussi être une cause probable de la dépression hybride:le génotype hétérozygote a une valeur sélective inférieure à celle de l'homozygote. Enfin, une incompatibilité dans le modèle Dobzhansky-Muller est possible. Celui-ci suppose que les populations isolées accumulent progressivement des mutations neutres ou favorables. Des mutations différentes issues du génotype des deux parents peuvent ne pas être compatibles entre elles, causant chez les hybrides une baisse de la fertilité ou de la viabilité.

Lorsque les génotypes hybrides ont tous une valeur sélective inférieure aux génotypes des parents, on parle d'isolement post-zygotique.

La dépression hybride toucherait davantage les individus mâles chez la plupart des espèces de mammifères, selon la règle de Haldane.

L'hybridation dans l'élevage de rats

Les risques de la dépression hybride dans ce cadre d'un élevage de rats sont vraiment minimes. Plusieurs centaines d'années de distance génétique sont nécessaires pour que deux populations de rats soient suffisamment différentes génétiquement parlant. Cependant, le croisement de deux lignées consanguines distinctes pourrait effectivement causer une dépression hybride.

Méthodes d'évitement de la consanguinité et de la dépression hybride dans la nature

L'éloignement géographique est le meilleur outil d'évitement de la dépression hybride dans la nature. Ce fut par exemple le cas pour le rat noir (rattus rattus). Originaire d'Asie, le rat noir y possède 42 chromosomes. Cependant, les transports nautiques ont causé le débarquement en Europe d'une petite population de rats noirs qui ont évolué différemment de leurs ancêtres asiatiques, jusqu'à devenir une population à part entière. Les rats noirs européens possèdent 38 chromosomes ! C'est ce qu'on appelle "l'effet fondateur".

Pour ce qui est de la dépression de consanguinité, des études récentes ont permis de découvrir certaines stratégies d'évitement naturelles. Certaines espèces animales verraient leur maturité sexuelle retardée en fonction du taux de consanguinité. En effet, une fécondité tardive permet une purge des allèles délétères et ainsi un rebond démographique et une limitation de la fixation des allèles délétères. A long terme, cette stratégie évite l'extinction de la population incriminée par la consanguinité.

Dépression de consanguinité et dépression hybride en même temps: est-ce possible ?

Il existe des situations dans lesquelles endogamie et exogamie se produisent en même temps. L'élevage est l'un des risques principaux d'une combinaison de dépression de consanguinité et de dépression hybride. Cela peut particulièrement se produire lorsqu'une population consanguine est complétée par une autre population consanguine. L'utilisation d'une consanguinité étroite (Inbreeding) offre le risque important de dépression de consanguinité. Mais cela peut aussi s'apparenter à la création d'une population distincte, possédant ses propres mutations. Un croisement avec un animal issu d'une autre lignée consanguine aux mutations distinctes pourrait engendrer une descendance atteinte de dépression hybride.

Sources:

"Predicting the probability of outbreeding depression"

"Bearing of the Drosophilia work on systematics", par Muller H.J

"Estimates of lethal equivalents and the cost of inbreeding in mammals", par Ralls et al

"Ancestral inbreeding only minimally affects inbreeding depression in mammalian populations", par Ballou J.D

"Between a rock and a hard place: evaluating the relative risks of inbreeding and outbreeding for conservation and management", par Suzanne Edmands

"Evolution du fardeau génétique et des traits liés à la reproduction au cours d'une invasion biologique" par Guillaume J.M Laugier

"'Effets de l’origine géographique sur le comportement de reproduction d’un insecte parasitoïde, Psyttalia lounsburyi (Hymenopterae : Opiinae) ", par Grégory Mollot

"La spéciation"

"Inbreeding and Genetics", par Heather Lorimer