Retour d'Italie - 2012
Décidément l’Italie n’est plus ce qu’elle était… Et comment le regretter ! L’Italie est maintenant un grand pays où les transports publics fonctionnent normalement, où les prix sont affichés, où les routes sont excellentes, où de nombreux itinéraires sont proposés aux cyclotouristes par le Touring Club d’Italie et/ou les Offices régionaux de Tourisme.
Bref l’Italie est devenue un pays particulièrement accueillant pour les cyclotouristes et les adeptes du voyage sur deux roues non-motorisées dont je suis, tout spécialement tentés par l’alternance train / parcours cycliste grâce à laquelle je me plais à élargir mon horizon quotidien.
Je rapporte ici quatre journées d’une brève escapade mêlant cyclisme et parcours ferré. Je ne parle pas de mon équipement plus qu’ultra léger, adapté à la période chaude et sèche de juin.
Première journée, 51 Km, dénivelé négatif 30m
PARIS MILAN PAVIE TORTONA.
Le TGV Paris Milan me dépose à 15h à Porta-Garibaldi, station terminus de la ligne, au nord de cité lombarde. Quelques minutes suffisent pour remonter mon vélo (le TGV accepte les vélos démontés sous housse) charger mon sac-à-dos (je n’ai pas de sacoches). Reste à traverser le grouillement de la métropole milanaise pour gagner à l’opposé, la Porta Ticinese, au sud de la cité. Une grande ville apparaît toujours au cycliste découvrant ses avenues comme un écheveau hostile et inextricable qu’il va lui falloir démêler ! Une heure à me battre avec les rails de tramway et les dalles pavées particulièrement larges (1mx50cm) dont les jointures sont autant de pièges pour mes pneus étroits (700x23).
Pourtant, c’est à peine quelques hectomètres après la Porta Ticinese que je vais commencer à apprécier le calme d’un silence bucolique en m’engageant sur la Pista Ciclabile del Naviglio Pavese. Un agréable ruban asphalté dont les 33 Km sur un dénivelé négatif de 60m longent un canal autrefois navigable, élément du réseau qui permettait de faire circuler les marchandises dans la plaine milanaise et tout spécialement pour celui-ci, entre Milan et Pavie.
C’est là que commence le plaisir de rouler dans la chaleur tempérée d’une fin d’après-midi de printemps. La piste qui est à peu près rectiligne est parcourue de nombreux cyclistes qui se croisent et se doublent dans la bonne humeur. Le canal est très poissonneux et bordé de pêcheurs et pas seulement de l’espèce humaine. En attestent les éclairs bleu qui sillonnent sa surface où pullulent les martin-pêcheurs qu’on ne voit plus que rarement en France.
Le cours du canal est barré par trois ou quatre anciennes écluses aujourd’hui désaffectées dont les guérites rouillées sont autant de vestiges de feu le commerce fluvial. Hélas, chaque écluse est désormais un déversoir où s’amoncellent des débris de plastique. Quelques ponts rouillés traversent le canal. Ils portent encore le blason de la famille Sforza Seigneurs du Milanais depuis la Renaissance.
A quelques kilomètres de Pavie une route perpendiculaire conduit au bout d’un kilomètre environ à l’illustre Chartreuse de Pavie. Cette route longe le champ de bataille où le 24 février 1525 les armées de Charles Quint défirent celles de François Premier ...tout est perdu for l’honneur… reconnut le roi de France au moment de sa capture !…
Le trajet cycliste s’achève à Pavie où le confluent du canal avec le fleuve Ticino (Tessin) donne lieu à un ouvrage d’art monumental destiné à prévenir le reflux du fleuve vers le canal en cas de crue majeure.
Pavie possède un pont couvert comparable à celui de Florence mais moins connu des touristes.
Il n’est pas difficile de gagner la gare de cette ville à taille humaine où j’attrape un train de banlieue qui me déposera à Tortona (50Km plus au sud) où je vais passer la nuit avant l’étape de demain.
Seconde journée, 37 Km, 388m d’ascension.
DEVOTION A LA MEMOIRE DES CAMPIONISSIMI,
Cette étape va emprunter un itinéraire fléché sur 17 km par le Touring Club d’Italie, appelé « La route de Fausto et Serse Coppi ».
Les anciens connaissent l’illustre champion, recordman de l’heure en 1942, vainqueur de deux Tour de France (1949 et 1952), de Paris-Roubaix (1950) et d’un nombre si impressionnant de courses en Italie qu’il est impossible d’en dresser la liste. Né en 1919, Fausto est mort en janvier 1960 d’une crise de paludisme. Il avait contracté la maladie dans un camp de Libye où il était prisonnier des troupes anglaises durant la guerre en 1943.
On connaît moins bien le palmarès de son frère cadet, Serse (vainqueur du Paris-Roubaix 1949), mort accidentellement à Turin en juin 1951 lors du sprint final d’une course.
La strada di Fausto e Serse COPPI commence par une piste rose qui va laisser la route à grande circulation à la sortie de Tortona pour s’élever doucement dans les collines lumineuses et calmes du Piemont, découvrant des hauteurs lointaines, éthérées et bleuâtres en cette matinée calme, sans vent ni nuages.
Cependant les faibles pentes des premiers kilomètres sont trompeuses et je ne vais pas tarder à découvrir la vrai nature des montées italiennes, particulièrement raides, même si ces paysages mollement ondulés ne laissaient supposer que de délicats dénivelés.
Le fléchage conduit à travers la campagne vers le village de Castellania où se trouve la Casa Coppi, vaste demeure où les frères Coppi ont vécu en famille depuis leur naissance.
A mesure qu’on approche de cette agglomération, la dévotion suscitée par la légende du Campinissimo mort il y a plus d’un demi-siècle devient de plus en plus étonnante.
D’abord d’immenses panneaux peints sur les pignons des granges bordant la route de cette région agricole reprennent des photographies de presse de l’époque, célébrant en noir et blanc les exploits du champion. Ensuite c’est la route elle-même qui énumère en lettres géantes le prestigieux palmarès.
Enfin c’est un nom de lieu, le Passo Coppi (Col Coppi, 369m) où une immense affiche appelle à participer à la journée Coppi le premier dimanche de juillet et à s’inscrire au Rallye Coppi dont le parcours emprunte les circuits parcourus par les frères Coppi durant leurs séances d’entraînement.
On croyait avoir tout vu mais c’est en arrivant à Castellania qu’on découvre le mausolée composé d’une chapelle et d’un très impressionnant monument funéraire à la gloire des deux frères dont les dépouilles reposent côte à côte dans deux blocs granit rose inspirant respect et solennité.
Il est à peine dix heures, le lieu est désert. Je rencontre un ancien, lui aussi monté à Castellania en vélo, mais sur une machine ultra moderne « tout carbone » qui n’a rien de commun avec celles que chevauchaient les frères Coppi.
Nous échangeons avec émotion nos souvenirs de cette époque puisque tous les deux, moi français lui italien avons connu et vu de près les deux frères. Nous évoquons les enthousiasmes que nous inspiraient alors les hauts faits des champions.
Je redescends mélancolique vers la plaine où coule le Scrivia, maigre affluent du Pô que je traverse sur un pont d’un kilomètre environ (en prévision de crues torrentielles) afin de gagner la ville de Novi-Ligure distante d’une quinzaine de km où je compte poursuivre mon trajet vers Gênes par le train.
En effet la route nationale est très étroite et son trafic surchargé la rend impropre à accueillir le cycliste. Arrivé à la gare, on m’indique gentiment que le train n’accepte que les vélos démontés. Pas de problème. Je démonte les roues et les fixe contre le cadre en les attachant avec des bracelets élastiques comme d’habitude. Le train est quasiment vide. J’en profite pour remonter mes roues avant d’arriver à Genova Centrale d’où une autre ligne, genre banlieue acceptant les vélos non-démontés longe la riviera italienne jusqu’à Albenga, agréable station balnéaire où je vais passer la nuit. Demain m’attend une nouvelle étape, mais de montagne celle-ci, et de vraie montagne.
Troisième journée, 49 Km, 658m d’ascension.
LES MONTAGNES DE LA RIVIERA,
Una montagna a portata di mare e di bici (à portée de la mer et du vélo) indique le guide Lonely Planet Italia in bicicletta… et il ne se trompe pas !
Quelques kilomètres de route plate pour commencer, tracée entre d’opulentes villas qui sentent le fric, puis une succession de plages, toutes bondées, toutes payantes, toutes équipées de cabines, de bar ou de restaurants jusqu’à Borghetto San Spirito.
Le Saint Esprit est partout présent en Italie. Je bifurque en abandonnant la route qui longe ce pays de cocagne pour prendre la direction des escarpements annoncés.
Après quelques hectomètres et sans transition se dresse une sérieuse pente. Le step to step de Lonely Planet mentionne : salita dura di 11,3 km. (montée dure de 11,3 km). Ce n’est pas faux, …pour la montée. Pour le kilométrage la précision est à revoir. Les pourcentages de 8 à 9 % imposent mon plus petit braquet (28x24). Désolé, je ne peux pas faire plus court…
Me voilà maintenant sur une petite route assez peu fréquentée poussant sur les pédales, bien concentré par l’effort sous l’ombre protectrice des châtaigniers car en cette fin de matinée, le soleil commence à chauffer fort. Heureusement le lieu est pittoresque, offrant par échappées de larges vues panoramiques delle Alpi (selon le guide). Le dernier groupe de maisons (Balestrino) est dépassé, puis la route s’enfonce dans l’épaisseur végétale. L’impression de solitude devient oppressante d’autant que ça monte toujours très dur et que rien n’indique jusqu’où, même après avoir dépassé le onzième kilomètre car la densité des ombrages n’offre plus d’horizon. Soudain, vers le treizième Km, juste après un virage, voilà une clairière et le changement de pente. Je suppose être arrivé au Colle San Bernardo (963m) vu qu’aucune indication ne le mentionne explicitement.
C’est alors qu’apparaît sur son piton l’altière Rocca Barbarena ou ce qu’il en reste, laissant imaginer comment pouvaient vivre et travailler des hommes et des femmes dont ces forteresses ont longtemps représenté la seule protection contre les razzias des barbaresques et les rapines des brigands. Seule, isolée sur son sommet, dominant une nature couverte de forêts, cette ruine majestueuse et solennelle transmet avec l’éloquence du silence la puissance qu’elle a pu incarner, autant pour ceux qu’elle protégeait que pour ceux qui devaient la craindre.
Je m’engage maintenant dans la descente una discesa rapida e tortuosa (Lonely Planet) qui s’enroule autour du piton avant de traverser le bourg « nourricier » de la forteresse Castelvecchio di Rca Barbarena et me reconduire vers la mer à une allure précipitée, inverse à celle que m’a imposé le versant que je viens de gravir.
Cette descente est aussi peu trafficata que possible (sic le guide), et c’est vrai, que du plaisir !
Elle serpente à présent dans des gorges où une végétation d’arbustes et de rocaille remplace la forêt qui a disparu. A dire vrai, je ne suis pas insensible à l’ivresse de la vitesse à mesure que je pénètre dans un air plus odoriférant et plus chaud car à 900m il faisait un peu frais.
Pourtant il faut s’arrêter pour admirer une chose unique ou quasiment selon Lonely Planet, le village médiéval de Zuccarello dont la seule rue étroite et tortueuse, interdite à toute circulation, sauf pour les vélos (il y a une déviation pour les voitures) est bordée sur toute sa longueur (5 à 600 m) par deux galeries ménagées sous les maisons, dont les arcades, toutes identiques, toutes symétriques, sont toutes au modèle de l’ogive gothique. C’est très surprenant, ça ne manque pas d’un certain charme, aussi austère que sombre car il fait bien frais au cœur de cet ensemble planté ici comme un décor de théâtre. Restent une quinzaine de kilomètres pour rejoindre Albenga et ses plages où je vais pouvoir goûter un autre plaisir, celui du bain de mer et de la natation censée me délasser et détendre mes muscles fatigués.
Quatrième journée, 53 Km, 247m d’ascension.
LA CICLABILE DELLA RIVIERA DI PONENTE,
Ce devait être une étape plate. Elle sera plus qu’accidentée. Quoi qu’il en soit la journée commence mal. Direction la gare d’Albenga où je ne m’étais pas attardé hier. Une horreur qui tranche avec l’aspect cossu de la pimpante station balnéaire. Les murs du bâtiment sont couverts de tags et de grafitti, les guichets sont tous fermés, les distributeurs automatiques de billets vandalisés. Bref cette gare représente une Italie que je croyais disparue…
Heureusement, prenant le contre-pied de cette désolation, le train est à l’heure. Il accepte les vélos non-démontés car c’est un train régional. Une contrôleuse passe. Elle a l’habitude des voyageurs sans billets et me délivre le titre de transport pour huit euros avec un supplément de cinq euros. Ce n’est pas cher payé pour échapper à 36 Km de circulation aussi bruyante qu’infernale.
Le départ de la ciclabile est à San Lorenzo al Mare où le train m’a déposé dans une jolie petite gare, claire et avenante celle-ci. La piste est aménagée sur l’emprise d’une voie ferrée secondaire, déclassée depuis des lustres qui longeait la cote au plus près. Le tracé est quasiment plat et parsemé de gallerie (tunnels) toutes fraîches, humides et étroites, laissant supposer des tronçons à voie unique. Les tunnels longs et en courbe sont éclairés, mais faiblement. Le risque de collision avec d’autres cyclistes démunis de feux est bien réel.
La piste est particulièrement fréquentée en ce début de vacances scolaires, notamment par des familles avec enfants sur roller, skate-board et bicyclette à petite roues latérales. Cette affluence impose la prudence non seulement dans les tunnels mais aussi au voisinage des agglomérations où d’anciens bâtiments de service désaffectés, genre dépôt ou gares portant le nom du lieu sont transformés en restaurants et attirent du monde.
Hormis ces réserves, le parcours de 24 Km est tout simplement divin entre la mer à portée de main et les buissons fleuris qui bordent l’ancien tracé ferroviaire. On peut s’arrêter où l’on veut pour faire trempette, rien ne s’y oppose, le stationnement est libre. Comme il n’y a ni voitures ni piétons, le risque de vol de bicyclette se limite à l’échange. Il est tout de même prudent de mettre un antivol si on souhaite retrouver son vélo personnel!
Hélas tout à une fin ! La ciclabile prend fin à la sortie de San Remo, au pied du Capo Nero qu’il me faut gravir sur la SP1 (Strada Provinciale n°1) dont je vais suivre le tracé jusqu’à la frontière distante de 27 Km. Le trafic automobile est très dense sur cette route qui, outre le trafic, traverse de longues portions urbanisées (Ospedaletti, Bordighera, Ventimiglia) où les spécificités du vélo de route à pédale automatique (entre autres) me font regretter le vélo de ville, genre hollandais avec lequel je me faufile si aisément dans les encombrements parisiens.
Au sortir de ce gymkana, je me félicite quand même des qualités de mon vélo de route lorsqu’il s’agit de gravir les capi séparant les portions urbanisée car chacun de ces tronçons « libres de feux et de croisements » voit la route s’élever jusqu’à 50 ou 70 m au-dessus de la mer sur des pentes « made in Italy », autrement dit à 6 ou 7%.
Finalement j’aurai totalisé près de 250 m d’ascension au terme de ce parcours supposé plat ! A l’évidence le cyclotourisme ménage des surprises que les cartes routières ne permettent pas toujours d’anticiper.
Après la frontière, me voici à Menton où fuyant la circulation j’attrape un train de banlieue qui accepte les vélos et me dépose à Nice d’où le TGV (vélo démonté, sous housse) me ramènera à Paris dans la soirée.
Denis MORIN