Érasme est né à Rotterdam en 1466, 1467, voire 1469 (la date n’est pas certaine). C’est un enfant illégitime, Gérard son père était prêtre à Gouda et sa mère est la fille d’un médecin de Zevenbergen. Enfant fragile et très sensible avec une voix frêle il sera tributaire de son petit corps et recherchera le confort physique toute sa vie. A neuf ans, il entre à l’école de Deventer, puis à Bois-le-Duc. Il perd son père à 14 ans.
En 1487, il intègre le couvent des Augustins de Steyr. Le monastère possédait la meilleure bibliothèque classique du pays. Il lisait beaucoup : les textes de l’Antiquité païenne, la Bible, les textes bibliques et les commentaires des textes sacrés. C’est là qu’il développa son goût pour les Humanités. Durant sa vie monastique il accumula un grand savoir encyclopédique.
Au cours d’une épidémie de peste il devint orphelin.
A 17 ans, pour rompre avec son passé, il prit le nom de Desiserius Erasmus Roterdamus (en grec « Erasmos » signifie « l’aimé »).
En 1488 il prononce ses vœux. Érasme fut ordonné prêtre en 1492 par l’évêque d’Utrecht puis il devint le secrétaire de l’évêque de Cambrai. Érasme a défendu sa liberté morale autant que sa liberté spirituelle. Il était fanatique de son indépendance. Il ne voulait se lier à rien, ni à personne.
Le pape l’ayant relevé de ses vœux en 1495, il va entamer une carrière d’enseignant. Érasme ne vivait vraiment que dans son travail intellectuel. « Je suis un savant et la paix est nécessaire à mes travaux » disait-il.
De 1495 à 1499, l’évêque de Cambrai va lui financer ses études de théologie à Paris. Il s’était installé à Paris au collège de Montaigu dans le Quartier Latin. La bourse accordé était bien légère, il vécut de dons, accepta tous les présents, mais ne se laissa jamais acheter.
Érasme obtint son doctorat en théologie en 1506. Il achetait sans cesse de nouveaux classiques grecs et latins ; il fut l’un des premiers bibliophiles.
Il va obtenir de deux Papes une dispense l’autorisant à ne plus porter la soutane. Grâce à un certificat médical, il trouvera le moyen de se soustraire à l’obligation du jeûne.
Érasme est l’homme qui a le plus voyagé à son époque : Angleterre, France, Italie, Suisse, Allemagne, Pays-Bas ; ainsi qu'en Belgique à Bruxelles, Anvers, Gand, et Louvain. De 1506 à 1509, il voyage en Italie où il étudie les auteurs anciens (qu’il traduit et édite), apprend l’hébreux et l’araméen. Toujours en Italie, Érasme a rencontré l’humaniste Lorenzo Valla qui avait rédigé, en 1455, les « Annotations sur le Nouveau Testament ».
En Angleterre, il va rencontrer l’humaniste Thomas More et se lier d’amitié avec le théologien John Colet. Ce sont eux qui l’amèneront dans les salons de la noblesse aristocratique anglaise. Et à Oxford, il apprit le grec. Érasme entretenait une correspondance suivie avec tous les grands penseurs de son temps. Le jeune Henri VIII, lui-même prince à cette époque, se fit présenter ce modeste prêtre.
En Angleterre, entre 1509 et 1511, Érasme a composé « l’Éloge de la folie » une œuvre encore très lue aujourd’hui.
Ses idées, ses désirs et ses rêves ont dominé l’Europe pendant un temps considérable de l’histoire moderne.
En 1516 il traduit la première édition critique du « Nouveau Testament ».
De 1517 à 1521, il fonde à Louvain un collège trilingue : latin, grec et hébreux.
En 1519, Érasme commence une vraie correspondance avec le réformiste Martin Luther, qui dure jusqu’à sa mort.
Avec le temps, sa santé se dégrade, mais il réussit à écrire en 1530 « L’Éducation des enfants » et en 1533 « La soutenable concorde dans l’Église ».
A 70 ans, le Pape lui propose la pourpre du Cardinal s’il accuse Luther de non obéissance à l’église. Il décline cet honneur : « mourons comme nous avons vécu, libre » dit-il. Érasme rappelle au monde sa dignité d’homme libre entravé par aucune soumission.
Il décède à Bâle durant la nuit du 11 au 12 juillet 1536.
Les œuvres d’Érasme
Pendant toute sa carrière, cet homme d’esprit a vécu avec la responsabilité de lire et d'écrire de bons livres dans le silence de sa chambre.
Son premier essai est un dialogue : « Antibarbares » dans lequel il décrit l’ignorance, la folie et l’arrogance.
En 1500, il publie à Paris la première édition des « Adagia », un recueil de maximes tirées de la Bible et des citations grecques qu’il commente. Les citations étaient destinées à ses élèves.
L’ouvrage a connu le plus grand succès dans les librairies au XVIème siècle. De la première édition jusqu’à la dernière, du vivant de l’auteur (1536), le nombre est passé de 800 à 4151 exemplaires.
Dans le « Manuel du soldat chrétien », il propose une réforme catholique libérale, fondée sur la charité.
« Éloge de la folie » écrit en Angleterre est dédié à Thomas More conseillé d’Henri VIII. C’est un essai composé en latin, une satire des classes dominantes de la société, surtout du clergé. C’est un exercice rhétorique, plein de citations, une expérience de l’absurde à travers la condamnation du fanatisme de l’accord entre l’intelligence et la foi.
Il fait apparaître toute raison comme une folie qui s’ignore, en montrant que la sagesse suprême réside dans la folie de la Croix.
Érasme ne prend pas lui-même la parole, mais il fait monter en chaire à sa place « Stultitia », la Folie, afin qu’elle y fasse son propre éloge.
Aucune variété de la folie humaine n’est épargnée. Érasme s’y moque des diverses catégories sociales de son temps, philosophes et théologiens en tête, particulièrement les moines.
Le sérieux et le comique, l’érudition et le joyeux persiflage, la vérité et l’exagération y forment un écheveau qu’il s’emmêle toujours lorsqu’on le veut saisir et dérouler avec soin.
« Éloge de la folie » est son œuvre la plus célèbre, la seule qui n’ait pas vieilli. En 1516, il publie « L’Education du Prince », qu’il dédie à Charles Quint.
Les humanistes prônent un retour aux Sources, aux manuscrits originaux. La Bible était connue par la « Vulgate » traduite au Vème siècle par St. Jérôme. Les manuscrits grecs de la Bible, rapportés d’Orient au XVème siècle, laissent apparaître des divergences avec la traduction en latin.
Influencé par Lorenzo Valla, humaniste italien qui avait rédigé en 1455 ses Annotations sur le Nouveau Testament, Érasme décide de traduire en 1516 la première édition critique du Nouveau Testament. Ce Nouveau Testament deviendra le texte de référence pour les Humanistes et les Réformateurs.
Érasme est un humaniste pour qui l’amour de la justice et l’esprit de tolérance figurent au premier rang des vertus humaines, le courage ne vient qu’ensuite.
Il diffuse le message évangélique, par ses lettres et dans « Antibarbares » en 1520, « Colloques » en 1522, et enfin le « Cicéronianus », publié en 1528 dans lequel il écrit qu'il ne faut « jamais joindre l'idée de guerre à celle de justice », ce qui constitue une attaque contre le bellicisme des princes.
« L’Éducation des enfants » (1530) est une justification contre les erreurs de Luther. « La souhaitable concorde dans l’Eglise » en 1533, est considérée généralement comme le texte le plus convaincant dans l’œcuménisme érasmien.
« De libero arbitrio » (1524) est une lettre ouverte au sujet de la polémique avec Martin Luther. A quoi Luther répliquera en 1526 par « De servo arbitrio ».
Ce qu’Érasme nomme la philosophie du Christ, c’est le retour aux Evangiles, la dévotion intérieure du culte et la charité.
L’élément fondamental de la philosophie érasmienne d’humanisme est l’affirmation de la liberté de l’homme, qu'il oppose à la théologie réformée.
On peut distinguer, dans l'œuvre d’Érasme, deux groupes d’ouvrages.
En premier ; les livres d’érudition ou de pédagogie : les éditions, traductions et commentaires d’auteurs grecs ou latins et surtout les « Adagia » (recueil de maximes tirées de la Bible) et les « Colloques » (recueil de dialogues en latin).
Érasme et la Réforme
Érasme et Martin Luther sont les deux hommes les plus illustres de la Réforme.
D'abord un petit rappel sur la Réforme. Le conflit éclate en 1517, quand le Pape Léon X, décrète les indulgences payées par les catholiques, pour financer la construction de la basilique Saint Pierre de Rome.
A l’origine, Érasme et Luther veulent la même chose : faire cesser les abus du clergé.
Les écrits d’Érasme et sa quête d’un humanisme chrétien inspireront Martin Luther et d’autres réformateurs. Les idées que Luther a prises chez Érasme sont : le principe d’une théologie fondée sur l’Ecriture, l’importance de la religion intérieure qui relativise les œuvres et les cérémonies extérieures, l’accès de tous aux textes bibliques en langue vernaculaire. C'est à partir du Nouveau Testament traduit par Érasme que Luther effectua sa traduction allemande publiée en 1522.
En décembre 1516, Érasme reçoit une lettre de Spalantin (secrétaire de Luther) qui lui parle du docteur Martin Luther, un moine, fils de mineur et descendant d’une famille de paysans.
Érasme est le premier qui critique, au sein de l’Eglise, les abus du clergé, mais il reste partisan de l’unité de l’église et non de la rupture.
« Tout ce que Luther revendique, je l’avais demandé avant lui, mais avec moins de violence et sans parler ce langage brutal » dit-il.
Érasme aurait voulu réformer l’Eglise en réformant l’Évangile.
Luther écrit une lettre à l’archevêque de Mayence, Albert de Brandebourg, avec 95 thèses qui ont été placardées sur les portes de l’église de Toussaint de Wittenberg (où il était prêtre). Rome commence un long procès en excommunication.
Érasme marche en tête de la Réforme, mais l’humanisme n’est jamais révolutionnaire. Il croit en l’humanité, il ne doit pas encourager la division, mais l’union. Il faut faire vivre les hommes en bonne intelligence.
Refusant de se séparer de l’Eglise catholique, Érasme prend ses distances vis-à-vis de la Réforme.
Luther devient le porte-parole de l’Allemagne pour les revendications antipapistes, il exprime la force de résistance de tout un peuple.
Le peuple allemand voit en lui un homme de courage et d’action.
Luther s’appuie sur la parole de l’Ecriture : « je ne suis pas venu vous apporter la Paix, mais l’épée ». « Dieu m’a ordonné d’enseigner et de diriger l’Allemagne en qualité d’apôtre et d’évangéliste » dit-il.
Luther possède le génie d’un conducteur de foule.
Le peuple, révolté, ne peut plus être calmé, la foule envahit et détruit les églises catholiques.
Luther dit : « je ne puis parler autrement » et le monde est déchiré en deux : les gens qui refusent d’obéir à l’église et les autres.
En mars 1519, Martin Luther écrit une lettre à Érasme pour qu’il approuve sa doctrine et se place de son côté contre Rome.
Érasme met beaucoup de temps à lui répondre, et finalement lui écrit qu’il lui est interdit en tant que prêtre catholique de lire une lettre hostile à l’église, sans une autorisation de ses supérieurs. Érasme n’a jamais pris position, il n’en avait pas le courage. Il n’a pas vécu au milieu des peuples ni des nations, mais dans la « tour d’ivoire » de l’artiste où il ne voit l’Univers qu’à travers les livres.
Les années 1524 et 1525 figent les positions et révèlent toute l’ambiguïté du rapport Humanisme/Réforme.
Érasme n’a jamais eu la force, le courage et la volonté de Luther.
Sans Martin Luther, la Réforme ne se serait jamais produite.
Conclusion
Érasme, le moine humaniste était la lumière de son siècle, d’autres en furent la force, lui éclairait la voie, d’autres surent la suivre.
Au début du XVIème siècle, Érasme est la personnification de la sagesse, et on lui décerne le titre glorieux de « docteur universaliste ».
L’humanité éprouve une profonde reconnaissance envers celui qui croit à la possibilité du progrès au nom de la raison. Il ne juge que du point de vue humain, il croit dans la société, malgré tous les abus qui y règnent. Erasme a toujours atténué l’antagonisme opposant la recherche indépendante à celle des gens d’Eglise. Il converge toutes les forces, tous les espoirs, vers un renouvellement des connaissances, une élévation morale et spirituelle de l’humanité.
Il est le père d’un christianisme épuré et rénové par le retour du texte des Évangiles. Érasme, par ses travaux philologiques, son assimilation de la culture gréco-latine, sa méthode de retour aux textes et d’exégèse critique, est l’un des initiateurs de l’Humanisme Européen.
Son œuvre a eu une grande influence sur Montaigne, Descartes, Leibniz. Spinoza également, lisant Érasme, voulut que les passions aveugles soient remplacées par « l’amour intellectualis ». Diderot, Voltaire et Lessing suivent l’humanisme d’Érasme.
Pour l’anecdote : L’Allemagne célèbre cette année le jubilé de la Réforme luthérienne dans la ville de Wittenberg, là où tout a commencé.