Quand on parle de philosophie, on pense immédiatement à Socrate. Mais la philosophie, « la fille de la liberté » était déjà née quand Socrate vit le jour.
Thales de Milet est le premier philosophe suivi d’Anaximandre de Milet, Anaximène, Pythagore, Héraclite, Parménide, Empédocle et Démocrite qui tous font partie de Présocratiques fondé sur la logique, les mathématiques, l'astronomie, la physique et les commencements de la médecine. Malheureusement la plupart de leurs écrits sont perdus. Protagoras était condamné à bruler ses ouvrages en place publique. Il nous reste seulement quelques lignes sur Thalès, écrites par Théophraste.
La plupart des Présocratiques étaient originaires d’Asie mineure : Milet, Ephèse, Colophon. Les principales écoles présocratiques sont : « Les Milésiens » avec Thalès, Anaximandre, Anaximène, « Les Pythagoriciens » avec Pythagore, « Les Eléates » avec Zénon et Parménide, « Les Atomistes » avec Leucippe et Démocrite, « Les sophistes » avec Georgias, et Protagoras.
« Rien ne se perd, rien ne se crée » disait Anaxagore.
Héraclite, qui est le père d'une conception du monde comme mouvement universel, nous dit : « Rien n’est stable tout devient ».
Au VIème siècle avant J.-C., de Thalès à Anaxagore et Démocrite, les philosophes cherchaient à expliquer d’où vient l’Univers. D’après Thalès l'élément primordial était l’eau, Anaximandre disait l’infini, Anaximène l’air, et Héraclite le feu.
Avant la naissance de Socrate, selon Aristophane, Athènes était plongée dans un conservatisme sclérosé. L’Etat était fondé sur une philosophie spirituelle et des idées morales. Dans la cité il avait ce mysticisme, une conscience claire qui réconcilie l’obéissance et la passion de soi par soi.
A partir du Vème siècle avant J.-C., il y eut une désagrégation de l’Empire Athénien qui produisit un ébranlement des vieilles croyances et un affaiblissement des valeurs et des vertus traditionnelles.
Socrate apporte une ouverture vers le futur, le changement.
Dans la biographie de Socrate il y a plus de dits que de faits. Sa naissance (450 av.ant notre ère), sans fortune ni noblesse, d’un père sculpteur et une mère sage-femme. Il a eu une femme Xanthippe et trois fils ; Lamprocles, Ménèxène, et Sophronisque.
Socrate était disciple d’Archélaos, qui l’avait été d’Anaxagore. Socrate était à la fois sophiste parmi les sophistes et différent des sophistes.
Le plus célèbre des sophistes était Protagoras, un maître de savoir, un savant, un professeur d’éloquence. Mais avec le temps, les sophistes semèrent dans les rues d’Athènes un climat d’incertitude. Et la liberté de pensée qui dominait la cité ouvrit la porte au scepticisme.
C’est Georgias de Léontini qui pousse loin le scepticisme et il en établit les principes.
On connait Socrate à travers les écrits de ses contemporains. Alcibiade lui fait un éloge par amour, par la passion qu’il éprouve envers l’homme, c’est une idolâtrie pour l’homme de chair et d’os.
Aristophane dans « Les Nuées » voit en lui un sophiste ridicule et vénal. Dans cette pièce de théâtre, il le qualifie de « Socrate à la vindicte d’un paysan ignare » (Socrate marchait pieds nus).
Mais Xénophane le défend dans ses écrits.
Platon son fidèle disciple est le seul qui a fait vivre Socrate pour l’éternité.
Mais jusqu’à quel point Platon est-il une source plausible ?
A son ami Chérefon l’oracle de Delphes avait proclamé « Socrate le plus savant des hommes ». Socrate avait fait un voyage à Delphes (la ville des oracles apolliniens) ; où il avait entendu l’avertissement delphique « Connais-toi toi-même » Il s’agit dès lors d’atteindre à l’idée d’être soi-même l'homme universel plutôt que l’homme en particulier. Socrate dépasse l’individuel au profit d’une vision globale de l’homme.
C’est de Delphes que vient sa vocation de philosophe. Il lui obéira jusqu’à sa mort.
Le plus seul philosophe populaire à Athènes était Socrate. Personne ne l’a vu en état d’ivresse mais il était toujours mal habillé.
Socrate fit descendre la philosophie du ciel dans les rues, dans les maisons, mais Empédocle nous dit avant lui : « la philosophie n’a pas à descendre du ciel sur la terre, si le ciel et la terre ne font qu’un au regard de celui-là qui sait de vrai savoir, qui possède la sagesse »
Socrate dit : « Qu’une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue ».
Avant lui Protagoras estimait « Que l’homme sans la pensée n’est pas homme mais chose ».
Du Thalès jusqu’à Socrate la philosophie enseignait la raison des nombres, les mouvements, les cours des astres, les choses célestes.
Avant Socrate il y a eu la philosophie naturelle, avec lui c’est l'apparition de l’éthique, nous dit Cicéron.
L’éthique nouvelle que Socrate propose reste asservie à l’optique humaine de son temps, dans la mesure où la conversion qu’il opère de l’extériorité à l’intériorité ne trouve pas avec lui son aboutissement. Mais cette éthique de Socrate c’est la pensée humaine recentrée sur l’homme qui affronte le monde avec ses savoirs multiples, c’est la Philosophie même !
Le père de la philosophie n’a pas de philosophie, il est plutôt la Philosophie-même
Socrate fait la découverte du sujet qui réfléchit. Etudier l’homme car les façons de juger et de vivre ont une origine humaine et non divine.
Mais les sophistes avant lui sont spécialistes des affaires humaines, ils ont la profession de former des jeunes gens à la vie publique et politique. Voir la pensée d’Eléates et les maximes d’Héraclite.
Euthyhron, sophiste est un docteur-ès-choses divines. Socrate est anti-Euthyphron.
Euthyhron cherche la piété du côté des faits. Et Socrate du côté d’un rapport intérieur de l’âme avec la divinité. Mais cette piété est inquiétante pour Athènes comme l’art et le respect pour les lois que Socrate ironise, avec une « ironie socratique » telle qu'on la trouve dans les dialogues, cette ironie interrogative, une manière d’user d’un discours questionnant.
Le dialogue socratique s’interpose et substitue à l’individu que nous cherchons un personnage conventionnel ou un simple porte-parole.
Socrate a tout simplement inventé l’art du dialogue entre les hommes. Il ne donne pas la solution, il apprend à la chercher par soi-même. Socrate emploie la dialectique au moyen de questions et de réponses que les sophistes utilisaient déjà.
Avec Socrate se produit soudain un changement décisif dans la configuration de la dialectique, qui dépend de l’attitude différente qu’il a par rapport aux opinions.
Aristote considérait Zénon d’Elée comme le découvreur ou l’inventeur de la dialectique. Les représentants de la dialectique sont Protagoras et Georgias qui est proche de la méthode de Zénon, mais avec des finalités philosophiques opposées, une sorte de nihilisme où sont niés l’existence et le dicible de l’être.
Socrate introduit la façon de s’interroger sur ce qu’on fait et la manière juste de le faire dans une ville endormie. Le siècle est de toute façon un siècle d’éveil et d’inquiétude.
Socrate pratique l’art de la maïeutique, faire accoucher les esprits.
Il y a deux manières d’interroger ; la manière de celui qui ne sait vraiment pas, et qui voudrait savoir et la manière de celui qui sait, et pourtant feint d’ignorer, et fait dire à l’autre qui se figure qu’il sait, qu’en réalité il ne sait pas. Il y a une manière innocente et une autre savante.
Y a-t-il un mystificateur ou un ironiste dans le discours de Socrate?
Le mystificateur cherche dans l’inquiétude qu’il éveille un triomphe personnel. L’ironiste s’allège de tout faux savoir, qui fait les âmes disponibles à la fois au discours et à la raison.
La sagesse socratique se situe au niveau du logos, la sagesse orientale au-delà.
Socrate propose l’homme de la parole, de la lucidité et de la conscience, non l’homme de la méditation muette, de la vision sans yeux et de l’inconscience.
Mais les stoïciens éphésiens parlaient déjà du Logos avant lui. Le Logos que certains traduisent par « Raison universelle ».
Socrate n’a pas de méthode, ni de doctrine, et encore moins d’école : il n’a rien écrit, ne nous a rien légué.
« Je sais que je ne sais rien » affirme-t-il. Toute sa vie, il l'a consacrée à chercher à provoquer obstinément l’entretien avec l’interlocuteur qu’offrent les hasards de l’endroit et de l’heure. Il ne donne pas de conseil, il ne veut que les mettre en face d’eux-mêmes dans un total dénuement. Socrate disait : on ne peut pas enseigner la vertu, parce qu’elle réside dans une conversion, un mouvement d’âme que le maître aide le disciple à opérer en lui-même.
Si Socrate est le père de la philosophie c’est pour avoir enseigné l'art de la réflexion.
Il a fait de la civilisation qui est la nôtre une civilisation dont la philosophie, la réflexion au sens étymologique et optique du terme, est le propre.
Il est la conscience qui se moque de la conscience !
Le mythe de Socrate constitue un gros ouvrage à lui tout seul et s'intensifie dès les années qui suivent sa mort. Le mythe est ici ce que le chercheur essaie de circonscrire et d’écarter comme ce qui s’oppose à l’Histoire. Sans un autre aspect le mythe apparait partie intégrante de l’Histoire socratique. Cela ne signifie pas qu’on doive renoncer à chercher la frontière entre la vérité et l’erreur sur son compte.
Si Socrate occupe la place du père de la philosophie grecque, c’est parce que Platon lui a donné un éclat incomparable dans ses écrits. Mais cette spécificité socratique est-elle le fait de Socrate ou une création platonicienne ?
Sans Platon, Socrate aurait pu avoir la même place qu’il a aujourd’hui?
Mais sans Socrate Platon sera-t-il autant lu ?
Socrate a soulevé contre lui la colère typique des réactionnaires d’après Aristophane. Il a payé après la tyrannie des Trente pour la collaboration avec les aristocrates. Mais une révolution socratique ne trouve pas de place dans l’histoire de la morale grecque.
Dans cette société à la fois égalitaire et profondément aristocratique qu’est la communauté athénienne, il semble que Socrate avait regardé tous les hommes, qu’ils fussent, riches, simples, raffinés, athéniens ou étrangers, d’un même œil fraternel. Socrate est un éveilleur d’inquiétudes. L’être s’oppose ouvertement au paraître.
La manière de Socrate n’entre pas dans les habitudes des athéniens. Socrate dit aux citoyens : « occupez-vous de votre âme, pour la rendre aussi bonne que possible, le reste ne compte pas dans votre vie ».
Socrate devient une source de scandale dans la Cité.
Socrate a été condamné mais les incertitudes n’ont jamais été éclaircies, nous dit Charles Maurras dans son livre « L’allée des philosophes »
A son procès Socrate a-t-il vraiment improvisé sa défense en face des 121 juges ? Lui qui était un si bon rhéteur n’a pas, en tout cas, su plaider en sa faveur.
Il était condamné à la mort d’avance par la Cité. Athènes cherchait un bouc-émissaire pour arrêter les troubles dans les rues.
Pour sa mort Socrate suit les deux formules de la dignité de l’homme.
- Il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre
- Il vaut mieux subir la mort que de trahir la vérité.
Quand ses disciples lui demandèrent de quitter la cité il répondit : « très chers, préférez-vous donc me voir mourir justement plutôt qu’injustement ? »
Socrate est resté, se défendit noblement mais avec une ironie qui passa pour de l’arrogance. Socrate a su accepter la mort.
Et avec une dignité qui reste un exemple dans l’Histoire, il a bu la cigüe.
A-t-il été la victime dans son procès ?
Sa mort a-t-elle aidée à lui conférer la place qu’il occupe aujourd’hui ?
Est-il plutôt un symbole, un « totem » comme disait J. Brunschwig ?
Yvon Belaval se demande quel Socrate ? Socrate vu par Xénophon historien, Socrate décrit par Aristophane dans les Nuées ou Socrate de Platon le disciple qui s’est institué héritier spirituel et porte-parole du maître ?
Après sa mort, plus tard, Xénophane a écrit le procès de Socrate dans « Apologie » d’après le témoignage d’Hermogène le fils d’Hipponicos (Xénophon étant absent au procès).
Socrate est un produit sociologique de son temps. Han Ryner dans son livre, au chapitre « problèmes de Socrate », soupçonne les disciples qui fabriquèrent un Socrate conformiste dans un esprit de prudence pour ne pas bafouer les lois de sa cité.
Montagne voyait en lui le héros de la vie triviale.
Nietzsche voyait l’homme théorique et apollinien.
Chacun se fabrique un Socrate d’après son besoin car on est obligé de passer par Socrate dans la philosophie, on ne peut pas l’ignorer.
Même s’il n'en n’est pas le père, Socrate reste dans l’histoire de la philosophie car l’héritage socratique est partout et inspire de nombreux philosophes aujourd’hui.
« Au fond qu’est-ce que le beau, le bien, le juste » ?
Merci pour votre écoute.