Michel de Montaigne souffrit de la « maladie de la pierre » (calculs rénaux).
Dans l’histoire de la littérature universelle, on le considère comme l’un des plus grands philosophes et écrivains.
Michel Eyquem de Montaigne est né à Saint-Michel de Montaigne (Dordogne), d’une famille de riches négociants bordelais.
Les Eyquem, furent anoblis.
Ce philosophe moraliste est un penseur humaniste, un homme politique, et plus généralement une figure majeure de la Renaissance.
Ayant acquis une bonne éducation, il fut élevé dans la religion catholique, qu’il respecta jusqu’à sa mort.
À propos de cette religion, Montaigne adopte une attitude ferme : « Notre religion est faite pour extirper les vices ! ».
À l’égard de la lutte fratricide de son époque entre catholiques et protestants, il manifeste à la fois tolérance et aversion.
« Il reste debout dans le chaos du monde », nous dit S. Zweig.
Montaigne a subi l’influence de Plutarque, de Cicéron et de Pyrrhon ; il passa du courant stoïcien au scepticisme pour arriver, à la fin de sa vie, à l’épicurisme.
Chez Plutarque, il reprend l’idée que « le temps nous sépare de l’être », pour affirmer plus loin : « le futur n’est pas encore, le passé a cessé d’être et le présent n’est que la jointure et l’assemblage de tout ».
De lui-même, Montaigne dit que « le temps n’est pas chose qui soit ».
« Tout passe, puisque tout meurt », comme l’ont vu Héraclite et Lucrèce (A. Comte-Sponville).
L’événement le plus marquant de sa vie fut sa rencontre avec La Boétie, une amitié qui dura jusqu’à la mort de celui-ci en 1563. Une amitié devenue légendaire !
Il fut deux fois maire de Bordeaux, de 1581 à 1585.
D’autre part, Montaigne se laisse marier par sa famille, comme Pierre Loti l’a fait.
La femme de Montaigne, Françoise de la Chassaigne, d’une bonne famille bordelaise, lui a donné huit enfants.
À la mort de son père, Michel hérite de ses terres et de son château, ainsi que du titre de Seigneur de Montaigne. à trente-neuf ans, il se retire dans la tour de son château et commence la rédaction de son œuvre, les Essais, trois volumes souvent remaniés.
Montaigne est d’un tempérament plutôt extraverti, mais il a besoin de solitude. Une solitude locale, intérieure, pour « resserrer [s]es désirs et [s]on souci » nous dit-il. « dans les lieux solitaires, sois à toi-même une foule », ajoute-t-il en citant le Tibulle des Élégies.
À cinquante-cinq ans, Montaigne rencontre Marie de Gournay, une jeune fille de vingt-deux ans à qui il propose de devenir sa « fille d’alliance ». Marie consacre sa vie et sa fortune à assurer jusqu’à onze éditions posthumes des Essais.
Montaigne ou la conscience heureuse est le premier livre écrit à la demande des éditions Seghers, avec une introduction de M. Conche.
Ce livre fourmille d’aperçus et de réflexions philosophiques.
En 1580, quand Montaigne publie la première édition de son ouvrage, le mot essai désigne « l’opération par laquelle on s’assure des qualités, des propriétés d’une chose ». Aujourd’hui, c’est devenu un genre littéraire (A. Comte-Sponville).
Dans ses Essais, en pensant chercher l’essence de l’homme et du monde, Montaigne découvre une multitude de phénomènes aussi différents que variés, qu’il regroupe dans une catégorie qu’il appelle l’« humaine condition ». Il affirme en effet que « chaque homme porter la forme entière de l’humaine condition ».
À ce stade, une parenthèse s’impose : que signifie le mot monde ? Il vient du latin mundus, tandis que son équivalent grec est cosmos, qui, pour nous, signifie plutôt l’univers. Cependant, le monde est bien un cosmos, c’est-à-dire que, comme le mot l’indique, cosmos renvoie à l’ordre, donc il est sous le signe de l’ordre, du bon ordre, conformément à l’organisation que son acception sous-tend. Car le monde est un ensemble où les choses sont libres d’exister selon leur nature (Marcel Conche).
Le troisième livre est dominé par les textes des Ecclésiastes.
Dans les Essais, on trouve l’axiome fondamental de la philosophie de Montaigne : « il n’est rien plus vraisemblable que la conformité et la relation du corps à l’esprit. L’esprit, le monde et le corps vont de pair, réconciliés formellement ».
Toujours dans son œuvre on trouve des valeurs qui fondent notre modernité : la liberté de penser et la tolérance, ce qui a disparu aujourd’hui dans notre société.
La notion qui revient le plus souvent sous la plume de Montaigne est la fides, le fait de tenir parole. Pour lui, la tolérance va de pair avec la modestie et le courage (d’après J. D’Ormesson).
Le philosophe a la capacité d’écouter et de comprendre l’autre, qualité qui s’est perdue au fil du temps. Montaigne est l’écrivain le plus riche en comparaisons vivantes, le plus naturellement fertile en métaphores. Son langage est simple et naturel.
Les Essais ont un seul objet : le moi et le je de la conscience. Ils sont aussi le journal du corps, celui de son auteur, le premier penseur à libérer la chair.
Son œuvre est un entretien avec soi, un dialogue intérieur. « le moi se fait par écriture » nous dit-il.
« Mon esprit ne va si les jambes ne s’agitent ».
Pascal le juge avec sévérité dans ses Pensées
Montaigne dépeint son moi en utilisant souvent le style égotiste, c’est-à-dire avec un sentiment exagéré de sa personnalité (terme employé par Stendhal).
« La philosophie nous apprend à vivre », écrivait Montaigne. Philosopher, c’est vivre heureusement - ou le plus heureusement possible.
Montaigne est moraliste, mais pas moralisateur. Il ne sent aucun droit d’imposer à autrui, et encore moins à tous, les constats qui s’appliquent à lui-même, pas plus qu’il n’accepterait que quiconque prétende décider à sa place de la façon dont il doit vivre. « Je n’ai point cette erreur commune de juger d’un autre selon ce que je suis », dit-il.
La philosophie de Montaigne est personnelle. Elle se nourrit aussi bien de ses propres expériences que de ses très nombreuses lectures philosophiques. Il est aristotélicien, car il pense l’homme comme un être voué à l’action.
« Sans esprit, il ne peut y avoir de monde » (Aristote).
Montaigne s’interroge – comment est-ce que je vis ? – que sais-je ? - Il doute de tout et n’est lié à rien. Il cherche au-delà des vérités, lesquelles se construisent subjectivement et empiriquement (à partir de ses expériences).
Montaigne est le père du subjectivisme (M. Conche).
Il nous dit que « la plus grande chose au monde est de savoir être à soi ».
Montaigne pose les premiers jalons d’une philosophie en mouvement, dont les principes seront remis en question : comment sauvegarder, dans mon âme la plus profonde, une matière qui n’appartient qu’à moi (mon corps, ma santé, mes pensées, mes sentiments du danger d’être sacrifié à la folie des autres, à des intérêts qui ne sont les miens) » Passer par l’église ? Par la politique ? (A. Comte-Sponville).
Montaigne est l’héritier du nominalisme, un siècle avant Descartes.
Permettez-moi de vous donner la signification du mot éthique, parce que vous ne la trouverez ni dans le dictionnaire ni sur internet, mais dans le livre L’infini de la nature - œuvres philosophique de M. Conche.
L’éthique est constituée de valeurs et relations particulières – ce qui peut appeler des préférences existentielles caractéristiques d’un individu, d’un groupe, d’une époque…
La Morale est l’opposé : issue de la raison, elle nous met en présence de valeurs universelles et absolument obligatoires, comme le respect de la personne humaine, ce qui fait qu’il n’y a qu’une morale ou pas de morale du tout, et cela lui permet de s’incarner dans un droit contraignant s’imposant à tous…
Pour Sénèque (d’après J. L. Poirier), l’éthique forme « le cœur de la philosophie ».
Et Epictète nous parle de « l’éthique naturelle » dans son livre Le Manuel.
Nous savons que Montaigne vécut pendant la guerre opposant les catholiques aux protestants. à la Renaissance, l’éthique protestante, telle qu’elle est définie par Weber, s’identifie à une nouvelle éthique bourgeoise et marchande.
En 1916, Werner Sombart a proposé, dans Les origines du capitalisme moderne, l’idée d’un ethos propre au capitalisme, qui, contrairement à la thèse de weber, n’a pas pour cause principale l’acceptation d’une nouvelle idéologie religieuse.
C’est cet ethos qui sera le contexte de la rédaction des Essais de Montaigne.
Malgré leurs divergences, les deux sociologues (Weber et Sombart) s’accordent à voir dans la Renaissance la période-clé d’une nouvelle éthique marchande.
L’éthique marchande se retrouve beaucoup dans les textes du XVIe siècle, dont Montaigne subit l’influence, même s’il la critique. Du temps de Montaigne, tout s’échange contre une somme d’argent, même les charges publiques.
La justice se transforme en justice de classe (influencée par l’argent) : on achète un jugement comme on achète un tonneau de vin.
L’éthique marchande est bien plus qu’une simple morale, c’est un mode de vie. Elle se veut, pratique, pacifique et non-discriminatoire. Cette éthique défend aussi la liberté individuelle, y compris la liberté de penser différemment.
Le droit à la différence et la diversité des peuples sont acceptés afin de mieux pouvoir commercer avec eux. Montaigne est à sa place dans cette ouverture et cet échange, étant lui-même fils de marchand.
Toutefois, il est témoin de cette crise morale qui marque son temps. Il s’interroge sur la nouvelle éthique marchande qui redéfinit les valeurs morales promulguées par la société. C’est le même ethos du pyrrhonisme (les sceptiques) que Montaigne adopte dans le troisième essai, se libérant ainsi de l’emprise de l’opinion, comme l’avait fait Pyrrhon.
Montaigne nous dit que « la pure sensation devient l’équivalent d’un savoir, mais aussi le principe d’une sagesse rendant la vie plus aisée ».
Selon la morale de Montaigne, « c’est une perfection absolue et, pour ainsi dire, divine, que de savoir jouir loyalement de son être ». « L’humanité n’est pas un Dieu qu’il faudrait adorer, ni une essence, qu’il faudrait contempler, mais une valeur, qu’il faut respecter et défendre ».
Montaigne fut un défenseur magistral de la liberté, de la lucidité et de la tolérance.
selon André Comte-Sponville, Montaigne, Pascal et Descartes sont les trois sommets principaux de la philosophie française.