Michel de Montaigne, est l’un des plus grands philosophes et écrivains dans l'histoire de la littérature universelle.
Michel Eyquem de Montaigne est né à St Michel de Montaigne (Dordogne), d’une famille de riches négociants bordelais, les Eyquem, anoblie. C’est un penseur humaniste, un homme politique, un philosophe et moraliste, et donc une figure majeure de la Renaissance. Ayant acquis une bonne éducation, il montre son talent comme orateur et magistrat au Palais de Bordeaux. Il fut élevé dans la religion catholique qu’il respecta jusqu’à sa mort. Montaigne a subi l'influence de Plutarque, Cicéron, Sextius et Pyrrhon.
Il passa du courant stoïcien au scepticisme pour arriver à la fin de sa vie à l’épicurisme.
Il fut deux fois Maire de Bordeaux de 1581 à 1585. Montaigne déploya une grande activité pendant son mandat de Maire pour conserver la ville en paix, car c’était la période de la guerre entre les religions. Il afficha sa tolérance et son aversion pour la lutte fratricide entre catholiques et protestants. « Il reste debout dans le chaos du monde » écrit S. Zweig.
L'événement le plus marquant de sa vie fut sa rencontre, à 25 ans, avec La Boétie, une amitié qui dura jusqu’à la mort de celui-ci en 1563. Cette amitié est devenue légendaire. En 1565, il se laisse marier sans amour avec Françoise de la Chassaigne de bonne famille bordelaise, elle avait 20 ans. De son mariage on sait seulement qu’il a fait chambre à part. A la mort de son père en 1568, Michel hérite de la terre, du château et du titre de Seigneur de Montaigne. Il devient riche et peut se consacrer à l’étude et à l'écriture. En 1571, il est ordonné chevalier de l’ordre St. Michel, par Charles IX qui l’inscrit de surcroît comme gentilhomme ordinaire de sa chambre en 1573, charge purement honorifique.
De 1580 à 1581 il voyage en Allemagne, en Suisse, en Autriche et enfin en Italie pour sa santé et son plaisir.
Il tient un journal de voyage qui ne sera publié qu'en 1774, de façon posthume. A 39 ans en 1572 il se retire dans son château et commence la rédaction de son œuvre « Les Essais » en trois volumes, qu’il poursuit et remanie jusqu’à sa mort.
Dans sa tour, il aménage une bibliothèque et s’impose à lui-même la discipline de la solitude.
En 1588, à 55 ans, Montaigne rencontre à Paris Marie de Gournay, jeune fille de 22 ans. Il lui propose de devenir sa fille d’alliance. Elle consacre sa vie et sa fortune à assurer jusqu’à onze éditions posthumes des Essais.
Les idées de Montaigne sur la mort ont évoluées depuis 1572, quand il pensait en stoïcien que l’homme doit se préparer à bien mourir. Il pense maintenant en épicurien qu’il faut suivre la nature. En 1578 Montaigne constate qu’il est victime de petits calculs urinaires. Pierre de Broche son ami écrit que sa mort fut douce « après une vie heureuse ». La mort l'a libéré d’une goutte paralysante et de calculs douloureux.
Montaigne meurt dans son château à 59 ans. Il est inhumé en l’église des Feuillants à Bordeaux.
« La philosophie nous apprend à vivre » écrivait Montaigne. Philosopher c’est vivre heureusement ou le plus heureusement possible. La philosophie de Montaigne est personnelle, elle se nourrit aussi bien de ses propres expériences que de ses très nombreuses lectures philosophiques. Il est aristotélicien, car il pense l'homme comme un être voué à l'action. « Sans esprit, il ne peut y avoir de monde » (Aristote). La vie de Montaigne est une opération permanente de renouvellement. Il s’interroge : « comment je vis ? Que sais-je » ? Il traduit l’incertitude de nos âmes. Il doute de tout et n’est lié à rien. Montaigne cherche au-delà des vérités momentanées et exige de se méfier des pièges de la raison philosophique. La vérité se construit subjectivement à partir des expériences.
Il est le père du subjectivisme.
Montaigne oscille entre le passée et le futur, il va du scepticisme vers le relativisme culturel. Le mode de pensée de Montaigne reste le même que le scepticisme, qui est un aspect définitif de sa sagesse. Il nous dit : « la plus grande chose au monde est de savoir être à soi ». Montaigne pose les premiers jalons d’une philosophie en mouvement dont les principes seront toujours remis en question. Il se pose toujours de nouvelles questions : « comment sauvegarder mon âme la plus profonde de sa matière qui n’appartient qu’à moi, mon corps, ma santé, mes pensées, mes sentiments du danger d’être sacrifié à la folie des autres, à des intérêts qui ne sont les miens » : l’Eglise ou la politique ?
Montaigne est l’héritier du nominalisme, un siècle avant Descartes.
Dans ses Essais, en pensant chercher l’essence de l’homme et du Monde, Montaigne découvre une multitude de phénomènes aussi différents que variés qu’il regroupe dans une catégorie appelée « humaine condition ». Et que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
Dans les Essais on trouve l’axiome fondamental de sa philosophie : « il n’est rien plus vraisemblable que la conformité et la relation du corps à l’esprit. L’esprit, le monde et le corps vont de pair, réconciliés formellement ».
Toujours dans les Essais on trouve des valeurs qui fondent notre modernité : la liberté de penser et la tolérance. La notion qui revient le plus souvent sous sa plume est « fides » cela veut dire tenir parole. Pour lui, la tolérance va de pair avec la modestie et le courage. Il montre qu’à la racine de la pensée il y a l’honnêteté, nous dit J. D’Ormesson.
Il a la capacité d'écouter et de comprendre l’autre, qualité qui s’est perdue aujourd’hui.
Montaigne est l’écrivain le plus riche en comparaisons vives, le plus naturellement fertile en métaphores.
Le langage est simple et naturel. Le style arrive à sa perfection en 1588, dans le troisième livre des Essais.
Son influence sur la littérature française est très importante sur le courant libertin (François de La Mothe Le Vayer 1588-1672) et celui de la philosophie : Descartes, Pascal, Voltaire, Schopenhauer, Nietzsche, Cioran …
Les Essais ont un seul objet « le moi », et « le je » de la conscience. Les Essais sont aussi le journal du corps, celui de son auteur, le premier penseur à libérer la chair. « Mon esprit ne va si les jambes ne s’agitent ». Montaigne est le premier écrivain de son temps qui parle du sexe avec autant de franchise.
Les Essais sont un entretien avec soi, un dialogue intérieur, « le moi se fait par écriture ».
On trouve dans son œuvre une multitude de contradictions et de paradoxes. Il part d’un endroit et revient au même point « le moi » ou mon essence.
Pascal le juge avec sévérité dans ses Pensées : « Montaigne parle de la peinture du moi » en utilisant souvent le style égotiste.
L’éthique Sceptique dans les Essais de Montaigne.
Nous savons que Montaigne vécut pendant la guerre entre les catholiques et les protestants.
A la Renaissance, l’éthique protestante, telle qu’elle est définie par Weber, s’identifie à une nouvelle éthique bourgeoise et marchande. En 1916, Werner Sombart a proposé dans « Les origines du capitalisme moderne » l’idée d’un éthos spécifique au capitalisme qui contrairement à la thèse de Weber, n’a pas pour cause principale l’acceptation d’une nouvelle idéologie religieuse. C’est cet éthos qui marque le contexte de la rédaction des Essais de Montaigne.
Malgré leurs divergences d’interprétation, les deux sociologues (Weber et Sombart) s’accordent à voir dans la Renaissance, la période clé d’une nouvelle éthique marchande. L’éthique marchande se retrouve beaucoup dans les textes du XVIème siècle, dont Montaigne subit l’influence même s’il la critique.
Du temps de Montaigne, tout s’échange contre une somme d’argent, même les charges publiques.
La justice se transforme en justice de classe influencée par l’argent : on achète un jugement comme on achète un tonneau de vin.
L’éthique marchande est bien plus qu’une simple morale, c’est un mode de vie. Elle se veut pratique, pacifique et non-discriminatoire. Cette éthique défend aussi la liberté individuelle, y compris la liberté de penser différemment. Le droit à la « différence et la diversité des peuples est accepté afin de mieux pouvoir commercer avec eux ». Montaigne est à sa place dans cette ouverture et cet échange, étant lui-même un marchand. Toutefois, il est le témoin de cette crise morale qui marque son temps. Il s’interroge sur la nouvelle éthique marchande qui redéfinit les valeurs morales promulguées par la société.
C’est le même éthos du Pyrrhonisme que Montaigne adopte dans le troisième essai, et il se libère de l’emprise de l’opinion comme l'avait fait Pyrrhon.
Montaigne nous dit : « la pure sensation devient l’équivalent d’un savoir, mais aussi le principe d’une sagesse rendant la vie plus aisée ».
La morale de Montaigne : « c’est une perfection absolue et pour ainsi dire, divine, que de savoir jouir loyalement de son être ». « L’humanité n’est pas un Dieu qu’il faudrait adorer, ni une essence, qu’il faudrait contempler, mais une valeur, qu’il faut respecter et défendre ».
Montaigne, Pascal et Descartes sont les trois sommets primordiaux de la philosophie française selon André Comte-Sponville. Il était maître de la liberté, de la lucidité et de la tolérance.
C’est là que je m’arrête pour vous donner la parole.
Merci pour votre écoute.