Dans l’histoire de la littérature universelle, on considère Montaigne comme l’un des plus grandes philosophes et écrivains.
Il se caractérise avant tout par sa grande liberté d’écriture.
Montaigne est un philosophe moraliste, un penseur humaniste, un homme politique et une figure majeure de la Renaissance.
Michel Eyquem de Montaigne est né à Saint-Michel de Montaigne (Dordogne), d’une famille de riches négociants bordelais, les Eyquem, qui furent anoblis.
Ayant acquis une bonne éducation (il a parlé le latin avant le français), il est élevé dans la religion catholique, qu’il respectera jusqu’à sa mort.
A propos de cette religion, Montaigne adopte une attitude ferme : « Notre religion est faite pour extirper les vices ! ».
A l’égard de la lutte fratricide de son époque entre catholiques et protestants, il manifeste à la foi tolérance et aversion.
« Il reste debout dans le chaos du monde », nous dit S. Zweig.
Il est influencé par Plutarque, Pyrrhon et Cicéron.
Montaigne passe du courant stoïcien au scepticisme pour arriver, au terme de son existence, à l’épicurisme (A. Comte-Sponville).
La pratique du voyage enseigne le scepticisme, qui est sa doctrine fondamentale. Aristote pensait en marchant.
Plutarque, médio-platonicien né vers l’an 45 de notre ère, affirme que « l’ouïe est une alliée encore plus précieuse pour le logos que le pathos ».
Dans l’œuvre de Montaigne, on peut lire que « c’est le sens des mots qui déchire catholiques et protestants ». « Si nous parlons peu, écrit-il encore, c’est pour y penser plus ».
Vers 490 av. J.-C., Empédocle dit déjà que « l’homme a deux oreilles et une bouche pour écouter deux fois plus que parler ».
Chez Plutarque, il reprend l’idée que « le temps nous sépare de l’être », pour affirmer plus loin : « le futur n’est pas encore, le passé a cessé d’être et le présent n’est que la jointure et l’assemblage de tout ».
Montaigne affirme que « le temps n’est pas chose qui soit ».
« Tout passe, puisque tout meurt », comme l’ont vu Héraclite et Lucrèce (A. Comte-Sponville).
Si l’on considère les différentes crises politiques, religieuses et scientifiques, le fait de douter, à cette époque, va de soi.
Montaigne est un magistrat ; il a reçu une formation de juriste et il est sensible à l’ambiguïté des textes.
Il fut deux fois maire de Bordeaux de 1581 à 1585.
Montaigne « se laisse marier » par sa famille, tout comme Pierre Loti lui-même le fera. Il a eu huit enfants. Une seule fille a survécu !
A la mort de son père, Michel hérite de ses terres et de son château, ainsi que du titre de seigneur de Montaigne.
A trente-neuf ans, il se retire dans la tour de son château et commence la rédaction de son œuvre, les Essais, trois volumes souvent remaniés, auxquels il n’a jamais cessé d’ajouter des citations.
Montaigne n’aimait pas les médecins. A cette époque, les connaissances en médecine étaient frustes et incertaines.
Montaigne, souffrant de calculs rénaux, la « maladie de la pierre », est décédé à l’âge de cinquante-neuf ans.
Montaigne est d’un tempérament plutôt extraverti, mais il a besoin de solitude. Une solitude locale, intérieure, pour « resserrer ses désirs et son souci », nous dit-il. « Dans les lieux solitaires, sois à toi-même une foule », ajoute-t-il en citant le Tibulle des Élégies.
L’événement le plus marquent de sa vie fut sa rencontre avec La Boétie. S’ensuivit une amitié qui dura jusqu’à la mort de son alter ego en 1563.
Une amitié devenue légendaire. L’amitié, pour lui, représente le seul lien vraiment libre entre deux individus.
Montaigne doute de tout et n’est lié à rien. L’épitaphe écrite dans sa bibliothèque résume sa pensée (« Que sais-je ? »), « Comment est-ce que je vis ? ».
Socrate disait « je ne sais rien ! »
Montaigne ou la conscience heureuse est son premier livre ; il fourmille d’aperçus et de réflexions philosophiques.
En 1580, quand Montaigne publie la première édition de son ouvrage, le mot « essai » désigne « l’opération par laquelle on s’assure des qualités, des propriétés d’une chose ». Aujourd’hui, c’est devenu un genre littéraire (A. Comte-Sponville).
De nombreuses notations dans son œuvre nous donnent une idée de la vie quotidienne en temps de guerre civile.
Selon Roland Barthes, les nuances cassent la logique binaire (amis/ennemis, etc.) « La littérature est maîtresse de nuances ».
« Il faut essayer de vivre selon les nuances que nous apprend la littérature », écrit encore Montaigne.
Montaigne nous enseigne que « la fréquentation de l’autre permet d’aller à la rencontre de soi, et la connaissance de soi permet de revenir à l’autre ».
« La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute ».
Dans ses Essais, en pensant chercher l’essence de l’homme et du monde, Montaigne découvre une multitude de phénomènes aussi différents que variés, qu’il groupe dans une catégorie qu’il appelle l’humaine condition. Il affirme en effet que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
Dans les Essais, on trouve l’axiome fondamental de la philosophie de Montaigne : « il n’est rien plus vraisemblable que la conformité et la relation du corps à l’esprit ».
L’esprit, le monde et le corps vont de pair, réconciliés formellement.
Les Essais ont un seul objet : le moi et le je de la conscience, ils sont aussi le journal du corps, celui de son auteur, le premier penseur à libérer la chair.
Montaigne dépeint son moi en utilisant souvent le style égotiste, c’est-à-dire avec un sentiment exagéré de sa personnalité (terme employé par Stendhal).
Son œuvre est un entretien avec soi, un dialogue intérieur. Le moi se forme par l’écriture, nous dit-il.
« Mon esprit ne va si les jambes ne s’agitent ».
Toujours dans son œuvre on trouve des valeurs qui fondent notre modernité : la liberté de penser et la tolérance, ce qui a disparu aujourd’hui dans notre société.
La notion qui revient le plus souvent sous la plume du philosophe est la fides, le fait de tenir sa parole. Pour lay, la tolérance va de pair avec la modestie et le courage (d’après J. D’Ormesson).
Montaigne est le père du subjectivisme (M. Conche). Il nous dit que « la plus grande chose au monde est de savoir être à soi ».
Il pose ainsi les premiers jalons d’une philosophie en mouvement, dont les principes seront remis en question : « comment sauvegarder, dans mon âme la plus profonde, une matière qui n’appartient qu’à moi (mon corps, ma santé, mes pensées, mes sentiments du danger d’être sacrifié à la folie des autres, à des intérêts qui ne sont les miens) », Faut-il passer par l’église ? Par politique ? Par philosophie ? (A. Comte-Sponville).
Montaigne est héritier du nominalisme, un siècle avant Descartes.
L’éthique est constituée de valeurs et relations particulières – ce qui peut appeler des préférences existentielles caractéristiques d’un individu, d’un groupe, d’une époque…
Pour Sénèque, l’éthique forme « le cœur de la philosophie » (J.L. Poirier).
Epictète nous parle de « l’éthique naturelle » dans son livre Le Manuel.
L’éthique de Montaigne est une éthique sceptique.
L’éthique de la vie que se propose Montaigne est aussi une esthétique, un art de vivre en beauté.
A la renaissance, l’éthique protestante, telle qu’elle est définie par Weber, s’identifie à une nouvelle éthique bourgeoise et marchande.
En 1916, Werner Sombart a proposé, dans Les origines du capitalisme moderne, l’idée d’un ethos propre au capitalisme, qui, contrairement à la thèse de Weber, n’a pas pour cause principale l’acceptation d’une nouvelle idéologie religieuse.
Malgré leurs divergences, les deux sociologues (Weber et Sombart) s’accordent à voir dans la Renaissance la période-clé d’une nouvelle éthique marchande.
C’est cet ethos qui sera le contexte de la rédaction des Essais de Montaigne.
L’éthique marchande se retrouve dans les textes du XVIe siècle, dont Montaigne subit l’influence, même s’il la critique.
Du temps de Montaigne, tout s’échange comme une somme d’argent, même les charges publiques.
La justice se transforme en justice de classe (influencée par l’argent) : on achète un jugement comme on achète un tonneau de vin. L’éthique marchande est bien plus qu’une simple morale, c’est un mode de vie.
Montaigne, étant lui-même fils de marchand, est à sa place dans cette ouverture et cet échange.
Cette éthique défend aussi la liberté individuelle, y compris la liberté de penser différemment.
Montaigne écrit en effet que « la philosophie nous apprend à vivre mieux ; philosopher, c’est vivre heureux, ou le plus heureux possible ».
La morale de Montaigne se condense ainsi : « C’est une perfection absolue et divine, de savoir jouir loyalement de son être ».
« L’humanité n’est pas un Dieu qu’il faudrait adorer, ni une essence qu’il faudrait contempler, mais une valeur, qu’il faut respecter et défendre ».
Il fut un défenseur magistral de la liberté, de la lucidité et de la tolérance.
D’après M. Conche, Montaigne est un moraliste, mais pas un moralisateur.
Les Essais constituent donc son œuvre essentielle, sur laquelle il a travaillé jusqu’à la fin de sa vie.
selon André Comte-Sponville, Montaigne, Pascal et Descartes sont les trois sommets primordiaux de la philosophie française.
Il demande que l’on isole l’être du paraître ;
Il préfère un homme à la tête bien faite plutôt que bien pleine ;
L’âge ne contribue pas à la sagesse.