Le 13 mars 1907 naît à Bucarest Mircea Eliade, deuxième fils du capitaine Gheorghe Eliade et de sa femme Ioana. La famille, pratiquante, est fidèle à l’église orthodoxe roumaine. Mircea a une sœur, Corina, future mère du sémiologue Sorin Alexandrescu.
Pendant la Première Guerre mondiale, en 1916, alors que les allemands bombardent Bucarest, Mircea a une dizaine d’années.
Enfant, Mircea est fasciné par le monde naturel, par le folklore roumain, et surtout par la foi chrétienne telle qu’elle est vécue par les paysans. Son intérêt se concentre vite sur la culture physique, l’alpinisme et le nautisme. En 1917, Mircea fait son entrée au lycée Spiru Haret, à Bucarest. Il découvre les sciences naturelles, la première en date de ses passions intellectuelles. Il lit beaucoup. Ses auteurs préférés sont : Honoré de Balzac, Giovanni Papini et James George Frazer. Mircea commence à apprendre les langues étrangères et vers 1925 il maîtrise l’italien, le français, l’anglais et l’allemand.
Il s’initie par ailleurs aux langues persane et hébraïque.
Entre 1924 et 1925, la sensibilité intellectuelle d’Eliade se déplace sur le terrain de la théosophie, de l’alchimie et de l’histoire des religions.
Eliade s’intéresse également à la philosophie (Socrate et les stoïciens Marc-Aurèle et Epictète). En 1927, Mircea entreprend son premier voyage en Italie, où il rencontre Papini et Macchioro.
En 1925, Eliade s’inscrit à la faculté de philosophie et lettres de Bucarest. Il consacre son mémoire de maîtrise à la renaissance italienne et aux philosophes Marsile Ficin, Giordano Bruno et Tommaso Campanella. Il obtient son diplôme en 1928.
Au printemps 1928 il part pour Rome - son deuxième voyage en Italie.
Il y rencontre Ernesto Buonaiuti et découvre l’œuvre de Surendranath Dasgupta, ancien étudiant de l’Université de Cambridge, qui porte sur l’histoire de la philosophie indienne.
A vingt-et-un ans, en 1928, sa licence de philosophie en poche, il s’embarque pour l’Inde - à Calcutta, dans le Bengale occidental.
Pendant trois ans il va préparer sa thèse de doctorat sous la tutelle du professeur Dasgupta à l’Université de Calcutta.
Eliade visite brièvement L’Égypte avant d’arriver en Inde.
A Calcutta, il acquiert les bases de la philosophie indienne, et parallèlement apprend le sanscrit, le pali et le bengali. En Inde, Eliade a l’occasion de rencontrer Mahatma Gandhi. Il voyage jusqu’à Lahore et Peshawar, à la frontière afghane, et s’initie à la pratique du yoga à l’aide d’un gourou. Eliade pratique aussi la spiritualité roumaine.
En 1931, il rentre en Roumanie et commence la rédaction de sa thèse, qui deviendra un livre, Le yoga, immortalité et liberté. En 1932, il entame une série de conférences publiques, et,en 1933, soutient sa thèse, intitulée Le yoga. Psychologie de la méditation indienne.
En 1934, il épouse Nina Mares, qui a une fille d’un premier mariage, Adalgiza. Eliade va l’adopter, et toute la famille s’installe à Bucarest. Après avoir obtenu le titre de docteur en philosophie à l’Université de Bucarest, Eliade va enseigner la philosophie indienne à l’Université. Il voyage en Grande-Bretagne en 1936. à Bucarest, entre 1936 et 1937, il enseigne la métaphysique en qualité de maître-assistant. En même temps il écrit des articles dans les revues Vremea (Le Temps) et Cuvantul (La parole).
Avec sa femme il part en voyage, en 1937, à Londres, Oxford et Berlin. En 1943, Eliade se rend dans la France occupée, où il rejoint Emil Cioran, Georges Dumézil et Paul Morand. Pendant cette période, il fréquente l’Espagne et le Portugal. à Lisbonne, il fait la rencontre des philosophes José Ortega et Eugenio d’Ors. Il maintiendra par la suite des liens d’amitié avec eux.
En 1944, son épouse Nina, victime d’un cancer, meurt pendant leur séjour à Lisbonne. Ne maîtrisant pas sa détresse, Eliade tombe dans une forte dépression. Il se soigne à l’aide d’extraits de passiflore et, pour finir, à la méthamphétamine.
Le 16 septembre 1945 il s’installe avec sa fille Giza à Paris.
Dumézil l’invite à la Ve section de l’école pratique des Hautes études pour présenter les premiers chapitres de son Traité d’histoire des religions. En 1950, il épouse Cristinel Cottesco et ensemble, ils voyagent en Europe et aux USA, tandis qu’il poursuit ses recherches et donne des conférences et des colloques dans plusieurs villes.
En 1947, Eliade trouve un emploi de professeur de français dans une école de l’Arizona. Il est invité par Joachim Wach pour prononcer une série de conférences à l’Université de Chicago, à laquelle celui-ci appartient.
Eliade déménage en 1956 à Chicago avec sa famille. Au décès de Wach, il est nommé à sa suite, et en 1964, Eliade obtient le titre de professeur en Histoire des Religions à l’Université de Chicago.
À partir de 1954, il connaît un succès commercial avec ses livres.
Eliade devient membre de l’Académie américaine des arts et de sciences, en 1966. Il enseigne l’histoire religieuse à l’Université de Californie, à Santa Barbara, en 1968.
Il visite la Suède et la Norvège en 1970. En 1973, Eliade est élu membre de l’Académie autrichienne de sciences et, en 1975, membre de l’Académie royale de Belgique.
En 1977, avec d’autres intellectuels roumains exilés, il signe un télégramme de protestation publique contre le régime de Ceausescu.
Eliade obtient le prix Bardin de l’Académie française en 1977, et en 1985 le titre de docteur honoris causa décerné par l’Université de Washington. à la même période Eliade tombe malade d’une grave arthrite.
En 1986, il est victime d’une apoplexie, et perd l’usage de la parole. Transporté à l’hôpital Bernard Michell de Chicago, il décède en avril 1986. Mircea Eliade est incinéré à Chicago.
ŒUVRES
Mircea Eliade est un auteur prolifique et complexe. Il aura touché à tout. Connu en France pour ses travaux sur l’histoire des religions, il est le spécialiste de la spiritualité hindoue, et est un anthropologue et un mythologue reconnu.
Mircea Eliade se sera occupé de littérature de dix-huit à soixante-dix-neuf ans, c’est-à-dire quasiment toute sa vie. Toute son œuvre est écrite en roumain.
En Roumanie, il est l’écrivain le plus critiqué par ses compatriotes.
Pour lui, la littérature n’est pas un refuge, mais une manière d’être, une façon d’exister. Il conçoit la philosophie comme un « acte de la vie », un « acte existentiel ». Mircea Eliade entend par littérature d’authenticité une littérature fondée sur une expérience vécue, y compris par son esprit.
Mais parmi les critiques littéraires, tous ses compatriotes (George Calinescu, Serban Cioculescu, Pompiliu Constantinescu) constatent que son écriture n’est pas au niveau de l’œuvre d’Emil Cioran.
L’œuvre scientifique et littéraire d’Eliade est impressionnante, et c’est là que commence son « atypisme ». Il se réclame notamment de l’adamisme.
Mircea Eliade est un important romancier et essayiste. Il veut créer un roman d’idées, considérant que les idées font partie de la vie de l’individu ; un roman sur la connaissance et le vivre dans la tradition de Gide – dont il est un fervent lecteur.
Eliade se rattache à deux courants littéraires : d’une part, c’est un « gidien infidèle », car il recherche aussi d’autres expériences ; d’autre part, il s’inspire de la prose anglo-saxonne, avec son exotisme et les nuances d’érotisme que l’on retrouve dans ses romans indiens.
Ses œuvres de fiction comprennent dix romans et plus de vingt récits qui, pris dans leur ensemble, introduisent un univers, une typologie et un style spécifiques dans la prose romanesque du XXe siècle.
A quatorze ans, Eliade publie sa première nouvelle, L’ennemi du ver à soie (1921), suivi de Comment j’ai découvert la pierre philosophale. En 1925 paraît Le roman de l’adolescent myope, suivi de Gaudeamus, deux œuvres qui font partie des « portraits d’une génération », la plupart autobiographiques.
Dans son œuvre coexistent plusieurs axes stylistiques : la narration, le roman existentialiste, la prose magique et fantastique, et enfin la narration mythique.
Mircea Eliade passe des romans à thème aux romans existentialistes.
La narration met alors en évidence l’expérience vécue.
Font partie de ce dernier ensemble :
La nuit bengali (1933), un roman autobiographique qui décrit la liaison de l’auteur avec la poétesse indienne Maitreyi Devi, la fille de Desgupta ; son professeur de l’Université de Calcutta ;
Isabel et les eaux du diable (1930), récit érotique admirable qui, avec une discrète poésie, reflète la magie indienne ;
L’Inde (1934) ;
Sentier (1935) ;
et Journal des Indes.
Dans Nouvelles (1936), Eliade joue avec la confusion des plans temporels et l’effet que produisent sur l’esprit de l’homme ordinaire les coïncidences apposées.
Les romans existentialistes traitent de l’expérience tragique, du drame de la connaissance, des actes fondamentaux du vécu. Retour du Paradis (1934) est une œuvre qui décrit la génération de l’auteur et donne des solutions « expérimentalistes » à la vie. C’est un roman gidien. Hooligans (1934) fait également partie des romans existentialistes.
Ces deux livres sont plus directs, plus objectifs et totalement ancrés dans la problématique de la jeunesse roumaine.
Dans ses récits fantastiques, l’écrivain met en valeur la magie, et l’expérience concrète du folklore. Avec Mademoiselle Christina, Eliade entre dans une nouvelle famille de créateurs, celle des prosateurs fantastiques. Ce roman touche à d’autres expériences : la magie, les superstitions populaires, et le fabuleux folklorique. D’autres récits fantastiques s’inscrivent dans cet ensemble : Souvenirs (1966), Le vieil homme et l’officier (1934), qu’on peut le lire comme une « fable de la fable », une longue métaphore de la naissance du récit, où on trouve le monde des fantasmes, le diabolisme sexuel, et la nymphomanie bestiale.
Andronic et le Serpent est vu sous l’angle de la magie contagieuse. C’est un court récit. Le folklore est utilisé comme instrument de connaissance. Eliade dit : « Le fantastique folklorique vous met en contact direct avec un monde irrationnel, mais réel. »
Quant à la création mythique, elle se trouve dans ses nouvelles ; dans le roman Forêt interdite (1952) ; dans Les mythes du monde moderne, un essai de 1953 ; dans Mythes, rêves et mystères (1957), qui comprend une étude du chamanisme écrit à la suite d’un voyage au Japon, et enfin dans Naissances mystiques (1958).
Eliade note que « dans les sociétés traditionnelles, le mythe incarne la vérité absolue concernant le temps ». « Le mythe est toujours le récit d’une création. »
Par ses narrations mythiques, Eliade enrichit et diversifie cette œuvre « démodée » à une époque où le nouveau roman et toutes les expériences de l’avant-garde européenne dominent la scène littéraire. Il a réintroduit les mythes dans le monde du XXe siècle et il a donné une dimension mythique nouvelle au récit moderne.
Tout ceci n’est pas sans rapport avec ce que pense Eliade de l’homme religieux et du monde mythique et rituel que l’individu profane porte en soi. La pensée eliadesque est une découverte du caractère sacré de la vie. L’idée qui apparaissait déjà dans les années trente dans ses essais : la nécessité de rendre cosmiques nos connaissances. C’est une approche de la pensée d’Héraclite, qui disait que « la pensée humaine obéit à l’appel du Cosmos ».
Sur l’histoire de la religion, les écrits les plus remarquables sont : Le mythe de l’éternel retour et Le Sacré et le Profane (1948).
Eliade affirme que « le sacré renferme en lui toute la«réalité» ou toute valeur, les autres choses n’acquièrent de «réalité» que pour autant qu’elles participent de ce sacré. »
Mircea Eliade écrivit en exil plusieurs volumes de mémoires, des journaux intimes et des récits de voyage qui couvrent différentes phases de sa vie. Un ouvrage qui a un intérêt particulier est son Journal portugais rédigé à Lisbonne et publié après sa mort.
Mircea Eliade (proche en cela d’Ernst Jünger et Hermann Hesse) croit que la renaissance de la littérature est possible par l’infusion de mythes.
Mircea Eliade est connu pour son Traité d’histoire des religions.
L’humanisme et la Renaissance sont demeurés une influence majeure dans les travaux d’Eliade. Il en résulte que l’écrivain philosophe reste un cas dans la culture européenne.