Héraclite est un penseur, un philosophe présocratique et un pré platonicien.
Nous connaissons très peu des choses sur lui. Les témoignages qui nous sont parvenus sur sa vie, sa destinée et sa mort sont contradictoires et plus ou moins légendaires. Ce qui n’empêchera pas les philosophes de tous les temps de lui attribuer beaucoup. Tout et son contraire...
Vraie ou restituée, la pensée d’Héraclite hantera la philosophie grecque postérieure, spécialement en tant qu’expression absolue de l’universel devenir. Mais nous ne possédons que des fragments isolés de sa doctrine.
Héraclite naît à éphèse vers 544 ou 541 av. J.C., selon Diogène Laërce, et il serait mort vers 480 av. J.C., d’après Aristote. Les dates ne sont pas précises. Héraclite est aristocrate de naissance, mais il abandonne délibérément ses privilèges et le statut de descendant de Codros, roi d’Athènes, à son frère Déméter.
Héraclite n’est le disciple d’aucun philosophe, bien qu’il écoute les leçons de Xénophane dans son école d’élée. D’après Louis Gabriel Michaud, Hippias le pythagoricien aurait été maître d’Héraclite vers 504 av. J. C. Héraclite a également lu Anaximandre et connu l’école de Milet.
Sa théorie du mouvement cyclique et du monde des phénomènes viendrait d’Anaximandre.
Il semble avoir été autodidacte, mais ce n’est pas sûr. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’il nie la rhétorique et ses artifices.
Jeune, il professe que rien n’existe, et quand il atteint sa maturité, il déclare qu’il a reconnu toute chose, d’après D. Laërce.
Héraclite est un contemporain de Parménide.
Bien avant Socrate, il aurait appliqué le « Connais-toi toi-même ». Héraclite, aristocrate de naissance, restera un antidémocrate. La politique joue un rôle considérable dans sa vie. Il défend la ville d’éphèse contre les Perses. D’autre part, il n’estime pas beaucoup les Athéniens. Héraclite incarne le contraste tragique entre le politicien et le penseur. Il est méprisant et irritable. Sa haine féroce face à la bêtise humaine se traduit par une ironie caustique. C’est lui qui dit que« l’érudition n’apprend pas à être intelligent ».
Héraclite peut aussi avoir une humeur mélancolique : tandis que Démocrite rit de tout, lui pleure de tout.
Vers la fin de sa vie, Héraclite contracte une hydropisie, et il veut se soigner tout seul avec des plantes. Il se retire alors dans la montagne, où se nourrit d’herbes. Il meurt vers soixante ans. On a plusieurs versions de sa mort. Ses biographes ne se sont jamais mis d’accord à ce sujet.
Héraclite a écrit un seul livre, De la nature, qu’il dépose dans le temple d’Artémis à éphèse, pour qu’il soit protégé par la déesse. Kierkegaard nous dit que« l’obscur Héraclite dépose ses pensées dans ses écrits, et ses écrits dans le temple d’Artémis, car ses pensées avaient été son armure durant sa vie et c’est pour cela qu’il les suspendit dans un temple. » Parménide, contemporain d’Héraclite, a écrit un livre De la nature en vers, dix-huit fragments dont il ne nous reste que cent cinquante-deux vers.
De la nature
Héraclite est avec Anaximandre, l’un de plus anciens auteurs à mettre par écrit des textes en prose. Héraclite écrit en ionien, et à la première personne. Son livre De la nature se divise en trois parties : sur tout (ou sur l’Univers), sur la politique, et sur la théologie. L’ensemble de cette œuvre est écrit dans la période hellénistique. d’après Diogène Laërce, le livre est composé dans un style obscur, afin que seuls les gens avertis puissent l’aborder. Ce style semble convenir à la profondeur de sa pensée.
D’après La Sauda, il écrit plusieurs ouvrages politiques qui sont perdus.
Héraclite obscur
Le surnom d’Héraclite l’obscur lui vient de son livre - incompris et oublié par l’histoire. Livre incompris en raison de l’abondance des formules paradoxales, ce à quoi s’ajoute l’absence de toute ponctuation. Le style est haché et détaché. Aristote nous dit : « C’est tout un travail de ponctuer Héraclite, car il est difficile de voir si le mot se rattache à ce qui précède ou à ce qui suit. » Héraclite n’expose rien clairement, nous dit D. Laërce. L’obscurité d’Héraclite nous invite à la recherche. C’est que lui-même a toujours cherché la vérité, « car la vérité est cachée ». Il nous dit encore : « Je me suis cherché moi-même. »
« Lorsque nous comprenons la phrase, l’obscurité devient lumière », écrit Diogène Laërce.
Puis ce même commentateur ajoute : « Dans son livre, il est parfois lumineux, clair et explicite, à telle enseigne que le plus sot comprend facilement et trouve de quoi élever son âme. La brièveté et le poids de l’expression sont incomparables. »
Hermann Diels a retenu seulement cent vingt-neuf fragments - fragments authentiques et fragments douteux, dont trois sont en latin. La numération des fragments par Diels-Kranz date de 1956.
Le recueil le plus complet est le volume Die Fragmente der Vorsokratiker de H. Diels (1964). Dans le fragment 10, on peut lire : « L’UN naît de toute chose et toutes choses naissent de l’UN ». Et dans le fragment 17 : « La plupart des hommes ne réfléchissent pas sur ce qui se présente à eux et, même une fois instruits, ils ne comprennent pas ; ils vivent dans l’apparence. »
Autre fragment, rapporté par Sextus Empiricus : « Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels qu’ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. »
La pensée d’Héraclite – ce qu’il dit de lui-même
Héraclite dit de lui-même qu’il est un sage - un penseur, et non un philosophe. Sa pensée reste ouverte et multidimensionnelle, questionnante et énigmatique, fragmentaire et poétique. La méthode de la pensée d’Héraclite n’est ni analytique, ni synthétique, mais dialectique. « Ce n’est pas ce que pensent la plupart de ceux que l’on rencontre ; ils apprennent, mais ne savent pas, quoiqu’ils se figurent par eux. »
Diogène Laërce écrit : « Sa pensée est difficile à comprendre en raison d’une écriture poétique. » Et Héraclite :« Je pense, le premier, le logos de l’être en scrutant le sens du logos de la nature, de la divinité, de la cité, ce qu’est le monde. » ; « A l’écoute du logos, c’est l’homme tout entier qui se transforme. »
« L’âme est un logos qui s’accroît de lui-même. »
La sagesse d’Héraclite est de voir quel est le sens de la réalité. « Ce qui est sage est une chose à connaître, le critère de la raison qui gouverne tout à travers tout. » ; « S’ils cherchent la sagesse, c’est que ce ne sont pas des sages. »
« Ma sagesse connaît les voies de la nature, elle connaît aussi la cessation de la maladie. »
« Tu ne mettras pas deux fois les pieds dans le même fleuve, non pas même une fois. »
Tout coule, tout coule ! « Nulle chose ne demeure ce qu’elle est et tout passe en son contraire. »
Il pose la question suivante : « La réalité elle-même est-elle contraire ? ». Et il ajoute : « Le plus beau ciel n’est qu’une sorte de balayure de choses répandues n’importe comment. » ; « Le cumul de connaissances ne dit pas l’intelligence. » Ou encore : « Dans un cercle, le début et la fin se confondent. » ; « L’harmonie invisible est plus puissante que l’harmonie visible. » Héraclite constate ce qui est, et ne rêve pas à ce qui aurait pu être.
Marc-Aurèle verra dans ce texte une raison de ne s’attacher à rien de ce qui passe et ne fait que passer.
Pour Héraclite, le feu est l’élément de l’Univers.
Ce feu est une loi à laquelle on ne peut échapper. Ce feu est aussi le logos universel, la raison commune de tous.
Son principe est que « le monde est engendré, non suivant le temps, mais suivant la pensée ».
Fr. 30 : « L’univers, identique pour tous, n’a été créé par aucun dieu ni par aucun homme, mais fut toujours, et sera un feu éternellement vivant, s’allumant avec mesure et s’éteignant avec mesure. ». Lénine s’est fondé sur cette théorie dans sa dialectique matérialiste.
Héraclite pense que le monde s’explique par un système binaire (santé/maladie, bien/mal, justice/injustice, etc.)
Ce que les autres philosophes disent sur Héraclite
Kierkegaard se considère comme un disciple d’Héraclite, mais lui est le philosophe de la répétition existentielle, et non pas celui du devenir de l’être.
Aristote nous rappelle qu’il était un poète pessimiste. Quant à Diogène Laërce, il prétend qu’Héraclite n’est ni pessimiste ni optimiste, mais tout simplement tragique.
Nietzsche vit en lui un « astre sans atmosphère ».
Pour Heidegger, il serait rationaliste, matérialiste, dialectique, et même ontologique.
Hegel fait siennes ses pensées dans son ouvrage Logique et dans ses Leçons sur l’histoire de la philosophie, croyant voir chez Héraclite, l’être se faire devenir, alors qu’il n’y a pas un devenir de l’être chez Héraclite, mais un devenir dans l’Être.
Héraclite affirme que « l’homme est totalement maître de son destin, son destin lui est remis tout entier entre les mains ». Sur quoi Lénine le proclame le père du matérialisme dialectique.
Bergson aussi suit le penseur : « En ce temps qui fut le sien, Héraclite a dit ce qu’il avait à dire, mais ce qui reste de son dire garde un pouvoir de suggestion qui n’a rien perdu de sa force et qui enchante les hommes aujourd’hui. »
La doctrine d’Héraclite est fondée sur le texte, ces fragments héraclitéens considérés comme originaux et qui sont un témoignage doxographique des anciens.
Le monde naît du choc des contraires, est issu de forces antagonistes. « Le monde n’a, selon Héraclite, ni commencement ni fin ». L’Univers est éternellement en devenir. « Il n’y a pas de différence entre ce qui est utile et ce qui est nuisible ; le haut ne diffère pas du bas. » Le chemin vers le haut et vers le bas forme une unité. Une unité qui cache la multiplicité. Un est tout, tout est un. Un opposé crée l’autre opposé.
« Les choses ne sont jamais achevées, mais sont continuellement créées par les forces qui s’écoulent dans les phénomènes. » Voir Parménide : « Rien n’est stable, tout devient. »
Dans sa doctrine, Héraclite va suivre et conserver l’équilibre entre les quatre éléments (terre, feu, eau, air) dans le cosmos. Car ces éléments obéissent à des mesures et constituent le Cosmos. Héraclite va plus loin en disant que « même le soleil doit conserver les mesures, et rentre chez lui laissant la place à la lune ».
Héraclite est le premier qui parle de « physis ».
Les grecs traduisent le mot par nature, mais c’est plus que cela encore : tout ce qui est plante ou est déjà né.
« La physis manifeste la présence la plus vivante du monde total, elle ne se dévoile pas entièrement, la physis aime à se dissimuler. » La physis et le cosmos sont les deux noms différents du même être en devenir de la totalité.
Le logos chez Héraclite est ce qui constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde.
Le logos est ce qui lie les phénomènes entre eux, en tant que phénomène d’un Univers un, et ce qui lie le discours aux phénomènes. Mais ce logos n’est pas le logos d’une Logique. C’est le discours du penseur Héraclite, qui pense le monde.
Le logos fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique qui est le rythme du logos héraclitéen. Le logos est l’âme et l’esprit de la dialectique héraclitéenne qui fait corps avec le Monde.
Héraclite nous dit que « le logos renvoie à la fois à sa propre doctrine, ainsi qu’à - et ceci en est le sens principal - la loi fondamentale, au principe de toutes choses qu’il s’agit de connaître. » cette connaissance est la sagesse. Héraclite a une dialectique fragmentaire de la totalité, sa dialectique n’est pas conceptuelle.
D’après Héraclite, le cosmos signifie l’ordre et l’harmonie entre l’être humain et les autres. Le cosmos est ce que nous appelons l’Univers au sens le plus total. Il est constitué par l’ensemble des êtres et des choses existant dans l’espace et le temps qui le comprennent. La dimension cosmologique est une dimension de la pensée d’Héraclite.
Héraclite a une place centrale dans la philosophie grecque et dans l’ensemble de l’histoire universelle.
Héraclite, c’est le philosophe mobiliste, le théoricien du mouvement universel. On étudie encore Héraclite, car pour lui l’Univers est un éternel devenir.
Nietzsche croit que le monde aura toujours besoin d’Héraclite et de sa pensée.
Montaigne lui donne raison dans ses Essais, au chapitre L du Livre I intitulé « De Democritus et Heraclitus ».