Fernando Antonio Nogueira Pessoa était un poète-écrivain, critique portugais ainsi qu'un philosophe universel. Ses livres sont écrits en portugais, en anglais et dans une moindre mesure en français.
Tout jeune, il vécut le savoir des autres à travers leurs langues, leurs mythes et par la plongée dans l’ésotérisme et dans tout ce qui en découle : Evangiles apocryphes, hérésies des premiers âges du christianisme, Réforme et Contre-réforme, franc-maçonnerie, fraternités de la Rose-Croix.
Fernando Pessoa est né le 13 juin 1888 dans le quartier Chiado à Lisbonne. Son père, fils d’un général, travaillait comme fonctionnaire au secrétariat de la Justice et publiait des critiques musicales dans le « Diario de Noticias ». Sa mère, Maria Magdalena était la fille du directeur général du Ministère de la Reine.
Une femme avec une culture quadrilingue. Son père lui donnât le goût de l’art et sa mère la facilité d’apprendre les langues.
Pessoa perdit son père à l’âge de cinq ans, emporté le 13 juillet 1893 par la tuberculose. En 1894 c’est le tour de son frère Jorge de mourir.
Sa mère s’était remariée en 1895 avec le consul du Portugal à Durban, le commandant Joao Miguel Rosa.
Elle partit avec son fils en 1896 rejoindre son mari au Natal, colonie d’Afrique du Sud. Fernando acheva ses études secondaires en 1901 au Lycée de Durban, après avoir fréquenté un collège de religieuses irlandaises.
Pendant qu’il préparait son entrée à l’Université, il suivit des cours au Lycée de Commerce de Durban où il a connut un brillant succès. En 1903 Pessoa fut Lauréat d’anglais sur 890 candidats à l’examen à l’Université du Cap de Bonne Espérance. Un an plus tard il commença à écrire de pièces de théâtre en anglais. Il avait étudié les écrivains anglais : Ben Jonson, Shakespeare, Keats, Tennyson, Poe, Dickens. Pessoa voulait être un écrivain anglais.
En 1905 à 17 ans rentre seul à Lisbonne où il s’inscrit en philosophie au cours supérieur de lettres.
Pessoa commença à écrire des fictions policières sous la plume de pré-hétéronyme comme Horace James Fabert, ou Vicente Guèdes (ces histoires sont toutes incomplètes). Il était un créateur de fictions infatigable. A Lisbonne, il vivait auprès de deux tantes et de sa grand-mère paternelle atteinte de démence à éclipses. A la mort de sa grand-mère il quitta ce logement. C’est en 1908 qu’il entreprit une recherche intérieure « une longue marche vers soi, vers la connaissance d’un soi qui se révèle multiple ».
Cette quête intérieure répondait à une errance physique, de chambre louée en chambre louée, de quartier en quartier qui ne cessera qu’en 1921. Il écrivait pour vivre, il écrivait sur impulsion avec passion.
En 1910, devenu indépendant, il entra dans la vie active en poursuivant en autodidacte des études littéraires et philosophiques. Il exprima son goût pour la philosophie à travers la voix de Charles Robert Anon son pré-hétéronyme. Pessoa a eu plusieurs emplois : responsable de courrier commercial, comptable, traducteur indépendant entre autres.
En 1920, Pessoa s’installe dans le quartier Campo de Ourique (Lisbonne) avec sa mère invalide, devenue une seconde fois veuve.
Une correspondance amoureuse commence avec Ophélia Queiro, une collègue du bureau. C’est la seule liaison féminine qu’on lui connait. La rupture de cette liaison se fera par une lettre adressée le 29 Novembre 1920 avec pour seule explication cette phrase : « Mon destin appartient à une autre Loi, dont vous ne connaissez même pas l’existence, Ophélia, et il est de plus subordonné aux Maîtres qui ne permettent ni ne pardonnent ».
En mars 1925 il perd sa mère et songe au suicide.
Sa demi-sœur et son beau-frère viennent habiter avec lui. Pessoa explore des voies littéraires allant de l’érotisme à l’ésotérisme en passant par le lyrisme critique et le nationalisme mystique. Tout cela caché sous les masques de personnalités hétéronymes. Il a créé lui-même 15 hétéronymes « tous de sexe masculin » de très inégale valeur. Il était le poète « personne et multitude ».
Pessoa assume un nationalisme mystique qui n’a jamais été dogmatique. Son esprit ludique allié à son intelligence ont permis que sa religion reste individuelle et que sa métaphysique soit toujours récréative. Sur la religion, Pessoa nous dit : « toutes les religions sont opposées entre elles ». Elles ne sont que des symboles différents de la même réalité, une même phrase dite dans des langues différentes. Seul le peuple a besoin d’une religion pour affirmer son identité.
La religion était perçue comme une fiction. Etant jeune Pessoa écrivait «Fondons une religion sans Dieu » La colère contre le Pape et l’Eglise de Rome l’habitera toute sa vie.
Pessoa s’adonnait au spiritisme et à l’écriture automatique dans une thèse contre l’occultisme.
Il attribue la médiumnité à l’autosuggestion progressive née d’une croyance, à un état de dépression produit par divers chagrins, ainsi que par la perturbation mentale causée par l’apparition de phénomènes médiumniques par le contenu desdites communications. Il en énumère les conséquences : la folie, le crime, le suicide, la perversité sexuelle et l’incapacité de toute vie sociale par absolue désagrégation des instincts sociaux.
La métaphysique est une révision de la folie rendue normale par le raisonnement, nous dit-il.
Pessoa ne voyage qu’en lui-même. Toute sa vie et dans ses œuvres, il recherche le chemin vers soi et vers Dieu, deux étapes apparemment d’un même parcours.
Il écrit dans L’Allégation finale, « Le travail, M. le Président est le père de tous les vices ».
En 1931 il écrit une auto-psychographie dans laquelle il reproche à Freud de rabaisser l’homme au sexe, tout en prétendant dépasser la psychanalyse. Il apprécié Freud.
Pessoa vit dans une contradiction totale aussi bien dans sa vie que dans son œuvre.
Il est la grande voix de l’Ame portugaise. En Lisbonne, la cité blanche, c’est sa patrie toute entière qui se trouve condensée : « je te revoie encore une fois ville de mon enfance terriblement perdue ». On sent la douleur ouverte du poète, sa terrible solitude et son impossible consolation. Pessoa s’ingénie à rendre au Portugal la place qu’il mérite dans l’histoire de l’humanité, de hisser son pays au rang qui lui revient de droit.
Pessoa aimait beaucoup choquer et casser les préjugés, par exemple quand il affirmait que « l’inceste est naturel ».
On retrouve son goût du paradoxe dans le fait de considérer le Diable comme « l’esprit du Bien » et de voir en Dieu «le principe du Mal». Dans L'Ermite de la Montagne, Pessoa a le plaisir de « Paradoxer » (le néologisme est de lui). On trouve aussi: « Vis ta vie, ne sois pas vécu par elle ! »
Il écrit des contes jusqu’à la fin de sa vie, d’abord en anglais, puis en portugais. Les contes témoignent de l’obsession de Pessoa pour la recherche spirituelle et philosophique. Voir dans Le Pèlerin: « nous ne marchons qu’à l’intérieur de nous-mêmes », ou encore « il y une lumière liquide, débarrassée de tout souvenir de la lumière matérielle ». Pour Pessoa, l'essentiel n’est pas de trouver la vérité, mais de la chercher inlassablement (comme Plotin cherchait le simple partout). Ce qui intéresse Pessoa, c’est de fabriquer un personnage qui se manifeste de vive voix, dans un monologue qui prendra la forme d’un conte. Son hétéronyme Ricardo Reis, il le conçoit petit, le teint brun mat, élevé chez les jésuites. Il se serait établi au Brésil où il exercerait la médecine. C’est une figure intellectuelle, puriste et archaïsante. Il a un style épigrammatique, aphoristique. Ricardo compose des poèmes et des odes précis et précieux. Ricardo Reis représente l’épicurisme à la manière d’Horace.
Alberto Caeio est né en 1889 et mort en 1915, d’une crise sentimentale selon Pessoa. Caeiro le hétéronyme est le maître incontesté, maître à penser, il incarne la nature et la sagesse païenne. Les poèmes d’Alberto Caeiro sont tous de sophismes. Pessoa a placé face à face Dieu et Satan, la lune et le soleil, le mal et le bien dans cette dualité qui ressort souvent de son œuvre.
En 1913 Pessoa se passionne pour l’ésotérisme et crée Bernardo Soares. Il publie « Le Livre de l’inquiétude » où le livre de l'agitation intérieure. On y trouve l’image brouillée de l’homme Pessoa, impitoyablement asocial et incompétent pour la vie normale. Il nous dit avec le même désespoir qu’un Cioran « Nous n’aimons jamais quelqu’un. Dans le meilleur cas, nous aimons l’idée une nous faisons de quelqu’un, c’est nous même que nous aimons ». Dans « Le Livre de l'inquiétude » Soares nous dit : « La philosophie se repend et la religion se propage, ceux qui croient à la philosophie s’en revêtent comme d’un vêtement qu’ils ne voient pas, et ceux qui croient à la religion la portent comme une masque qu’ils oublient ». Pessoa, lui porte le vêtement et le masque, mais son costume est faux et ne permet pas que le masque lui colle au visage.
Bernardo Soares écrit des contes et des poèmes qui sont d’après Pessoa les déchets de sa prose.
Dans le conte « Maris » la femme tue son époux « pour être en paix avec sa conscience et avec l’église ». C’est une idée d’avant-garde pour les mouvements de libération des femmes.
Pessoa confronte ses hétéronymes dans « Notes au mémoire de mon maître Caeiro » par Alvaro de Campos, où Alberto Caeiro jugé par Ricardo Reis.
Alvaro de Campos vient d’Algarve. Il connaît le latin, l’anglais et il est ingénieur mécanicien dans la Marine. C’est un juif portugais qui a fait des études technique à Glasgow. Il écrit en prose et en vers, il est le plus prolixe des hétéronymes. Campos représente le modernisme et la désillusion. Tout à l’opposé de la chasteté du regard du Caeiro, il affirme : « Ah, regardez, une perversion sexuelle est en moi ». Son personnage s’organise, se tutoie, s'interpelle : « pauvre Alvaro de Campos ! Il est dans chaque coin de mon âme un autel à un Dieu différent. » Son style est plus sec, lorsqu’il célèbre «le sujet et l’objet » l’actif et le passif, un thème qui se manifeste souvent dans la vie de Pessoa.
L’Ode maritime est une composition d’une rare puissance (100vers) où déferle la tornade d’une rhétorique exacerbée. Il faudrait un précis de décomposition pour commenter la pulsion de possession passive de passage dans la tempête qui aspire aux outrages des matelots. Campos est difficile à lire et ardu à comprendre. L’Ode maritime offre maints exemples contradictoires : « être sincère en se contredisant à chaque minute ».
Dans le conte « Bureau de tabac » il annonce avec des années d’avance l’avènement d’un existentialisme diffus et le rôle moteur de l’absurde en ce XXème siècle de dérèglement. Il nous dit « je ne suis rien, je porte en moi tous les rêves du monde ». J’ai tout raté, comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-t-il rien… », C’est l’image que Pessoa se fait de lui-même.
En 1922 Pessoa publie « Mer portugaise » qui devient un poème connu de la plupart des enfants à l’école.
Message, publié en 1934, est le livre qui rassemble des poèmes, mais aussi un recueil des mythes religieux dont son imagination s’est nourrie. Le but de ce recueil est d’arracher les portugais à leur décadence et à leur stagnation sociale et culturelle pour réaliser le « Cinquième Empire ». Son œuvre est prolifique et protéiforme et connaît un succès mondial. Pessoa a écrit en anglais 35 Sonnets néo-platoniciens. Cinq dossiers regroupent les poèmes en français, sa prose française et les traductions de ses poèmes anglais.
On trouve dans ses œuvres une influence de la pensée grecque de Platon et de néo-platoniciens (Plotin) , Edgar Poe apparait dans « Horreur et mystère », Apollinaire dans « Profondeurs de la conscience ». De même Dickens et même Mallarmé ont exercés une influence sur lui.
L’organisation de tous les livres édités par Pessoa est discutable, car il ne se préoccupe de la structure d’aucun d’entre eux sauf de « Message » et des volumes de vers en anglais. A sa mort on découvre dans une malle 27543 textes plus au moins achevés.
La solitude, son incompréhension du monde, la porte progressivement à boire. Incompétent pour la vie (il l'admet lui-même) seule l’eau-de-vie lui parait capable d’apaiser les sentiments qui le déchirent. Victime d’une crise de coliques hépatiques dans la nuit de 27 novembre 1935, il est admis à l’hôpital Saint-Louis des Français. C’est là que décède ce grand poète du siècle passé le 30 novembre 1935. Avant sa mort Pessoa déclare être chrétien gnostique, et il prétend communiquer directement avec Dieu, être « templier portugais » bien que l’ordre soit censément aboli.
L’année de sa mort Pessoa écrivit un poème « Dans la tombe de Christian Rosencreutz » où il nous conduit jusqu’à la tombe du mystique « Notre père Rose-Croix ».
Pierre Hurcade fut le premier des français à présenter Pessoa chez nous et à traduire quelques poèmes de sa plume dans les Cahiers du Sud, dès janvier 1933.
Les œuvres traduites en français sur lesquels j’ai travaillé sont: Le livre de l’inquiétude, Lisbonne, Le Marin, Bureau de tabac, Ode maritimes, Le gardeur de troupeaux et autres poèmes d’Alberto Caeiro, L’Ode triomphale et douze poèmes, Le banquier anarchiste, Le Pèlerin, Poésies et prose d’Alvaro de Compos, Sur Pessoa par Rita Lopes, Contes, Fables et autres fictions, etc.