Le matérialisme est un système qui soutient que toute chose est composée de matière et que, fondamentalement, tout phénomène est le résultat d’interactions matérielles. La philosophie matérialiste a commencé dans :
l’Inde ancienne ;
l’antiquité grecque (Leucippe, Démocrite, Héraclite et épicure) ;
l’antiquité latine (Lucrèce).
Au Moyen Âge, le christianisme envahit la vie intellectuelle. La philosophie est alors indissociable de la religion.
À la Renaissance, se développent des thèses naturalistes. Le matérialisme de Giordano Bruno ne représente qu’un matérialisme partial. Au XVIIe siècle, ce courant disparaît.
Au XVIIIe, le siècle des lumières, apparaît le matérialisme mécaniste. (Le mécanisme est une conception matérialiste qui perçoit la plupart des phénomènes suivant le modèle de liens de cause à effet).
Le mécanisme des processus vitaux a été théorisé par le médecin libertin de La Mettrie, qui propose le mécanisme radical.
Ce mécanisme influença les philosophes positivistes et matérialistes : d’Holbach, Diderot, Helvétius, J. Meslier, Cabanis.
Au XIXe siècle, Charles Darwin et Claude Bernard représentent ce courant de pensée.
Au XIXe siècle le déchiffrement de l’objet matérialiste se modifie et se diversifie :
Le matérialisme historique renvoie à la conception matérialiste de l’histoire et de faits sociaux.
Le matérialisme dialectique est défini par Engels comme la science des lois générales du mouvement, tant du monde extérieur que de la pensée humaine.
Engels précise que « le matérialisme est une pensée libérée de toute entité transcendante. Ce qui fait l’unité des différents matérialismes, de l’Antiquité à nos jours, réside dans cette conception strictement immanente de l’origine. »
Marx introduit la conception prolétarienne du monde dans son œuvre Le Capital.
Le matérialisme du féminisme traduit la tendance lesbienne radicale.
De nos jours Michel Onfray nous dit : « Je suis d’un matérialiste radical. Mon terrain d’action, c’est la réalité. Il me semble que la théorie et la pratique n’ont de sens que l’un par l’autre et l’un pour l’autre. »
Julien Offray de La Mettrie naît le 25 décembre 1709 à Saint Malo dans une famille commerçante assez aisée. Il décède à Postdam en Allemagne le 11 novembre 1751, d’une intoxication alimentaire. Destiné à être ecclésiastique, il fait sa scolarité chez les jésuites. Mais il change d’avis et va partir à Paris faire des études à la Faculté de médecine. Il est reçu docteur en médecine à Reims le 29 mai 1733.
La Mettrie suit la conception mécaniste de l’Univers, et son « homme machine » est calqué sur « l’animal-machine » de René Descartes.
Descartes ne prétend jamais que l’homme est en réalité une machine, mais chez lui il y a une analogie entre le corps et la machine. La Mettrie s’intéresse à la nature et à la médecine de son temps. De 1733 à 1734, à Leyde, il va suivre l’enseignement de Boerhaave, professeur de chimie et de médecine célèbre dans l’Europe entière. La Mettrie rentre en France et de 1735 à 1742 exerce comme médecin à Saint-Malo.
Cette période est marquée par une importante activité éditoriale, dont plusieurs livres de médecine.
En 1742, avec l’appui du duc de Grammont, il revient à Paris, où il est nommé médecin aux Gardes Françaises. à Paris, La Mettrie fréquente le milieu libertin et les maisons closes. La publication de son livre L’histoire naturelle de l’Âme, en 1745, provoque de violentes réactions qui contraignent La Mettrie à démissionner. Grâce à ses amis, il est nommé inspecteur des Hôpitaux des Armées en campagne. Mais un pamphlet qui circule attaque La Mettrie. La guerre des pamphlets se développe entre 1724 et 1750. La Mettrie est obligé de fuir en Hollande, à Leyde.
La publication, en 1747, de son livre L’homme machine provoque des réactions hostiles parmi les intellectuels de l’époque. La Mettrie va fuir encore une fois.
Il trouve refuge à Berlin auprès de Frederic II roi de Prusse. De cette période date son ouvrage, le plus important L’Anti-Sénèque ou Discours sur le bonheur (1748).
Le roi Fréderic accepte le séjour de La Mettrie, mais s’oppose à la publication des Œuvres philosophiques en 1751. L’écrivain devient audacieux, il se pose en rival de Frederic en disant : « Si un prince aveuglé par les préjugés, un tyran, peuvent freiner le progrès du savoir, ils ne sauraient l’arrêter en condamnant les écrits ou les auteurs. »
La Mettrie souhaite rentrer en France par l’intermédiaire de Voltaire, mais il meurt à Potsdam le 11 novembre 1751.
Œuvre de La Mettrie
L’œuvre de La Mettrie se compose de trois parties : les traductions, les livres sur la médecine et les ceux qui traitent de philosophie.
Traductions :
Système de H. Boerhaave sur les maladies vénériennes (1735) ;
Traité de la manière médicale (1739) ;
Les institutions de médecine (deux volumes, 1740 et 1743) ;
et encore huit autres volumes avec ses commentaires.
Ouvrages sur la médecine :
Traité du vertige (1737) ;
Nouveau traité des maladies vénériennes (1739) ;
Traité de la petite vérole (1740) ;
Observations de médecine pratique (1742) ;
et Traité de l’asthme (1750).
Sa carrière d’écrivain marquée par le goût immodéré de la polémique et la provocation trahit une certaine vanité, et la volonté de parler de soi.
La Mettrie nous dit : « écrire en philosophie, c’est enseigner le matérialisme. » (Discours préliminaire).
C’est la médecine qui a conduit La Mettrie à la philosophie, à travers la reconnaissance du rôle déterminant de la machine corporelle pour l’ensemble du comportement humain, qu’il s’agisse du rapport de l’individu à la nature ou des relations sociales.
Livres sur la philosophie :
L’art de jouir (1740) ;
Saint Cosme vengé (1744) ;
L’histoire naturelle de l’âme (1745), où il défend la thèse matérialiste. C’est un véritable traité de l’âme, qui constitue une illustration formelle de l’écrit lamettrien. L’auteur se propose de rendre compte tout à la fois de l’unité et de la diversité de l’ensemble de l’existant. « Nous avons vu que la matière est mobile, qu’elle a la puissance de se mouvoir par elle-même, est susceptible de sensations et de sentiments. Mais il n’y paraît pas, du moins si l’on s’en rapporte à l’expérience. »
L’Homme machine (fin 1747) ;
L’anti-Sénèque ou Discours sur le bonheur, livre qui met en œuvre une conception radicalement matérialiste de l’existence. La Mettrie déclare : « Philosophes, secondez-moi…osez dire la vérité et que l’enfance ne soit pas l’âge éternel de l’homme ! »
L’homme plante (1748), où l’écrivain se plaît à comparer les analyses fonctionnelles et structurelles de l’homme et de la plante.
Machiavel en médecine (1748) ;
L’homme plus que machine (1748) ;
Œuvres philosophiques (1751).
Ses ouvrages paraissent souvent mal construits, et les arguments semblent désordonnés. La vigueur du discours s’en ressent et laisse à désirer.
Dans Système d’Épicure, il nous dit que « l’homme n’apporte point sa raison en naissant ; il est plus bête qu’aucun animal ; mais plus heureusement organisé pour avoir de la mémoire, et si son instinct vient plus tard, ce n’est que pour se changer assez vite en petite raison, qui comme un corps bien nourri se fortifie peu à peu par la culture. »
La Mettrie, dans tous les ouvrages, souligne fortement le rôle déterminant de l’organisation physique.
Dans l’essai La volupté, on trouve cette affirmation : « Plus on a parfaitement servi l’amour, plus on goûte le prix de ses services; tel est le bonheur de l’âme en ces moments délicieux, qu’elle ne désire rien, si ce n’est que de les faire durer longtemps. »
La Mettrie développe sur son œuvre deux thèmes opposés, l’un réservant la philosophie à une élite étroite, l’autre souhaitant sa diffusion la plus large possible. « Le peuple sera toujours d’autant plus aisé à conduire, que l’esprit humain acquerra plus de force et de lumières. »
Dans Discours préliminaire, il se propose d’éclairer l’ensemble de son œuvre.
L’homme machine est le livre qui produit un séisme immédiat dans la République de lettres. L’homme machine représente un moment de la pensée de La Mettrie. Le livre propose une conclusion hardie : « L’homme est une machine ». Dans ce livre l’auteur suit les idées que son professeur Boerhaave a exposées dans son discours en 1708.
La Mettrie, en déchiffrant l’homme comme machine, montre une double intuition : l’une qui touche à la science, l’autre à l’inconscient. Le livre se trouve à la croisée de deux chemins:
celui qu’il prolonge et accomplit – celui du paradigme mécaniste qu’il vulgarise, en quelque sorte
et celui qui ouvre l’univers de rationalité où « le fait humain » se trouve déchiffré systématiquement selon la logique de l’appareil et du système du vivant, du nerveux et du cognitif.
En s’appuyant sur une forme néo-épicurienne, La Mettrie récuse les formes de cognitivisme. « C’est envisagé comme sujet au plaisir que l’homme est structuré comme une machine. »
Dans L’homme machine, il y a une union entre un fantasme et un savoir : fantasme, puisque cette identification à une machine tient de l’inconscient et y résonne par des valeurs de séduction ; et savoir, puisque La Mettrie entend la fonder par un véritable discours scientifique.
L’homme machine apparaît comme l’expression stéréotypée d’un mécanicisme intégral s’appliquant à l’homme. C’est un fantasme qui signifie que La Mettrie s’identifie à l’homme machine. Il se rebaptise « Monsieur Machine ».
L’homme-machine est structuré de fragments d’organes mécaniques qui nous rappellent Frankenstein, le roman de Mary Shelley/ Mais nous ne sommes pas encore au XIXe siècle…
Ses relations avec les autres philosophes
La Mettrie aimait provoquer les gens. Parmi ces provocations, le plus bel exemple constitue la dédicace de son livre L’homme machine au professeur Haller Boerhaave, savant suisse bien-pensant. Le professeur refuse et proteste dans le Journal des savants en mai 1749 en demandant réparation pour l’affront le plus cruel de tous.
Le Marquis d’Argens, suite à plusieurs agressions verbales de La Mettrie, va répondre dans une revue : « La Mettrie, c’est un enfant perdu de la philosophie du XVIIIe siècle, avec une conduite de dévergondage d’esprit, et une philosophie du plus grossier matérialisme. » C’est le vice qui s’explique par la voix de la démence.
Diderot affirme qu’il est « un écrivain qui n’a pas les premières idées des vrais fondements de la morale. » On exclut du champ de la philosophie « un homme corrompu dans ses mœurs et ses opinions ».
Quant à d’Holbach, il estime que « l’auteur de L’homme machine a raisonné sur les mœurs comme un vrai frénétique. »
Diderot et d’Holbach reprochent à La Mettrie la destruction des fondements métaphysiques de la morale.
Voltaire le considère bouffon et flatteur.
D’après Viktor Tausk, il a une langue du délire, un délire psychotique qui devient le délire machinal dans son livre.
La Mettrie semble souvent se situer dans une perspective proche de celle d’Épicure et de Lucrèce. Le philosophe ne se propose pas de découvrir une vérité inaccessible, mais d’invalider un discours qui s’oppose au bonheur des hommes. C’est un rejet du point de vue téléologique étroitement redevable au poème de Lucrèce De rerum natura et à la critique radicale du finalisme, au siècle précédent, par le médecin Guillaume Lamy. « Demander si la matière peut penser, sans la considérer autrement qu’en elle-même, c’est demander si la matière peut marquer les heures. » « On voit d’avance que nous éviterons cet écueil, où M. Locke a eu le malheur d’échouer. », nous dit La Mettrie. En effet, sans que la matière en elle-même ne marque les heures, la pensée est bien une propriété de la matière, mais de la matière organisée dans ses formes les plus complexes.
En 1736, Astruc précise que sur la notion de réflexe musculaire, Willis a déjà parlé dans son œuvre en 1670. On peut relever un transfert des thèmes déterminants de la philosophie de La Mettrie à celle de Sade, avec la même conception d’une machine déterminée, alpha et oméga de toute réalité, dans laquelle le plaisir a sa place. Il affirme donc corrélativement le poids de « l’organisation de l’homme sur son être et son agir ».
Michel Foucault dit que l’auteur fait de l’individu la cible de pouvoir et aussi une cible de plaisir.
Les démarches de René Descartes et La Mettrie s’opposent. Descartes au-delà de ses interrogations sur l’être vivant, s’inquiète, au sens étymologique, du terme de la vie. Tandis que l’empiriste et le matérialiste La Mettrie cherche à connaître ce dont on peut faire l’expérience, à savoir le vivant. par sa conception mécaniste de l’univers en général, et du corps en particulier, Descartes se donne les moyens de penser scientifiquement le corps, et par conséquent de le réparer comme on répare une machine en cas de besoin. Tous les développements de La Mettrie au sujet de la connaissance se situent dans une perspective sensualiste : « examiner n’est autre chose que sentir plus exactement et plus distinctement. »
Au XVIIIe siècle, il n’y a pas de doctrine matérialiste, seulement une idiosyncrasie matérialiste, nous dit Paul-Laurent Assouan. La Mettrie est le fils matérialiste de Boerhaave, comme Haller en est le fils spiritualiste. Dans leur entre-deux conflictuel, se joue le sens idéologique de l’apport scientifique que recèlent la médecine et la physiologie boerhaaviennes.
La Mettrie considère l’empirisme d’Helvétius comme la seule méthode valable. Sa méthode de pensée lui sert de fondement et s’alimente dans le courant empiriste anglais, de Bacon à Locke. L’éthique hédoniste, conformément à l’esprit du siècle - mais plus précisément chez La Mettrie la thèse de l’homme machine, issue de la philosophie de la nature - a un gain éthique majeur, celui de fonder la jouissance, tout en rencontrant la jouissance justement comme l’insondable. Chez La Mettrie, il y a un monisme que l’auteur justifie par le fait général : « Les divers états de l’âme sont toujours corrélatifs à ceux du corps. »
La Mettrie situe l’homme dans la série animale. L’homme semble être au-dessus des animaux, d’où l’idée que le langage est la marque et l’instrument de la suprématie humaine. « Les idées viennent par les sens, les sensations sont l’unique source de nos connaissances. » Si la mémoire ressuscite des idées anciennes et les appréhende en tant que telles, l’imagination utilise celle-là en les tronquant, en les fusionnant, en les combinant. L’écart introduit par rapport aux perceptions n’est pas ici temporel, mais pour une part substantiel ; l’imagination offre « des objets différents des exactes sensations reçues autrefois par le sens ».
Le matérialisme radical de La Mettrie.
Radical, le matérialisme de La Mettrie est loin d’être dogmatique.
La Mettrie est l’un de premiers à opposer le matérialisme au spiritualisme.
Le matérialisme de La Mettrie passe par trois niveaux : la méthode, la théorie de la connaissance, et la pratique. L’analyse matérialiste induit une conception neuve de la vie, de ses normes. La connaissance de la nature de La Mettrie s’avère fondamentalement pratique, tendant à « contribuer au bonheur des hommes ».
Le mécanisme lamettrien, si radicalement mécanisé soit-il, peut réintroduire une intuition naturaliste qui rehausse les couleurs de la Nature, s’il est vrai que, mécanisée, elle n’en reste pas moins perçue comme unité vivante. La Mettrie défend l’une de forme les plus radicales du matérialisme. Il multiplie les idées afin d’ébranler la pensée traditionnelle, de susciter la doute et la réflexion chez son lecteur, mais sans guère se préoccuper de la mise en ordre de son propos, nous dit Paul-Laurent Assouan.
Au sein même de la famille matérialiste du XVIIIe siècle face à la branche sociale ou politique, La Mettrie incarne la branche naturaliste ou individualiste.
La Mettrie est médecin-philosophe, et il considère l’homme comme l’être UN.
Il estime que la vie consiste dans le mouvement perpétuel des solides et des fluides. De leur équilibre dépend la santé. (Voir Héraclite).
La métaphysique ne fait que masquer notre ignorance de l’essence des choses sous un vernis de mots dépourvus de contenus. Il revient au philosophe de délaisser les vaines doctrines pour s’appuyer sur les savoir véritables acquis grâce à l’expérience par la physique et la médecine.
La philosophie contribue directement au bien de la société en perfectionnant l’art de gouverner. « les principes qui ont été à l’école de la sagesse […] sont effectivement meilleurs que ceux qui n’ont point été imbus de préceptes de la philosophie. »
« L’expérience et l’observation doivent donc seules nous guider. L’homme constitue l’objet essentiel de la philosophie, et pour saisir l’ensemble de son existence, il convient de s’appuyer sur les connaissances scientifiques, et non sur la foi. »
« Qu’il y ait un Dieu ou qu’il n’y en ait pas, notre vie n’en éprouve aucun changement. »
« Se défier des connaissances qu’on peut puiser dans les corps animés, c’est regarder la Nature et la révélation comme deux contraires qui se détruisent ; et par conséquent, c’est oser soutenir cette absurdité : que Dieu se contredit dans ses divers ouvrages, et nous trompe. »
La sagesse, selon La Mettrie, associe la quête du plaisir à la force d’âme face à la douleur et à l’adversité. Aussi se propose-t-il d’être « épicurien voluptueux » durant sa vie et « stoïcien ferme » quand viendra la mort.
« Le plaisir est de l’essence de l’homme et de l’ordre de l’Univers. »
« Il n’existe pas de bonheur en soi, mais différentes formes de bonheur. »
« Ma conclusion est tirée, à la suite d’une multitude d’observations physique qu’aucun savant ne contestera. »
« En faisant penser mon lecteur, en aiguisant sa pénétration, j’étendrai toutefois les bornes de son génie. Voilà mon système ou plutôt ma vérité. »
La Mettrie est un philosophe nourri d’une vaste culture. Il est fortement redevable à Lucrèce quant à son appréhension globale de la nature ; il l’est encore plus en ce qui concerne sa vision de l’existence humaine.
La Mettrie a sacrifié sa tranquillité et sa sécurité à ce qu’il estimait être la vérité. Durant son existence, il mène un combat permanent contre la tradition et le corporatisme médicaux, le pouvoir religieux, et la philosophie spiritualiste.
Démontrer que les preuves de l’existence de Dieu ou de l’immortalité de l’âme « ne sont que spécieuses et éblouissantes », tel est le propos de La Mettrie.