Changements environnementaux globaux & Droits de l’Homme
Partie I Enjeux d’une approche « droits de l’hommiste » des questions environnementales
Titre 1 Pour une approche environnementale des droits de l’homme ?
Chapitre 1 Justice environnementale et droits de l’Homme
Le concept de justice environnementale est né, dans les années 70, du mouvement pour les droits civiques, mouvement social américain. Il a mis en exergue les corrélations entre les vulnérabilités sociales (pauvreté, races) et les inégalités environnementales. L’idéologie des droits de l’Homme et sa panoplie de droits relatifs à la lutte contre les discriminations, à la dignité, à l’accès au juge, à la santé se sont peu à peu mêlées aux problématiques environnementales. Ainsi, par exemple, le droit à l’information et le droit à la participation des communautés aux décisions relatives à l’administration de leur environnement ont été progressivement consacrés. La justice environnementale renvoie à une idéologie renouvelée des droits humains basée sur une nécessaire redéfinition des droits de l’Homme mixant les diverses générations des droits (civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, de solidarités, etc.) et donnant naissance à un droit à l’environnement.
Le développement de la justice environnementale effective est par ailleurs actuellement nourri par des réflexions juridiques en faveur de la création d’un organe juridictionnel supranational, capable de sanctionner les graves atteintes à l’environnement au nom du principe de solidarité intergénérationnelle. Les défis sont ceux d’inventer une justice internationale capable de sanctionner les pollueurs parfois difficiles à identifier lors de dégradations environnementales complexes et transfrontalières, de réparer les dommages en garantissant un environnement sain aux générations futures. Parmi les propositions doctrinales, on note la création d’une agence mondiale de l’environnement, d’un tribunal international de l’environnement ou d’une cours internationale criminelle et environnementale.
Les négociations internationales du climat relancent ces réflexions sur une justice climatique pour « juger » les pays, les entreprises ou les personnes jouant un rôle dans l’aggravation des changements climatiques. Les défis que posent ces changements globaux et leur gestion interrogent donc l’architecture des droits fondamentaux.
Chapitre 2 Les différences d’échelles et de responsabilités
Les droits de l’Homme sont en théorie inaliénables, mais force est de constater que les pressions sur les écosystèmes et les dégradations environnementales les malmènent. La question de l’angle d’attaque de la matière n’est pas secondaire et ici l’abstraction « pratique régionale » trouve tout son sens. Il conviendra de s’interroger sur la distance qu’il peut y avoir entre les définitions et les pratiques dites « régionales » et celles provenant des textes internationaux à portée universelle. Faut-il y voir une opposition ou une complémentarité ? Ce questionnement n’a pas perdu de son acuité depuis l’époque où Pierre-Marie Dupuy proclamait « les droits de l’Homme seront internationaux ou ne seront pas ». Par ailleurs une approche Nord/Sud semble d’étude intéressante. Peut-on voir une différence de vue et d’appréciation des droits de l’Homme selon que l’on analyse un pays développé ou un pays dit en développement ? Alors que les questions du droit à la vie, à l’eau, à l’accès aux ressources en général ou au droit de propriété se posent de manière globale, serait-il légitime d’imaginer par exemple un droit à un minimum d’émission de gaz à effet de serre pour garantir la liberté de déplacement dans un pays développé ?
Sur le plan de la responsabilité la tâche n’est pas plus aisée. Ce chapitre appellera entre autres des réflexions sur l’impossible responsabilité des Etats pour des dommages causés dans d’autres Etats à partir d’arguments relatifs aux droits de l’Homme ; ou sur la protection de l’individu contre les excès de l’Etat ou celle de la protection des droits de l’Homme contre les excès ou atteintes de la part des acteurs non étatiques tels que les entreprises.
Titre 2 Portée et pertinence de nouveaux droits
Chapitre 1 Dévalorisation et concurrence de droits ?
Les débats sur les rapports entre protection des droits de l’Homme et protection de l’environnement sont anciens. Des thèses en cours dans les années 70 tendaient à démontrer que la protection de l’environnement pourrait dévaloriser les autres droits de l’Homme. Aujourd’hui encore, l’examen des liens droit de l’Homme/environnement dans une approche intégrée, ne va pas nécessairement de soi. Ainsi par exemple le droit à un air sain doit être envisagé à côté du droit de se déplacer ; celle de se nourrir doit-elle être étudiée en parallèle de celle d’exploiter les ressources. C’est ainsi toute la question de la conciliation des droits qui se pose et au bout du compte celle d’une hiérarchie éventuelle. Le cas des changements climatiques méritera un traitement particulier tant sur le plan de la crédibilité d’une approche droits de l’Homme en la matière, que sur le plan de la protection des individus dont les droits subissent des conséquences dues à ces changements.
Chapitre 2 Enrichissement mutuel et renforcement des droits
Les dégradations de l’environnement portent atteintes aux droits humains en entraînant des effets directs ou indirects sur les conditions de vie, la santé, le travail, la propriété et la liberté d’entreprendre des individus. C’est la jouissance même de certains droits élémentaires qui sont menacés. La consécration progressive de nouveaux droits de l’Homme à l’environnement doit être retracée et théorisée au regard des autres droits fondamentaux. Leur hiérarchisation, leur interdépendance, leur interaction, leur renforcement réciproque est à démontrer notamment sous l’angle de la théorie de l’indivisibilité des droits de l’Homme. Les réflexions autours des droits fondamentaux de l’environnement tels que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ou le droit à un environnement sain, le droit à l’information et à la participation, le principe de prévention et de précaution ou les nouveaux droits tels que le droit à l’alimentation, droit à l’eau, le droit au logement mais aussi les devoirs relatifs aux enjeux environnementaux doivent être menées afin d’exposer en quoi ils peuvent renforcer et enrichir à différents niveaux locaux, nationaux et internationaux les politiques environnementales et notamment celles relatives à la lutte contre les changements climatiques ou à la préservation de la biodiversité.
Partie II Émergence des droits de l’Homme de l’environnement
Titre 1 Contenu des droits de l’Homme de l’environnement dans les différents systèmes de droit
Chapitre 1 Consécrations textuelles
Depuis une vingtaine d’années, un ensemble de constructions textuelles a été dégagé en droit international, en droit régional (cf. la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples[1]) et dans le droit national sur la protection de l’environnement et son interaction avec les droits humains. Il convient de dresser un état des lieux de ces instruments contraignants, de solf law ou de ces textes encore en construction qui participent à la constitution de droits de l’Homme de l’environnement, et ce, afin de comprendre les logiques sous-jacentes de ces textes et les perspectives d’avenir qu’ils dessinent aujourd’hui. Ainsi, par exemple, la constitutionnalisation du droit de l’environnement dans bons nombres de Constitutions d’États Nation participe de cette émergence de droits fondamentaux de l’environnement en les consacrant au plus haut rang de nos systèmes juridiques, et ce, avec des approches différentes selon la culture et l’histoire juridique du pays. De même, l’intégration des principes généraux de l’environnement dans les législations nationales, régionales et internationales tels que le droit à l’information et à la participation, le principe de prévention et de précaution, a structuré ces nouveaux droits de l’Homme de l’environnement.
Chapitre 2 Reconnaissances jurisprudentielles
La place et le rôle du juge traduisent d’une certaine façon la valeur d’un système de droit. La place du juge illustre le degré de protection et de garantie réelle des droits de l’Homme. L’ordre judiciaire peut jouer un rôle rédempteur en sanctionnant le non respect par les pollueurs des règles en vigueur, il peut également influencer le droit de l’environnement et faire avancer les droits de l’Homme qui y sont liés tant sur le plan des principes que sur celui de la procédure. Certains systèmes dont l’Européen, montrent que les mécanismes de protection se sont considérablement étoffés puisque l’on est passé d’une simple sauvegarde à leur approfondissement, la CEDH participe ainsi à la construction du droit de l’environnement et parvient à mettre en perspectives les interactions entre droit de l’Homme et environnement. Progressivement il s’établit que le droit de l’environnement garantit certains droits de l’homme ou que le droit de l’environnement peut restreindre certains droits de l’Homme lorsque ces restrictions sont nécessaires à la protection de l’environnement. Ainsi au contact des intérêts environnementaux la culture des droits de l’Homme s’enrichit. L’étude de plusieurs systèmes de droit dans une approche comparative peut se révéler extrêmement intéressante notamment au regard des interprétations croisées de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, de la Cour intra-américaine des droits de l’Homme, du Comité des droits de l’Homme et de la récente Cour africaine des droit de l'Homme.
Titre 2 Les acteurs « artisans » de l’émergence
Chapitre 1 Les États et les organisations internationales
Par leur production de textes, de résolutions[2], de rapports et leurs différentes actions, les États et les institutions internationales ou européennes ainsi que les agences onusiennes orientent de plus en plus leurs réflexions sur les interconnexions entre les dégradations de l’environnement et les impacts sur les droits de l’Homme notamment à travers l’exemple des changements climatiques. Ainsi, par exemple, le rapport du Conseil des droits de l’Homme rendu en janvier 2009 sur les droits de l’Homme face aux changements climatiques est particulièrement éclairant. De même, les réflexions[3] de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et sa proposition d’adoption d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit à un environnement sain illustrent le travail volontariste en faveur du développement de droits fondamentaux de l’environnement.
Parmi les artisans de la construction des liens entre les questions d’environnement et leur intégration dans les droits de l’Homme, on y retrouve également la doctrine qui systématise, réétudie, notamment grâce à des réflexions originales de juristes américains, particulièrement innovantes la « mise en connexion » entre la gouvernance mondiale sur les changements climatiques et le respect des droits de l’Homme.
Chapitre 2 Les personnes privées : entreprises et société civile
Il y a toute une série de réflexions à mener sur la place des personnes privées et en particuliers ce que l’on appelle la Société civile et les entreprises, dans cette architecture des rapports entre environnement et droits de l’Homme. Si les ONG tiennent une place grandissante dans les négociations internationales, leur degré croissant d’expertise en fait des acteurs de poids dans l’étude de ces questions. Il est particulièrement intéressant de s’interroger sur l’apport doctrinal des ONG dans la formalisation d’un droit de l’Homme à l’environnement. Véhiculant une certaine idée de l’intérêt général, peut-être contribuent-elles de plus à l’émergence d’une communauté internationale. L’exemple de la Conférence des peuples sur les changements climatiques et les droits de la Mère-terre à Cochabamba en avril 2010 et l’adoption de la Charte des peuples en est une illustration. Les entreprises de leur côté et en particulier les plus grandes d’entre elles, fortes de leur rôle économique, s’autosaisissent elles aussi des grandes questions d’intérêt général. Dans leurs codes de conduites, chartes éthiques ou chartes internes elles deviennent des acteurs à part entière des questions environnementales et relatives aux droits de l’homme, dans ce que l’on appelle la Responsabilité sociale de l’entreprise, encouragées par l’ONU à travers le Global Compact.
Partie III Des droits pour l’Homme dans son environnement
Titre 1 Les droits à réinventer pour protéger l’Homme dans son environnement dégradé
Chapitre 1 Les droits de l’Homme « vitaux » dans son environnent
Le lien entre protection de l’environnement et droits élémentaires de la personne humaine peut être mis en exergue. On utilise le terme « vital » pour désigner les droits les plus fondamentaux des personnes, ceux qui sont attachés à la vie de la personne humaine, à son intégrité physique, à sa santé et au bout du compte à la survie de l’espèce humaine dans son ensemble. Plusieurs études peuvent être menées sur la problématique de l’alimentation et des changements climatiques ; sur le droit à la vie et la protection de l’environnement ; le droit au logement, à la santé, à la subsistance ; sur la notion de droits inhérents à la personne humaine ou sur ceux « créance l’Etat » auxquels on peut ajouter également la question des droits procéduraux.
Chapitre 2 L’exemple d’un droit fondamental en émergence : le droit à l’eau ?
Le droit à l’eau ou le droit à l’accès à l’eau est sans doute l’illustration la plus emblématique de la nécessaire préservation et du partage des ressources naturelles renouvelables pour garantir les droits humains les plus élémentaires comme celui du droit à la vie, du droit à la dignité et du droit à la santé. En 2001, le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan affirmait que « l’accès à l’eau salubre est un besoin fondamental et un droit fondamental »[4] et près de dix après l'Assemblée générale de l'ONU a adopté en juillet 2010 une résolution 64/292[5] déclarant que le droit à une eau potable, salubre et propre est un « droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme ». Peu après le 30 septembre 2010, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu par une résolution[6] l’existence du droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain. Ce droit à l'eau découle notamment d’une interprétation ambitieuse des droits énoncés dans plusieurs traités relatifs aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Convention relative aux droits de l'enfant. Cette consécration, plus politique que juridique, est le fruit d’un long travail sur la gouvernance mondiale de l’eau. En effet, les réflexions doctrinales, politiques et techniques sur la construction d’obligations en matière de droits de l’Homme concernant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement se sont multipliées ces dernières années. La consécration d’un droit autonome se fait de plus en plus entendre[7]. Par exemple, dans le rapport du Conseil d’État sur « L’eau et son droit » rendu 2010, ce dernier estime « qu’il est cohérent pour la France de promouvoir parallèlement le droit à l’eau au plan international dans la perspective du Forum mondial de Marseille en 2012 »[8].
Titre 2 Les droits des groupes vulnérables dans un environnement menacé
Chapitre 1 Les droits des populations et des communautés vulnérables face à leur environnement menacé
La garantie effective des droits et les enjeux du développement durable soulèvent la question des droits et des participations politiques actives des personnes et des groupes concernés et en particulier celle cruciale, du droit à l’information. En outre, l’approche droits de l’Homme peut jouer un rôle dans l’identification des bénéficiaires de transferts de ressources émanant de programmes d’aide, notamment pour lutter contre les effets négatifs des changements climatiques ; elle peut également jouer un rôle dans l’identification des priorités concernant les mesures d’adaptation et d’atténuation. En matière de changements climatiques encore, l’approche droits de l’Homme met l’accent sur les effets sur la vie réelle des populations en particulier vulnérables. Elle appelle la participation et l’appropriation de ces questions par les populations, afin de sauvegarder leurs droits. Il conviendra par exemple de mener des réflexions sur le rôle des agences onusiennes dans la prévention des impacts des changements climatiques à l’égard des populations autochtones. De même, la nécessaire protection des Inuits et de leurs conditions de vie face aux conséquences changements climatiques ou celle des personnes déplacées en raison de leur environnement soulèvent de nombreux défis juridiques que nous analyserons.
Chapitre 2 Les droits des autochtones et des populations locales sur leur environnement
Les populations autochtones et les populations locales ont acquis des savoirs traditionnels et locaux sur les ressources naturelles. Leur rapport à la terre et plus largement à leur environnement est essentiel pour la préservation de leur culture. Ces connaissances locales commencent à être protégées et reconnues tant au niveau local, régional, qu’international. Par exemple, l’article 33 de la loi française d’orientation pour l’outre-mer de 2000, selon lequel « l’État et les collectivités locales encouragent le respect, la protection et le maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales fondées sur leurs modes de vie traditionnels et qui contribuent à la conservation du milieu naturel et l’usage durable de la diversité biologique ». De même, les « droits territoriaux » des peuples autochtones sont progressivement reconnus. Il conviendra de revenir sur les contours et la portée réelle de cette reconnaissance. Les expériences récentes dans les parcs naturels sur les modes de gestion et d’usage des droits d’accès aux ressources naturelles en sont aussi une illustration.
La protection des ressources naturelles vitales comme gage de la survie de ces communautés interroge également la dimension collective des droits de l’Homme et plus largement le droit des peuples et la théorie des droits fondamentaux de l’État. L’idée d’un nouveau droit à la survie ou d’un droit à l’existence réactualise le droit des peuples en y ajoutant une dimension inédite dépassant largement les problèmes d’auto-détermination ou de génocide. De même, la question de la disparition annoncée de certains micros-États insulaires en raison des conséquences des changements climatiques ou celle du territoire qui s’amenuise avec par exemple la fonte des glaces et le sort des populations Inuits réinterroge la théorie de l’État et les relations internationales.
[1] L’article 24 « tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et globale, propice à leur développement ».
[2] Conseil des droits de l'homme des Nations Unies de 2008. Résolution 7/23 du Conseil des droits de l’homme sur les droits de l’homme et des changements climatiques http://www2.ohchr.org/english/issues/climatechange/docs/Resolution_7_23.pdf
[3] Recommandation 1614 (2003) environnement et droits de l’homme, Recommandation 1431 (1999) Action future du Conseil de l’Europe en matière de protection de l’environnement, rapport de 2009 sur l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme
[4] Communiqué de presse SG/SM/7738 du secrétaire général à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau le 12 mars 2001.
[5] A/RES/64/292 du 28 juillet 2010
[6] A/HRC/15/L.14 du 30 septembre 2010.
[7] John Scanlon, Angela Cassar et Noemi Nemes, Water as a Human Right ?, paper presented at the 7th International Conference on Environmental Law, São Paulo, 2-5 juin 2003 ; The Right to Water, World Health Organization, Genève, 2003.
[8] Rapport sur du Conseil d’État, L’eau et son droit, 2010, p. 241.