Quelques extraits

https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxlbGxlc3NhcHBlbGFpZW50bWFyaWV8Z3g6MzVjZjY3MjM5MzUwMTEwNw



« Ce n’était pas Marie dans le temps,

c’était elle dans l’éternité en Dieu »

Anne-Catherine Emmerick.





à ma mère


Prologue


Il y a bien des années, déjà, par un dimanche de “spleen“ — on dit en français, de triste mélancolie — j’avais ressorti mes pinceaux et, sur un mauvais carton, je m’étais essayé à reproduire maladroitement le magnifique visage de la vierge Marie peint par Sassoferrato. Peindre, est comme écrire, c’est sortir du quotidien pour retrouver au fond de soi la sérénité de la pensée.

Le travail achevé, observant longuement le visage obtenu, j’y découvrais les traits, l’expression involontairement reproduite, de ma propre mère.

Je l’avais quittée depuis quelques semaines, quelques mois, peut-être, pour “vivre ma vie“, comme dit l’expression populaire. Je l’avais abandonnée à sa solitude, elle qui, veuve depuis longtemps, voyait dès lors s’en aller un à un ses enfants. Que s’était produit, dans ma tête, dans mes doigts, dans ces pinceaux, qui avait engendré cette substitution de modèle ? Ou bien, étais-je victime d’une illusion, du désordre de ma pensée ? Une sorte de regret, peut-être, un sentiment inconscient de culpabilité, me travaillaient-ils au point de m’arracher au modèle, laissant quelqu’un d’autre peindre pour moi ?

Pendant des années j’ai voulu comprendre. Puis, j’ai écrit ce livre.

(…)


Marie, ma mère


Cet automne-là, il fallait bien les bons sabots bretons pour s’aventurer dans la cour de la ferme des Dineux, quand on avait quitté le chemin de Sévignac. Qu’il eût plu quelque temps — et il pleuvait souvent par ici —, alors une boue noire s’écoulait dans la pente, entraînant dans ses remugles le purin du tas de fumier qui marquait fièrement l’entrée de l’étable aux vaches. Cette gadoue charriait au passage le jus du carré des cochons, pour se perdre enfin dans les fossés du grand courtil. Il n’y avait que les chevaux qui fussent au sec dans leur écurie neuve, un peu à l’écart.

(…)

Ainsi grandit la petite Marie, entre la ferme sans maman que la grande sœur tentait bien pourtant de remplacer, et l’école communale du village.

(…)

Ainsi commença aussi, pour l’enfant déjà éprouvée par la vie, une désormais indéfectible dévotion pour Marie, son autre mère, la mère qu’elle n’avait pas eue.

(…)


Anne et Joachim


La mère de la Sainte Vierge s’appelait Anne ; son père Joachim. Anne naquit à Bethléem et vécut dans les environs de Nazareth, un bien petit village de Galilée, alors inconnu du monde. Joachim, issu en ligne directe du roi David, de la tribu de Juda, était berger, mais l’on dirait aujourd’hui plutôt éleveur de moutons, tant il semble que ses troupeaux fussent importants et qu’il fût fortuné. Profondément pieux et compatissant, il faisait toujours trois parts égales de ses revenus : l’une pour les pauvres, les éprouvés, les nécessiteux ; une autre pour le clergé, le service de Dieu ; la troisième seulement, pour lui et les siens.

Qui, aujourd’hui, pratiquerait l’altruisme avec autant de générosité ? Qui céderait volontairement, sans contrainte, et systématiquement, les deux tiers de ses revenus aux pauvres et à l’Église ? Ceux-là seraient des saints. Anne et Joachim étaient des saints. Une telle règle de vie leur venait de leurs ancêtres communs, les esséniens, de très pieux israélites aux mœurs austères. Les esséniens avaient leur chef spirituel, un vieux prophète qui siégeait au mont Horeb, au sein d’un ordre religieux dont les membres vivaient dans la pureté et la piété. Aux ancêtres d’Anne, comme à elle-même, celui-ci avait régulièrement prédit des descendants du sexe féminin, comme si la bénédiction divine avait entrepris de se transmettre de mère en fille, jusqu’à Marie, la Vierge sainte de qui naîtrait le Christ.

« Il semblait qu’une chair sans tâche, un sang d’une parfaite pureté, eussent été disposés au sein de l’humanité par la miséricorde de Dieu comme dans un fleuve d’eau trouble, et qu’ils devaient, au prix de multiples peines et efforts, réunifier leurs éléments dispersés que le fleuve tâchait d’engloutir et de souiller. (…) jusqu’à finir par en émerger, sous la forme de la Sainte Vierge de qui est né le Verbe fait chair ».

(…)


Joseph et Marie


À quatorze ans, la règle ne permettait plus qu’on laissât un enfant au service du Temple. Alors les prêtres lui trouvaient un époux. Mais Marie avait fait vœu de rester vierge, à jamais au service de Dieu. Il convenait dès lors de chercher à qui on la confierait à garder. Le grand prêtre réunit au Temple les douze tribus d’Israël et un premier tirage au sort désigna la tribu de Juda. Puis il fut demandé à tous ceux de cette tribu qui étaient sans épouse — nous dit Matthieu —, d’apporter un rameau qu’on laisserait une nuit dans le Saint des Saints. Le lendemain, chacun reprit son rameau. Or il en restait un, celui de Joseph qu’on avait négligé parce que celui-ci, veuf et père d’enfants déjà jeunes gens, était trop vieux pour qu’on lui confiât Marie.

(…)


Du pensionnat aux casernes


Marie, la petite orpheline des Dineux, n’entendait pas la sœur qui l’appelait depuis un moment. C’était aujourd’hui jour de sortie. On avait emmené les petites pensionnaires pour une longue promenade autour des Cotils sur les sentiers qui longent les falaises de Guernesey. C’était un si grand bonheur, pour ces fillettes qui, tout au long de la semaine, ne connaissaient que l’immuable succession de paysage des salles de classe, des offices multiples dans la petite chapelle du pensionnat, du gravier des cours de récréation, du réfectoire où il fallait se taire, des tristes dortoirs où il faisait froid l’hiver. L’enfant, assise sur les vielles marches en granit de l’embarcadère du port, ne détachait pas ses yeux des vagues infatigables qui venaient s’écraser les unes après les autres sur la roche usée. Là-bas, de l’autre côté de cette mer immense, elle savait qu’il y avait sa Bretagne, son village, sa ferme, les siens. Il y avait les mêmes géraniums, les mêmes hortensias que ceux-ci, qui coloraient en bleu la grisaille des murs. Le souvenir en peuplait les nuits de la petite pensionnaire, bien seule avec ses rêves, avec ses regrets, avec ses larmes, oubliée dans son exil froid.

(…)


L’exode


Jésus avait quelques mois quand Hérode, le roi de Judée, alerté par la rumeur annonçant qu’un enfant était né à Bethléem, qui était le nouveau roi des juifs, fit secrètement rechercher celui-ci pour l’éliminer.

Joseph fut informé dans un rêve que les soldats d’Hérode avaient quitté Jérusalem pour envahir Hébron et Bethléem, et qu’ils s’apprêtaient à égorger tous les enfants au-dessous de deux ans, afin de ne pas laisser échapper celui qu’ils recherchaient. Il devait fuir immédiatement avec sa famille. Il réveilla Marie qui prépara l’enfant. Il chargea son âne d’une outre d’eau de quelques objets de première nécessité et la Sainte Famille quitta Nazareth un peu avant avant minuit.

Joseph avait aussi averti Zacharie et Élisabeth du danger qui menaçait leur petit Jean, âgé de dix-huit mois. Ceux-ci partirent en même temps se cacher dans le désert, à quelques lieues d’Hébron. Nombreuses furent les familles qui s’enfuirent ainsi devant la menace du tyran.

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Le drame


On n’imagine plus, aujourd’hui, ce que furent pour les Français, en l’été 1946, les premières vacances de la liberté retrouvée. Ils sortaient à peine de cette redoutable épreuve de la guerre, de l’effondrement militaire suivi de l’occupation du pays par l’armée ennemie, puis de sa libération par les troupes alliées. En 45, c’était trop tôt encore. La France était encore en plein chaos de l’épuration, des règlements de compte souvent sordides qui libérèrent en vrac les rancœurs et les bassesses accumulées en cinq ans de honte.

Mon père venait tout juste de retrouver son affectation à Versailles, dans l’honneur et la pleine confiance de sa hiérarchie, après qu’elle eut un instant vacillé sous la vague des justiciers de circonstance.

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Mort de Dieu ?


C’est donc ce Dieu enfant que Marie vit partir sur les routes, enseigner les foules. Par Lui, la force sans limites de l’amour montra toute sa puissance. Les éléments Lui obéirent. Il guérit les malades. Il ressuscita les morts. Il tenait entre ses mains le levier infaillible de l’amour divin, total.

Je me suis souvent posé la question de la signification cachée des miracles spectaculaires du Christ, je veux parler de la multiplication des pains, puis de l’eau changée en vin. Pourquoi le Christ a-t-il réalisé là, ce qui ne manque pas d’apparaître comme des tours de magie! Pour impressionner son auditoire? Pour démontrer son essence divine? Il n’était sûrement pas dans ses intentions de se livrer à ces démonstrations inutiles. Le Christ, qui se savait envoyé de Dieu, avait une foi telle qu’il n’avait pas besoin de ces artifices. Il n’était d’ailleurs pas dans ses intentions de faire usage de son pouvoir immense pour se soustraire à son destin. Alors? Comprenons plutôt ce qui se passe :

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Vieillesse


Des années passèrent, et puis un jour, j’appris que ma mère avait quitté son domicile parisien où la vie l’avait laissée, seule. Oh ! Je savais bien qu’elle songeait à regagner sa Bretagne, se rapprocher ainsi du petit cimetière où elle avait laissé, voici quelques années, son époux aimé. Ce serait plus facile pour elle, pensait-elle, de s’y rendre parfois. Mais l’égoïsme encore, les soucis de la vie professionnelle et de la famille à construire, établissaient pour ses enfants des priorités différentes. Alors, seule, elle loua un logement, commanda le déménageur, vida le sien. Ainsi était Marie, ma mère, volontaire dans sa douceur maternelle. La vie l’avait laissée seule ? Elle ferait seule !

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Éphèse


On sait peu de choses sur la vie de la Sainte Famille. Quand et où Joseph est-il mort ? Il était vivant lors de la visite de Jésus adolescent au temple. Mais ensuite, durant toute la vie publique de Jésus, les textes n’en disent rien. Ils ne sont guère plus prolixes sur les dernières années de la vie de Marie, la sainte mère du Christ. Après la Pentecôte, on ignore tout de la fin de sa vie terrestre. Quatre siècles seulement après Jésus-Christ, un certain Épiphane de Salamine théologien de Palestine, dira que nul ne sait ce qu’il advint de Marie à son décès.

C’est encore la visionnaire allemande qui nous apporte quelques sources de réflexion. Comme on la questionnait sur l’âge de la mort de la Sainte Vierge, elle répondit :

« Elle a atteint soixante-quatre ans, car j’ai vu à côté de moi six fois le signe X, puis I et V »

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Épilogue


Qu’on me pardonne si j’ai semblé, au long de ces lignes, mêler avec audace le tendre souvenir de Marie, ma mère, et la respectueuse évocation de l’immense mystère de Marie, la sainte mère du Christ. Nulle impiété dans cette ouverture du cœur, point de blasphème dans cette fusion d’au-delà. J’ai voulu expliquer combien je crois que Marie, Sainte Vierge, mère de Dieu, image exceptionnellement parfaite du Parfait, fruit béni de la sainteté d’Anne et de Joachim, est la souche, le germe, la mère véritable de l’humanité. Elle ouvrit aux Hommes la porte de l’au-delà. Par elle s’acheva la création. Elle devient pour chacun de nous le symbole éternel de la mère. La mère vers qui l’on se réfugie. La mère que l’on prie et qui entend. Elle se confond désormais avec toutes les mères biologiques.

(…)