Quelques extraits



Dieu créa l’homme à son image (…)

Il les créa mâle et femelle.

Il les bénit et leur dit : « Soyez féconds, (…) »

(Genèse I,27-28)





Le vieillard fut un adulte qui fut enfant.

L'enfant fut un nouveau-né qui fut embryon.

L'embryon fut une vie qui fut ailleurs.


Avant-propos


Au soi-disant pays des droits de l’homme, quelle justification y a-t-il à ces droits, en l’absence du premier d’entre eux : le droit de naître ? De naître de sa mère. De naître entre son père et sa mère.

Procréer des embryons multiples à usage de matériaux de laboratoire, c’est priver des êtres humains du droit de naître, et d'enfanter eux-mêmes.

Engendrer artificiellement des générations d'orphelins de père, c'est nier le besoin impérieux de l'être humain, de savoir qui il est, d'où il vient.

Faire porter par une mère anonyme un enfant de compagnie, c’est refuser à cet enfant le droit de connaître la mère dont il est issu, et de grandir en elle.

Plus qu’une dérive ou une déviance de l’éthique, cette route qu’emprunte de façon irresponsable une certaine idéologie contemporaine, est le chemin de la mort. Un peuple qui ne sait plus ses racines est un peuple d’esclaves.

(…)

Voici l’histoire d’une victime de cette folie des hommes, héroïne de nos futures années. Fiction ? Peut-être pas vraiment. Modeste contribution d’un écrivain indigné au combat d’une postérité au bord de l’abîme, puisse cette fresque d'anticipation éclairer les pensées hésitantes d’aujourd’hui. Il suffit parfois d’un peu de courage pour gagner une guerre.


Le labo


Jérôme referma soigneusement sur lui la porte du petit labo qui lui était réservé dans cet immeuble d'Évry où logeait son entreprise. Ce qu’il avait à faire n’admettait pas les intrus ni le dérangement. Il contemplait la paillette en plastique qu'il avait extraite du container de congélation qu'on venait de lui apporter. Dedans, une petite boule de cellules, un embryon humain, surplus d’une fécondation in vitro de quelques jours.

(…)

Cette fois encore, il s'apprêtait à décongeler la paillette, puis à réhydrater l'embryon et à prélever à l’intérieur de celui-ci l’une des cellules souches qu'il contient ?

(…)

Bucarest

(…)

— Je m’en occupe, avait-il répondu à Raphaël, quand celui-ci lui avait fait part, au téléphone, du désir subit de son ami et associé de recourir à une GPA par transplantation d’un embryon congelé conservé dans leur laboratoire, puis d’adopter l’enfant.

(…)

Puis, il ajouta en regardant tour à tour Jérôme et Raphaël :

— Alors, ce serait vous deux les parents ?

(…)


Deux cellules pour une vie


Pour sa première conférence, il avait choisi comme décor de base dans les lunettes de chacun, la salle des containers de congélation du labo. Chacun pouvait le voir s'exprimer sur ce décor de fond, et si quelqu'un demandait la parole, les caméras basculaient sur l'arrière-plan du nouvel orateur. Une simple commande permettait également que s'incruste en fond d'écran la totalité des visages à l'écoute, comme dans un amphi géant.

— Voici une dizaine d'années, commença-t-il, ma fille était congelée dans cet azote.

Silence stupéfait de l'auditoire par une telle entrée en matière, puis, quelques rires polis fusent…

— Aussi, continua-t-il, je suis émerveillé de vous voir si nombreux, et vous remercie du fond du cœur de m'accorder tant d'attention. Car enfin ! prête-t-on attention à un embryon congelé qui ne doit son label de personne humaine qu'à la décision administrative de quelque bureaucratie, décision variable selon le côté des frontières. ?

(…)

— Naissance et mort, reprit Jérôme, mariage et famille, embryon et fœtus, PMA et GPA ou avortement, aucun de ces sujets ne peut être abordé efficacement si l'on ne répond pas d'abord à la question : qu'est-ce que l'Être humain ? Et, puisque l'Être humain procède, ici-bas, d'une rencontre de deux cellules, il me paraît indispensable de connaître au moins l'époustouflant univers de la cellule humaine. Pour cela, j'ai fait appel à l'un de nos meilleurs spécialistes de la biologie cellulaire, en même temps que talentueux pédagogue, le Docteur Biocel ici présent.

(…)

La révolte

(…)

Andreea était venue sonner à cette porte hier soir. Personne ne lui avait répondu. Maison vide, volets clos. Elle était restée un moment à attendre, à l’abri du vent et de la pluie sous l’auvent qui prolongeait l’entrée du garage de ce petit pavillon de Villeurbanne. Recrue de fatigue, transpercée de froid, elle s’était enroulée machinalement dans sa pauvre couverture, et, blottie contre la porte, elle avait laissé les souvenirs de sa galère l’envahir, semi-endormie, couchée là sur le béton, la tête sur son sac.

Cela faisait des mois, elle ne savait plus combien, qu'elle errait ainsi, de ville en ville, à la cloche. Elle s'était enfuie de chez elle dès la fin de l’année scolaire de ses quinze ans. Jérôme avait eu un sursaut de frayeur en la voyant rentrer du lycée ensanglantée, les vêtements en lambeaux. C’est que les filles, quand elles se battent, sont d’épouvantables furies,

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Oui ! Je me suis battue ! Par votre faute, à vous deux ! Je n’en peux plus, Jérôme ! C’est fini. Je ne veux plus vivre ainsi.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Vous ne vous rendez pas compte, tous les deux, de ce que je supporte depuis des années ! Les brimades, les coups… « elle a pas de mère… », « fille de ... », je n’ose même pas vous dire les insultes que je subis à propos de mes deux parents homosexuels ; à propos de mes origines ; à propos de ma naissance...

Andreea hurlait, en perdait le souffle :

— Le lycée, les autres filles, tout me devient un cauchemar. Les études me dégoûtent. Vous vous plaignez de mes mauvaises notes ? Vous n'avez donc rien compris ! Les enfants, Jérôme, ne sont pas des adultes. Ils se moquent des convenances, de la pensée correcte. Ils parlent comme ils pensent. Et ça fait mal. Ils ne se rendent pas compte. Pour eux, ce ne sont que des moqueries. Pour moi, c'est un supplice.

(…)

Guerre civile

(…)

Dans le climat d'émeutes qui ensanglantait la capitale, dans l'ambiance délétère d'un pays en désordre, les forces de l’ordre étaient prises pour cibles par les trois composantes de la société française disloquée. Quand trois belligérants s'entretuent, l'arbitre devient la victime. Les laïcistes libertaires parisiens criaient à la trahison d'une police acquise à l'islamisme. Les banlieues islamistes "cassaient du flic" parce que la police représentait pour elles la dépravation occidentale des mœurs. Quant à la France profonde, provinciale, montée à Paris pour manifester pacifiquement pour la défense de sa culture, elle prenait les coups perdus, et accusait le ministre de l'Intérieur d'en donner les ordres.

(…)

La manif


C’est dans ce contexte qu’Andreea manifestait ce dimanche en tête de milliers de personnes qui réclamaient l'arrêt de la prolifération d’embryons surnuméraires, d’une part, et la reconnaissance du statut d’être humain de l’embryon, d’autre part. En réalité, les deux sont liés, mais les esprits n’étaient pas encore clairs sur le sujet.

(…)

— Je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas où je vais, je ne sers à rien...! Andreea ressassait ces terribles paroles d’un embryon égaré dans la foule, tandis qu’elle menait la manif, micro en main.

(…)


Le phénomène de la vie


— Vous venez de me faire comprendre, cher Jérôme, quelle funeste erreur est le positivisme scientifique érigé en doctrine de vie, en idéologie, en dogme. N’aurait d’existence, de vérité, que ce qui peut être touché de main d’homme, pesé, disséqué, ou au moins vu, entendu, senti.

— L’effrayante perversion morale qui détruit en ce siècle les fondements mêmes de la civilisation occidentale n’est autre que le fruit pourri de ce matérialisme borné. Cette cécité pseudo scientifique commence avec le fameux big-bang. Cette théorie ne tente-t-elle pas d’expliquer le monde en remontant, non pas au temps zéro, mais quelques parcelles de seconde après ? C’est bien, mais frustrant. Ce sont de ces quelques parcelles de seconde qu’on aimerait entendre parler. Un instant infime qui dure peut-être une éternité. Mais, voilà ! Au-delà d’un certain seuil de petitesse, plus rien ne fonctionne des lois de notre physique. Plus rien ne se comprend ni s’explique. Nous entrons dans une sorte d’au-delà immatériel. C’est la science elle-même qui nous l’apprend. Or, la biologie ne fait pas mieux. Elle nous décrit la vie depuis l’apparition de la première cellule engendrée. Mais, qu’en est-il de ladite vie lors du temps de fusion entre les deux cellules parentes précédant cette naissance ? Court instant, certes, mais bien réel ! Alors, d’où vient la vie lors de cette rencontre ? Avant, il y a deux cellules, chefs d’œuvres chacune d’ingéniosité, capables de s’autodupliquer, mais incapables de construire seules un être vivant. Mais, qu’elles se rencontrent, attirées par une certaine complémentarité, alors s’engendre la vie d’un être nouveau, qui n’a jamais encore existé, et qui n’existera jamais une seconde fois. Cet être connaissait-il une présence latente dans chacune de ses cellules parentes, comme ces hologrammes qui portent en eux la totalité du modèle dans ses trois dimensions, mais n'en montrent qu'une seule vue en deux dimensions ?

(…)

Le choc

(…)

Andreea connaissait par cœur le chemin du petit pavillon de la banlieue lyonnaise où elle avait échoué, fugueuse exténuée, il y a cinq ans. Le vieux métro qui desservait Villeurbanne les conduisit tout près. Sonia avait vaincu son cancer qui l’avait amenée là. Pourtant, elle ne voulait plus retourner à Bucarest. Ici, elle se sentait proche des hôpitaux. Victor avait trouvé un travail. Andreea venait souvent rendre visite à sa maman porteuse, comme elle disait pour marquer affectueusement la différence avec sa mère biologique qu’elle ne connaissait pas. Pas plus qu'elle ne connaissait son père biologique, d’ailleurs. Pourtant, cette fois-ci, elle avançait la peur au ventre. Pourquoi ?

(…) 

Quand elle ouvrit la porte à ses visiteurs, Sonia s’immobilisa, comme pétrifiée :

— Ioan ! Oh ! mon Dieu !

Elle chancela. Victor la retint et murmura, lui aussi :

— Ioan … Mon garçon… !

Ioan était blême et se taisait.

Andreea ne comprenait rien.

— Vous… vous connaissez ?

— C’est Ioan ! Mon aîné !

Celui-ci restait là, tétanisé, ne sachant quelle attitude prendre. Il n'avait pas revu ses parents depuis des années. Il les croyait toujours à Bucarest.

— Vous êtes là ?

(…)

Victor crut bon de crier :

— Tuons le veau gras ! Ouvrons les meilleures bouteilles ! Notre fils est retrouvé...

Cette fois-ci, c’était Andreea qui était blême, blanche comme un suaire :

— Mais alors…?

Victor la regarda. Puis regarda Ioan. Puis longuement Sonia. Un silence d’angoisse s'installa qui pesa une éternité.

— Alors quoi, demanda enfin Victor ?

— Nous allions nous marier…

Une bombe serait tombée sur Villeurbanne, que l'effarement n'eût pas été pire. Chaque cerveau analysait la situation à la vitesse de ses électrons.

— Et alors ? dit enfin Victor.

— Alors, nous sommes frère et sœur !

(…)

Elle laissa passer quelques secondes, puis :

— Car, je ne t'avais pas dit, Ioan : je suis enceinte…

(…)