BIOGRAPHIE

BENJAMIN BOURDON (1860-1943)

ET LE LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE A L'UNIVERSITE DE RENNES (1896)

par

Serge NICOLAS & Christophe QUAIREAU

Université Paris Descartes & Université de Rennes

Pr Benjamin BOURDON (1860-1943)

Archives S. NICOLAS

L'Université de Bretagne a fêté le 11 avril 1996 le centenaire de son laboratoire de Psychologie Expérimentale. Cette commémoration a permis de rappeler les premiers développements de la psychologie expérimentale en France et le rôle joué en ce domaine par un de ses pionniers : Benjamin Bourdon (1860-1943), fondateur du premier laboratoire universitaire français de psychologie et de linguistiques expérimentales à Rennes en 1896. Lors du centenaire de sa naissance en 1960, Jean Beuchet (1961a, 1961b, 1962a, 1962b, 1962c) avait présenté de nombreux éléments sur la vie et l’œuvre de Benjamin Bourdon[1]. L'objectif est ici de centrer notre propos sur les événements qui ont concouru à la création du laboratoire de Rennes en 1896 en précisant certains points et en ajoutant certaines informations inédites sur cette période. Dans un premier temps, nous présenterons le parcours intellectuel de Bourdon jusqu'à son arrivée à Rennes. Dans un deuxième temps, nous exposerons les conditions précises de la création du laboratoire dans l'Université de cette ville.

ORIGINES ET FORMATION

Voici comment Benjamin Bourdon (1932) présenta en quelques mots ses origines dans son autobiographie :

"Je suis né en Normandie, en 1860, dans un village du bord de mer (Monmartin-sur-mer), de parents qui étaient eux-mêmes d'origine normande. A l'époque de ma naissance, mon père n'exerçait aucune profession mais, vers ma neuvième année, il se fit cultivateur et se mit à exploiter une petite ferme qu'il avait héritée de son père et à laquelle il travailla dès lors pendant de nombreuses années avec énergie et intelligence. Lui-même était fils et petit-fils de notaires ; sa mère était la fille d'un officier de marine, dont la vie dut être plutôt aventureuse - de fait, on l'avait surnommé "le corsaire". Ma mère était d'origine humble : son père était un modeste fermier mais en même temps un excellent maçon et il dirigea la construction de bon nombre des plus importantes maisons qui furent édifiées dans le pays à cette époque..." (Bourdon, 1932, p. 1)

Il est cependant aujourd'hui possible d'ajouter quelques compléments à cette esquisse biographique sommaire présentée par Benjamin Bourdon sur ses origines. Benjamin Bienaimé Bourdon est né plus exactement le 5 août 1860 à Montmartin sur Mer de Bruno Désiré Bourdon (1838-1921) et de Anastasie Claudine Rabecq (1838-1901). Le père de Bruno Désiré Bourdon, Jacques Benjamin (1791-1852) était notaire à Montmartin et maire de la ville de 1825 à 1831 et de 1841 à 1848, sa femme Désirée Billard (1801-1848) était la fille du "corsaire" Jean Baptiste Billard (1761-1825), un Capitaine de Vaisseau[2].

Benjamin Bourdon (à droite) avec son père et son épouse dans les années 1910

Benjamin Bourdon vivait dans un milieu modeste, il continue ainsi :

" A l'exception de cinq ou six personnes cultivées, comme le curé, le notaire et le médecin, mon village, qui comptait environ mille habitants, se composait de trois principales catégories de gens : des paysans, qui formaient la catégorie la plus importante, des marins et des carriers... Ce fut au sein de cette communauté que je passai la totalité de mon enfance et une partie de mon adolescence. Ces braves gens ne s'inquiétaient guère d'idées abstraites et ne se payaient pas de mots. Sans aucun doute ce milieu a exercé une grande influence sur le développement de mon esprit (Bourdon, 1932, p. 1)."

Il entre au lycée de Coutances à l'âge de douze ans comme pensionnaire et y reste jusqu'au baccalauréat. Voici ce qu'il écrit sur ses années de Lycée :

"Dans ce lycée, comme dans tous les autres lycées (...), la rhétorique était fort en honneur à cette époque. J'ai toujours ressenti une grande aversion pour cette rhétorique et je faisais piètre figure lorsqu'il était question dans mes thèmes de faire parler Cicéron ou tel autre personnage des temps anciens ou modernes. Au contraire, j'accordais un très grand intérêt, pendant mes années de lycée, aux mathématiques, aux langues vivantes, à la physique et à la chimie, au dessin, à la philosophie, ainsi qu'aux exercices physiques et à la gymnastique. Je me serais certainement intéressé à un apprentissage manuel s'il avait figuré au programme ; en fait j'ai toujours aimé ce genre de travail et je crois même que, par la suite, j'ai passé trop de temps à construire mes propres instruments ou appareils pour mes expériences (Bourdon, 1932, pp. 1-2)."

Benjamin Bourdon adolescent

Au terme de ses études secondaires, Benjamin Bourdon enleva le premier prix de sa classe et obtint sans peine le grade de bachelier ès lettres et ès sciences. Sorti du lycée à l'âge de 19 ans, il hésita entre une carrière d'enseignement et le droit. Pour plaire à sa famille probablement, il fit un stage comme clerc de notaire chez un de ses oncles installé à Cerizy-la-Salle. Soucieux de poursuivre sa formation, il vint à Paris où il trouva un premier emploi qui lui permit d'y poursuivre des études de droit. Il s'intéressa surtout au droit criminel et au droit romain, mais bien moins au droit civil français. Voici ce qu'il dit à ce propos : "Les différentes interprétations du code civil qui étaient données par le professeur ou par les livres que je consultais me donnaient souvent l'impression de couper les cheveux en quatre et de compliquer de façon désagréable l'étude de la loi civile". Après un an de droit, il changea d'orientation et il décida finalement de se consacrer à la préparation d'une carrière d'enseignement plus particulièrement dirigée vers la philosophie. Ayant obtenu un poste de surveillant au Lycée Louis-le-Grand à Paris, il s'attaqua à des études de philosophie sous l'égide des maîtres spiritualistes de l'époque : Paul Janet (1823-1899), Elme-Marie Caro (1826-1887) et Ludovic Carrau (1842-1889).

"Mon développement intellectuel fut, je crois, peu influencé par l'enseignement de la philosophie tel qu'il me fut donné quand j'étais étudiant à la Sorbonne. Les influences qui me marquèrent au plus haut point furent celles de mes lectures. Berkeley, Hume, les deux Mill, Bain, Spencer et James m'intéressèrent intensément. Ribot contribua à mon développement intellectuel par ses ouvrages et aussi, dans une certaine mesure, par son enseignement oral. La doctrine néo-criticiste, représentée par Renouvier, était florissante à cette époque ; nous la discutions souvent entre étudiants et nous lisions la Critique philosophique, éditée par Renouvier, aussi bien que les livres de ce philosophe. L'influence exercée sur moi par la doctrine néo-criticiste fut cependant assez faible ; je reconnaissais le sérieux de cette doctrine mais la psychologie de Renouvier me semblait insuffisante, trop abstraite, trop dialectique et trop éloignée de l'observation. En ce qui concerne Kant, que j'avais à étudier en vue des examens, mes impressions étaient à peu près les mêmes qu'à l'égard de Renouvier. Quant aux philosophes comme Fichte, Schelling, Hegel, dont j'avais aussi à examiner les théories, je n'ai jamais pu surmonter l'aversion qu'ils me causaient. Je me rappelle avoir acheté d'occasion, à très bon marché, une traduction de l'une des oeuvres de Schelling, croyant d'abord avoir fait une bonne affaire ; mais, par la suite, je fus très heureux de trouver un camarade qui voulut bien me racheter le volume au prix qu'il m'avait coûté".

En dehors de la Sorbonne Bourdon fréquenta d'autres cours, ceux de l'aliéniste Magnan à l'asile Sainte-Anne, ceux du neuropsychiatre Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière et ceux des physiologistes Charles Édouard Brown-Sequard (1817-1894) et Charles Émile François Franck (1849-1921) au Collège de France. L'année 1886 se termina par l'obtention de la première place à l'agrégation de philosophie. Ce succès lui valut une bourse pour un an d'études à l'étranger. Il choisit l'Allemagne, le nouveau centre intellectuel de l'Europe, et partit en octobre 1886. Voici ce qu'il écrit sur son expédition dans une correspondance avec sa famille restée inédite :

Heidelberg, Dimanche 17 Octobre

Hauptstrasse, 211

Mes chers parents,

Je commence par le commencement, le récit de mon excursion, puisque je ne vous en ai encore à peu près rien dit. Je suis parti de Paris - après avoir touché mes 500 francs - lundi dernier à 4 heures et demi de l'après midi. J'ai pu prendre, à la gare même de Paris, un billet pour jusqu'à Heidelberg, ou, si vous aimez mieux, tout un cahier dont on me détachait les feuilles l'une après l'autre à mesure que j'avais parcouru le trajet indiqué sur chacune de ces feuilles. J'ai voyagé en seconde, pour n'être pas trop fatigué, et cela m'a coûté 63 francs ; c'est-à-dire à peu près le double du prix d'un billet de seconde pour aller de Monmartin à Paris. Je n'ai rien vu de bien intéressant jusqu'à la frontière française (...) J'ai soupé en route à Epernay, sous le pouce, pendant les 25 minutes que le train arrête à cette station. Après quoi, nous sommes repartis et nous n'avons pas eu d'arrêt sérieux avant la frontière, si ce n'est toutefois à Nancy où il y a eu encore une halte de 12 minutes.

Nous sommes arrivés à la frontière à 2 heures du matin. L'endroit où on quitte la France s'appelle Avricourt. Il y a deux gares à Avricourt, espacées l'une de l'autre d'environ un kilomètre, autant qu'il m'a semblé. La première est Avricourt (France), la seconde porte sur la carte des chemins de fer allemands le nom de Deutsch-Avricourt, cela signifie Avricourt (Allemagne). Ce qui m'a le plus émotionné en arrivant à Avricourt (Allemagne), ça été de voir le chemin de fer français s'en retourner tout de suite à Avricourt-France ; au contraire, cela ne m'a pas produit une grande émotion de savoir que je me trouvais désormais sur le territoire allemand. A Deutsche-Avricourt, donc, tout le monde descend et l'on commence par procéder, dans la gare, où toutes les indications officielles sont maintenant écrites en Allemand (Ausgang = sortie; Eingang = entrée), à la visite de nos bagages. Nous ouvrons nos malles et nos valises, et les inspecteurs allemands regardent ce qu'elles contiennent ; ils ne sont pas méchants et j'aurais pu leur faire passer 20 livres de dynamite, sans qu'ils s'en aperçoivent. Bref, je n'ai eu qu'à me louer de la douane allemande. Elle ne nous a d'ailleurs nullement fouillés, on s'est contenté simplement de regarder dans nos malles et encore, comme je viens de vous le dire, très superficiellement. - Ce qui a eu de moins amusant à Avricourt, c'est que nous avons dû y attendre pendant deux heures le train allemand qui devait nous emporter (...). A 4 heures, nous nous sommes embarqués pour Strasbourg. En arrivant vers Strasbourg, le paysage devient splendide (...) Nous arrivons à Strasbourg vers 7 heures, je n'en suis reparti qu'à 8 heures et demi (...) Je m'arrête là pour aujourd'hui, attendu que je vais aller cette après midi faire un tour aux environs. Je suis très bien installé, pas trop cher, et me porte très bien. D'ailleurs, je vous donnerai sur tout cela des détails dans ma prochaine lettre. (...)

Lettre suivante non datée :

Je vous ai dans ma dernière lettre raconté comment mon voyage s'était passé de Paris à Strasbourg. Après un assez long arrêt à Strasbourg, j'ai repris le train vers 8 heures et 1/2, autant que je me souviens. J'ai rencontré dans mon compartiment un voyageur avec qui j'ai fait connaissance. C'était un jeune ingénieur de Strasbourg, qui se rendait pour affaires à Francfort sur le Main. Il parlait bien le français et m'a aidé à passer le temps agréablement. Il a fait mieux que cela. (...) En arrivant à Heidelberg, il est également descendu avec moi du train, a appelé un commissionnaire, a fait transporter ma malle sur l'omnibus de l'hôtel où je devais descendre, si bien que je n'ai éprouvé pour tous ces petits détails aucun embarras. Comme vous voyez, je suis arrivé à Heidelberg sur une excellente impression. (...) Je suis arrivé à Heidelberg, venant de France, à midi. J'étais moulu et stupide. Je suis descendu au plus bel hôtel du centre de la ville, à l'hôtel du Prince Charles, sur le conseil de mon ingénieur qui m'avait prévenu que je paierai presque aussi cher et serais beaucoup moins bien dans les autres. (...) Je ne sais pas si on m'avait pris à l'hôtel pour un espion ou pour un diplomate ; en tout cas j'ai remarqué qu'on m'avait donné une chambre avec doubles portes rembourrées, tandis que mes voisins d'étage n'en avaient pas de telles. J'ai ainsi pris trois repas à cet hôtel, j'y ai couché une nuit et j'ai payé, quand je suis parti, pour tout cela, plus de 16 marks, c'est-à-dire plus de 18 francs. Mais j'ai cette consolation d'avoir pendant un jour, vécu d'une vie princière. Je me porte toujours très bien et fais des progrès très sensibles en allemand. (...)

Le voyage de Bourdon s'est effectué dans une période de l'histoire (après la guerre de 1870) dominée par la méfiance et la tension entre les peuples allemand et français. Durant son séjour à Leipzig, Bourdon écrit : "Vous pouvez être toujours sans inquiétude sur les rapports que je puis avoir avec la police allemande ou les allemands en général. Je n'ai pas eu à subir le moindre ennui pendant les derniers mois de la part de personne" (lettre de Liepzig datée du 12 juin 1887). La correspondance qui nous est parvenue ne nous dit pas grand chose sur sa période de travail en Allemagne. Cependant, dans son autobiographie (Bourdon, 1932), il nous donne des précisions sur son passage à Heidelberg puis à Leipzig :

"Je fus d'abord à Heidelberg où, pendant le premier semestre, je suivis, parmi d'autres, les cours du linguiste Osthoff, qui était alors l'un des plus connus des néo-grammairiens. Mais j'avais hâte de m'initier à la psychologie expérimentale et d'entendre son illustre représentant, Wundt. Au commencement du second semestre, je partis donc pour Leipzig ; j'étais muni d'une lettre d'introduction d'Osthoff pour son collègue Brugmann, comme lui éminent néo-grammairien, et d'une autre lettre de Ribot à l'intention de Wundt. Brugmann et Wundt me reçurent très aimablement. Je suivis leurs cours à tous les deux ; de plus, je pris part comme observateur aux recherches expérimentales qui étaient en cours dans le laboratoire de Wundt".

Même si les questions de linguistique l'intéressaient, on sent bien que Bourdon était surtout attiré par la psychologie expérimentale que lui avait fait connaître Ribot par ses livres (Ribot, 1870, 1879) et partiellement par son enseignement. Si Gustav Theodor Fechner peut être considéré comme le fondateur de cette science, on peut attribuer à Wilhelm Wundt le fait d'en avoir été le véritable promoteur. Wundt a publié de nombreux ouvrages et articles sur le sujet mais a surtout établi à Leipzig le premier laboratoire de psychologie dans le monde en 1879. Cette création a permis à l'Université de Leipzig de devenir un centre d'attraction pour les étudiants voulant de former aux techniques de cette nouvelle science. Bourdon a dû d'ailleurs y rencontrer de futurs grands psychologues tels James McKeen Cattell (1860-1944) qui effectuait à cette époque ses fameuses recherches sur les temps de réaction.

De retour en France en 1887, il est affecté à la rentrée d'automne au Lycée de Valenciennes. L'année suivante (1888), l'année même de sa première publication dans le domaine de la linguistique sur l'évolution phonétique du langage (Bourdon, 1888), on le retrouve professeur au Lycée de Rennes. Le 11 juillet 1890, un rapport lu au Conseil Général des facultés propose de le charger de "Conférences complémentaires" à la faculté des lettres. L'année suivante Bourdon est chargé d'un "Cours libre de philosophie" où il profite de cette liberté pour inaugurer le vendredi 18 décembre 1891 son premier cours de psychologie expérimentale. Nous possédons un compte-rendu de ce premier cours grâce à Victor Basch qui en a présenté le contenu et publié la critique dans la revue les "Annales de Bretagne" (Basch, 1892).

Il montre dans ce cours comment la psychologie s'était peu à peu détachée de la philosophie générale pour former une science indépendante et originale. Il prend l'exemple d'Alexander Bain, de Théodule Ribot et de bien d'autres qui ont fait de la psychologie sans philosophie, c'est-à-dire sans s'occuper des questions métaphysiques qu'elle prétend non résolvables, comme la nature de l'âme et ses rapports avec le corps. Pour Bourdon, la psychologie doit être une science objective qui se base sur l'étude des phénomènes psychologiques en utilisant la méthode expérimentale. Il montre que les phénomènes psychologiques peuvent être soumis à l'expérience en exposant les expériences de Fechner, de Helmholtz et de Wundt, en décrivant les appareils dont il se sont servis et en présentant quelques-uns de leurs résultats. Il introduit aussi les questions qu'il abordera dans son cours annuel : 1° l'étude des perceptions ; 2° l'étude de l'attention et de ses oscillations ; 3° l'étude des limites et de l'étendue de la conscience ; 4° l'étude de la mensuration des sensations. Pour finir, Bourdon termine son premier cours par un rapide historique de la psychologie expérimentale et fait la part de chaque nation dans la constitution et le développement de la science nouvelle. En tête, vient l'Allemagne avec Weber, Helmholtz, Fechner, Wundt et son école ; puis la France avec la psychologie pathologique, l'Angleterre avec la psychologie animale et l'Italie avec l'anthropologie criminelle.

Bourdon voulait que l'enseignement supérieur français soit en tous points à la hauteur de celui des autres pays. Comme la psychologie expérimentale était enseignée en Allemagne et en Amérique, la France devait organiser un enseignement de ce type ainsi que des laboratoires de psychologie. Nos Universités sous ce rapport étaient très en retard. Cependant, Bourdon n'avait pas encore de laboratoire même si l'on sait qu'il commença à expérimenter à partir de cette période. Pour lui, un enseignement sérieux de la psychologie était tout à fait impossible sans l'association d'un laboratoire (Bourdon, 1902b).

CRÉATION A L'UNIVERSITÉ DE RENNES DU LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE ET DE LINGUISTIQUE EXPÉRIMENTALES (1896)

Avant de pouvoir fonder officiellement son laboratoire, Bourdon devait d'abord se faire attacher définitivement à la Faculté. Dès 1892, il obtint le titre de docteur grâce à une thèse sur "L'expression des émotions et des sentiments dans le langage" (Bourdon, 1892a), accompagnée d'une thèse latine sur la question des sensations dans l'œuvre de Descartes : "De qualititabus sensibilibus apud Cartesium" (Bourdon, 1892b). La thèse principale témoignait de l'intérêt de l'auteur pour les divers problèmes du langage après son séjour en Allemagne. La thèse secondaire, quoique purement historique, annonçait une orientation vers les problèmes de psychophysiologie sensorielle.

Benjamin Bourdon en toge

La chaire de philosophie n'étant pas libre à la Faculté de Rennes, Bourdon, toujours professeur au lycée, se contente de continuer à la faculté son enseignement complémentaire. Il ne se borne pas à l'étude des phénomènes psychologiques les plus élémentaires, il traitera aussi pendant l'année 1892-1893 des idées et des sentiments. C'est à cette période qu'il commence à réaliser ses premières expériences en psychologie, aidé par quelques collègues qui lui servent de sujets. Puis il est nommé Maître de Conférences à la faculté des Lettres de Lille (1894). S'il ne se plaît guère dans cette ville du Nord de la France, il continue à réaliser des expériences sur l'apprentissage. Comme la faculté est beaucoup plus importante que celle de Rennes, il doit y préparer les étudiants à l'agrégation, occupation qu'il aura toute sa vie en horreur. Mais dès l'année Universitaire suivante (1895), la chaire de philosophie à Rennes est vacante, et il y est nommé professeur à sa grande satisfaction, et décide de fonder rapidement un laboratoire de psychologie. Voici ce qu'il écrit à ce propos :

"A mon arrivée à Rennes j'eus la bonne fortune toute particulière de trouver comme doyen de la faculté des lettres le celtisant éminent, Loth (qui devint par la suite professeur de langue et de littérature celtiques au Collège de France). Loth, hostile comme moi à la standardisation et à la routine, champion de la cause de la décentralisation dans les Universités, se montra très favorable à mes projets et m'aida à obtenir des crédits et les locaux nécessaires à la fondation d'un laboratoire. Plus tard, après le départ de Loth, je trouvai la même attitude sympathique chez son successeur, cet excellent celtisant que fut Dottin (Georges Dottin, philologue, 1863-1928). Loth et Dottin s'intéressèrent grandement, pour des raisons personnelles, à la fondation de mon laboratoire ; ce laboratoire fut aussi le leur, en partie du moins, dès le départ. Tous deux étaient linguistes ; leur attention avait été attirée par les recherches du célèbre phonéticien Rousselot, et, d'après eux, le laboratoire ne devait pas seulement être consacré à la psychologie mais aussi à la phonétique" (Bourdon, 1932, pp. 5-6).

En janvier 1896, il y a donc un siècle, Bourdon (1896) peut annoncer dans les Annales de Bretagne la fondation officielle de son laboratoire : "La faculté des lettres de Rennes vient de décider la création, à Rennes, d'un laboratoire de psychologie et de linguistique expérimentales. L'installation sera vraisemblablement prête vers Pâques prochain ou même un peu avant" (p. 227). Il souligne qu'en France il n'existait pas à l'époque de laboratoire de psychologie et de linguistique dans aucune des grandes Universités, Rennes est la première à s'en être donnée les moyens. Il est vrai qu'il existait à Paris un laboratoire de Psychologie physiologique à la Sorbonne et un laboratoire de linguistique. Le laboratoire de Psychologie avait été fondé par Henry Beaunis en 1889 et dirigé à l'époque (1895) par Alfred Binet (cf. Nicolas, 1995), cependant ce laboratoire ne dépendait pas de l'Université mais de l'École Pratique des Hautes Études (EPHE), une structure directement rattachée au Ministère de l'Instruction Publique. Un laboratoire de Linguistique avait été fondé à Paris et était dirigé à l'époque par l'abbé Rousselot ; c'était cependant un laboratoire privé. Rennes devenait ainsi la première Université française à avoir créé un laboratoire de psychologie expérimentale. Il faudra attendre bien des années avant que l'Université de Paris se dote d'une telle structure, elle le fera en se rattachant l'ancien laboratoire de Binet dans les années 1920. De plus, il faut aussi noter que Pierre Janet (1859-1947), à qui fut confié un enseignement de psychologie expérimentale à la Sorbonne en remplacement de Ribot, disposait bien d'un laboratoire qu'il dirigeait depuis 1890 mais il se trouvait à l'hôpital de la Salpêtrière. Georges Dumas qui le remplaça en 1902 eut le sien à l'asile Ste-Anne : outre que ces laboratoires se trouvaient à une grande distance de la Sorbonne, ils dépendaient en fait des hôpitaux considérés et nullement de l'Université de Paris. Il faudra attendre 1906 pour que Marcel Foucault, qui deviendra un collègue estimé de Bourdon, crée à Montpellier le second laboratoire universitaire français de Psychologie expérimentale (encore en province). Ce qu'il faut comprendre ici c'est que la psychologie s'est installée en province à partir d'initiatives individuelles. C'est seulement là où les philosophes ne l'ont pas rejetée qu'elle a pu se développer.

Si on compare à ce point de vue ce qui se passe à l'étranger à la même époque (cf., Henri, 1893 ; Delabarre, 1895), on s'aperçoit rapidement que de nombreux laboratoires sont crées dans les principales Universités allemandes et américaines. Ces deux pays sont en 1896 largement en tête pour la création des cours, des laboratoires et des départements de psychologie. Dans les autres pays, la psychologie n'est comme en France qu'à l'état embryonnaire.

Quelles étaient les raisons de l'infériorité de l'enseignement et de la recherche psychologiques en France par rapport aux États-Unis et à l'Allemagne ? Bourdon (1902b) en avait signalé essentiellement deux dans un article publié dans la "Revue Internationale de l'Enseignement". Pour lui, la raison principale de cette infériorité doit être cherchée dans l'organisation même de l'enseignement supérieur à cette époque qui était encore trop centralisé. Tout au long de sa carrière il condamnera amèrement le dictat parisien. Le but principal qui était poursuivi à l'époque dans les facultés des lettres des principales universités était de préparer à l'agrégation, c'est-à-dire à un examen qui se passait uniquement à Paris, dont les programmes étaient élaborés à Paris par un comité qui imposait ses idées à tout l'enseignement et qui rejetait l'étude objective de la psychologie préférant privilégier l'approche métaphysique. Une autre raison a aussi été invoquée par Bourdon : c'est celle de l'insuffisante préparation scientifique des candidats en philosophie. La plupart d'entre eux arrivaient à la psychologie par le chemin de la philologie alors qu'ils auraient eu besoin, en outre, de sérieuses connaissances en mathématiques, en physique et en physiologie. Bourdon (1902b) pensa à une manière de pallier à ces inconvénients en proposant un enseignement de psychologie dans les lycées. Il présentera d'ailleurs tout un programme cohérent en ce sens qui malheureusement ne reçut aucun écho.

Comme la psychologie expérimentale n'était à peu près pas enseignée en France, les gens ignoraient cette discipline ou n'en avaient que des idées bien vagues et parfois grossièrement inexactes. C'est vrai que dans notre pays le qualificatif "expérimental" lui-même lorsqu'il était appliqué à la psychologie renvoyait à plusieurs significations. Il était tantôt considéré comme synonyme "d'empirique", c'est-à-dire que l'on songeait en l'employant aux doctrines de certains psychologues, comme les associationnistes anglais. Il fut souvent rattaché aux expériences sur l'hypnotisme que les médecins-psychologues français avaient mis au premier plan dans l'histoire de la psychologie, voire aux observations sur le spiritisme, une pseudo-science qui s'est malencontreusement trouvé rattachée pendant une période de l'histoire à la psychologie. Enfin, on entendait par psychologie expérimentale la psychologie fondée sur l'observation et l'expérimentation, ou simplement sur l'expérimentation : dans ces derniers cas il s'agit de méthode. C'est dans ce dernier sens que Bourdon va la considérer, il s'empressera de définir la science qu'il entend pratiquer (Bourdon, 1896, pp. 227-228) : "Rappelons que la psychologie expérimentale, telle qu'on la comprend aujourd'hui, se distingue avant tout par sa méthode et relègue à l'arrière-plan les doctrines. Elle n'est donc ni matérialiste, ni spiritualiste, ni empiriste, ni rationaliste ; elle est simplement scientifique, c'est-à-dire qu'elle s'attache à l'observation exacte des phénomènes psychologiques, expérimente quand elle le peut, et s'aide, soit pour observer, soit pour expérimenter, d'instruments analogues à ceux dont se servent la physique ou la physiologie".

Voici comment Bourdon (1896, pp. 229-230) décrit l'installation de son laboratoire à l'Université de Rennes :

"Les frais de la première installation du laboratoire de psychologie et de linguistique de la Faculté des lettres de Rennes, seront couverts par deux subventions principales : l'une de la faculté elle-même, l'autre de la municipalité rennaise. Cette installation sera modeste, mais il est à espérer qu'elle se perfectionnera peu à peu.

Comme locaux, nous disposerons d'une assez grande pièce, placée au rez-de-chaussée et orientée au midi, avec eau et gaz, et de baraquements peu confortables, mais qui néanmoins pourront être utilisés comme salles de travail, surtout pendant les beaux jours. On peut faire l'obscurité dans la grande pièce et dans des pièces des baraquements précités.

Sur un point notre outillage sera complet : c'est en ce qui concerne l'inscription de la parole. Nous avons concentré nos efforts de ce côté pour deux raisons : d'abord parce que, nos crédits étant limités, il nous a semblé qu'il valait mieux tâcher d'acquérir un ensemble d'appareils formant bien un tout que des parties d'appareils pour ainsi dire ; en second lieu, beaucoup de ces appareils enregistreurs qui servent pour la parole peuvent être employés à des recherches spécialement psychologiques, par exemple à des recherches de chronométrie.

Quant au détail des instruments que nous allons posséder ou que nous possédons dès maintenant, voici quels sont les principaux :

Un ensemble d'appareils pour l'inscription de la parole, comprenant un cylindre avec chariot, plusieurs tambours de Marey, un diapason électrique de deux cents vibrations doubles, un signal de Deprez, un microphone de Rousselot pour inscrire électriquement la hauteur de la parole, un pneumographe de Verdin, divers appareils de Rousselot pour enregistrer les vibrations buccale, nasale, les mouvements des lèvres, du larynx, un appareil de Rosapelly pour les vibrations du larynx, etc.

Une horloge sonnant les minutes et les cinq minutes. Cet instrument sera d'une grande utilité pour des recherches telles que celles que l'on fait sur l'entraînement, sur le ralentissement ou l'accélération qui peuvent survenir dans le travail intellectuel par suite de la fatigue, de l'absorption d'excitants.

Un disque vertical, mu par un mouvement d'horlogerie et pouvant prendre toutes les vitesses depuis moins d'un tour jusqu'à une dizaine de tours par minute. Cet appareil servira à des études sur la durée des perceptions visuelles, sur la reconnaissance des couleurs, etc.

Un dynamomètre ordinaire et un ergomètre pratique conçu d'après le même principe que l'ergographe de Mosso.

Un appareil à rotation permettant de faire tourner simultanément deux disques placés sur des axes parallèles, ce qui rend évidentes certaines différences de nuances dues par exemple au contraste des couleurs.

Enfin divers instruments tels que métronome, montre à cinquième de secondes avec mise en marche et arrêt par pression, sonnerie électrique, stéréoscope, appareil pour la démonstration des images consécutives rétiniennes, verres pour faire constater les effets de l'astigmatisme, échelles d'acuité et de sensibilité lumineuse, collection de papiers colorés, périmètre, tube binauriculaire, esthésiomètre double gradué en demi-millimètres, algomètre, feuilles imprimées pour expériences de discrimination, etc.

En somme, dans quelques mois, nous serons outillés suffisamment pour pouvoir non seulement faire, d'une manière convenable, la plupart des démonstrations qui se rapportent à la psychologie et à la linguistique expérimentale, mais encore pour pouvoir entreprendre des recherches personnelles.

Ce qui nous manquera le plus, ce seront les appareils qui se rapportent au sens de l'ouïe ; il nous faudrait, à cet égard, au moins quelques diapasons donnant une série d'harmoniques, une collection de résonateurs et un appareil à flammes manométriques. Il serait à désirer aussi que nous pussions faire l'acquisition d'un chronoscope tel que celui de d'Arsonval ou de celui de Hipp, car les déterminations de durées très courtes par le moyen du cylindre de Marey, si elles sont exactes, exigent en revanche une assez longue manipulation qui rend ce dernier instrument peu pratique lorsqu'il s'agit de faire un grand nombre d'observations en un temps limité. Un microscope nous sera nécessaire aussi pour la lecture des fins tracés que l'on obtient souvent en inscrivant les sons de la parole".

L'exposition réalisée lors du centenaire du laboratoire (1996) a montré que Bourdon s'est par la suite procuré tous les appareillages nécessaires à ses expériences et en particulier un chronoscope de Hipp, un des instruments majeurs de la psychologie expérimentale puisqu'il est à l'origine des études sur les temps de réaction (pour une présentation : Nicolas, 1996). Travaillant essentiellement seul, Bourdon dirigera le laboratoire jusqu'à sa retraite en 1930 (Albert Burloud le remplacera) mais continuera à le fréquenter par la suite. Henri Piéron (1961) a révélé une correspondance intéressante sur les vicissitudes du laboratoire lors de l'occupation allemande : "le laboratoire de psychologie, que j'avais mis 40 ans, avec beaucoup de peine, à organiser, est pratiquement détruit" (lettre du 2 mars 1942) mais les instruments furent pratiquement tous sauvés.

Benjamin Bourdon et sa femme au onzième Congrès international de psychologie (Paris, 1937)

CONCLUSION

Benjamin Bourdon fut essentiellement un psychologue de laboratoire, un pur psychologue expérimentaliste, c'est-à-dire une race de psychologue assez rare à l'époque, du moins en France. L'œuvre de Bourdon est moins connue que celle de trois de ses plus illustres contemporains français : Alfred Binet, Pierre Janet et Henri Piéron. La raison principale est que ses travaux furent plus strictement spécialisés que ceux de ces psychologues parisiens. En effet, les psychologues français de l'époque étaient plus attirés que ne l'a été Bourdon par les questions relatives à la psychopathologie. Il n'était pas de notre propos de présenter ici l'œuvre de Bourdon car il aurait fallu, d'une part, beaucoup de place et, d'autre part, c'est une œuvre qui ne se laisse pas facilement analyser, elle est de nature très technique. Il faut simplement rappeler qu'il a développé essentiellement trois axes de recherches[3] : des recherches sur l'association des idées, la mémoire et la perception (pour une revue de ses travaux : Beuchet, 1962b).

Ce que l'on connaît moins c'est la personnalité de Benjamin Bourdon. On sait que c'était un sportif confirmé, il aimait la marche et la nage. On a raconté ses exploits dans ces deux domaines, les kilomètres ne lui faisaient pas peur. Lorsqu'il était à la Faculté de Rennes il se levait de bonne heure, déjeunait seul et partait à 8 heures du matin au travail. Il revenait pour l'heure du déjeuner mais parlait peu de ses activités universitaires si ce n'est pendant la période des examens où il devait corriger les copies de ses pauvres étudiants. Il avait en horreur cette charge qu'il considérait comme une pénitence. Il revenait le soir entre 18-19 heures pour dîner. Puis sortait faire une promenade à 22 heures tous les soirs. Il passait ainsi une grande partie de sa journée à la Faculté, à donner des cours, à faire des expériences et surtout à construire des instruments de laboratoire. Pendant les vacances, il rejoignait sa maison de campagne à Montmartin sur Mer et s'accordait un voyage par an le plus souvent à l'étranger. S'il fallait caractériser cet homme, on pourrait employer trois qualificatifs : c'était un esprit indépendant, audacieux et passionné. Indépendant parce qu'il n'a appartenu à aucune école et qu'il n'a pas formé d'élèves connus, audacieux parce qu'il a innové en province dans le domaine de la psychologie même si ses efforts sont restés vains contre le centralisme parisien, et passionné parce qu'il est véritablement la figure du chercheur type, tel que l'on peut le concevoir aujourd'hui. Ceux qui l'ont connu disent de lui qu'il était un homme droit, direct mais froid, pas facile d'accès. En effet, il intimidait tout le monde, c'était un pince sans rire. On sait aussi que les candidats aux épreuves orales d'examen le redoutaient tout particulièrement à cause des questions impromptues, saugrenues qu'il pouvait poser.

Mais au delà de ces clichés, Bourdon reste une figure importante de la psychologie française.

Bibliographie

Basch, V. (1892). Un cours de psychologie expérimentale à la Faculté des Lettres. Annales de Bretagne, 7, 259-265.

Beuchet, J. (1961a). Vie et œuvre de Benjamin Bourdon (1860-1943). Psychologie Française, 6, 173-181.

Beuchet, J. (1961b). Benjamin Bourdon (1860-1943). L'Année Psychologique, 61, 309-312.

Beuchet, J. (1961c). Un pionnier des Sciences Humaines : Benjamin Bourdon (1860-1943). Annales de Bretagne, 68, 299-345.

Beuchet, J. (1962a). Benjamin Bourdon, pionnier de la psychologie expérimentale (1860-1943). Bulletin de Psychologie, 16, 162-175.

Beuchet, J. (1962b). L'œuvre de Bourdon. Bulletin de Psychologie, 16, 176-227.

Bourdon, B. (1888). L'évolution phonétique du langage. Revue Philosophique, 26, 334-369.

Bourdon, B. (1891). Les résultats des théories contemporaines sur l'association des idées. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 31, 561-610.

Bourdon, B. (1892a). L'expression des émotions et des tendances dans le langage. Paris : Alcan.

Bourdon, B. (1892b). De qualitatibus sensibilibus apud Cartesium. Paris : Alcan.

Bourdon, B. (1893a) Recherches sur la succession des phénomènes psychologiques. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 35, 225-260.

Bourdon, B. (1893b). Une illusion d'optique. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 35, 507-508.

Bourdon, B. (1893c). La reconnaissance de phénomènes nouveaux. Revue Philosophique, 36, 629-630.

Bourdon, B. (1894). Influence de l'âge sur la mémoire immédiate. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 38, 148-167.

Bourdon, B. (1895). La reconnaissance, la discrimination et l'association. Revue Philosophique de la France et de l’Etranger, 40, 153-187.

Bourdon, B. (1896). Création d'un laboratoire de psychologie et de linguistique expérimentales. Annales de Bretagne, 11, 227-231.

Bourdon, B. (1902a). La perception visuelle de l'espace. Paris : Schleicher.

Bourdon, B. (1902b). L'enseignement de la psychologie dans les Universités françaises. Revue Internationale de l'Enseignement, 44, 5-13.

Bourdon, B. (1923). Les sensations. In G. Dumas (Edit.), Traité de psychologie (T. 1, pp. 318-401). Paris : Alcan.

Bourdon, B. (1924). La perception. In G. Dumas (Edit.), Traité de psychologie (T. 2,pp. 1-43). Paris : Alcan.

Bourdon, B. (1926). L'intelligence. Paris : Alcan.

Bourdon, B. (1932). Autobiography. In C. Murchison (Edit.), A history of psychology in autobiography (Vol. 2, pp. 1-16). Worcester : Clark University Press.

Delabarre, E.B. (1895). Les laboratoires de psychologie en Amérique. L'Année Psychologique, 1, 209-255.

Henri, V. (1893). Les laboratoires de psychologie expérimentale en Allemagne. L'Année Psychologique, 36, 608-622.

Nicolas, S. (1995). Henry Beaunis (1830-1921), directeur-fondateur du laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne. L'Année Psychologique, 95, 267-291.

Nicolas, S. (1996). On the speed of different senses and nerve transmission by Hirsh (1862). Psychological Research.

Piéron, H. (1961). Benjamin Bourdon comme je l'ai connu. Psychologie Française, 6, 163-172.

Ribot, Th. (1870). La psychologie anglaise contemporaine. Paris : Ladrange.

Ribot, Th. (1879). La psychologie allemande contemporaine. Paris : Baillière.

Richard, J.F. (1962) Les recherches expérimentales de Bourdon sur l'association et les phénomènes intellectuels. Bulletin de Psychologie, 16, 228-236.

[1] Il convient d'indiquer les principales sources biographiques qui nous permettent aujourd'hui de parler de cet éminent psychologue français. Ces données sont heureusement pour nous relativement assez nombreuses, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas de bon nombre de ses contemporains. La plus importante est l'autobiographie d'une quinzaine de pages (Bourdon, 1932) qu'il a rédigée au terme de sa carrière à la demande de Carl Murchison, professeur à l'Université Clark de Worcester aux États-Unis. Cette autobiographie a paru en 1932, traduite en anglais, dans le second volume d'une collection destinée à présenter les plus grands psychologues de l'époque. Il faut tout de même souligner que peu de psychologues français ont eu l'honneur de se présenter de cette manière à la communauté scientifique internationale. On ne peut citer guère que Pierre Janet et Henri Piéron, les deux figures de proue de la psychologie française de la première moitié du XXe siècle. Une deuxième source très importante est constituée par les articles qui ont été publiés lors du centenaire de la naissance de Benjamin Bourdon en 1960. Mr Jean Beuchet (1961a, 1961b, 1961c, 1962a, 1962b) qui a d'ailleurs grandement contribué à raviver la mémoire de Benjamin Bourdon lors du centenaire de sa naissance en publiant des articles dans de nombreuses revues françaises à l'époque dont "Psychologie Française", "Bulletin de Psychologie", "Année Psychologique", "Annales de Bretagne". Enfin, une troisième source importante est constituée par ceux qui ont connu personnellement Benjamin Bourdon et plus particulièrement certains membres de sa famille telles les nièces de Benjamin Bourdon, Mme Andrée Hélaine et Mme Marguerite Fiemeyer, avec qui nous avons eu des contacts et qui nous ont aimablement rapporté de nombreux documents souvent inédits. Ces personnes ont côtoyé pendant de nombreuses années cet oncle aujourd'hui disparu et dont nous honorons aujourd'hui la mémoire.

[2] Serge Nicolas a pu d’ailleurs admirer en 1995 le portrait militaire dans l'appartement de Mme Marguerite Fiemeyer, nièce de Bourdon. Benjamin Bourdon était l'aîné d'une famille qui compta trois autres enfants : Ambroisine, Angélina et Louise. Il se maria le 24 janvier 1903, à l'âge de 43 ans, avec une bretonne angliciste (qui a travaillé pendant quelques années en Angleterre) du nom de Louise Amélie L'Éost (1869-1953) qu'il connut par l'intermédiaire d'amis communs officiers de marine qui résidaient à Brest. Ils n'eurent cependant pas de descendance directe.

[3] Ses premières recherches expérimentales commencées certainement au cours de l'année universitaire 1892-1893 concernaient déjà ces trois thèmes. Le premier était un sujet à la mode à l'époque : l'association des idées (Bourdon, 1893a). Ces travaux démarrèrent après que Bourdon ait publié un excellent article de synthèse en 1891 sur ce sujet (Bourdon, 1891). La technique consistait à associer une idée à un mot ou un mot à un autre mot, etc. et à étudier les conditions de ces associations (cf. Richard, 1962). Le deuxième thème auquel il s'intéressa aussi à la même période fut l'étude de la mémoire (Bourdon, 1893c, 1894, 1895) et plus particulièrement l'étude de la mémoire immédiate (en montrant que celle-ci évolue avec l'âge et constitue un indice de l'intelligence). Enfin, le dernier thème qu'il a traité concerne la question des sensations visuelles et plus particulièrement des illusions d'optique (Bourdon, 1893b). C'est sur le thème des sensations et des perceptions que Bourdon a le plus écrit. Il a publié l'ouvrage "La perception visuelle de l'espace" en 1902 (Bourdon, 1902a) qui est certainement l'écrit le plus important de Bourdon, même si on cite aussi son ouvrage sur "l'intelligence" publié en 1926 (Bourdon, 1926) qui n'est en fait qu'une introduction à l'étude des phénomènes intellectuels et non pas un ouvrage sur l'intelligence. Pour en revenir à l'écrit sur la perception visuelle de l'espace (Bourdon, 1902a), on le considère comme une véritable somme de connaissances sur le sujet. Il écrira aussi un chapitre sur les sensations et les perceptions dans le premier traité français de psychologie (Bourdon, 1923, 1924).