Philosophie & histoire du Judo

Le Ju no Michi :

"En évoluant vers la compétition et en raison des modifications apportées à ses règlements, le Judo s’est éloigné de son origine - dans la conception de Maître Jigoro KANO - et est devenu un sport d’opposition.

Le Ju no Michi se démarque de cette pratique et désire conserver les origines de cet art martial, notamment la Mobilité, l'Esquive et la Non-Résistance.

"Mobilité" ne signifie pas seulement se déplacer, marcher, faire des gestes ou des actions; dans le cas présent, cela veut dire :

  • la disponibilité, la participation de tout le corps, d’une manière déliée, dans une action d’attaque, de défense, de résistance ou d’esquive

  • la coordination des mouvements du corps, des membres, de la tête (quelquefois contradictoires) pour réaliser une action avec l’efficacité maximale et le minimum d'effort

La recherche de la force physique pure vient aussi du fait que les combattants négligent la notion d'Esquive. Pour eux, il n’existe qu’une seule vérité : c’est la résistance d’une force contre une autre. Or, qui dit résistance, opposition, dit également Immobilité; alors que l’esquive signifie au contraire mobilité. C’est l’illustration même du principe de Non-Résistance.

Maître Igor CORREA LUNA (illustration de sa pratique)

Rencontre nationale 2006, avec les "Ippon" de la compétition et des extraits du Nage no Kata, du Kime no Kata (avec Éric dans le rôle de Tori) et du Koshiki no Kata

Kata et Randori:

"Pour travailler et comprendre le Jūdō, deux pratiques se présentent à nous. Ce sont le Randori et le Kata. Et on ne peut négliger ni l'une ni l'autre. Il y a entre elle une profonde relation. La même que celle que nous trouvons entre la grammaire et la composition. La grammaire enseigne les règles, les fondements, de l'écriture et du parler corrects, c'est le Kata. La composition ou exercice libre, c'est le Randori. Pour bien faire le Randori, il faut bien connaître le Kata.

En général le point faible du Jūdō européen, ce sont les Kata ou fondements. Leur esprit et leur réalisation sont mal compris et ont été altérés. Pour illustrer ma pensée, prenons l'exemple du Kata le plus connu, le Nage no Kata: on n'en travaille que la forme, mais l'étude du déséquilibre, de l'attitude, des déplacements, tout cela est perdu de vue. En même temps au moment de projeter, Tori reste passif tandis qu'Uke est obligé de se lancer. Alors qu'il faut, avec sincérité, exécuter le mouvement complet (Kozuchi, Tsukuri et Kake). Exécuté à "l'européenne", le Kata perd son importante signification de grammaire."

Maître Ichiro ABE

Les Katas :

Partie essentielle de notre pratique, les Katas (enchaînement de techniques codifiées) sont la méthode traditionnelle d'acquisition et de transmission des connaissances dans la tradition japonaise depuis une époque très ancienne. Maître Jigoro KANO a donc tout naturellement choisi cet outil pédagogique et philosophique pour assurer la transmission de son art et comme base de son enseignement, et à ce titre ils méritent toute l'attention d'un bon pratiquant.

" Les Katas sont l’esthétique du Judo. Dans les Katas se trouve l’esprit du Jūdō, sans lequel il est impossible d’apercevoir le but.”

Maître Jigoro KANO (illustration de sa pratique)

"Il est absolument certain que si Maître Jigoro KANO a conçu les Katas, c’est dans le but de faire ressortir, à l’occasion de ces exercices, les différents principes dont on trouvera l’application dans l’Uchi Komi, dans le Randori et dans la compétition (le Shiaï).

Chaque Kata permet d’étudier des formes différentes mais tous ont un trait commun - pour agrémenter, susciter un intérêt dans l’étude, le perfectionnement et l’enseignement - à savoir qu’ils ont été présentés sous forme de "No" (pièce de théâtre japonais) où il y a deux "acteurs" ou "interprètes" qui ont toujours un rôle identique. Ils sont conventionnels dans leur déroulement tout en étant empreints de sincérité dans l’exécution, car ils sont toujours le reflet et le simulacre de la compétition qui est une finalité justifiant l’efficacité."

"Les Katas ne sont pas quelque chose d'exceptionnel. Ce sont des exercices au même titre que les autres et il ne faut pas perdre de vue que tous les exercices sont faits pour améliorer la pratique du Judo."

Maître Igor CORREA LUNA

Jeune chez ses parents à Kobe, Jigoro KANO a connu et admiré un pratiquant de Ju Jutsu qui venait régulièrement chez lui. Ce dernier lui montra un Kata mais refusa de lui enseigner le Ju Jutsu.

Ce n’est qu’en 1877 à l'âge de 17 ans, alors qu’il entrait à la faculté des lettres de l’Université de Tokyo, qu’il put commencer l’apprentissage du Ju Jutsu auprès de l’école Tenjinshinyō.

Après le décès de ses deux maîtres en 1881, il étudia ensuite auprès d'un maître de l’école Kitō. En 1882, Jigoro KANO créa une pension pour accueillir des étudiants (Kano Juku) et fonda son Dojo: le KODOKAN. Dans ce lieu, il puisa dans ce qu'il connaissait du Ju Jutsu pour créer une nouvelle pratique éducative : le Judo.

Entre 1884 et 1887, il mit au point les trois Katas de base du Judo: le Nage no Kata (alors 10 mouvements exécutés à droite uniquement, comme on peut le voir dans la vidéo de Kyuzo MIFUNE), le Katame no Kata et le Shōbu no Kata (futur Kime no Kata).

De nos jours encore, les Katas demandés aux examens de grades des trois premiers degrés sont respectivement dans cet ordre en fonction du niveau.

Le Katame no Kata serait issu d’un travail, considéré comme classique, de 2 élèves de Jigoro KANO, à savoir Nagaoka HIDEKAZU et Yamashita YOSHITSUGU (Yoshiaki), tous deux ayant obtenu leur 10e Dan (grade le plus élevé atteignable).

Les autres Katas (Ju no Kata, Koshiki no Kata) furent développés plus tardivement, voire même après le décès de Jigoro KANO en 1938 (comme par exemple le Kōdōkan Goshinjutsu no Kata).

En 1906, les Katas du Judo Kodokan furent fixés dans leur forme à la Dai Nihon Butokai (Association de la Vertu Guerrière du grand Japon, fondée en 1895) au sein de laquelle Jigoro KANO avait été nommé négociateur en 1900.

Principaux maîtres de Jū Jutsu rassemblés autour de Jigorō KANŌ à la Dai Nihon Butokai en 1906

Actuellement, le Kōdōkan enseigne sept Katas :

1. Randori no Kata (Kata d'exercice libre), divisé en :

Nage no Kata (Kata des projections) "forme" Ju no Michi, "forme" Kōdōkan avec détails

Katame no Kata (Kata des contrôles) "forme" Kōdōkan avec détails

2. Kime no Kata (Kata de la décision) "forme" Kyuzo MIFUNE, "forme" Kōdōkan avec ralentis

3. Goshinjutsu no Kata (Kata de défense personnelle) "forme" Kōdōkan avec ralentis, présentation au Budōkan

4. Jū no Kata (Kata de la souplesse). présentation par Jigorō KANŌ et Kyuzo MIFUNE

"Je pense que le Ju no Kata doit être étudié en premier lieu pour deux raisons:

La première est que ce Kata montre la voie la plus importante du Judo. Il est parfait pour faire comprendre les principes qui mènent à la victoire en se pliant à la force du partenaire.

La deuxième est que ce Kata est facile à étudier pour les débutants, car il se pratique sans projection et dans un mouvement lent."

Maître Jigoro KANO

5. Itsutsu no Kata (Kata des cinq). présentation par Kyuzo MIFUNE, présentation par Tamio KURIHARA (+ partie du Koshiki no Kata), présentation au Kodokan en 2013

Kata repris sans modification de l'école Tenjinshinyo.

6. Koshiki no Kata (Kata des formes anciennes) présentation au Palais Impérial en 1929 par Jigorō KANŌ et Yoshiaki YAMASHITA, "forme" Jū no Michi 1, "forme" Jū no Michi 2

"Le Koshiki no Kata est un Kata légué par la branche TAKÉNAKA de l’école KITO et je l’ai repris en l’état et transmis tel qu’il était autrefois pour faire comprendre le sens profond et la noblesse du combat en Judo et parce qu’il est tout à fait approprié pour indiquer le chemin parcouru pour passer du Ju Jutsu au Judo."

Maître Jigoro KANO

7. Seiryoku Zen Yo Kokumin Taii no Kata (Kata des principes de l'efficacité maximum) vidéo ancienne, Kata Tsukki et Geri de face et de dos, Kata complet

Mais Il existe d'autres Kata pratiqués couramment, les plus fréquents sont :

8. Gonosen no Kata (Kata des contreprises) "forme" Kōdōkan

9. Nanatsu no Kata (Kata des sept), nous pratiquons la forme enseignée par Tokio HIRANO (illustrations de sa pratique), vu de droite, vu de gauche, étude inspirée de Tokio HIRANO

10. Nage Ura no Kata (Kata des contres projections) créé par Kyuzo MIFUNE (vidéo complète), élève direct de Jigorō KANO et fondateur du Kokusai Budo International Martials Arts Federation, présentation moderne

11. Go no Kata (Kata de la dureté) "forme" Kōdōkan

"Le Go no Kata - appelé encore à une certaine époque Goju no Kata - est un Kata que j’enseignais autrefois, mais mes recherches sont encore insuffisantes, et comme dans trois ou quatre mouvements parmi les dix que j’ai créés, il y a des éléments qui ne me plaisent toujours pas, il reste inchangé, mais je pense y réfléchir bientôt.

Ce Kata consistait à l’origine à se pousser, se tirer, se tordre l’un l’autre par une opposition des énergies, puis devint un mécanisme visant à gagner en s’adaptant à cette force. À l’avenir, lorsqu’il sera terminé, je pense que je l'enseignerai au Kodokan, mais pour le moment - comme je l’ai dit plus haut - étant donné que c’est un Kata inachevé, on peut l’étudier ou non, cela n’a pas d’importance."

Maître Jigoro KANO, opinion exprimée en 1922

12. Kodokan Joshi Goshen-Ho Kata (self-défense pour femmes)

Kata créé en 1943 par Jiro NANGO, neveu de Jigoro KANO et directeur du Kodokan après sa mort, dans le but de codifier des techniques de défenses personnelles adaptées aux femmes.

Le Randori :

Expression libre des principes du Judo traditionnel ou du Ju no Michi : Mobilité, Esquive et Non-opposition, dans un but de perfection (du geste et de l'esprit) et non de victoire, qui n'est qu'une conséquence et non un but. Randori de Ju no Michi

"Le Randori, mot qui signifie "exercice libre", se pratique dans les conditions d'une lutte réelle. Il comprend les actions de projections, d'étranglements, de contrôles au sol et de clefs de bras ou de jambes. Les deux combattants peuvent se servir de n'importe lequel de ces procédés, pourvu qu'ils ne se blessent ni l'un ni l'autre et qu'ils respectent les règles du Judo."

Maître Jigoro KANO

Ju Jutsu et non Ju Jitsu:

Dans le terme "ju-jutsu", "ju" (柔) signifie "souplesse" et "jutsu" (術) signifie "art". Il existe diverses transcriptions phonétiques approximatives, ce qui explique les différentes graphies. Même si l'orthographe "ju-jitsu" est la plus utilisée dans la littérature francophone, cela ne correspond pas à la consonance.

Le terme "ju jutsu" traduisant de façon plus rigoureuse le mot japonais pour cet art martial est composé de deux kanjis. Selon la méthode de romanisation du japonais la plus répandue, la méthode Hepburn, ces kanjis devraient se définir ainsi :

  • (柔?) : mou, tendre, doux, souple.

    • Jutsu (術?) : art, moyen, technique.

Si l'on s'en réfère à l'origine de ce terme, Ju Jutsu se traduit donc par "art de la souplesse" ou "art doux".

Toujours selon la méthode Hepburn, "ju-jitsu" ou "jiu-jitsu" se définiraient ainsi:

  • Ju (柔?) : mou, tendre, doux, souple.

  • Jitsu (実?) : vérité, réalité, sincérité.

On remarque ici que l'écriture du kanji jitsu (実?) est très différente de l'écriture du kanji jutsu (術?). Le Ju Jitsu serait donc traduit de la manière suivante : "la vérité douce", "la réalité de la souplesse" ou "la sincérité du tendre", etc. Ce qui est très loin de la méthode de combat qu'est le Ju Jutsu. La confusion et la mauvaise prononciation entre jutsu et jitsu remonte aux premiers échanges entre occidentaux et japonais vers la fin du XIXème siècle. Pour toutes sortes de raisons, souvent politiques et légales (compte tenu du fait que ces termes sont déposés), la correction à la romanisation n'est pas souvent apportée. Par contre, tous utilisent les bons kanjis de l'écriture japonaise de cet art martial, le Ju Jutsu (柔術?).

Le KUMIKATA: ou technique de saisie du judogi du partenaire

Prononciation correcte de jū jutsu

Kanji de jū jutsu.

Commencez par vous tenir exactement à la verticale. Ensuite, laissez tomber les épaules, les pectoraux et le ventre, ce qui déplacera votre polygone de sustentation vers l’avant. Le poids du corps se situe en avant de la ligne des orteils, juste à la limite pour ne pas être obligé de contracter les orteils. Le ventre et la respiration s’appuient vers le bas.

À partir de cette position, lorsque vous voulez saisir le judogi de votre partenaire, saisissez-le en le prenant et non pas en allant le chercher. Cela veut dire que vos mains viennent prendre le judogi, mais que vos bras reculent pour créer une traction sur le judogi du partenaire, vers votre arrière. Les poignets tournent légèrement à l’extérieur pour diriger la paume de chaque main vers le sol. Les bras doivent être suspendus. Les coudes doivent tomber vers le bas à l’infini, de façon à conserver votre position sur l’avant.

Prenez le contrôle en gardant la tension sur le judogi de votre partenaire, par la manche et le revers. Vos deux mains communiquent ensemble grâce et à travers cette tension. Bougez alors les hanches et les épaules, afin de transmettre votre mobilité au partenaire. Cette mobilité ne doit pas être une contrainte, ce n’est pas une action de "tirer - pousser". Assurez-vous que le judogi du partenaire reste tendu, que vos coudes vont bien vers le bas à "l’infini", que vous maintenez le surplomb vers l’avant et que vous transmettez la mobilité à partir des hanches, puis des épaules.

Déplacez-vous sans être rattrapé sur votre arrière, car sinon vos bras iraient vers le haut, vous seriez "dans" vos épaules forcément en arrière et donc vous perdriez le contrôle. Vos bras doivent rester sur le bas et la traction sur le judogi du partenaire doit toujours être semblable, mais sans crispation ni opposition. En fait, les bras servent à conserver la pression. Lorsque vous vous tournez d’un côté ou d’un autre, vous ne devez pas relâcher cette traction. Toujours en équilibre avant et en maintenant une traction constante sur le judogi, le contrôle obtenu permet de ressentir chaque action du partenaire qui peut être accentuée pour vous donner des points d’appui, ainsi prendre l'avantage et pouvoir déclencher un mouvement de projection qui surprendra votre partenaire.

Pascal DUPRÉ, professeur au Judu club de Gland (Suisse)