Interventions

Le 23 octobre 2015 Christophe Charle et Charles Soulié, respectivement président et secrétaire de l'ARESER, ont fait paraître la tribune libre ci-dessous dans le quotidien Le Monde:

Il existe en France de vrais intellectuels méprisés par les médias

Titre original de l'article: La mémoire courte

Le Monde du 23 octobre 2015

Le débat déclenché par quelques prises de position d’ « intellectuels » médiatiques sur l’état réel de l’opinion intellectuelle en France réveille pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte l’impression de revivre des périodes sombres et bien connues du siècle dernier. Contrairement à ce que veulent nous faire croire les pseudo penseurs actuels, ils ne sont pas les défenseurs des idées neuves ou hérétiques face au prétendu conformisme de la bien-pensance de la gauche intellectuelle. Qu’ils rencontrent d’ailleurs des succès académiques, médiatiques ou de vente indiquent bien qu’ils ne font que suivre les courants dominants d’un conformisme droitier hégémonique depuis plus de vingt ans. En 1995 déjà, soutenir les « réformes » du gouvernement Juppé était présenté par certains réformateurs comme un acte d’audace et de modernité alors qu’elles entamaient la longue séquence des régressions sociales et intellectuelles destinées, paraît-il, à faire baisser le chômage et à redonner à la France son dynamisme. Vingt ans après, nous attendons toujours et l’un et l’autre, mais une seule chose reste : l’arrogance de ceux qui savent et prétendent toujours être courageux face à une gauche intellectuelle déclarée irrémédiablement stupide et attardée. En avril 1998, face (déjà) au succès du Front national et aux alliances dans certains conseils régionaux de la droite officielle avec l’extrême droite, Pierre Bourdieu et quelques autres chercheurs, dont l’un des signataires de ces lignes, avaient plaidé pour une « gauche de gauche » qui ne déçoive pas ses électeurs et garde le cap. L’auteur de la Misère du monde n’avait guère plus été entendu du gouvernement Jospin que ceux qui aujourd’hui encore tentent de mettre en garde le gouvernement Hollande-Valls contre les effets électoraux déjà bien visibles de l’abandon de tout réforme de gauche. On sait ce qu’il advint : le 21 avril 2002 et les dix années de gouvernement chiraco-sarkozyste.

Il n’y a sans doute plus que les observateurs étrangers pour croire que la France est un pays qui aime les idées pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Sudhir Hazareesingh. En tout cas il y a longtemps que les gouvernements s’inquiètent peu des idées qui ne sortent pas des sondages d’opinion ou des slogans de leurs communicants grassement payés pour vendre du vent. Là encore, puisque la mode est aux évaluations, la baisse de la participation électorale et l’audience des thèses extérieures à la pensée unique devraient les inciter à cesser de gaspiller leurs fonds électoraux pour d’aussi piètes résultats et peut-être à s’intéresser aux travaux très nombreux, mais qu’ils ignorent, qui expliquent pourquoi leurs discours embrayent sur le vide et ne rencontrent que la surdité des citoyens.

Naguère on parlait encore d’exception française. La France n’avait pas de pétrole mais elle avait des idées. Elle avait les droits de l’homme, même si elle ne les avait pas toujours respecté. Elle était une terre d’asile mais ne souhaitait prendre en charge qu’une part réduite de la misère du monde. Elle avait de grands intellectuels mais les préférait décédés pour ne pas trop avoir à leur répondre quand ils posaient des questions gênantes. Aujourd’hui prévaut désormais le discours de la nostalgie et particulièrement dans cette génération d’intellectuels qui ressassent les mêmes lieux communs depuis trente ans. Pourtant la France n’a jamais eu une jeunesse aussi éduquée, elle n’a jamais autant produit de thèses, de livres d’articles dans toutes les sciences et notamment les sciences sociales. Internet bruisse de groupes de discussions, d’associations, d’initiatives de mobilisation intellectuelle ou sociale sur les problèmes français ou du monde. Les médias dominants s’en moquent, il ne faut surtout pas déranger les cercles de discussion établis autour des mêmes et des mêmes thématiques.

Cette coupure entre le champ intellectuel réel et réellement actif et le cercle intellectuel visible est tout aussi profonde et nocive que le fossé qui sépare les cercles du pouvoir du peuple souverain déçu par les promesses et les discours creux. Si de multiples initiatives d’intellectuels collectifs n’ont pas attendu le débat actuel pour exister et tenter de se faire entendre, il serait temps que les médias dominants s’interrogent sur leur splendide isolement qui n’a d’égal que celui des cercles du pouvoir à la mémoire courte.

Christophe Charle, professeur d’histoire contemporaine Université Paris 1

Charles Soulié, maître de conférences de sociologie Université Paris 8

Respectivement Président et secrétaire de l’ARESER (Association de réflexion sur l’enseignement supérieur et la recherche

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Le 23 janvier 2013, Frédéric Neyrat du bureau de l'ARESER a été invité sur France Culture pour parler des PRES avec Jean-Loup Salzmann, président de l'université de Paris 13 et président de la Conférences des présidents d'université (CPU).

Il est possible d'écouter l'émission en allant à l'adresse suivante:

http://www.franceculture.fr/podcast/4488211

En 2012, l'ARESER est intervenue à plusieurs reprises dans le débat public. Une première fois au travers d'une tribune libre publiée en janvier 2012 dans le journal Le Monde et dressant un bilan des réformes menées par Nicolas Sarkozy et son gouvernement concernant l'université et la recherche.

"La crise du crédit universitaire", C.Charle et C.Soulié, Le Monde, 20 janvier 2012.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/19/crise-du-credit-universitaire_1631929_3232.html

Une seconde fois afin de présenter l'Association dans le bulletin du SNESUP:

http://www.snesup.fr/Presse-et-documentation?aid=6258&ptid=5

Une troisième fois à l'invitation de l'ARESER Japon afin de parler de "L'université après Fukushima" à Tokyo, puis de l'évolution comparée des universités françaises et japonaises à Kobé.

Symposium : L’Université après Fukushima, dialogue franco-japonais de l’ARESER

Symposium public avec traduction simultanée

Vendredi 24 février 2012 / 14 h – 18 h / Auditorium

de la La Maison Franco-Japonaise

Adresse :

3-9-25, Ebisu, Shibuya-ku, Tokyo 150-0013

Modérateur : OKI Sayaka (Univ. de Hiroshima)

Intervenants :

Christophe CHARLE (Univ. Paris 1)

NAKAMURA Masaki (Univ. d’Osaka)

Frédéric NEYRAT (Univ. de Limoges)

OKAYAMA Shigeru (Univ. Waseda)

SHIRAISHI Yoshiharu (Univ. Sophia)

Charles SOULIÉ (Univ. Paris 8 )

Organisation : ARESER Japon

Co-organisation : Bureau français de la Maison franco-japonaise

Les interventions de Christophe Charle, Frédéric Neyrat et Charles Soulié au colloque de Kobé relatif aux réformes de l'enseignement supérieur en France et au Japon ont été publiées ensuite dans les Annales de la Société franco-japonaise des Sciences de l'Education, n°40, mars 2012.

L'université à l'heure de la marchandisation des savoirs

Le vendredi 5 octobre 2012, l'ARESER a organisé à Paris un colloque international intitulé: "L'Université à l'heure de la marchandisation des savoirs". En voici l'argument:

Depuis le milieu des années 1990, l’histoire des universités s’est accélérée. L’emprise croissante de la doxa néolibérale sur tous les secteurs de la vie sociale aboutit à l’université, comme dans le monde de la recherche, à une dévaluation progressive des valeurs académiques comme à un recul de l’autonomie scientifique. Dans la plupart des pays, la marchandisation des savoirs se manifeste par l’explosion des frais d’inscription (et corrélativement l’endettement des étudiants et de leurs parents), une diminution des budgets pérennes des laboratoires au profit de concours sur appels d’offre, une relégation croissante de la recherche fondamentale comme de la pensée critique, une précarisation accrue des personnels notamment débutants, administratifs, techniques ou d'enseignement, un renforcement des inégalités entre établissements au nom de la course à l’excellence et au classement international, une pression accrue sur les étudiants pour une formation finalisée et accélérée. Ces politiques se traduisent aussi par un recul de la démocratie universitaire au profit d’une gouvernance autoritaire calquée sur le modèle de l’entreprise ou des administrations gérées selon les normes du New Public Management. Le désengagement de l’Etat et les divisions croissantes du monde académique s’accompagnent d’une colonisation par de nouveaux modes de gestion avec notamment la prolifération d’une novlangue managériale vectrice de nouvelles procédures d’évaluation et de classement plus ou moins arbitraires et gaspilleuses de temps et de personnel. Et - malgré leur indigence intellectuelle reconnue même par certains responsables - ces classements prennent un ascendant croissant sur des « décideurs » pressés et de plus en plus sommés par les marchés financiers de réduire à sa plus simple expression l’Etat providence, redistributeur, mais aussi éducateur, pour faire advenir un univers concurrentiel, source supposée de tous les bienfaits économiques, sociaux, intellectuels comme politiques à venir.

Ces évolutions structurelles se répercutent sur la production des savoirs. De nouvelles disciplines adaptées au nouveau cours se développent fortement (gestion, informatique, études pluridisciplinaires centrées autour de l’étude d’un objet empirique socialement préconstruit, etc.), tandis que les humanités et disciplines les plus gratuites et théoriques sont contestées ou s’étiolent, alors que les décideurs se font pourtant les chantres de la « société de la connaissance ». De même, la volonté de faire advenir des centres de recherche « d’excellence » à tout prix en plus d’une bureaucratisation croissante du métier d’enseignant-chercheur comme de chercheur aboutit à la constitution de véritables déserts scientifiques dans les lieux qui n’ont pas été distingués. Elle se révèle être aussi une puissante source de conformisme intellectuel que peine à masquer un internationalisme de façade et qui privilégie les circulations entre les pôles dominants de la société universitaire : Etats-Unis/Europe du nord-ouest/Chine/Japon/Inde comme l’indique le dernier rapport sur la science de l’UNESCO.

Cette mutation des savoirs comme de leurs conditions de production et de diffusion s’accompagne aussi, à la faveur de la récente massification universitaire, d’une reconfiguration des modalités de transmission. Si les institutions dominantes continuent toujours à dispenser, comme à produire, des savoirs généralistes à des fractions d’étudiants avancés de plus en plus privilégiés et assurés d’occuper ensuite une position élevée dans la société future, les établissements accueillant un public moyen ou plus populaire sont sommés de « s’adapter » à leur nouveau public en développant des filières professionnalisées et spécialisées censées mieux répondre aux attentes des employeurs comme de leurs étudiants. A l’instar de l’autonomie scientifique, la vocation historique à la fois généraliste, critique, voire émancipatrice, de l’université recule donc peu à peu, contribuant ainsi à l’appauvrissement généralisé de la culture comme du débat démocratique.

Afin de faire le point sur ces évolutions, de définir les spécificités nationales ou disciplinaires, comme de rendre compte des résistances qu’elles rencontrent un peu partout dans le monde, l’ARESER organise donc le 5 octobre 2012 un colloque international à Paris à l'Ecole normale supérieure qui tirera de la comparaison et du débat les fondements d’une critique rationnelle de l’état des choses et d’une redéfinition alternative d’un nouvel idéal académique.

Le programme du colloque est disponible en pièce jointe ci-dessous.