NICKEL de Mathilde Delahaye :


Mathilde Delahaye nous emporte, nous transporte même, au-delà de frontières tangibles et imaginaires, aux confins de l’Oural, dans la ville de Norinsk, sur les terres lointaines de l’ancienne Russie Stalinienne ayant vu naître goulags, usines aux desseins noirâtres et pollution aussi bien idéologique qu’environnementale. Dès le début de ce spectacle, nous sommes plongés dans une atmosphère à la fois lourde de sens, de métaphores et d’images sordides, sans pour autant entrer dans le grotesque. L’adaptation du roman éponyme de Nina Spiradonova par la metteuse en scène nous invite à rencontrer plusieurs solitudes.Celle de l’auteure, dans un premier temps, dont l’histoire familiale aura été impitoyablement marquée par la barbarie et l’horreur, de par des grands-parents morts en camp de travail forcé, et des parents contraints d’œuvrer toute leur vie dans les mines de nickel de Norinsk, afin d’en extraire le permafrost rocailleux. La solitude triste d’une femme seule, n’ayant pas donné la vie par peur de voir ses potentiels enfants mourir des suites de complications dues à l’émanation de gaz toxiques dans un air qui n’en était plus vraiment…Nickel, c’est aussi la confrontation avec la solitude de ces êtres sans le genre qui ont tenté de faire de l’ancienne mine un territoire propice à la tolérance et à la fête totales, mais qui ont fini par périr eux aussi. Ainsi, l’écran noir faisant office de rideau en avant-scène nous matérialise la vision cauchemardesque d’un nuage noir oppressant, avalant à lui seul corps et esprits abandonnés à la lassitude d’une existence morbide. Des croquis de l’auteure apparaissent sur cet écran et nous laissent entrevoir une brise d’espoir sous ce vent brumeux. Ce spectacle est comme une métaphore de la misère sociale transfigurée en une magie sombre et hypnotisante. Être vivant à Norinsk, c’est bel et bien vivre sur les ruines d’un capitalisme sauvage et ultra-libéral, tuant en toute impunité le pauvre, l’ouvrier, le sale, l’autre, l’étrange, le fragile, le difforme en devenir, le dépressif… Et le rêveur.Car c’est bien cela que font Mathilde Delahaye et Nina Spiradonova ; rêver. Songer à un autre futur, après l’apocalypse. Reconstruire un monde sous terre, à l’image du roi et de la reine termite évoqués durant la représentation. Un monde moins vaste, mais plus grand de par ses ambitions de liberté et d’entraide. Un monde d’insectes plus grand pour l’humain.
Par Zoé Décamps, Crocs’Ambassadrice.