Giovanni TALLARICO

Université de Vérone

Néologie et multilinguisme :

deux masques révélateurs de Valère Novarina

L’œuvre de Valère Novarina (Genève, 1942) fait l’objet d’un intérêt croissant, comme en témoignent de nombreux colloques et publications, et ne cesse de susciter l’attention des chercheurs attentifs aux faits langagiers. Cela se justifie par le fait que dans les écrits de Novarina (pièces de théâtre et essais) le langage prend un rôle central, aussi bien à un niveau « méta- », autoréflexif, qu’à un niveau énonciatif, en aboutissant à un idiolecte marqué par la « pure jouissance du langage, de l’invention, du jeu, de la surabondance verbale, qui fait songer à Rabelais » (Jourde 2004).

Notre communication se propose de mettre au clair deux aspects de la langue de Novarina, susceptibles d’incarner autant de « masques » de l’écriture. En premier lieu, le recours aux néologismes, loin d’être gratuit, constitue un programme langagier et, à la fois, esthétique et rhétorique (Arrivé 2016). Les fonctions des néologismes novariniens sont multiples et renvoient aux préoccupations fondamentales de l’auteur : tout d’abord, la néologie correspond à une subversion de matrice pulsionnelle (Klein 2016) par rapport à la norme langagière, ressentie comme étouffante et empêchant la liberté expressive du sujet, condamné à la répétition de schémas et poncifs typiques d’une langue purement instrumentale. Les néologismes permettent également de forger des mondes fictionnels, ce qui peut aller de pair avec le recours à une onomastique originale (toponymes et anthroponymes), et aboutit parfois à un véritable élan démiurgique (comme dans le Discours aux animaux). Par ailleurs, les créations lexicales sont exploitées dans un but d’hybridation des registres, du familier jusqu’au populaire, indice du rapport très étroit avec l’oralité qu’entretient le théâtre du dramaturge franco-suisse.

D’autre part, il s’agit de mettre en relief le multilinguisme présent dans les écrits de Novarina, où le français “officiel”, “parisien”, “bourgeois” perd sa centralité et se laisse traverser par d’autres langues, internes (le patois savoyard) et externes (emprunts et allogénismes), ainsi que l’illustre, par exemple, la pièce L’Atelier volant. Sans s’y superposer, le multilinguisme dans les écrits de Novarina partage plusieurs fonctions avec les néologismes, à savoir l’hybridation, l’enrichissement du vocabulaire et la reconnaissance de la nature foncièrement orale du langage. Il en résulte une transformation profonde de la langue française, qui se mue en un « idiome fantasque et polyglotte » (Detue et Dubouclez 2009) où « chaque mot est aussi un mot étranger » (Babin 2007).

Une devise célèbre de Novarina est « Suivre sa passion néologique jusqu’au bout » (Le théâtre des paroles) : qu’y a-t-il au bout de cette passion, voire de cette pathologie ? L’objectif de notre communication est alors d’explorer cette dynamique, pour essayer de montrer les enjeux d’une écriture hérissée d’énigmes, à l’image d’une langue souvent « indécodable », mais par là même, paradoxalement, révélatrice.