Pierino GALLO

Université de Messine

Dans l’antre de Protée.

Masques et vérités de l’écriture

dans les fictions américaines de Chateaubriand

Il n’est guère concevable d’appréhender l’œuvre de Chateaubriand sans prendre en compte les « voix » qui la parcourent, sans pénétrer en quelque sorte dans l’antre de l’écrivain, pour suivre au fil des pages le moi qui s’y profile. Labyrinthe ou piège, l’édifice de l’Enchanteur attire et déroute, fascine et emprisonne, montre et camoufle.

Cette expérience est d’autant plus évidente dans les romans américains (Atala, René, Les Natchez), où la fabrique du texte se double constamment d’une construction identitaire. C’est dans les plis de la fiction que l’exilé projette ses dilemmes existentiels, faisant des indigènes ses porte-parole idéologiques et du Nouveau Monde la toile de ses désirs. Les topoï génériques (ceux du conte et de l’apologue pour Atala et René, ceux du roman et de l’épopée pour Les Natchez) font apparaître le même projet : l’espace de la fiction semble souvent se creuser, dans les récits américains de Chateaubriand, devant la conscience désirante du moi, dans un mouvement où le passé et le présent se superposent, tout en dévoilant une identité et une écriture multiples. Les descriptions de la nature américaine, la peinture des personnages et les récits encadrés en sont sans doute les exemples les plus probants : l’Amérique de Chateaubriand est avant tout une projection subjectivante, une sorte d’histoire intime où s’enracine, derrière les masques de la fiction, une réflexion historico-politique (l’expérience de l’exil, les crimes révolutionnaires, la Terreur et le Consulat).

Miroirs fidèles ou pâles déguisements, ces récits d’un autre monde contiennent l’auteur tout entier et mettent en scène, grâce au « théâtre de la parole », un univers en prise avec le temps. C’est ce fil souterrain, fait de reflets et d’indices cachés, que cette étude se propose de retisser, par une enquête axée à la fois sur la construction du texte et ses « écarts » parlants, sur la création poétique et ses réseaux de sens. Car, comme le disait Jean-Pierre Richard, c’est à l’ouverture de cet espace enfoui que correspond, chez Chateaubriand, « la projection, l’avide “précipitation” du moi » (Paysage de Chateaubriand, Seuil, 1967, p. 7).