Béatrice DIDIER

ENS Paris

Les masques de l’écriture autobiographique à l’époque romantique.

Le cas de George Sand


Pourquoi l’écriture autobiographique à l’époque romantique, tout en prétendant mettre à découvert l’homme vrai (vitam impendere vero), est retenue par divers blocages et tabous, et par l’ombre gênante de Rousseau. La vérité des faits est plus facile que le dévoilement de l’être : Stendhal affirme qu’il ne dira pas qu’il était à Wagram, parce qu’il n’y était pas, mais par ailleurs laisse ouverte la question : Qui suis-Je ? Le masque est-il nécessaire pour se dévoiler ?

1. Les masques de l’autobiographe. Le pseudonyme ne cache rien, il est vite démasqué même par les contemporains : tout le monde sait qui est G. Sand ! Ecrire « je » ou « il » ? Nom et prénoms. La question de la signature. Se cacher sous le masque funéraire : l’écriture posthume. Masque solennel du prophète (Chateaubriand), masque plus modeste (Stendhal). Masque androgyne : le masque et le sexe. Le masque et l’âge : Les lettres d’un voyageur de Sand. Masque de l’autobiographe en train d’écrire (l’écrivain chronomètre chez Stendhal ; le regard de l’homme mûr jugeant un jeune fou dans les Mémoires d’outre-tombe), et masque du héros (le goût des grimaces chez Beyle enfant).

2. De nombreux personnages sont mis en cause par l’autobiographie. Faut-il les affubler d’un masque ? Chateaubriand et G. Sand reprochent à Rousseau de nommer Mme de Warens. Changer les noms ? Les ramener à une initiale ? Exercer une autocensure (ex. les avatars du « livre de Mme Récamier » dans la genèse des Mémoires d’outre-tombe). Devoir de vérité et respect des morts ? Des problèmes embarrassants : le père de Chateaubriand et la traite des Noirs ; la jeunesse de la mère de George Sand (cf. l’abondance des ratures dans le manuscrit des pages relatives à la mère dans l’Histoire de ma vie). Masques du père, masques de la mère. Les ancêtres plus lointains : faut-il sortir le cadavre du placard familial ou lui mettre un masque ? Les masques embellissants et les masques terribles.

3. Un individu troublant : l’éventuel lecteur. L’écrivain refuse le masque de l’identification romanesque que certains contemporains voudraient lui imposer : René n’est pas Chateaubriand, Indiana n’est pas Sand. Le lecteur de l’autobiographie parviendra-t-il à démasquer l’écrivain ? Le choix du masque funéraire par l’autobiographe qui choisit de remettre la publication au domaine du posthume, rend totalement virtuel et hypothétique le personnage du lecteur ; dès lors, libre à l’écrivain de lui essayer divers masques, faute de pouvoir connaître ce lecteur futur. Masques agacés, masques de justicier, masques charmants de la future lectrice, masques de censeur, de camarade, d’agresseur ? Voir la fureur supposée du lecteur de la Vie d’Henry Brulard. Cependant l’écrivain est curieux de ce lecteur dont dépendra l’existence même du texte, d’où son désir de le démasquer : à quelle génération ? (1885 ou 1935 ? pour Brulard), à quel milieu, à quel sexe appartiendra-t-il ? Tous les masques ne lui conviennent pas.

Il ne s’agit pas de reprendre les topoi de l’ancienne critique : sincérité de l’écrivain, vérité des autobiographies (comme le faisait Guéhenno, lecteur des Confessions), mais d’analyser les mécanismes de l’écriture autobiographique, comme un jeu de masques, ou le montreur de marionnettes est lui-même masqué et multiple, et par conséquent de mettre en lumière la théâtralité d’un genre littéraire multiforme (cf. les réflexions de G. Sand sur le théâtre des marionnettes).