Éric BORDAS

École Normale Supérieure de Lyon

Les masques de Balzac dans ses Lettres à Madame Hanska

Dans l’une de ses toutes premières lettres à celle qui va devenir sa princesse lointaine, la comtesse Hanska, qu’il ne connaît pas encore, Balzac lui demande un croquis à la sépia qui fera « la copie fidèle » de la chambre dans laquelle elle le lit et lui écrit : cette chambre « où vous êtes vous, car vous le savez, il y a des moments où nous sommes plus nous, où il n’y a plus de masque. Je suis bien hardi, bien indiscret, mais ce désir vous dira des choses, et, après tout, il est très innocent, je vous jure » (24 février 1833; LH : I, 29). Des moments « où il n’y a plus de masque » pour un « désir très innocent »? Et pourtant, durant les dix-sept années que va durer cette correspondance qui se terminera pas un mariage désastreux le romancier ne va cesser de mentir : pour dissiper les soupçons de jalousie à propos d’autres femmes, pour se faire plaindre, pour dire du mal de sa mère, pour faire croire à une foi catholique des plus indécises, pour s’inventer une fortune (ou une faillite), pour se dire libéral puis légitimiste (et vice-versa), pour se vanter d’exploits divers avec ses éditeurs, pour suggérer des désirs érotiques plus ou moins solitaires, etc., etc. Le génie de la fiction de Balzac ne fut pas que à l’origine de ses seuls romans, et dans cette correspondance qui constitue son seul texte autobiographique, on le voit manier toutes les formes de la dissimulation et de l’invention autorisées et suggérées par la rhétorique romanesque qui lui était si familière, autant que par certains traits de génie propres à la langue française en général.