Commandant l’I. D. 22 et provisoirement la 22° D.I.
sur les événements qui se sont déroulés pendant la période
du 1° Mars au 18 Mai 1940.
RAPPORT
La 22° D.I. se trouve depuis le 1° mars 1940 dans la région comprise entre RETHEL au Sud et RUMIGNY au Nord.
Étant Commandant de l’I.D.22, je reçus le 30 mars 1940 le commandement d’un détachement comprenant un R.I., un groupe d’artillerie et un groupe de reconnaissance.
Ce détachement, dit « détachement de Givet », était installé le long de la MEUSE, depuis la frontière franco – belge (bac du Prince) jusqu’ au passage à niveau de Vireux-Molhain , où il était en liaison avec la 61° D.I. (265° R.I.).
Ce détachement était formé de troupes de la 22° D.I. qui, en cas de violation du territoire belge par l’ennemi, devait se porter tout entier sur ce terrain et s’étendre en plus, au – delà de la frontière belge, jusqu’ au «Rocher des Patriotes », après HASTIÈRES, en liaison avec la 18° D.I. avec la mission : « interdire à l’ennemi le franchissement de la MEUSE ».
A la date du 30 mars 1940, après relève de l’I.D. 18, le détachement de GIVET était composé du 19° R.I. (Lt – Colonel BRETILLOT), du 1° groupe du 18° R.A.D. (Cdt BADOUARD) et du G.R. 24 de la 22° D.I. (Lt – Colonel de GEYER)
.............................................. ligne illisible...................................................
75 et six canons de 155 servis par des fantassins du 19° R.I. sous les ordres d’un Sous – Officier d’ Artillerie, le tout réparti dans le fort de CHARLEMONT.
Mon P. C. était à la caserne principale de GIVET.
Le dispositif imposé pour l’installation des troupes était le suivant : chaque bataillon du 19° R.I. devait occuper l’emplacement où, en cas d’exécution de la manœuvre DYLE, viendrait s’installer un des trois régiments d’infanterie de la D.I. et chaque batterie, de même, l’emplacement futur d’un groupe du 18° R.A.D. Le sous–secteur de gauche, se trouvant en territoire belge et ne pouvant pas être occupé avant violation de la Belgique par l’ ennemi, son terrain avait été représenté sur un plan en relief qu’étudiaient, dans une caserne de GIVET, le 19° R.I. et le 1° groupe du 18° R.A.D., chargés de cette occupation.
La répartition des régiments devait être, en effet, la suivante : à gauche, en territoire belge, depuis le « Rocher des Patriotes » jusqu’au BAC DU PRINCE (1), le 19° R. I. et un groupe d’artillerie ; au centre, le 116° R. I. et un groupe d’artillerie ; soit un front de 20 kilomètres environ. Le groupe de reconnaissance qui, dès le jour J 1, était mis à la disposition du Général Cdt. la 1° Division de Cavalerie, stationnait à PETIT GIVET.
Chaque Commandant de batterie d’artillerie devait chercher des positions de batterie convenant à l’installation d’un groupe, (chacune dans son sous - secteur) et à la mission de ce groupe.
(1) En cas d’exécution de la manœuvre DYLE, la 18° D.I. devait se porter à la gauche de la 22° D.I. et relever les unités du 19° R.I. depuis le
« Rocher des Patriotes » jusqu’ au village de « HASTIÈRES » inclusivement mais elle ne le fit pas.
En outre les troupes formant le détachement de GIVET, cantonnait à GIVET et à proximité la 1° Division de cavalerie, (Général d’ARRAS) dont le P.C. était à MAUBERT – FONTAINE.
Sa Brigade à cheval (Général ALAIN D’ HUMIERES) à GIVET : P.C., le 1° Régiment de Chasseurs (Colonel d’AMONVILLE) et à CHOOZ, 19° Dragons (Colonel CHALLAN BELVAL) sa brigade motorisée (Général MOULIN) P. C. ROCROI ; à GIVET 1° régiment d’autos mitrailleuses (LT – Colonel de LANNURIEN) et à REVIN (5° Régiment de dragons portés) (Lt. Colonel de VILLIERS).
Le Commandement du détachement de GIVET dépendait directement :
1°/du Général Cdt la IX° Armée (VERVINS) au point de vue tactique.
2°/du Général Cdt. le XI° Corps d’Armée (ÉTRÉAUPONT) en ce qui concernait l’exécution des travaux.
3°/du Général Cdt le 41° C.A. (SIGNY L’ABBAYE) pour ses demandes de matériel.
4°/du Général Cdt la 22° D. I. (RUMIGNY) quand à la discipline.
5°/ du Gal. Cdt. la 1° D.C. (MAUBERT – FONTAINE) dès J1 et jusqu’ au moment de l’arrivée en ligne du 2° C.A. motorisé.
6°/ du Général Cdt. le 2° C.A. motorisé à partir de ce moment et jusqu’ à l’arrivée en ligne du XI° C.A.
7°/ du Général Cdt. le XI° C.A. à partir de ce moment et jusqu’ à l’arrivée en ligne de la 22° D.I.
8°/ enfin, du Général Cdt. la 22° D.I., son chef direct, à partir de ce moment là.
Il est facile de se rendre compte combien était insuffisants les moyens dont dispose un E.M. D’I.D. pour cela : rien que la liaison avec ces différentes autorités, très éloignées toutes les unes des autres et de GIVET, absorbait la totalité des moyens de liaison et de transport de l’I. D...
L’envoi du courrier journalier, en particulier, était un gros problème à résoudre.
A partir du jour J1, la liaison fut pour ainsi dire inexistante, jusqu’ à l’arrivée à ROMEDENNE de l’État – Major de la 22° D.I. qui, devançant par mon ordre (1), les prescriptions : l’ordre d’opérations du Général Cdt le XI° C.A., s’y installa dès le 11 mai.
Les moyens de commandement du Général Cdt. le détachement de GIVET étaient les siens propres (I.D. 22) bien insuffisants pour une mission aussi importante, renforcés d’un Officier du Génie et d’un personnel des transmissions de la 22° D.I. pour commander et constituer son détachement de transmissions.
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Dès mon arrivée à GIVET, ma première préoccupation fut de faire en détail, avec un Officier de mon État – Major, avec le Lt – Colonel Cdt. le 19° R.I. et ses chefs de bataillon, la reconnaissance complète et détaillée de la position, des emplacements d’armes automatiques et des travaux à faire. Les bataillons, d’ ailleurs, avaient commencé à travailler suivant le programme des travaux laissés par nos prédécesseurs.
Mon impression fut mauvaise ; c’était aussi celle du Lt – Colonel Cdt. le 19° R.I.
Ce secteur était loin de ressembler à ceux qui avaient déjà été organisés et équipés par les fantassins de la 22° D.I. Travaux peu en rapport avec l’importance de la mission demandée ; emplacements des armes automatiques et canons de 25 à reprendre et à modifier ; enfin, étendue considérable du front (20 kms.) dans un secteur délicat, ne disposant que d’une artillerie nettement insuffisante.
Je fis immédiatement une demande de renfort de travailleurs estimant nécessaire l’envoi d’extrême urgence d’un régiment de pionniers et je me mis à organiser mes chantiers : organisation des travailleurs par unités constituées, encadrées et commandées par tous leurs chefs habituels, ayant chacune une mission et son chantier propres et dont le commandant était le chef de chantier.
Par exemple, le G.R. 24 fut chargé de l’organisation de la tête de pont de GIVET ; le 19° Dragons, de celle de VIREUX – MOLHAIN etc...
(1) Je commandais alors la 22° D.I.
Déjà le Général d’ARRAS, Cdt la 1° D.C., avait répondu à mon appel : 600 cavaliers de la brigade d’ HUMIÈRES vinrent renforcer comme travailleurs mes cavaliers du G. R. D. et mes fantassins du 19° R.I.
Entre – temps, j’avais été me présenter au Général Cdt. le XI° C.A. à ÉTRÉAUPONT, lui rendant compte de mon impression pénible, du fait que seule était prévue une position principale de résistance, sans aucune ligne d’arrêt, ni tranchées, ni boyaux.
Le Général me montra un projet de construction de casemates et de petits blockhaus qui n’attendait que l’approbation du Général Cdt. l’Armée.
Je lui confirmais alors ma demande d’un régiment de pionniers et j’y ajoutai deux compagnies du Génie pour la construction des bétons prévus.
Je ne reçus jamais le moindre pionnier, mais au bout de quelques jours je reçus une compagnie du Génie du XI° C.A. ; puis une compagnie du Génie de la 22° D.I. A ma demande, le Lt–Colonel Cdt. le Génie de la 22° D.I. fut désigné pour coordonner et commander, sous mes ordres, le travail de ces unités.
Dès que possible j’avais détaché à mon P.C. un Capitaine du 19° R.I. avec mission de contrôle des chantiers de travailleurs, coordination des efforts, vérification des effectifs, fourniture des outils : pelles, pioches, manches de rechange, fils de fer barbelés etc...
Cet officier disposait d’un bureau et d’une auto. Cette mesure fut très efficace et simplifia bien des choses.
Le Commandant du détachement de GIVET avait à sa disposition un détachement de gardes mobiles et de douaniers commandé par un capitaine de la garde républicaine mobile.
Cet officier convoqué par moi dès le lendemain de mon arrivée à GIVET, me mit au courant de la situation anormale dans laquelle se trouvait le pays quant à la facilité avec laquelle pouvait s’exercer l’espionnage : frontière ouverte, ce qui permettait la circulation de nombreuses automobiles entre la Belgique et la France et inversement.
En outre, chaque matin, sur les routes allant de GIVET en BELGIQUE ou vice versa, environ 400 ouvriers, à bicyclette, passaient d’un pays à l’ autre à peu près en même temps, pour se rendre à leur travail, munis d’ une simple carte de circulation, rarement contrôlée. Ces hommes rentraient le soir dans les mêmes conditions.
Des espions étaient signalés dans les maisons voisines de la frontière, cafés en particulier, et même à GIVET.
Quelques uns avaient pu être arrêtés.
Je prescrivis au Capitaine de la garde la plus grande activité et une sévérité inexorable sur tout le front du détachement.
Périodiquement, l’ Ambassadeur d’ Allemagne en Belgique venait inspecter la frontière belgo–française et ne manquait jamais de reprocher aux Belges l’ absence de barricades ou de travaux destinés à interdire l’ accès de leur territoire, à tel point que chaque fois qu’ une de ces inspection était annoncée, les Belges avaient pris l’ habitude de bien vite disposer tout un système défensif qui était soigneusement enlevé après le passage de l’ Ambassadeur.
Tout ce qui précède permet de supposer que, sans aucune difficulté, le service de renseignements allemand connaissait avec une grande exactitude la composition des unités françaises. qui se trouvaient le long de la MEUSE de GIVET et peut être la mission de chacune d’elles.
Dès le début de mon séjour à GIVET, le Général d’ARRAS, Cdt. la 1° D.C. était venu à mon P.C., pour parler avec moi de l’éventualité de l’exécution de la manœuvre DYLE, me faire connaître sa conception de la manœuvre et examiner avec moi les mesures à prendre sur notre front commun, pour exécuter les ordres du Général Cdt. la IX° Armée.
D’un commun accord, nous considérâmes la trouée « BEAURAING – GIVET – CHIMAY » comme la zone d’invasion possible, sinon probable, devant notre front et les ordres, en conséquence, furent donnés au Lt–Colonel Cdt. le G.R.D. 24 pour son action à BEAURAING, MESNIL SAINT BLAISE et au delà au Lt– Colonel Cdt. le 19° R.I. pour l’occupation de la tête de pont de GIVET et, éventuellement, le recul des cavaliers du G.R.D. 24.
Un exercice de garnison fut monté dans le but de vérifier toutes les mesures prévues, en cas d’une attaque ennemie sur l’axe BEAURAING – GIVET.
En résumé, la plus grande activité régnait dans le secteur lorsque le 15 Avril, vers 18 heures.
Le Capitaine ORGIVAL, exerçant provisoirement les fonctions de Chef d’ État – Major de la 22° D.I. au P.C. de la D.I. à RUMIGNY, en remplacement du Lt. -Colonel SALAÜN, évacué pour crise d’ appendicite aiguë et en traitement à l’ hôpital de RETHEL, après intervention chirurgicale, me mit par téléphone au courant d’un grave accident d’automobile dont venait d’ être victime le Général HASSLER, Cdt la 22° D.I., et de l’évacuation de ce dernier sur l’hôpital de RETHEL.
Le Capitaine ORCIVAL me demande de venir à RUMIGNY pour y remplacer, à son P.C., le général HASSLER.
Je pris donc le 15 avril au soir le Commandement provisoire de la 22° D.I. et, après conférence avec le Lt.-Colonel LANIER, Cdt. Le 116° R.I., mon meilleur chef de corps, je l’envoyais prendre à ma place, à GIVET, le Commandement provisoire du détachement de GIVET et de l’Infanterie de la 22° D.I.
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« J’ouvre ici une parenthèse en ce qui concerne le Commandement de la D.I. et le remplacement de son Chef d’État - Major.
Manifestement, le fâcheux accident du Général HASSLER était sérieux et devait fatalement l’obliger à une assez longue absence ; l’éloignement du Chef d’ État – major devait être également d’une certaine durée.
En des circonstances aussi graves que de précédentes alertes faisaient craindre de voir s’aggraver encore davantage à brève échéance, j’ estime qu’ une nouvelle et immédiate organisation du commandement aurait dû primer toute autre considération et que s’ imposaient sans délai de nouvelles affectations d’ officiers au commandement de la Division et à la fonction de chef d’ état – major de la D.I..
En particulier, étant donné l’importance de la mission confiée à la D.I., la désignation d’un officier général, Général de Division confirmé et, si possible, connaissant bien les Bretons et les Vendéens, s’imposait sans aucun doute.
Au contraire, dès le premier jour, le silence le plus complet se fit sur l’accident et si l’on insistait pour avoir des renseignements ou en connaître les suites, on se heurtait toujours au même mot d’ordre : « Accident bénin, dix à quinze jours d’indisponibilité ».
En fait, si l’offensive allemande du 10 mai ne s’était pas produite, le Général HASSLER qui après 15 jours d’hôpital et quelques jours de repos passés à son Q.G. de RUMIGNY, était parti en congé de convalescence d’un mois, n’aurait rejoint son poste que dans les premiers jours de Juin.
Et, pour un bras et deux côtes cassées, dont l’une en deux endroits différents, sans parler des autres blessures moins sérieuses à la tête et au bas ventre, c’est cependant la plus courte absence que l’on puisse faire.
Mais en réalité, le bras cassé se remit mal et on fut obligé de le casser à nouveau. La durée de l’absence pouvait donc être illimitée ».
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Après avoir réglé plusieurs questions avec les chefs de corps, le Cdt. de la batterie divisionnaire anti–chars et le C.I.D. 22 qui venait d’arriver, j’allai à VERVINS vers le 20 avril 1940 me présenter au Général Cdt. la IX° Armée.
Tout l’entretien porta sur le détachement de GIVET.
Je rendis compte au Général de la situation exacte du détachement, des travaux exécutés et en cours, de mes craintes en ce qui concernait le couloir BEAURAING – GIVET – CHIMAY.
Le Général voulut bien me faire connaître son intention de renforcer considérablement la défense de la MEUSE au Nord et au Sud de GIVET et de faire construire quantités de bétons et, en outre des casemates pour canons de 75.
Il me dit que jusqu’ alors ce détachement de GIVET n’avait eu qu’une importance moindre, car on n’avait envisagé que la manœuvre « ESCAUT », c’est à dire la défense en territoire national.
Mais que, maintenant au contraire, on envisageait surtout la manœuvre « DYLE », que par conséquent le rôle du détachement de GIVET devenait considérable, parce que pivot de toute la manœuvre et, qu’ aussitôt qu’il aurait arrêté son choix sur tel ou tel modèle de béton, on commencerait à les construire.
Après cette visite, je passai dans le bureau du chef d’ État – Major de la IX° Armée pour lui demander de renforcer le détachement de GIVET de la batterie anti–chars de ma Division, ce qui aurait le grand avantage de la mettre de suite en place et de permettre à son chef de reconnaître et de choisir tranquillement de bons emplacements de tir en fonction de sa mission, de préparer avec soin son plan de feux.... Mais le Chef d’État – major me répondit : «Pensez vous donc qu’ils vont sauter la MEUSE ? et ne donna pas suite à ma demande.
(1) Le 19 juillet 1940, dans un discours au REICHSTAG, Adolf HITLER, exposant son plan de campagne, fit ressortir combien il considérait comme important pour lui le passage de la MEUSE ENTRE NAMUR et CARIGNAN d’ où l’ordre qu’il donne : « Vor allem aber mit den massierten Angriffskräften des linken Flügels, die Maas zu erreichen, den Übergang zwischen NAMUR und CARIGNAN mit dem Schwergewicht der Panzer und Motor Divisionen bei SEDAN zu erzwingen.... ».
Ceci ne parait pas avoir été compris par nous c’est ce qui me fut déclaré en captivité, par un officier supérieur du 3° bureau de l’E. M. de la IX° Armée qui me dit : « Nous n’avions pas, en effet, pensé qu’ils passeraient la MEUSE par là nous avons fait là une erreur psychologique ».
Et la conclusion fut que devant ces attaques massives allemandes sur terre et dans l’ air, ne se présentèrent devant la MEUSE de GIVET que des divisions de série A (réserve) et B, certaines fatiguées par de longues étapes à pied, n’ ayant pas leur armement au complet, sans chars et sans aviation, qui ne connurent leur terrain à défendre qu’ à leur arrivée, c’ est à dire en même temps que l’ adversaire, puissamment armé et cuirassé, à qui nos hommes n’ avaient que leurs poitrines nues à offrir.
Je fus navré de cette réponse, car je sentais tellement en moi – même la nécessité de rapprocher toute la division de GIVET sinon même d’en installer tous les éléments combattants sur place... (puisqu’on envisageait sérieusement la manœuvre « DYLE »(1) que dès mon retour à RUMIGNY, au P.C. de la D.I., je fis organiser des reconnaissances des Lts. Colonels Cdt. les régiments d’ Infanterie et d’ artillerie, Cdts de bataillon et groupe, Cdts. de compagnie et de batterie qui se rendirent à GIVET pour y étudier le terrain de leur action future et y prendre toutes les dispositions nécessaires et toutes les consignes auprès des unités du détachement de GIVET (plan de feux, installation de troupes etc...).
De cette manière, les cadres, sinon les troupes, furent du moins au courant du rôle qu’ils allaient avoir à tenir quelques jours après.
Ces troupes (62° R.I., 116° R.I., A.D. 22, tous services de la 22° D.I.) se trouvaient cantonnées dans les villages situés entre RUMIGNY, AOUSTE, au Nord, et RETHEL au Sud et faisaient de l’instruction.
La Division détachait un bataillon près de LAUNOIS, à la disposition du Cdt. du Génie de l’Armée pour des travaux de route, une compagnie à RETHEL à la disposition du service des étapes, une autre à la gare régulatrice de LIART.
Les permissions de détente étaient largement octroyées.
Des exercices de garnison étaient organisés, conformément aux ordres du Général Cdt. la IX° Armée, en particulier exercices « bataillon d’infanterie et groupe d’appui direct » pour y étudier les liaisons d’infanterie – artillerie avec échange d’officiers de part et d’autre, de façon à obtenir une parfaite entente du bataillon et de son groupe d’artillerie.
Cette instruction (1) avait déjà donnée de bons résultats quand brusquement, sans le moindre préavis, sans le moindre avertissement du S.R. fut reçu le 10 mai vers six heures à l’État – major de la 22° D.I. le télégramme PRESCRIVANT : « Alerte 3 –Exécution de la manœuvre DYLE ».
Précisément, ce matin là, tant à GIVET qu’à RUMIGNY, toutes les troupes avaient, de bonne heure, quitté leurs cantonnements pour exécuter un exercice de garnison.
C’est dans ces conditions qu’il fallut les rappeler et préparer le départ qui, naturellement, ne put se faire qu’assez tard dans la matinée et par une très grosse chaleur.
Cette marche à pied fut très dure, les étapes étaient longues.
A mes appels pour faire transporter les fantassins en camions, le chef du 3° Bureau du XI° C.A. répondait que le C.A. n’avait pas le moindre camion.
Combien tout eût été simplifié, si les troupes de la 22° D.I. avaient été déjà en place le long de la MEUSE de GIVET !
Non seulement eussent été épargnées ces grosses fatigues de nos troupes qui allaient s’engager, mais celles - ci auraient déjà connu leur terrain, leur plan de feux ; les liaisons auraient été établies ; la résistance à L’attaque ennemie aurait pu être efficace, du moins pendant les premiers jours, ce qui aurait pu permettre l’arrivée des renforts et l’occupation de la 2° position.
Le 10 mai, j’installai le P.C. de la D.I. à CUL DES SART conformément aux ordres du Général Cdt. le XI° C.A. ; puis le 11, conformément aux ordres du Général Cdt. le XI° C.A. ; puis le 11, devançant la troupe j’arrivai à ROMEDENNE vers 10 heures.
Tandis que le P.C. s’y installait, j’allai voir à VODELEE (2 kms 500 à l’Est) le Lieutenant Colonel Commandant provisoirement l’I.D. 22 et le Lt. Colonel Commandant le 19° R.I. qui, l’un et l’autre, me mirent au courant de la situation.
L’après–midi, je partis pour HASTIERES afin d’y inspecter en territoire belge, le 1° Bataillon du 19° R.I., Chef de Bataillon ARGOUACH et, dont le P.C. était à la ferme DUCHATEAU.
Excellent moral, installation parfaite, mais le commandant me fit part de ses inquiétudes relatives à la population qui lui semblait nettement hostile ; des individus louches circulaient. J’allai ensuite examiner la liaison à ma gauche avec la 18° D.I. sur la MEUSE où le 1/19° était bien en liaison avec le 77° R.I. dont les hommes étaient placés de loin en loin, à partir du Rocher des Patriotes, sur la route longeant la MEUSE.
1) Quittant le 22 avril l’hôpital de RETHEL, le général HASSLER se rendit à RUMIGNY, au Q. G. de la D. I. pour y passer quelques jours. Il partit ensuite le 8 mai au soir en convalescence de 1 mois à St. MAIXENT (DEUX SÈVRES) ; et je repris le Commandement de la Division
Le 12, les éléments de la D.I. étaient en place, le 19° R.I. au Nord, le 116° R.I. au centre et le 62° R.I. au Sud du dispositif ; l’artillerie aux emplacements de groupe choisis précédemment.
La marche avait été très pénible, la chaleur étant forte; un groupe du 18° R.A.D. ayant subi les feux de mitrailleuses d’un avion ennemi, pendant une partie de sa marche.
Dans l’après midi, sur ordre, la 1° Division de cavalerie repassa à l’Ouest de la MEUSE, entraînant le groupe de reconnaissance de la 22° D.I. qui avait, avec beaucoup de cran, pu contenir les premiers éléments ennemis blindés vers BEAURAING et MESNIL SAINT BLAISE.
Il semblait qu’aucune résistance ne leur été opposée par l’armée belge.
Les chasseurs ardennais ne se battaient pas (1).
Assis sur les talus de route, ils souriaient au passage des cavaliers du 1° Régiment de Chasseurs à cheval (1° D.C.) et criaient « Vive la France ».
Les routes entrant à GIVET étaient remplies d’une foule de civils évacués dans le plus grand désordre, se pressant, se précipitant pour passer à l’Ouest de la MEUSE.
Sous la pression de l’ennemi, dont les fantassins commençaient à apparaître sur le plateau de MESNIL SAINT – BLAISE et qui étaient sous les feux de l’artillerie de la D. I., je fis sauter les ponts devant mon front, aussitôt rentrés les derniers soldats occupant les têtes de pont de GIVET et de VIREUX – MOLHAIN.
Déjà les obus tombaient sur Givet et, sans arrêt, les avions ennemis bombardaient et mitraillaient les troupes, les cantonnements et les P.C. surtout à ROMEDENNE et à VODELEE où une batterie d’artillerie en marche fut en partie anéantie, tous ses chevaux ayant été tués, dans les rues du village
Les premiers passages de la MEUSE par l’ennemi, si mes renseignements sont exacts, eurent lieu à ma gauche dans la nuit du 12 au 13 mai, d’ abord en utilisant l’île de HOUX devant le 2° C. A. motorisé (39° R.I.), puis le pont d’ANHE, devant la droite de 18° D.I.
(2). Il m’avait été rendu compte que cette D.I., à son arrivée sur la MEUSE, n’avait pas relevé le 19° R.I. de ma D.I. dans sa partie HASTIERES le Rocher des Patriotes, comme elle aurait dû le faire.
Le 1° Bataillon du 19° R.I. était pour cette raison, beaucoup trop étiré à gauche et le régiment de droite de la 18° D.I. (77° R. I., P.C. du Lt – Colonel MAZOYER à ONTRAYE sur la route de DINANT) avait, par contre, tendance à se porter sur sa gauche, dans ses mouvements.
C’est ce qui facilite je pense, les infiltrations de l’adversaire entre les deux divisions, 18° et 22°, vers le Sud – Ouest, après son passage de la MEUSE à ANHEE ; en sorte que le 1/19° fut assez vite au contact sur son front et à sa gauche avec ces éléments ennemis et que le 19° R.I. fut, dès le début, en difficulté.
J’envoyai alors au Lt. Colonel commandant le Régiment mon bataillon de réserve, le 1/62° (Btn LE GUERN) après avoir donne au Cdt de ce bataillon la mission d’assurer la liaison entre le 19° R.I. et le 116° R.I. (Btn COTTIEREAU 1/116) à droite en barrant la route venant de GIVET et je demandai au Général Cdt. le XI° C.A. de remettre à ma disposition le bataillon du 19° R.I. qui constituai sa réserve.
Ce bataillon fut aussi donné au Lt. Colonel le 19° qui se trouva ainsi au Nord de mon dispositif, avec sous ses ordres un groupement tactique de 4 bataillons et 2 groupes d’artillerie .
Mais de ce côté là, l’ennemi se faisait de plus en plus pressant et arrivait à proximité des emplacements de batteries du Groupe du 21° régiment d’Artillerie dont le commandant fit sauter ses pièces, après avoir tiré jusqu’ au dernier moment.
Sans nouvelles de son 1° Btn. (Btn. ARGOUACHE) le Lt. Colonel Cdt. le 19° R.I. commença son repli, en ordre, par Bataillons.
Au centre, devant mon front, les premiers passages de la MEUSE eurent lieu le 13 par la presqu’île de CHOOZ, qui était inoccupée du fait du départ du 19° DRAGONS qui y cantonnait (le pont de CHOOZ avait sauté le 12 comme les autres) et ce, malgré les feux de nos fantassins et de nos artilleurs, gênés d’ ailleurs par l’ aviation ennemie qui finit par les terrifier d’ autant plus facilement qu’ aucun avion français ou anglais ne parut dans le ciel pendant ces tragiques journées et que la D.C.A. était à peu près nulle.
L’ennemi arrivait en masses compactes et les 1° et 3° Bataillons du 116° R. I. en liaison avec le 19° R.I. à leur gauche commencèrent eux aussi leur repli par échelons, en ordre et discipline.
1) Renseignement donné par le Colonel D’ AMONVILLE, Cdt le 1° Chasseurs.
(2) Renseignement donné en captivité, par le Général MOULIN, Cdt la Brigade motorisée de la 1° D.C. qui, après retour à l’Ouest de la MEUSE, se trouvait dans cette région.
Il m’est impossible ici de donner en détail les mouvements de ces bataillons qui seront précisés dans les rapports de leurs chefs (1). Les liaisons étaient précaires, périlleuses et difficilement réalisables, étant donné l’intensité des feux.
Mais ces bataillons énergiquement commandés par des officiers supérieurs tels que les YOU, ARGOUACH , CHARTON, DARDANT, BLANLOEIL, KERANGUEVEN, LE GUERN, COTHEREAU, RUAUX, tous Chefs de Bataillon d’ active, connaissant le métier à fond, ayant à leur actif de beaux états de services de guerre, ont manœuvré sans hâte et n’ ont pas cessé de combattre.
Toutefois, le dispositif même qui avait été imposé pour l’occupation de la MEUSE, du fait que la division avait un front beaucoup trop grand, dispositif linéaire, enlevait aux chefs de corps toutes possibilités de commander, parce que sans réserves personnelles suffisantes, sans artillerie propre.
Si bien que ce qui devait arriver, arriva.
En peu de temps, les Chef de Corps perdirent toutes liaisons avec leurs bataillons et toute action sur eux ; et sous la pression de l’ennemi qui menaçait de les encercler dans leur P. C., ils furent obligés eux – mêmes de manœuvrer pour ne pas être pris (2).
Car, dès le début, malgré le bombardement incessant de l’ aviation ennemie les régiments de la 22° D.I. avaient marqué une grosse résistance, tandis qu’ à leur droite la 61° D.I., la 102° D.I. et la Brigade de SPAHIS du Colonel MARC avaient été fortement éprouvées et s’ étaient repliées et qu’ à leur gauche, la 18° D.I. et la majeure partie de la 1° D.C..(3) avaient régressé vers l’Ouest en direction générale de FLORENNES, sans conserver la liaison au Sud avec la 22° D. I., créant ainsi un vide qu’utilisa l’ennemi.
De ce fait, le 14, les infiltrations ennemies devinrent de tous côtés plus importantes ; elles avaient même, au Nord, dépassé la hauteur du P.C. de la 22° D.I. à ROMEDENNE. Je portai le P.C. à MARTAGNE LA PETITE dans la soirée, les avions ennemis n’ayant cessé de nous mitrailler, ayant coupé nos communications téléphoniques et ayant détruit avec leurs bombes la voie ferrée et une partie de la gare de ROMEDENNE.
Dans la nuit des renseignements de ma droite, (Btn. BLANLOEIL, III/62) nous apprirent que toute liaison avec la 61° D.I. (265° R. I.) était perdue, l’ennemi qui avait passé la MEUSE à CHOOZ, progressait à sa droite et menaçait de nous encercler.
A ma gauche, le Lt – Colonel BRETILLOT, Cdt le 19° R.I. avait pu atteindre avec son groupement le bois de PHILIPPEVILLE d’ où il s’était mis en liaison avec le Bataillon CHARTON (II/116) à la lisière Ouest de la trouée de CHIMAY.
Vers deux heures du matin, le 15 mai, je portai le P. C. de la D.I. à FORGES les BOURLERS.
J’ en rendis compte au Général Cdt. le XI° C.A. qui était à FROIDE CHAPELLE, sur notre gauche, et avec qui nous n’ avions encore jamais cessé d’ être en relations, grâce aux liaisons assurées par les Officiers de la D.I. (Capitaine de MARCILLAC, en particulier), et par le Lt. Colonel de RANCY, sous chef d’ État – Major du XI° C.A. et le Capitaine de MAUREPAS, ( de l’ E.M. de ce Corps d’ Armée).
En arrivant à FORGES les BOURLERS, j’organisai une tête de pont au N. E. de CHIMAY, avec les 3 régiments d’ Infanterie et l’ Artillerie de la D.I. pour retarder la progression de l’ ennemi et lui interdire une avance par la trouée de CHIMAY, avec ma plus forte densité à droite et à gauche de la grand’ route venant de GIVET et que pouvaient utiliser les voitures blindées ennemies.
Le mouvement put commencer à se faire au début de l’après - midi.
Vers 14 heures, le Général HASSLER qui était en congé de convalescence à St. MAIXENT, arrivant brusquement au P.C. reprit le commandement de la D.I. (4) et je me portai à BAILEUX pour reprendre celui de l’I. D. 22. Là était aussi le P. C. du 62° R.I.
(1) Je ne peux pas non plus, citer comme je l’aurai désiré, des noms de village, bois etc... E n effet, je ne possède plus aucune carte, toutes celles que j’avais m’ayant été retirées au moment de mon départ en captivité ou ayant été brûlées ; et ne me rappelle plus ces noms ; principalement ceux qui se trouvent en territoire belge.
(2) Le Commandant QUINQUETTE, Cdt. provisoirement le 116° R. I. fut ainsi deux fois encerclé et parvint les deux fois à se dégager et à me rejoindre.
(3) Renseignements du Général MOULIN. 4) En réalité, du fait des circonstances relatées plus loin, il ne conserva ce commandement que quelques heures et les éléments combattants de la D. I. ne cessèrent pas d’être sous mon commandement pendant toute la période critique du 10 au 18 mai 1940
Ce village venait de recevoir de nombreuses bombes de l’aviation ennemie, faisant des victimes parmi les militaires du 62° R.I. qui furent enterrés au cimetière de BOURLERS.
Dans la soirée, vers 17 h 30, un groupe de l’A. D.22 traversait BOURLERS pour prendre position au sud du village, lorsque déboucha brusquement des bois de l’Est, des fantassins ennemis l’attaquèrent à la mitrailleuse et au fusil et le village fut en quelques instants, pris sous le feu(1).
Très bravement, les officiers, secrétaires et plantons de l’I.D. et du 62° R.I. se portant au devant de l’ennemi, ripostèrent et un combat de rues s’engagea qui coûta cher à ce dernier (2).
Sentant une résistance il n’insista pas, ce qui nous permit de prendre la direction du P.C. de la D. I.
Après avoir fait un long détour, la sortie du village vers FORGES les BOURLERS étant sous le feu et interdite par la présence de l’ennemi, nous arrivâmes à FORGES où nous ne trouvâmes plus personne : le village étant complètement évacué ; il n’y avait plus un seul civil ni un seul militaire.
Le P.C. de la D.I. s’était déplacé, sans que nous soit parvenu son ordre de repli et je ne savais plus où le prendre.
Pensant qu’ un arrêt serait peut – être ordonné sur la 2° position dite « position d’ ANOR » qu’ aurait occupée la 22° D.I. en cas de « manœuvre ESCAUT », je décidais de partir pour MONDREPUIS où se serait trouvé le P.C. de l’ I.D. dans ce cas et, de fait, c’ est là que, vers 22 heures, le capitaine de MARCILLAC vint me chercher de la part du Général Cdt. la D.I. qui lui même avait installé son nouveau P. C. à WIMY (Sud de la grand’ route MÉZIÈRES – LA CAPELLE).
Le personnel de l’I.D. ne se composait plus alors que de deux Officiers, le Capitaine DESCHAMPS et le Lieutenant GAUMÉ et quatre secrétaires et plantons : sergent – chef BOUCARD, caporal MARGAT, soldats BOURGET et BOMAL.
Un caporal chiffreur nous rejoignit aussi plus tard ; tout le reste avait disparu lors de l’attaque de BOURLERS, en particulier le Lieutenant le PAYS du TEILLEUL, père de sept enfants et qu’il a été impossible de retrouver.
A MONDREPUIS commençaient à arriver des tirailleurs du 25° R.T. A. des sous – officiers de ce régiment y préparaient le P.C. de leur Colonel.
Conduits par le Capitaine de MARCILLAC, mes deux officiers et moi- même arrivâmes vers minuit à WIMY, où le Général HASSLER me donna l’ordre d’aller organiser et commander la résistance en forêt domaniale de SAINT–MICHEL, occupation de la ligne principale de résistance et de la ligne d’arrêt. Tous les combattants de la 22° D.I., les rescapés, récupérés et hommes perdus de toutes unités, armes ou services, étaient dès maintenant envoyés par les soins de la Prévôté de la D.I. et mis sous mes ordres par le Général Commandant la D.I.
Un officier de l’État – major, le capitaine ORCIVAL, se trouvait déjà en place pour canaliser tous ces hommes et les répartir ; je devais emmener mes trois Lts. Colonels avec moi ; déjà les Lts. Colonels Cdt. le 19° et le 62° R.I. avaient été prévenus et j’avais avec moi à MONDREPUIS le Lt. Colonel Cdt le 116° R.I. et son chef de l’État – Major.
Je partis donc de WIMY à minuit ½ avec ordre de « résistance sans esprit de recul », P. C. de l’I.D. au village de SAINT– MICHEL.
Repassant par MONDREPUIS pour y prendre le Lt. Colonel Cdt. le 116° R.I. et le Commandant QUINQUETTE, son chef d’État – Major nous parvînmes dans la forêt de SAINT-MICHEL où, en effet, nous trouvâmes le Capitaine ORCIVAL.
L’organisation de la défense et la répartition du personnel, en pleine nuit, entre les trois régiments, complétés par quantités d’inconnus, ne furent pas chose facile.
Le lieutenant GAUME, de l’I.D. 22, conformément aux ordres du Général Cdt la D.I., fut mis à la disposition du Capitaine ORCIVAL, pour l’aider dans sa mission. Le P.C. de l’I.D. fut installé au village de SAINT–MICHEL.
1) Comme je l’ai déjà dit ci – dessus, nous n’avions plus la liaison à droite avec la 61° D.I. Le Général Cdt. cette D. I. avait porté son P. C. le 15 Mai à midi à MAUBERT FONTAINE ; après avoir fait une reconnaissance, il revint vers 15 h. à son P. C. en disant à ses Officiers qu’il n’avait pas retrouvé le moindre élément de sa D. I.
L’ennemi qui arrivant de CARIGNAN par la grand’ route CHARLEVILLE - LA CAPELLE, parvint à MAUBERT-FONTAINE le 15 Mai, vers 18 heures. (renseignements du Cdt. DEMONET, E. M. de la 61° D. I.)
(2) Je signale la conduite du soldat BOMAL Léon du 116° R. I., planton à l’I.D. 22 qui réussit à abattre, d’un coup de son mousqueton, un fantassin ennemi, dont le tir précis était très gênant et qui s’était dissimulé au coin d’une maison.
Je pris le commandement de toutes les troupes de la forêt domaniale.
Dans la matinée du 16, le Général HASSLER y vint en auto et je le mis au courant de la situation ; il repartit aussitôt pour son P.C. de WIMY (1), souffrant visiblement beaucoup de son bras plâtré et des ses autres blessures occasionnées par son accident d’automobile.
Il avait de la peine à marcher et les plus grandes difficultés à descendre de sa voiture et à y remonter.
Rentrant vers 10 heures au P.C. de l’I.D. à St. MICHEL, je passais mon temps à recueillir, avec mon personnel, les isolés de toute sorte qui ne savaient plus où aller et qui, en général n’avaient plus d’armes et à les diriger vers la position après leur avoir donné un fusil.
Nous avions trouvé, en effet, un garage d’autos où avaient été réunis un certain nombre de fusils.
Je pris successivement contact avec le Lt. Colonel GAILLARD d’AILLIÈRES, Cdt le 18° R.A.D., dont deux groupes étaient là aussi et je lui donnai les missions de ces deux groupes qui allèrent prendre position ; et avec le Lt. de CHARETTE du G.R.D. 24, la 22° D.I. dont le peloton était au Sud du village, tenant les issues vers la gare et la route d’HIRSON. Pendant ce temps, vers 11 heures, le Capitaine SAIDI SADOK, du 25° régiment de tirailleurs algériens, détaché en liaison de la 4° D.I.N.A. à la 22° D.I., envoyé par l’ E.M. de la 22° D.I., amenait en camions une centaine d’ hommes, isolés ou fuyards, recueillis à WIMY et les remettait au Lt. Colonel LE BARILLEC, Cdt. le 62° R.I. au carrefour 256, en forêt de St. MICHEL.
Vers midi revinrent vers nous, au P.C. de l’I.D., le capitaine ORCIVAL et le Lieutenant GAUMÉ, ayant terminé leur mission en forêt.
Le Capitaine ORCIVAL nous quitta quelques instants plus tard dans une voiture de l’ I.D. après avoir, lui aussi, confirmé que la mission de la D.I. était une mission de « résistance sans esprit de recul » et, en montant en voiture, il ajouté en partant : « résistance jusqu’ à la mort ».
Nous reçûmes, ensuite, successivement de la D.I. avis que la 4° D.I.N.A. nous relèverait prochainement par renforcement et qu’une contre – attaque devait partir « le 16 vers midi » d’HIRSON en direction de l’Est pour nous dégager, contre – attaque menée par la 1° Division de cavalerie avec ses blindés ; P. C. du Général d’ARRAS à HIRSON.
Mais nous ne vîmes jamais la 4° D.I.N.A. ni la 1° D.C.
Et la raison en était que la route CHARLEVILLE – HIRSON était occupée par l’adversaire, qui nous coupait au Sud(2).
Des infiltrations ennemies se produisant de plus en plus et menacé d’être coupé de mes régiments que je ne pourrais plus commander, je décidai de porter mon P.C. en forêt avec deux de mes Colonels et j’en rendis compte au Général Cdt. la 22° D.I. par le motocycliste qui m’avait apporté le renseignement relatif à la contre – attaque de la 1° Division de cavalerie.
Ayant bien compris, en effet, que la mission qui m’avait été donnée était toute de sacrifice, je voulais que mes troupes puissent me voir au milieu d’elles en un pareil moment(3).
1) Le P. C. de WIMY était trop loin de la forêt domaniale de St. MICHEL pour être un poste de combat ; de plus, il se trouvait au sud de la grand’ route MÉZIÈRES – LA CAPELLE demeurée intacte, sans coupures ni destructions par laquelle l’adversaire arrivait rapidement après avoir passé la MEUSE dans la région de SEDAN – CARIGNAN.
Il fut bien vite séparé des combattants de la D.I. qui étaient dans la forêt, n’ayant plus avec eux aucune communication, ce qui rendit impossible l’exercice du commandement.
(2) L’ennemi qui était arrivé à MAUBERT – FONTAINE le 15 Mai à 18 h. avait continué vers l’Ouest et atteignait à 20 h. la gare régulatrice de LIART située à quelques kilomètres au delà de MAUBERT - Fontaine.
(3) Ancien Colonel du 65° R. I. à NANTES, ancien directeur de la P. M. I. C. R. à NANTES, ancien Général Cdt le G. S. de NANTES, c’est moi qui parmi de nombreuses autres unités, avait mis sur pied à la mobilisation la 22° D.I. J’en connaissais la plupart des Officiers et beaucoup de Sous – Officiers qui avaient suivi mes cours dans les différentes écoles de perfectionnement de la VENDÉE, de la LOIRE INFÉRIEURE et du MORBIHAN ; et beaucoup de soldats. Ceux du 116° R. I., entre autres, avaient fait pour la plupart leur service actif sous mes ordres au 65° R. I. à NANTES. J’en connaissais beaucoup mais surtout j’étais très bien connu d’eux, car, depuis le début de la guerre, c’est moi qui avait toujours commandé les avants – postes ou avancées de la position, les troupes de la D.I. au contact de l’ennemi.
Ils m’avaient donné, à plusieurs reprises des marques touchantes de respectueuse affection, en particulier en Janvier et Février 1940, par un froid allant jusqu’à -23 dans le secteur d’ HOMBOURG - BUDANGE que la division occupa pendant 2 mois avec une brigade britannique et où elle sut imposer sa volonté à l’adversaire en le repoussant jusqu’ au delà de la frontière franco- allemande.
Je me devais de ne pas les quitter au moment du dénouement final et de partager leur sort. Ils n’auraient certainement pas compris s’ils ne m’avaient pas vu au milieu d’eux en un pareil moment.
Éléments combattants de la 22° D.I., nous avons été enfermés par ordre dans une véritable souricière.
Nous faisions face au Nord arrêtant l’ennemi qui nous suivait depuis GIVET, tandis que c’est l’ennemi venant de l’Est par la grand’ route CHARLEVILLE – MÉZIÈRES – HIRSON – LA CAPELLE qui nous ferma la porte au Sud.
Or grâce à l’ action retardatrice que j’ avais conduite depuis GIVET, depuis le début du repli ; j’ avais pu dégager la D.I. et si, au lieu de l'emprisonner dans la nuit du 15 au 16 Mai dans la forêt de ST. MICHEL , on avait continué cette action retardatrice, on eût pu regrouper dès le 16, la D.I. vers VERVINS ou GUISE et elle aurait combattu à nouveau quelque part sur l’ AISNE ou la SOMME. En tout cas on lui aurait évité la capture et l’envoi en captivité.
Vers 16 heures, je mettais le P.C. de l’I.D. avec celui du Lt. Colonel Cdt le 62° R.I. dans une casemate inachevée de la ligne d’arrêt.
Y vinrent également le Lt. Colonel d’AILLIÈRES, Cdt. le 18° R.A.D. et le Chef de Btn. QUINQUETTE du 116° R.I. son chef de Corps, le Lt. Colonel LANNIER(1), ayant disparu depuis le matin au cours d’une reconnaissance vers « la Passe d’ANOR ».
Dans la soirée nous inspectâmes les positions et vérifiâmes le commandement avec les Lts. Colonels Cdt les 19° et 62°R.I. et le Lieutenant de CHARRETTE, Cdt le peloton du G.R.D.
Le Lt. Colonel d’AILLIÈRES précisa à ses deux Commandants de groupe les missions et positions des batteries.
Pendant ce temps me parvint un ordre de la 22° D.I. me faisant connaître que le soir même, vers 20 heures, un renfort de 400 tirailleurs de la 4° D.I.N.A. me serait envoyé et livré sortie est de MONDREPUIS où je devrai placer un officier de mon État–Major pour le prendre et le conduire. Je désignai, à cet effet, un officier par R.I. et le Capitaine DESCHAMPS (E.M.I.D. 22).
Le Capitaine DESCHAMPS emmena avec lui le sergent-chef BOUCARD de l’E.M.I.D. 22.
Ces Officiers et Sous- Officier se portèrent le soir, en temps voulu au point indiqué.
Ils y passèrent la nuit en vain, aucun renfort n’arriva.
Vers 18 heures, le Capitaine SAÏDI SADOK, du 25° R.T.A. qui était toujours en liaison de la 4° D.I.N.A. auprès de l’État – Major de la 22° D.I. ; nous amena deux camions d’eau qu’il remit, au carrefour 256, au Lt. Colonel de BARILLEC.
Les deux fois pour venir de WIMY à la forêt domaniale de SAINT–MICHEL, cet Officier put encore passer par WIMY, les quatre BRAS, MONDREPUIS, PAS BAYARD, carrefour 225, carrefour 256 (carrefour AMELIE).
(2) Dans l’après midi et la soirée, patrouilles, reconnaissances, inspections diverses eurent lieu sur les positions pour y assurer les liaisons, y vérifier le Commandement et l’installation des hommes dans le fossé anti-chars qui se trouvait près de la ligne d’arrêt. Et ceci confirma le renseignement qu’à notre droite, c’est à dire à l’Est, personne ne se trouvait à l’orée de la forêt (reconnaissance du Lt. Le GUENNEC, du 116° R.I.). Là aurait du être, en liaisons avec nous, la 18° D.I., d’ après les renseignements à nous donnés par la 22° D.I. ; donc, en réalité, nous étions complètement découverts à droite.
Vers minuit le Colonel de LALANDE, Cdt l’ A.D. 22, vint à mon P. C. pour me dire que la situation dans laquelle je me trouvais était « ridicule », n’ était pas tenable, que j’ allais sûrement être pris par l’ ennemi et qu’ en camarade il venait me dire de ne plus rester là et de partir.... ce à quoi je lui répondis que « mon ordre était de résister sur place sans esprit de recul » ; qu’ en conséquence je refusais de partir ; que je voulais bien reconnaître un itinéraire de repli et organiser un départ, mais que je ne l’exécuterais que si le Général Cdt la D.I. m’envoyait l’ordre de quitter ma position »..
Pendant ce temps, le 17 à une heure du matin, avait lieu au P. C. de la 22° D.I. à WIMY, un Conseil de Guerre au cours duquel le Général Cdt. la D. I., le Chef d’État – Major et un Officier d’État – Major décidaient après discussion, de partir immédiatement (3).
Et, de fait, le Colonel d’ AMONVILLE, Cdt. le 1° Régiment de Chasseurs à cheval (1° division de cavalerie du Général d’ ARRAS) m’ a dit qu’ étant à son P. C. dans un écart de ROCQUIGNY (Ouest de WIGNEHIES) nommé le Pied du Terme (carrefour des routes LA CAPELLE -TRÉLON et LA CAPELLE -AVESNES) il avait été demandé par le Général HASSLER qui passait là le 17 vers trois heures et demie du matin et qui lui demanda son chemin ainsi que des renseignements sur les routes encore libres vers le Nord–Ouest.
Il était en auto, suivi de 6 ou 7 autres autos et dit au Colonel d’AMMONVILLE : « Je pars, voici tout ce qui me reste de ma division ».
(1) Tué au cours de cette reconnaissance par une rafale de mitrailleuse le Lt Colonel LANNIER était un vrai chef, ayant la plus noble conception du devoir militaire.
Sa perte sera douloureusement ressentie par tous ses camarades et par son régiment qui avait pour lui la plus grande vénération.
Mort pour la France à La Passe d’ANOR.
Enterré au cimetière d’ANOR.
(2) A son retour à WIMY, le capitaine SAIDI SADOK fut conservé à l’État – Major de la 22° D.I. Les officiers de l’E.M. lui dirent que ce n’était pas la peine de retourner à l’E.M. de la 4° D.I.N.A. car cette division avait l’ordre de venir à WIMY le 17 à 7 heures pour y relever la 22° D. I., qui après relève, devait s’en aller.
3) renseignement donné par un officier présent à ce moment là à WIMY, à l’E.M. de la 22° D.I. ; confirmé depuis par le Général MOULIN à qui on rendit compte du départ de l’ E.M. de la 22° D.I., et un par un Officier du 19° R.I. appartenant à l’ unité chargée de la garde du P.C. de la 22° D. I. à WIMY.
A mon P.C. de la Forêt Domaniale de St. MICHEL, je vis revenir vers quatre heures du matin le capitaine DESCHAMPS qui me rendit compte de ce que aucun détachement de renfort n’était arrivé : il revenait avec les sous–officiers qui l’avaient accompagné et avait laissé sur place le sergent-Chef BOUCARD pour le cas improbable où le renfort arriverait (1).
Plus tard, en captivité, je sus par le Général SANCELME Cdt. la 4° D.I.N.A. , que ce détachement de renfort, réduit d’ ailleurs à 200 tirailleurs, avait bien été embarqué en camions pour être transporté à la Forêt domaniale de St–MICHEL, mais qu’ il n’ avait même pas pu partir à cause de la situation.
En effet, toujours en captivité, le Général BERNARD, Cdt. l’Infanterie de la 4° D.I.N.A. m’a dit que c’était lui qui avait donné l’ordre de na pas faire partir ces 200 tirailleurs, car, à ce moment là, il était en train de regrouper et de réorganiser ses régiments.
La nuit du 16 au 17 mai se passe sans autres incidents.
Dès le lever du jour, le 17, des patrouilles conduites par des officiers de tous grades furent envoyés dans la forêt et, des trois chars que nous avions aux abords de la position de résistance, face à la direction de MACQUENOISE, deux furent placés face à l’Est, à l’orée de la forêt, où j’avais des inquiétudes.
J’envoyai le Lt. GAUMÉ, de mon État–Major au P.C. de WIMY en liaison auprès du Général Commandant la 22° D.I., dont j’ignorais le départ, par la routé : carrefour 256 - MONDREPUIS, seul couloir qui nous restait maintenant pour sortir vers l’Ouest et j’essayai de trouver un chef de bataillon de chars que le Général Commandant la 22° D.I. avait mis à ma disposition ; mais que je n’avais pas encore vu. On put enfin le trouver et me l’ envoyer, mais il me dit que ses chars n’ avaient que peu d’ essence et insuffisamment pour être tous employés ; qu’ il avait l’ intention de tenter un passage de force à travers l’ ennemi pour fuir vers VERVINS, où il pensait retrouver chars et essence, mais, après discussion, il se mit à ma disposition et me proposa de mettre en état de marche quelques chars par prélèvement d’ essence sur d’ autres qu’ il abandonnerait s’ il le fallait. Mais il partit et je ne le revis plus.
Pensant que si nous étions au trois quart encerclés, il y aurait peut être bien lieu d’envisager une sortie vers l’Ouest, selon ce qu’était venu me dire le Colonel Cdt. l’A. D. 22 je rassemblai mes Colonels et je leur exposai en secret ma façon de voir : un seul passage, le couloir de MONDREPUIS qu’on ferait garder par cinq chars placés sur les routes par où l’ennemi pourrait venir, à droite et à gauche, et près de MONDREPUIS pour nous assurer absolument le passage. chaque unité rassemblée ensuite, au préalable, en ordre, passerait à son tour, encadrée fortement.
Commencement du départ à 19 heures, sortie Ouest de la Forêt vers PAS – BAYARD et MONDREPUIS, puis ensuite, pendant la nuit, axe de marche : CLAIRFONTAINE, LA CAPELLE et la route de GUISE.
Je les prévins que ceci était absolument personnel et secret et que je réservais entièrement ma décision.
Je pensais bien, en effet, que je recevrais un ordre du général Cdt. la 22° D.I. soit par motocycliste, comme suite à l’intervention pendant la nuit du Colonel Cdt. l’A. D. 22, soit par le Lt. GAUMÉ que j’avais envoyé le matin en liaison auprès du Général Cdt. la 22° D. I.
Vers 11 heures, revint le Lieutenant GAUMÉ : il n’avait pas pu aller jusqu’ à WIMY, le pays étant déjà occupé par l’ennemi, mais avais pu se rendre à MONDREPUIS où il avait vu le Colonel Commandant le 25° R.T.A. (4° D.I.N.A.) à son P.C. et conféré avec lui.
Celui–ci lui avait dit qu’il avait pendant la nuit, occupé ce village et qu’il tenait solidement la Trouée d’ANOR.
Ce précieux renseignement modifiait complètement ma situation : en effet, je n’étais donc plus seul, j’étais en liaison à gauche (Ouest) avec la 4° D.I.N.A. dont un régiment « tenait solidement ». Je n’avais qu’à maintenir mes régiments là où ils étaient et je donnai l’ordre à mes colonels et au Lt. Colonel Cdt. le 18° R.A.D. de continuer la défense de la position sans esprit de recul, en particulier au Lt. Colonel Cdt le 19° R.I. qui, imprudemment, par une lettre personnelle à son Commandant de bataillon de la position principale, l’avait prévenu d’une possible évacuation de la position pendant la nuit du 17 au 18.
Toujours en captivité, j’ appris par le Général SANCELME Cdt. la 4° D.I.N.A. que ce mouvement de repli n’ aurait pas été couronné de succès ; car lui – même et son Commandant d’ I.D. , le Général BERNARD, furent capturés ensemble le 17 mai à 19 heures au P.C. de la D.I. à LA CAPELLE par 50 chars allemands ; la route et le pays entre HIRSON et LA CAPELLE par où j’ avais pensé faire mon mouvement étaient dès l’ après – midi du 17, parcourues par les blindés ennemis.
1) Cet excellent et charmant Sous – Officier ne rejoignit pas l’I. D. 22. Il fut tué en combattant, le 17 Mai, à HIRSON.- Mort pour la FRANCE ; il fut enterré à HIRSON.
De plus, MONDREPUIS était aux mains de l’ennemi depuis le 17, midi.
Donc, mon mouvement se serait heurté, dès le passage à MONDREPUIS ou au Nord ou au Sud de ce village aux forces ennemies qui auraient anéanti ou fait prisonnier mes régiments qui n’avaient pas les moyens de se défendre contre une telle quantité de chars et de blindées.
Je fus donc bien inspiré en décidant de rester dans la forêt domaniale de SAINT – MICHEL pour y résister sans esprit de recul ainsi que j’en avais reçu l’ordre.
Vers 13 h 30 ; le Lieutenant GAUMÉ (1) partit de nouveau à motocyclette pour essayer de trouver le P.C. de la Division dont nous n’avions pas eu la moindre nouvelle depuis la venue du Colonel Cdt. l’A. D 22. (2)
Les renseignements que j’ai pu recueillir en captivité m’ont fait comprendre la raison : le Général Cdt. la 22° D.I. et son État–Major avaient quitté leur P.C. de WIMY pendant la nuit, dès les premières heures du 17 mai(3).
Comme d’ autre part, dès midi, MONDREPUIS avait été pris par l’ennemi, le Lt. GAUMÉ ne revint pas(4).
Et ceci m’explique aussi, puisque nous n’étions plus couverts à gauche par le 25° R.T.A., la raison pour laquelle dans l’après – midi et la soirée du 17 (5), nous eûmes à résister à de très fortes attaques ennemies, en particulier vers 18 heures, qui nous causèrent des pertes mais au cours desquelles nous en infligeâmes de sérieuses à l’ennemi.
Celui – ci, selon son habitude, n’insistait pas quand il trouvait une résistance, un lancement de fusée de couleur déterminée (blanche, rouge ou verte) faisait cesser le combat et il se retirait pour essayer un coup ailleurs.
Après chaque attaque, nous sortions dans la forêt pour tenter de le suivre et de l’attaquer à notre tour, mais en vain, il disparaissait avec une telle rapidité que l’on peut penser qu’il rejoignait en un point déterminé ses voitures de transport.
Cette dernière attaque de 18 heures fit place à une tranquillité incroyable et d’ autant plus dangereuse.
J’ordonnai donc des dispositions spéciales pour la nuit, avec tirs systématiques d’artillerie, de mitrailleuses, de mortiers, d’ abord tous les quarts d’heures, puis toutes les demi – heures.
Dès le lever du jour, le tir cessa et des patrouilles sortirent dans la forêt pour y chercher des indices d’occupation ou de présence de l’ennemi. Des dispositions furent prises tant dans les casemates que par les troupes d’intervalles qui occupaient le fossé anti – chars pour une nouvelle résistance (6)
Le plus grand silence régnait dans la forêt, mais cette tranquillité apparente ne me disait rien qui vaille après les attaques de la veille : ou bien l’ennemi nous considérait comme un îlot de résistance entièrement encerclé et dont il aurait raison par la force des choses ou, au contraire, il montait une attaque pour en terminer avec nous.
Et, de fait, nous ne tardâmes pas à recevoir de tous côtés les premiers projectiles et coups de mitrailleuses et fusils.
Position principale de résistance et ligne d’arrêt furent attaquées en même temps ; l’ennemi arrivait tant de l’Ouest que de l’Est de la région de MACQUENOISE au Nord comme de St. MICHEL au Sud.
Nos chars avaient disparu, sauf un placé aux abords du carrefour 256 et qui tira tant qu’il pût mais fut entouré et mis hors de combat.
(1) Nous ignorions à ce moment là, en forêt de St. Michel la prise de MONDREPUIS par l’ennemi.
(2) Je ne disposais d’aucun autre moyen de liaison que des Officiers, Sous – Officiers ou soldats et je ne disposais que de deux officiers de mon E. M. d’I.D. : c’est la raison pour laquelle le Lt. GAUMÉ fut obligé de repartir.
(3) Le Q.G. fut signalé le 24 mai à SEPTEUIL près VERSAILLES ?
(4) J’appris plus tard qu’il était en captivité.
(5) Le 17 mai, après – midi, à WASSIGNIES, le Général d’ Armée GIRAUD rencontrant le Lieutenant de BEAUCOURT, du 1° Rgt. de Chasseurs à Cheval, l’interrogea et lui dit : « Vous direz à votre Colonel que l’ordre est de tenir, résister sur place. (renseignement donné par le Colonel d’AMONVILLE Cdt. le 1° Régiment de Chasseurs à cheval, (1° Division de cavalerie et le Lieutenant de BEAUCOURT, avec qui j’étais en captivité à DULAG XII à MAYENCE).
6) Ignorant tout de la gravité de la situation générale, et comptant sur les divisions de réserve qu’on nous avait dit être derrière nous, j’espérais toujours une contre - attaque qui viendrait nous délivrer .
Vers 10 heures, on me signala les premiers prisonniers français sur la route de MACQUENOISE à St. MICHEL, venant par conséquent de la position principale de résistance.
Sur la ligne d’arrêt, où je me trouvais, mitrailleuse, engins et fusils tiraient sans arrêt ; mais, des créneaux, nous apercevions les fantassins ennemis qui progressaient dans la forêt, en nombre toujours plus grand et avec uns audace inouïe ; nos troupes d’occupation du fossé anti–chars commençaient à avoir de sérieuses pertes, le peloton du G.R.D. en particulier, enflammé par l’admirable lieutenant de CHARETTE, déjà blessé à la main pendant les combats de la veille.
Les infiltrations continuant sans cesse, nous étions dépassés et l’ennemi se rabattait sur chaque casemate profitant des angles morts et du fait qu’aucun créneau n’existait dans la façade Nord des casemates (façade opposée à l’entrée de la casemate) ; déjà plusieurs avaient dû se rendre.
J’ avais décidé de résister le dernier, tout en essayant de retarder au maximum le moment (que je connaissais bien pour l’ avoir vécu pendant la guerre mondiale) où l’ ennemi profitant du trou d’aération de notre abri, aurait lancé à l’intérieur des grenades qui auraient inutilement tué ou blessé les Officiers et Hommes qui s’ y trouvaient.
Ce moment arriva cependant vers 11 heures et nous dûmes alors cesser la résistance que nous avions opposée à l’ennemi opiniâtre et sans esprit de recul, comme nous avions reçu l’ordre de le faire (1).
Nous rejoignîmes alors sur la route (2) le reste de la division, et comme me le dit le Lt. Colonel Le BARILLEC, Cdt. le 62° R.I. : « C’est vous, mon général, qui avez quitté la position le dernier de la Division ».
J’aurais pu envisager deux autres solutions : ou bien faire sauter notre abri avec nous, mais je ne disposais d’aucun explosif ; ou bien faire une glorieuse sortie à la baïonnette contre les Allemands qui nous entouraient couchés derrière les arbres de la forêt et les talus de la route : je ne me suis pas cru avoir le droit de faire tuer avec certitude la plupart des vingt à trente hommes qui m’entouraient.
Le magnifique courage dont eux et les autres : Officiers, gradés et soldats de la 22° D.I. ont fait preuve pendant cette dure période du 10 au 18 mai (3) et spécialement pendant ces dernières heures de résistance dans la Forêt domaniale de SAINT–MICHEL il ne m’a pas surpris de la part des Bretons et Vendéens que j’avais l’honneur et la joie de commander.
Il fut le même que celui dont firent preuve, pendant la guerre mondiale, leurs Anciens à la tête desquels je me trouvais également.
Il fut cependant remarqué par nos adversaires, car, quelques instants plus tard, à SIGNY LE PETIT, l’officier Général allemand qui me reçut et m’interrogea me demanda si j’avais un désir personnel à exprimer, désir auquel il serait donné satisfaction.
Et je lui répondis textuellement : « Je ne demande rien pour moi, mais j’ai l’honneur de commander des Bretons et des Vendéens qui ont été très braves et ont fait tout leur devoir. Je demande qu’ils soient bien traités en captivité ».
« Ce que vous me dites est exact, » me répondit l’officier : votre désir est juste et légitime et ce que vous demandez sera fait.
Personnellement, je suis fier et plus ému qu’il n’est possible de le dire d’avoir vécu des heures aussi dures et de les avoir vécues jusqu’ à la fin au milieu de mes braves soldats.
Les combattants de la 22° D.I. ont tenu sur place comme ils en avaient reçu l’ordre et ce n’est qu’après avoir pendant huit jours livré les plus durs combats et après avoir, la veille encore, par deux fois repoussé l’adversaire, qu’ils ont été terrassés, littéralement submergés par des troupes fraîches infiniment supérieures en nombre.
Les pertes de la D.I. sont importantes ; on ne pourra sans doute jamais les dénombrer exactement, mais ce que je puis dire hautement, c’est que « Morts pour la France », vivants, blessés ou non, tous ont bien mérité de la Patrie.
(1) Notre résistance jusqu’ au 18 au matin eut, du moins, entre autres résultats, celui de permettre le 17, le repli dans la région de TRÉLON DES 5° R.T.M. et 28° R.T.T. qui, ainsi, ne furent pas encerclés. (Renseignement donné, en captivité, par le Général BERNARD, Cdt. l’I.D. de la 4° D.I.N.A., qui m’a dit avoir recueilli, sous ses ordres, au cours de la bataille ces deux régiments.
(2) sans la moindre poussière, qui étaient propres et frais comme s’ils avaient été transportés sur place, en voitures, le matin même de l’attaque.
J’appris par la suite su’ il s’agissait d’une D.I. considérée comme excellente et arrivée de POLOGNE depuis peu.
Les hommes que nous avions devant nous paraissaient avoir été spécialement choisis : grands, vigoureux et forts.
(1) Ce même jour, 18 Mai, l’ennemi arrivait sur l’AISNE de RETHEL et, dès la veille, ses unités cuirassées avaient atteint les sources de l’OISE et celles de la SAMBRE, (communiqués allemands).
Cette simple constatation prouve à quel point la résistance de la 22° D.I. fut tenace et efficace ; car son encerclement complet était réalisé depuis longtemps qu’elle se battait encore.
C’est certainement la grande unité qui dans cette région, a résisté le plus longtemps à l’ennemi.
Je m’en porte garant, ayant partagé à leurs côtés toutes leurs épreuves et étant resté le dernier sur la position. C’est dans mes bras qu’a expiré la 22° D.I.
Beaucoup ont mérité une récompense : il ne me sera sûrement pas possible de les proposer tous individuellement.
Où seront – ils à leur retour de captivité ? J’essaierais d’entrer dans ce but en rapport avec les Chef de Corps.
Mais ce que je sollicite de tout cœur et que je propose à la justice et à la bienveillance de mes chefs, comme étant le seul moyen équitable de récompenser tous les combattants en bloc, c’ est une citation à la 22° D.I. à l’ordre de l’Armée « pour la bravoure, reconnue par l’adversaire, dont elle a fait preuve sous mon commandement, pendant les tragiques journées du 10 au 18 Mai 1940 ».
RECTIFICATIF et ADDITIF
à l’état des propositions et récompenses adressé le 25 décembre 1940
à Monsieur le Général BESSON, directeur du Service des Prisonniers
en faveur de plusieurs militaires de la 22e D. I.
I.- RECTIFICATIF
Le Lt. Colonel LANNIER, Cdt le 116e R. I. et provisoirement l’I. D. 22, ayant été tué, il y a lieu :
1)/- d’annuler la proposition faite pour lui pour le grade de colonel.
2)/- d’accorder, à titre posthume, celle relative à sa promotion au grade de Commandeur de la Légion d’Honneur avec attribution de la croix de guerre à l’ordre de l’Armée.
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Proposition pour le grade de Chevalier de la légion d’Honneur :
Capitaine MARTINOT RENÉ, Cdt la C. A. 3 du 19e R.I.
Le capitaine MARTINOT est un jeune et brillant officier sorti en tête de sa promotion de Saint-Cyr, ayant fait campagne au MAROC dès sa sortie de l’École et y ayant obtenu la Croix de Guerre des T.O.E. pour sa conduite au cours des opérations dans le grand Atlas marocain en 1933.
Officier de valeur qui s’est distingué pendant toute la guerre 1939-1940 dans le commandement de la C.A. 3 du 19 e R. I. et a pris part à tous les combats livrés par son bataillon depuis le 10 mai sur la Meuse de Givet, et au cours du repli jusqu’au 18 juin 1940.
J’ai l’honneur de demander sa promotion au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur avec attribution de la Croix de Guerre à l’ordre de l’Armée avec le motif suivant :
« Officier des plus brillants qui s’est constamment distingué au cours de la guerre 1939-40. Au cours du repli a conduit son détachement avec énergie et intelligence malgré les pires difficultés, lui évitant ainsi la capture. Embarqué pour l’Angleterre le 31 mai 1940 et débarqué à Brest le 7 juin a pris part aux opérations en Normandie, comme commandant d’unité et a été fait prisonnier le 18 juin dans de tragiques circonstances ».
Déjà cité à l’ordre en 1933 au Maroc ».
OFFLAG VIII E, le 25 mars 1941,
Le Général BEZIER LA FOSSE Commandant l’I.D. 22 et pvrt la 22e D.I.
BEZIERS-LAFOSSE.