Récit - photos

01/05 Vailly - Corbigny - 96km

Départ 11h15 arivée 16h15

Alternance de petite pluie fine et soleil, vert de printemps en puissance, caractère sauvage du Morvan, tout ce qu'il fallait pour s'évader et rentrer dans le voyage. Mal de jambe 5/10, y'a encore des réserves, je suis confiant pour la journée de demain, au moins. Bon je n'ai pas réussi à déserrer mon pignon de 15 hier et les côtes du Morvan vont se faire bien sentir, mais j'ai le temps, la patience, et surtout une motivation énorme...

Poids du vélo : 26 kg, moi équipé au départ : 80 kg, voila un ensemble identifié de 106 kg à alimentation omnivore et à conservation de l'énergie cinétique prêt pour un grand voyage... C'est parti !

02/05 Corbigny - Dijon - 135km

Départ 10h30 arivée 18h30

Quantité d'eau consommée : 3l

Après un accueil élegant et 4 étoiles chez Irène, reprise de responsabilité pour cette 2ème journée avec un peu d'apréhension tout de même...

Sauvage c'est le mot pour la première partie de cette étape jusqu'à Saulieu : le parc naturel du Morvan, une nature relativement vierge, seulement des prés et des forêts, des animaux, des fleurs, une diversité de couleurs infinie, des contrastes... énormément de relief aussi, les premières belles descentes avec virages à adrénaline, mais toujours plus d'énergie dépensée dans ces côtes qui n'en finissent plus de me bruler les cuisses et le sentiment après ces 60 km que je vais m'écrouler devant le menu du jour et ne jamais repartir.

Un bon repas, un petit somme sur ma chaise, et ça repart quand même. Les kms suivants sont finallement beaucoup plus roulants, bitume de 1ère catégorie, faux plat montant et surtout descendant, et Dijon apparait comme une fleur... Bonne nuit...

03/05 Dijon - Besançon - 97km

Départ 12h00 arivée 17h30

Crevaison: 1

Un accueil aux petits soins chez Gilles et Annick et un petit tour dans Dijon, je reprend la route en mode circulation urbaine, contraste important avec la journée précédente. Agriculture intensive et paysages moins remplis, je baisse la tête et j'appuie. La frontière de la franche comté passée, un nouveau visage apparait, de nouveau du relief, de beaux verts matures, des vaches, un poulet gratiné au comté sur une table bisontine ! A table !

04/05 Besançon - Montbéliard - 89km

Départ 10h30 arivée 16h30

Je passe la nuit sur un tas de gravier dans l'ancienne fabrique désaffectée de la Rhodia en sortie de Besançon, lieu insolite ayant éprouvé le travail à grande échelle, l'incendie, et l'expression d'une jeunesse. Nuit reposante malgré un réveil un peu frisquet. L'étape est censée reposer les jambes, longer le Doubs sur de la piste cyclable ne doit rien avoir de fatiguant. Ce sont finalement 80 km de faux plat montant, avec un vent froid en pleine face, parfois accompagné de pluie, et la sensation durant tout le parcours que mon rapport de transmission est trop long. Ajoutons à cela une fréquentation très faible de l'itinéraire (j'ai croisé 4 cyclistes en tout) et on obtient un sentiment d'isolement vraiment fort, tendance à l'évolution vers la folie perceptible....

05/05 Montbéliard - Bâle - 70 km

Départ 12h arrivée 16h30

Augustin, mon premier couchsurfer-host est très sympa et accesible, et sait me redonner quelques kg d'énergie supplémentaire... Le matin je n'arrive pas à me motiver, le froid et la puie m'empêche de sortir d'une laverie ou je me réfugie sous l'air chaud du sèche-main. Une histoire de vendeur de Kébab et d'Istanbul et me voila décidé à partir. Et c'est d'une unique traite que je me retrouve à Bâle. Une journée sombre, du vent, de la pluie, pas un rayon de soleil, des forêts hautes, pas une haie entre tous ces champs cultivés, de grosses maisons carrées imposantes: pas de doutes, j'ai traversé l'alsace. Mais bon je me sens bien, et c'est le plus important pour la grosse journée de demain.

06/05 Bâle - Tuttlingen - 129 km

Départ 10h arrivée 18h00

Repos au chaud, mérité, dans l'auberge de jeunesse de Bâle, rencontres entre rêve et réalité, mélange d'anglais et d'allemand, je suis assomé par le mauvais temps de la journée. Départ sous la pluie, et paysages hyperindustrialisés sur la sortie de Bâle et les bords du Rhin. Je passe la frontière allemande à Laufenbourg, la ville à double nationalité. Puis se sont des paysages magnifiques, quelques rayons de soleil et des pistes cyclables ne laissant aucunes chances aux versions francaises et suisses. Je longe le plateau de la forêt noire, imposante, haute, dense, prestigieuse, une nature qui rassemble l'idée de l'identité que je me suis faite de cette région où j'ai vécu. La montée sur le plateau par la côte de Blumberg, associée à la pluie diluvienne sur les 30 derniers km finissent de m'achever. Toutes mes affaires sont trempées, mais pas de questions, je suis accueilli par Rolf et Betty mes anciens voisins, je sais que je repartirai, propre, sec, le ventre plein, et reposé. Verdict: Je me pèse discrètement en arrivant et 15h plus tard avant de repartir: +2kg ! mais bon qui peut résister dans ces conditions à de la charcuterie sèche en tous genre, du bon pain, des saucisses et des côtes de porc grillées !

09/05 Tuttlingen - Ulm - 160 km

Départ 11h arrivée 18h30

Ma raison m'impose 2 jours de repos pour se remettre de cette premiére partie, mon genou droit a été un peu douloureux après la montée de Blumberg sur le plateau de la forêt noire, et c'est aussi l'occasion de se réintégrer au monde bien réel, chez mon pote Maxime... Les grandes falaises de la vallée du Danube laissent bientôt place à de vastes plaines sauvages de pissenlits en fleur, mais les nuages n'autorisent pas un rayon au soleil, qui donnerait volontiers un autre visage au paysage. Mais qu'importe, mon petit 30 chrono, mes dépassements sauvages des nombreux cyclistes allemands du dimanche, mon genou tient le coup, je retrouve le plaisir de l'effort, j'écoute mon corps, je laisse aller mes pensées, je me sens bien.

10/05 Ulm - Ingolstadt - 155 km

Départ 10h30 arrivée 21h00

Nuit en auberge de jeunesse, départ hésitant sous une pluie marquée, les panneaux indicateurs de l'itinéraire vélo-Danube changent de format et de couleur à la frontière bavaroise et je me perd 3 fois, je crève, il est midi et je suis toujours à 10 km de mon lieu de départ. Puis c'est une lutte continue pour arriver à avancer entre les averses, je suis trempé, je me change 2 fois, je crève encore, et l'environnement agricole intensif et formel ne fait qu'accentuer mon sentiment d'isolement. J'abandonne l'itinéraire vélo Danube qui ne me présente que des chemins boueux et je finis par de petites routes. Mes jambes sont à bout mais j'arrive avant la tombée complète de la nuit à Ingolstadt, dans la douleur, je trouve mes limites!

11/05 Ingolstadt - Regensburg - 85 km

Départ 09h arrivée 16h30

Je suis hébergé par 2 étudiants d'Ingolstadt, 2 volontiers voyageurs accueillant, aux conseils utiles, et qui réalisent actuellement leur diplôme d'ingénieur en partenariat avec Audi. 1 habitant sur 3 dans cette ville participe à l'assemblage des A3, A4 et TT. Je ne pars pas trop tard pour pouvoir rouler sans stress et arriver dans de bonnes conditions. C'est ma première journée ensoleillée depuis un long moment, et je me donne en vrai touriste, j'apprécie les paysages du Danube, je joue avec mon retardateur, je m'arrête pour une des plus anciennes brasserie du monde, à Weltenburg. Je finis sur une belle piste cyclable, où les routards locaux viennent se lâcher après le boulot, et c'est en aspi derrière Suzy, 50 ans, infirmière, cycliste confirmée, que j'efface les 20 derniers km. C'était ma dernière étape vers le Nord, à partir de maintenant j'irai toujours vers le sud.

13/05 Regensburg - Passau - 133 km

Départ 14h arrivée 20h30

Je suis hébergé à Regensburg par une couchsurfeuse, Evy. La ville magnifique, petite ville médiévale d'Allemagne restée intacte, mes muscles et mon genou encore un peu douloureux, et surtout l'accueil d'Evy dans toute sa justesse, me décident à m'accorder une journée de repos. Je suis intégré dans le climat sincère d'un groupe de jeunes pré-trentenaires comme moi, et ne garde au moment du départ qu'une image hyper positive d'une petite ville allemande correspondant à mes valeurs. Une forte pluie incessante semble vouloir me retenir mais mes jambes me démangent et je profite de la première accalmie pour lever l'ancre, à 14h... Je pars comme un fou sachant que la pluie peut retomber à tout moment et 3h plus tard je suis 90 km plus loin, trempé... Après avoir épuisé pendant 2h la patience de la patronne d'une auberge bavaroise, et surtout amassé assez de propos moraux, j'admet la différence qui nous sépare en repartant sous la pluie. La nuit tombe mais je trouve facilement une maison abandonnée où passer la nuit au sec, quelques kms avant Passau.

14/05 Passau - Linz - 84 km

Départ 12h arrivée 18h30

La nuit et le réveil sont froids et pluvieux, et un départ irraisonnable en début de matinée. Je suis bloqué dans un endroit un peu morbide, je rêve de me réfugier sous le séchoir automatique d'un Mcdo, mais je trouve en ces moments d'isolement une sensation d'aventure passionnante, mes actes ne sont dictés que par la nature et mes propres capacités, il n'y a pas de plus grande liberté. Le débit diminue quelque peu, je pars et mon rêve se réalise. Un MENU MAXI BEST OF svp, puis je repars sous une pluie fine mais mouillante et me réveille brutalement sur un mauvais itinéraire, 10 km trop loin, demi tour, retour à la réalité. Je longe le Danube dans des paysages magnifiques au pied des Alpes, jusqu'ici les montagnes les plus belles et imposantes que j'ai rencontrées, et je maudis la pluie qui m'empêche de sortir mon appareil photo. Arrivée à Linz trempé, je ne sens plus mes pieds, mais j'ai toujours eu autant de plaisir sinon plus à pédaler, et tout ma personne est détendue de sa volonté qu'elle a pue exprimer.

16/05 Linz - Krems - 131 km

Départ 12h30 arrivée 19h30

Petite pause à Linz chez une couchsurfeuse connue, Victoria, également une pratiquante du Danube, mais à pied. L'occasion de m'intégrer à une coloc sympa dans un climat très relax, de pratiquer un peu le dialecte autrichien, et de préparer la suite du voyage. La pluie n'est pas au rendez vous pour le départ mais le ciel très sombre et le vent souffle. Malgré une faible lumière et une quantité d'eau notable, ce sont toujours des paysages vraiment magnifiques qu'offre la vallée du Danube en Autriche. La piste est très roulante et guide au travers de zones sauvages (inondables), de petits villages chaleureux, et des zones de culture vinicole en terasse, entre autre, du vin Autrichien le plus réputé, le riesling de Wachau.

17/05 Krems - Vienne - 80 km

Départ 07h arrivée 12h

Je suis trempé comme d'habitude et même si je m'accomode peu à peu à la douleur, je cherche un endroit au top pour passer la nuit: bingo, un container vide sur le port commercial du Danube: bonne isolation thermique et lumineuse, propreté, plancher bois (plus confortable que béton pour dormir et idéal pour étendre et faire sécher mes affaires). Je repars tôt après une bonne nuit réparatrice et une boite de raviolli, pour pouvoir profiter de Vienne. Les montagnes qui longent le Danube rapetissent peu à peu, et le fleuve s'étend sur de très grands espaces, neutre, propice à la réflexion. Arrivée à Vienne, une odeur qui me rapelle Paris, beaucoup de gens, beaucoup de vie.

18/05 Vienne - Bratislava - 78 km

Départ 12h arrivée 19h

Je retrouve a Vienne tous les coursiers venus pour le week end pre-event du championnat d'Europe, une cinquantaine de personnes principalement d'Allemagne, de Suisse et d'Autriche. Je me retrouve insere dans une communaute jeune a tres forte identite, axee sur une consommation intense d'une vie a risque. Apres une soiree projection de films sur la culture coursier et velo fixie, je passe la nuit chez un local dans un appartement du centre de Vienne. Je ne vois qu'un bref echantillon de la ville qui m'apparait comme tres touristique mais peu cosmopolite, tres dense de culture, d'histoire, traditionelle. Le rendez vous est donne pour le ride "the road to Budapest" et le groupe de depart s'eparpille tres vite. Je reste avec le groupe le plus tranquille, discussions roulantes, pauses regulieres. L'arrivee sur Bratislava est inoubliable, la sensation de mettre le pied pour la premiere fois dans un pays, la ville contraste avec tout ce que j'ai pu rencontre jusqu'a present.

19/05 Bratislava - Komárom - 132 km

Départ 11h arrivée 16h

A la fois moderne, souriante, elegante, Bratislava me donne une impression inoubliable d'une ville vraiment humaine. Un grand centre pieton ou se rassemblent commerces, restaurants et bars, de la pierre blanche, de vieux batiments pleins de charme, avec un mode de vie completement occiendental. Nous passons la nuit en Auberge de jeunesse dans une super ambiance. Le lendemain je pars dans le "first group" histoire de me mesurer aux meilleurs. Ca roule tres fort d'entree et je dois vraiment m'accrocher pour rester dans la roue du groupe emmene par "fight" un allemand de Stuttgart a la puissance impressionante. Des 10 du groupe de depart nous ne sommes bientot plus que 5 et ca roule toujours entre 40 et 45 mais je suis en forme (j'ai laisse mes saccoches a la voiture escorte...) et je ne lacherai rien jusqu'au bout. Bilan arrivee tot, gagne un peu d'estime, mais pas vraiment marrant. La frontiere hongoise c'est comme un mur entre 2 mondes, les routes ne sont pas toutes goudronnees, les maisons sont petites et decolorees, on sent la presence du regime communiste encore tres proche. C'est destabilisant de voir un tel contraste en une si courte distance.

20/05 Komárom - Budapest - 95 km

Départ 11h arrivée 17h

Nuit en bingalow dans un camp de vacances avec piscine, dommage il fait 10 degres. Depart avec les memes que la veille, nous coupons a travers la montagne pour rejoindre Budapest, et c'est une journee tres agreable, soleil, j'arrive a convaincre mon groupe de s'arreter pour visiter les ruines d'une ancienne eglise. L'arrivee a Budapest est impressionante, c'est une ville enorme, je suis submerge d'informations. Inscription pour le championnat, et soiree de rencontres, c'est quelques 500 coursiers du monde entier qui sont attendus pour ce we.

21/05 - 25/05 Budapest

5 jours a Budapest, axes autour de l'ECMC, championnat d'Europe des coursiers a velo, evenement rassemblant environ 500 personnes majoritairement coursiers. Competitions diverses, rencontres avec les coursiers locaux organisateurs, avec d'autres coursiers venus du monde entier, partys dans les bars branches, rides touristiques et alley cat, course d'orientation dans la ville, avant tout un excelent moyen de s'integrer rapidement. Une ville qui pourrait etre francaise, ou les etrangers sont plutot bien accueillis, ou on vit l'instant present, on fait la fete, on mange frit a l'huile et consistant, et on essaye de doubler dans les files d'attente des petites boutiques. Les grandes constructions comme la Basilique, le parlement, la galerie nationale ou la citadelle sur les hauteurs de la ville, les sources d'eau chaude et les bains, raviront chaque touriste. Budapest c'est aussi la richesse d'une rivalite entre 2 rives, anciennement Buda et Pest, l'une plus traditionelle et l'autre plus dynamique, une jeunesse tres presente, une identite et un temperamment marques, une langue dont je ne comprend pas un mot mais que je trouve magnifique. Ces quelques jours si intenses resteront ancres en moi.

26/05 Budapest - Izsák 105 km

Départ 11h arrivée 18h

Apres 5 jours de relations humaines fortes, je retrouve ma solitude, plus forte que jamais, dans un pays ou je me sens étranger. 20 km pour sortir de Budapest et hors de la ville, une campagne sauvage, une végétation en pleine santé, livrée a elle meme. Entre les villages vivants je croise autant de voitures que de vélos et de mobylettes rouillés, souvent portant, sans casques, de fortes corpulences lentes et des teints de peaux alcoolisés. Des bars s'échappent des rires forts et les passifs se prélassant au bord des routes dans la chaleurs dévisagent mon profil moins marqué. Je m'arrete tot, je veux m'assurer un toit correct. Mon calepin, mon crayon, je ne suis plus seul.

27/05 Izsák - Szeged - 110 km

Départ 09h arrivée 16h

Une petite maisonette abandonnée au milieu d'un champs de coquelicots, mon organisation discrete et rodée, et je repars, la chaleur détend mes muscles et je flotte dans l'air chaud de la vitesse. Les bords de routes, de champs, sont remplis de coquelicots, je n'ai jamais vu cela, le rouge est si intense. Parallelement la vegetation s'asseche, la terre devient sableuse, on sent l'odeur des pins, et du sud... ca y est, j'y arrive bientot... trop vite parlé, porte bagage cassé, il n'a probablement pas supporté les chocs dus a une chaussée en mauvais état. Je répars avec ce que j'ai sous la main en espérant que ca tiendra. Arrivée a Szeged, mon montage tient pour l'instant, et cette petite ville est aussi magnifique que porteuse d'intéret.

28/05 Szeged - Timisoara - 136 km

Départ 09h arrivée 19h

Le temps passe et je ne veux que profiter de la chaleur de la soiree, je ne sais pas ou je vais dormir et cela m'est egal. Apres un fort orage et une discussion avec un trentenaire alcoolique n'ayant de vocabulaire anglais que celui du rap US qui guide sa vie je m'eloigne du centre ville. Je passe la nuit dans un abris bus de premier choix dans un quartier residentiel. 30 min apres mon depart je me retrouve a la porte de la Serbie devant un non hesitant puis definitif, pas de passeport, pas de zone UE "you have to go back". Je retente ma chance 40 km plus loin, meme discours, meme sentence. Je dois donc revoir mon itineraire et passer par la Roumanie. Je me retrouve alors nez a nez avec une pauvrete inimmaginable, les petits villages que je traverse sont a moitie "goudronnes", les peintures des maisons sont completement fades, les murs s'effritent ou s'ecroulent et de nombreuses habitations sont totalement abandonnes, le tout dans un melange sale de boue, d'emballages de produits de consommation, de regards noirs craintifs et de chiens errants. J'ai l'impression que ces lieux ont eu une heure de vie revolue, et que le laisse aller materiel traduit une perte de confiance. Les couleurs du temps, de la rouille, de la matiere brutes que j'aime d'habitude tant me destabilisent. Je m'accroche et poursuis ma route jusqu'a la prochaine grande ville, un hotel... Je decouvre alors une ville incroyablement magnifique, dans un style italien elegant, propre et verte, des tons toujours forts, et des formes qui m'ordonnent de rester une journee de plus.

29/05 - 30/05 - Timisoara

Finalement je reste 2 jours, j'ai envie de profiter du temps et je ne peux pas profiter de l'autre, pluie forte incessante au moment du depart le 30, qui s'annule. Je suis heberge par Daciana, avec Floris, un autre couchsurfeur holandais. Je profite d'une petite ville jeune, etudiante, culturelle et historique. Je rencontre plusieurs francais instales a Timisoara, ingenieurs, etudiants en echange, tous vantant une vie de fete et une integration facile.

31/05 Timisoara - Lugoj - 61 km

Départ 16h arrivée 19h

La pluie toujours forte me retient malgre ma toute aussi forte motivation. Je pars impatient sur un sol mouille et sous un ciel lourd. Un peu hesitant devant la couleur de ce dernier et la possibilite de trouver un lieu sur pour dormir, je m'arrete. Un petit hotel pas cher, un proprietaire qui essaye de me prendre 30% de plus sur la chambre, mais on s'arrange avec le sourire, desole mon cher, moi de meme, et je ne pense qu'a une chose, retrouver le plaisir de l'effort, voir le paysage defiler, retourner en moi.

01/06 Lugoj - Caransebeş - 45 km

Départ 10h arrivée 12h

Reveil en forme, je me remplis le ventre, et je pars serein face au vent et au froid. Les premieres montagnes des Carpates commencent a se dessiner et mes yeux a briller. Arrivee a Caransebes, mon cable de frein lache, je dois en trouver un autre. J'en profite pour acheter aussi une chaine, la mienne est a bout et je deraille souvent. Reparation OK, je repars, et dans une acceleration forte entrainee par la circulation urbaine je sens mon pied partir dans le vide... en une fraction de seconde je comprend que ma transmission est HS, un frisson me traverse... mon pignon tourne dans le vide sur le moyeu de ma roue arriere, j'ai arrache le filetage, ma roue arriere est morte.

Commence alors une recherche dans la ville pour trouver une roue correcte en 28 pouces et apres 4 magasins faisant un peu de pieces de velo (entre autre...), beaucoup de volonte et d'aide, mais pas de solution, je dois me resoudre a retourner a Timisoara. Un train, "allo Daciana pour ce soir c'est possible?"

02/06 Caransebeş - Orşova - 92 km

Départ 18h arrivée 21h30

3 magasins et des kms de marche dans la ville, je trouve une roue, avec une roue libre pas le choix, mais bon dans un lieu ou rouler a velo signifie pour beaucoup ne pas pouvoir se payer une voiture, on peu oublier la culture fixie. Billet retour, re-explication ferme et definitive au controleur, on ne taxe pas les gens qui ont un velo dans le train, on leur offre la possibilite d'acheter un billet special. Je crois surtout que francais veut dire modele et donc etre en desaccord signifie pour eux avoir tort, ca m'a paru un peu trop facile.

Velo au top, transmission neuve, je suis pret pour rouler jusqu'a la nuit, les chiens errants n'ont aucune chance de s'accrocher a mes mollets, je file dans la douceur de la soiree, le coucher du soleil dans les reliefs m'offre des images inoubliables.

03/06 Orşova - Vidin - 135 km

Départ 10h arrivée 20h

Je campe sous un pont, bien cache et en compagnie de curieux papillons clignotants. J'ai en moi une conviction qui me pousse a entreprendre et a me mettre dans une telle situation, je sais pertinement qu'une nuit en hotel sera plus ennuiante que confortable. Je redoute simplement une bande de chiens errants mais ceux ci ne trainent pas trop eloignes des habitations et je suis en pleine nature. Quelques minutes apres mon depart, je retrouve le Danube et le longe sur une quarantaine de kms. Une etendue immense entre 2 versants de montagnes, 2 pays, une mauvaise route ou il n'y a pas toujours de barriere de retenue en cas de mauvaise manoeuvre, la beaute du paysage depasse presque mes capacites de conduite. Puis je retrouve la montagne sauvage, et les plateaux de culture ou on realise encore tout sans machine motorisee. La Roumanie c'est un contraste extreme, un poids lourd derniere generation qui croise une charette de foin a chevaux, une BMW serie 7 qui frole a 200 kmh une vieille femme qui rentre du travail des champs, a pied dans la nuit. Un violent orage se declare et en plus d'un abris, d'un croissant et d'un cafe, je recois des explications : l'euphorie de la revolution encore presente dilue la realite d'une repartition successive qui fut corrompue et la durete d'une politique actuelle ultra capitaliste. La difference semble s'elargir et le futur vraiment incertain. Je continue et passe la frontiere par le bac, les sourires des douaniers a la vue de ma nationalite sont de plus en plus incomprehensifs. Je suis en Bulgarie, et je le sens, les chiens sont remplaces par des chats, l'atmosphere est plus calme et reposant.

04/06 Vidin - Montana - 86 km

Départ 10h arrivée 14h

Je m'eloigne jusqu'a un petit village sur le bord du Danube ou je suis arrete par la pluie, un homme devant sa porte me repond en espagnol que je peux dormir dans la maison en face, vide. Quelques minutes plus tard il vient me trouver et m'invite a passer la nuit chez lui. Stefan vit en espagne avec sa famille depuis quelques annees et passe ses vacances ici chez sa mere, la ou il a grandi. "Mange, bois, tu as froid?, tu veux dormir?, regarde mon jardin, mes vignes, mes poules, mon bateau que j'ai construit"... Gracias... rempli d'optimisme je repars sous le ciel bleu. Un petit bain de fraicheur dans le Danube, du soleil, une vegetation tropicale, des montagnes, une belle journee...

05/06 Montana - Sofia - 129 km

Départ 11h arrivée 21h

Hotel, lessive oblige. Carte du relief a l'appui, je choisis l'itineraire le plus court mais le plus difficile. Seuls les grands axes sont correctement asphaltes et pratiquables, les possibilites sont donc tres limites. Pendant 40 km je ne fais que monter, la vegetation change, la foret devient dense et sombre, la temperature se refroidit, j'atteins les nuages, les 10 derniers kms de l'ascension sont une veritable epreuve, mais je trouve mon rythme. Dans un brouillard humide et frais, mon corps fume de la chaleur de l'effort. Je sais que la fin de mon voyage se rapproche, que j'ai perdu petit a petit l'excitation si forte des premiers jours, la sensation stimulante du risque et de l'avancee vers l'inconnue, et malgre cette pleine conscience, j'en souffre enormement, j'ai trop besoin de l'exprimer. Je passe un col a 1440m, soit 1300 m de denivele positif par rapport a mon point de depart. Mes muscles me repondent et je dois me resaisir pour atteindre Sofia, la route est encore longue. Au travers de grands espaces montagneux, je retrouve la plaine, le soleil. 30 km avant l'arrivee, je vois deja la ville que je domine de plusieurs centaines de metres. En un instant je me retrouve envahi d'immeubles, et je roule dans la circulation, vers la conviction certaine d'une nouvelle aventure.

06/06 - 07/06 - Sofia

J'avais prevu de rester 3 ou 4 jours a Sofia, finallement je pars apres 2. Ville grise, de beton, de blocs carres, sale, impersonelle. Pas une rue pietonne, un quartier un peu ancien ou vivant, ici c'est chacun pour soi, buisness, bling-bling style, mele a une pauvrete et un pessimisme tout aussi visibles. Je dors dans un "art hotel" ou je rencontre des voyageurs curieux de tous les continents, et qui partagent le meme sentiment.

08/06 Sofia - Pazardzhik - 118 km

Départ 12h arrivée 20h

Je me dirige donc vers la deuxieme plus grosse agglomeration bulgare. J'ai le blues, malgre la beaute du paysage et des forets que je traverse je ne resens plus la meme motivation. Je suis partage entre une certaine lassitude d'un environnement changeant constamment et le besoin de stabilite, le sentiment pesant d'etre differencie au premier coup d'oeil, et la devalorisation d'un objectif presque atteint. Apres 50 kms de lutte, je retrouve le plaisir du velo, pour finallement ne plus pouvoir m'arreter. Je roule jusqu'a la tombee de la nuit, la soiree est calme, les automobilistes sont chez eux, le vent est tombe, la lumiere et la temperature sont douces...

09/06 Pazardzhik - Plovdiv - 37 km

Départ 09h arrivée 11h

Nuit sous un ciel etoile, en compagnie de chauve souris, de grenouilles et d'aboiements de chiens lointains. Axe sur un objectif proche, je repars tot, et sous l'imposant massif des Rhodopes que je longe, je rejoins facilement le centre ville de Plovdiv qui m'apparait tout de suite beaucoup plus vivant et optimiste.

10/06 Plovdiv

Couchsurfing chez Stiliana, bulgare, photographe et voyageuse. Integre dans un groupe de jeunes adultes interesses et ouverts, je retrouve vite mes reperes. De vieilles pierres, une architecture typique, du theatre dans la rue, de tres agreables terrasses sur les hauteurs des collines, des rencontres constructives et des histoires fortes, beaucoup de generosite et de franchise, une representation culturelle de la Bulgarie qui me manquait et qui s'aligne a la hauteur d'une nature magnifique et sauvage.

11/06 Plovdiv - Haskovo - 78 km

Départ 17h arrivée 21h

La temperature brulante retarde mon depart et apres seulement quelques kms, mon pneu arriere eclate sous l'augmentation de pression due au soleil. Je reussis a reparer puis retrouve ma solitude reveuse, dans des couleurs chaudes et des odeurs de ble mur. La chaleur va etre le denier defi de ce voyage.

12/06 Haskovo - Edirne - 98 km

Départ 16h arrivée 21h

Hotel, je commence a me reintegrer doucement, et je sens aussi la fatigue de la chaleur, une douche et un lit sont merites. Depart en apres midi, je pense surtout au passage de la frontiere, a mettre le pıed en Turquıe. Une carte d'ıdentıte et le tour est joue, me voıla dans un autre monde. Dans ce goulot vers l'asıe, je rencontre plusıeurs motards espagnols, anglaıs, allemands, amoureux de route et d'aventure. J'arrıve dans une petıte vılle quı contraste totallement avec la Bulgarıe: une atmosphere hyper vıvante, des gens dehors, des lumıeres, toutes sortes de bruıts ımpulsıfs, maıs aussı des valeurs, plus de talons aıguılles ou de tatouages maıs des apparences sımples, des sourrıres faıbles et naıfs, une generosıte debordante.

13/06 Edirne - Çorlu - 125 km

Départ 14h arrivée 21h30

Je commence a m'habıtuer a l'hotel... l'occasıon aussı de profıter d'un petıt dejeuner local et d'un the ! Je traverse de grandes zones vallonnees de cultures modernes, et realıse avec plus de recul le decalage avec la Roumanıe et la Bulgarıe. Je voıs quelques quartıers pauvres en perıpherıe de vılles, maıs le nıveau socıal global n'a rıen a voır. On dıt que l'homme au volant se rapproche de ses ınstıncts, ıcı on s'exprıme, et on exprıme aussı sa joıe: les klaxons n'en fınıssent plus de m'encourager ! Et j'en aı besoın, car le vent, le relıef et la temperature sont contre moı. Apres 6 lıtres d'eau, une petıte pause patısserıe aussı delıcıeuse qu'energetıque, j'atteıns Çorlu, une petıte vılle quı m'apparaıt encore plus tradıtıonelle qu'Edırne. Je decıde de rester une journee, l'occasıon aussı de me remettre en forme pour profıter pleınement de ma dernıere journee de voyage, jusqu'a Istanbul.

15/06 Çorlu - Istanbul - 135 km

Départ 08h30 arrivée 02h00

Je suıs en pleıne forme et l'odeur de la mer que je percoıs en chevauchant ma monture me gonfle les poumons. J'atteınds rapıdement l'ımmense etendue quı avec le vent encore fraıs, apaıse ma deteremınatıon. Maıs les complıcatıons arrıvent en chaıne: la seule route dırecte est hyper frequentee, trop dangereuse, et le bord de mer barıcade et garde, reserve aux habıtants des vıllas... je suıs oblıge d'emprunter des ıtıneraıres peu pratıquables et je creve plusıeurs foıs. Mon avant-dernıere chambre a aır eclate dans un bruıt de coup de fusıl et au meme moment mon porte bagage casse. Je me voıs fınır le voyage en traın. Maıs je trouve une solutıon et je reussı a contınuer. A 30 km d'Istanbul, je n'aı plus le choıx je doıs m'ınserer dans une cırculatıon dense et rapıde, maıs je me rassure, les conducteurs locaux ont des reflexes adaptes a leur conduıte energıque, c'est juste le reflet d'un temperament... Realısant la relatıvıte de mon exıstence dans ce flot d'ındıvıdus, de voıtures, de constructıons en tous genre, j'avance, concentre sur mon entourage proche. Parfoıs, sentant l'horizon plus eloıgne, je leve un peu les yeux, et prend conscıence dans la taılle et la densıte, de la puıssance de cette vılle. Apres une autre crevaıson, je casse la valve de ma dernıere chambre a aır. Cette foıs je suıs sur le poınt d'abandonner, maıs apres plusıeurs essaıs, je reussı a renfermer un peu d'aır dans ce tube en caoutchouc. Et c'est en regonflant ma roue arrıere toute les 10 mın que je poursuıs mon perıple. Je passe le bosphore sur le pont de la O-1, je doıs me rendre a Küçükyah cote Asıe, j'aı encore une dızaıne de kms. La vue panoramıque et la sıtuatıon magıque, seul sur le bas cote de cette passerelle dans la nuıt, me compressent dans le present. Au moment ou je m'apprete a photographıer cet ınstant unıque, une voıture arrıve en contre sens sur une voıe a prıorı reservee aux pıetons et aux cyclıstes: Polıce! Ce passage est totalement ınterdıt! Je m'en sors en jouant mon numero de tourıste desole non ınforme, et me faıt raccompagner de l'autre cote. Dans tous les cas, ıl n'y avaıt aucune autre facon de passer, a part le bateau. La vılle vıt toujours a cette heure tardıve et j'obtıens sans peıne les bons renseıgenements pour poursuıvre ma route. J'arrıve enfın, accueıllı par Tuğçe, dans toute la generosıte Turque.

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Istanbul

Je realıse dıffıcılement que j'aı atteınt mon but, j'aı un peu la sensatıon ınnocente que je vaıs repartır demaın. J'aı vecu au present et au futur proche, sans regarder derrıere moı, et je suıs drogue a la route. Dans une conscıence encore orıentee, je remercıe du fond du coeur toutes les personnes quı m'ont soutenu dans cette aventure, et quı m'ont aıde a vaıncre ma solıtude. C'est de relatıons humaınes que tout s'est construıt. Jamaıs je n'aı eu le sentıment de perdre le controle, j'etaıs determıne et rıen ne pouvaıt m'arreter, maıs j'aı eu des moments dıffıcıles, aussı forts que la satısfactıon que j'aı eu de les surpasser. J'aı realıse un reve, celuı d'exploıter mes facultes dans une experıence quı correspond a mes valeurs. J'aı ete heureux de vıvre chaque ınstant, et dans un equılıbre evolutıf entre rısque et raıson, j'aı trouve beaucoup de verıte et j'aı apprıs de moı-meme.