Interview de Ramuntcho Matta (2009) 2ième partie

Par Isabelle AUBERT-BAUDRON

Paris , le 26 février 2009

(2ième partie)

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Ramuntcho MATTA - ramuntcho matta  

Traduction  

1ière partie

RM : Hier soir je suis allé voir un film assez intéressant sur Valvert, la clinique à Marseilles. C'était une clinique de psychiatrie institutionnelle qui a commencé dans les années soixante-soixante-dix, et où avant les fous, si on peut les appeler comme ça, ils faisaient du jardinage, ils allaient à la cuisine, etc. Et maintenant à cause des clauses de précautions, ils ne peuvent plus faire de jardinage parce qu'ils peuvent se blesser. Ils ne peuvent plus aller dans la cuisine parce qu'ils peuvent casser un verre et se blesser aussi. On ne leur donne que des médicaments.

IAB : C'est honteux. L'orientation de la psychiatrie actuelle …

RM: C'est un vrai scandale. Mais je crois que c'est quelque chose qu'on peut définir, pour parler de l'époque actuelle, c'est un ami qui m'a dit ça l'autre jour, le XX° siècle a été vraiment le siècle des occasions manquées. On aurait pu… tu vois, la guerre de 14-18, c'était quand même une vraie leçon. Après entre les deux guerres, il y a eu des tentatives de vie communautaire, d'autres types d'économie, il y a eu un monsieur qui s'appelait Victor Croissac, qui a fait quelque chose de très intéressant en France. Alors la crise de 29, ç'aurait pu être une prise de conscience aussi : est-ce qu'on a vraiment envie de faire une ère industrielle, est-ce qu'on veut que les êtres humains soient avant tout des outils de production ? C'est plein d'occasions manquées. Les années soixante, la Beat Generation, c'était quand même un mode de vie, c'était … et c'est que des occasions manquées. Et c'est quand même dingue, comment l'outil lui-même arrive à contrôler la moindre tentative pour la réassimiler et la digérer, et la rendre après comme un vomi inerte et insipide; Non, c'est très triste. On a tout, on a tout, on a absolument tout. Qu'est-ce qui fait qu'on ne passe pas à l'acte ? Peut-être, il y a un terme anglais qui dit ce qui nous arrive de pas bien, c'est pour une bonne raison. Peut-être qu'on n'est pas encore prêts. Alors lui, Gysin il disait :"Il faut partir, de toutes façons, c'est foutu." Comme tous les gens un peu vieux, ils finissent par avoir cette mentalité là. Moi j'ai l'habitude de faire des bébés, depuis tout le temps, et, non je pense que ce n'est pas foutu, mais c'est compliqué. Très compliqué. Déjà, donner la conscience aux gens que tout est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, peut-être que c'est déjà pas mal. Qu'on ne fasse pas des raccourcis. Qu'on ne dise pas "Ah! Oui, les musulmans", qu'on ne dise pas "les femmes, oui mais bien sûr, ce sont des femmes." Déjà tout est tellement plus complexe et beaucoup plus intéressant. Parce qu'en fait on a peur de la complexité comme si c'était quelque chose de tétanisant. "Merde, c'est compliqué." Non : super! C'est compliqué. Déjà ça nous rapproche. Alors qui sont les enfants spirituels de la sémantique générale ?

IAB: Eh bien, Burroughs, Laborit, Henri Laborit, le biologiste, tu sais, Bachelard.

RM : Et plus récent que cela ? Toi.

IAB: Moi, parce que j'ai pas mal écrit là dessus. Alors après il y a tous les charlatans qui prétendent s'inspirer de la sémantique générale et qui ne s'en inspirent pas, comme la PNL.

RM : La PNL ce sont les comportementalistes ?

IAB : Programmation neuro-linguistique. La seule chose qu'ils ont prise de Korzybski, c'est une phrase : "Une carte n'est pas le territoire". Sinon c'est une escroquerie intellectuelle.

RM : Si j'étais Gysin, je dirais : "Bah ! si cette imposture est amusante !"

IAB: Ben justement, je ne la trouve pas amusante du tout. C'est très utilisé dans le domaine du management comme méthode de manipulation. Et puis sont arrivées sur le marché là vraiment des choses graves, comme l'énneagramme, tu n'as pas entendu parler de ça ? Je n'avais jamais entendu parler de ce truc jusqu'à ce qu'une nana à qui je donnais des cours de sémantique générale, qui était experte en PNL, mais qui ne connaissait rien en sémantique générale, me parle de ça. Et c'est une nana qui travaille sur les modélisations qu'on enseigne aux DRH. Et elle me dit "Ah, hé bien vous en tant qu'infirmière, vous êtes une "base 2". Bon, moi je ne connaissais pas, je la laisse dire, je lui fais mon cours de sémantique générale et après les applications en économie et en stratégie. Et puis après, à la fin de la stratégie, elle me dit "Ah ben non, vous n'êtes pas une base 2." Ah bon ? "Parce que vous êtes capable de vous défendre. On classe dans les bases 2 tous les métiers qui demandent de l'abnégation, donc les infirmiers, les gendarmes…

 

RM : Abnégation, pourquoi abnégation ?

IAB : Parce que généralement tu es plus tourné vers les autres que vers toi-même.

RM : Je ne voyais pas ça comme ça. Je ne voyais pas l'infirmier comme quelqu'un… Une de mes meilleures amies était infirmière, elle s'appelait Bougie, non son vrai nom c'était Françoise Gibard, elle était assistante de Félix Guattari à La Borde, non ce n'est pas de l'abnégation, au contraire.

IAB : Enfin jet te dis

RM : Non mais déjà tout ce qui est réducteur, tu vois, c'est impossible.

IAB : Alors elle me dit donc "Il y a une classe dans laquelle on range les infirmiers, les pompiers, les assistants sociaux, les gendarmes…" Et elle me dit : "On sait que, comme ce sont des bases 2, on peut leur imposer des conditions de travail invivables, que les autres n'accepteront pas."

RM : C'est bien, c'est Big Brother.

IAB: Voilà. Parce qu'on sait qu'ils obéiront tout le temps aux ordres et qu'ils ne feront rien pour se révolter. Donc on leur impose ça. Voilà l'état d'esprit qui est enseigné aux DRH, quoi!

RM : Eh bien, c'est un état d'esprit qui est partout, quand tu vois ce qu'ils appellent des émeutes, les problèmes récemment en Guadeloupe, etc., tout ça ce sont des parodies. Tout ça, ce sont des caricatures. C'est l'époque du leurre, et c'est pour ça qu'il faut que les gens, avant de se révolter frontalement avec un gendarme, il faut réfléchir. Alors quelle est la meilleure manière d'agir ?

IAB : Absolument, surtout qu'en ce moment les gendarmes, ils commencent à ruer dans les brancards, et les flics aussi.

RM : Ils ne sont pas contents ?

IAB : Ah ben non, pas du tout.

RM : Pour des bonnes raisons ou pour des mauvaises raisons ?

IAB : Ben oui, pour des bonnes raisons, parce que le gouvernement actuel … alors les gendarmes ne sont plus au ministère de la défense

RM: Parce que les gendarmes, c'était l'armée bien sur.

IAB: Maintenant ils sont au ministère de l'intérieur, et puis l'intérieur va absorber la gendarmerie, donc ils vont se retrouver avec le statut de policier, sauf que leur nombre d’heures de travail n’est pas limité : ils peuvent travailler 100 heures par semaine sans être payés plus que s’ils en faisaient 35. Et l'évolution actuelle, c'est de supprimer la police publique, donc la gendarmerie aussi, pour les remplacer par des polices privées.

RM : Ils ont fait cette tentative aux Etats-Unis, ils en reviennent. Mais d'un point de vue d'une société de contrôle, c'est très bien, très efficace, parce que les flics travailleront au résultat, donc pourront réprimer mieux.

IAB: Ceci dit, la politique du chiffre, la culture du résultat, ils ne sont pas du tout d'accord, ni les gendarmes, ni les flics.

RM : Ils n'auront pas leur mot à dire.

IAB: Ah ben là, ils n'ont pas leur mot à dire, c'est pour ça que … Oui mais attends, tout ça, ça ne marche que, le contrôle ne marche que s'il a une force qui l'impose, mais le jour où la force se retourne contre lui…

RM : Oui, mais la résistance fait qu'elle est toujours plus forte, donc nos amis trouveront certainement des ruses …Nos amis ils sont ailleurs, et ils seront toujours ailleurs, c'est pour cela qu'ils ne sont pas rattrapables. Moi ce que j'essaie d'enseigner, j'ai un fils qui est altermondialiste, et qui se trouve, parce que son âge, etc., souvent dans des situations frontales. Mais il faut qu'il apprenne à ne plus être frontal, parce qu'à ce moment-là, les instruments de contrôle sont foutus. L'important, c'est de ne pas être cernable, de ne pas être identifiable; si tu es vraiment très multiple, qu'est-ce qu'ils peuvent faire sur toi ? rien. Donc malheureusement, même les gendarmes, ils ont trouvé un moyen là de contourner les gendarmes. Parce que s'ils en sont à être payés aux résultats, ils deviennent beaucoup plus dangereux.

IAB: Oui mais aussi beaucoup moins efficaces, parce qu'ils n'ont pas la formation des autres.

RM : Ils n'ont pas besoin d'être efficaces, il faut juste qu'ils fassent mal. Les gendarmes, on ne leur demande pas d'être efficaces, à part en milieu rural.

IAB: Non, enfin moi je vois ceux que je connais, ce qui les intéresse, eux, les buts de leur boulot, c'est de défendre les droits des citoyens.

RM : S'ils sont bien, oui, mais moi les rapports que j'ai plutôt avec les gendarmes, quand j'essaie de passer un barrage de police par exemple quand il y a une manifestation : "Sil vous plaît, j'aimerais bien passer là", ils me disent "Casse-toi, connard !" Ca ne va pas plus loin que ça, je leur dis "Mais enfin, pourquoi vous me parlez sur ce ton ?" . Ils me répondent : "Tu veux mon poing sur la gueule ?" Ca c'est le rapport que j'ai avec les gendarmes. Donc toi tu as un gendarme à la campagne, ce dont tu parles. Ce n'est pas le gendarme qu'on envoie pour taper sur les jeunes. Le gendarme qu'on envoie pour taper sur les jeunes, il est parfaitement lobotomisé. Moi, il y a quelque chose qui m'est arrivé une fois dans la vie, j'ai été pris dans l'armée américaine. J'étais ce qu'on appelle "drafté". Pendant l'époque des otages en Iran il y a très longtemps, c'était en 1979-80. Et ils m'ont gardé une semaine. Parce que j'ai réussi totalement à les déstabiliser. J'ai fait semblant de ne pas parler anglais, et chaque fois qu'ils me demandaient quelque chose, je disais "Pourquoi ?" Ils m'aboyaient dessus. Mais j'ai vu des gens totalement transformés par leur système de construction mentale. Donc le gendarme que tu vois, toi, avec tes yeux à toi, c'est quelqu'un qui essaye de défendre tout le monde. Mais ce n'est pas le gendarme qu'on envoie pour vider le squat, ce n'est pas le gendarme qu'on envoie pour virer les sans papiers. Sinon le gendarme qu'on envoie pour virer les sans papier, il dirait "Mais attendez, les sans papiers ils sont le droit d'avoir des papiers, ils vivent ici depuis des années, ils ont des enfants, ils travaillent ". Donc le gendarme que tu vois toi, je ne sais pas où tu le vois.

IAB: Tiens, tu iras sur ce forum-là http://gendarmes-et-citoyens.net

RM : Gendarmerie nationale ?

IAB: Non, pas du tout.

RM: Gendarmes et citoyens. Non, mais moi je suis pour l'idée de la personne armée qui aide à mettre les choses au clair. Pas mettre de l'ordre, mettre les choses au clair. Le mec bat sa femme, on appelle les gendarmes. Mais dans la pratique, c'est pas ce qu'on demande aux gendarmes.

IAB: C'est à dire que comme tu dis, ça dépend des régions, parce que je vois dans les Deux-Sèvres, les gendarmes font ce boulot-là.

RM: Mais je pense que quand j'étais en Bretagne, les gendarmes faisaient ce boulot-là. Mais à Paris, on envoie des gendarmes qui viennent d'ailleurs, dans le car on leur donne des médicaments déjà, il faut le savoir, pour tenir dix-huit heures dans un car, les mecs ils ne sont pas à l'état naturel, et puis on leur dit "De toutes façons, les sans-papiers, c'est des gens qui volent le travail des gens." Les bons, ça n'existe plus, ils ne sont pas humains. Oui, j'avais vu une émission l'autre jour, le pire c'est les policiers. Il faut six mois pour être policier. En six mois, tu as une arme, tu es assermenté, tu es policier. Quel type d'éducation, d'études te donne un métier en six mois ? Où ?

IAB: Mais là tu ne parles pas des policiers publics ?

RM : Si, je te parle des policiers, le mec en bleu au coin de la rue là. Six mois, la formation. Mais moi je crois au policier qui défend le citoyen, je crois à tout ça, mais comment en six mois … Encore pour prendre l'exemple des Etats-Unis parce que je connais les deux, aux Etats-Unis tu ne peux pas être flic dans la rue sans être inspecteur de police. C'est trois ans d'études. Il y a cet aspect là, ils font aussi des erreurs, comme tout le monde, parce que l'erreur est humaine, il y a un pro rata, on ne peut pas y échapper, mais le policier, ce devrait être quelqu'un qui défend tous les citoyens. Donc il y a du boulot, hein ! Donc si les gendarmes se fâchent, ce serait formidable, mais pour ça, il faudrait que …

IAB : Alors il y a à peu près un an, ils ont créé une association,

RM : Celle-là ?

IAB: Oui, donc ils ont mis sur pied un forum, et puis ils ont été très surpris du résultat, parce qu'il y a plein de gendarmes qui s'inscrivaient. Ils ont alors créé une association pour la défense juridique du forum. Mais le ministre de la défense, pas content, dit: "Vous avez créé une association professionnelle, il faut arrêter ça tout de suite. Si vous n'arrêtez pas, on vous vire de la gendarmerie." Donc ils démissionnent de l'association, mais comme ce n'était pas conforme à la législation, parce que c'était une association de loi 1901, pas une association professionnelle, ils ont traîné le ministre de la défense et le directeur de la gendarmerie au tribunal, et puis là, le tribunal s'est déclaré incompétent.

RM : Non, mais c'est intéressant, parce que si par exemple dans ton modèle, le gendarme devenait quelqu'un d'intelligent, si le contrôleur des impôts devenait quelqu'un d'intelligent, c'est à dire tout simplement le rôle des impôts, c'est de faire payer les gens qui doivent payer des impôts pour que la société fonctionne, ce serait formidable, mais j'ai peu d'espoir que ça puisse se faire. Parce que ce que je connais moi, j'ai rencontré une fois un directeur général des impôts qui en fait était le meilleur ami de très grandes entreprises, qui faisait signer des choses, qui ne faisait pas payer les charges aux entreprises, donc c'est très complexe. Mais c'est vrai qu'idéalement on a tous les outils pour... par exemple les journaux, ça pourrait être formidable, la télévision,…

IAB: Absolument.

RM: Mais je me demande si l'appareil lui-même fait que ce n'est pas possible. C'est à dire que moi par exemple, quand je faisais de la musique, des chansons, des choses comme ça, pour passer à la radio, tu es obligé d'accepter certaines choses : le format déjà, tu es obligé d'accepter une introduction qui ne dépasse pas les dix secondes, de façon qu'il y ait un refrain, un pont, enfin il y a toute une logique dans la forme, qui fait que déjà la substance même de ce qui fait l'intérêt d'une pièce musicale est dissoute par le médium. Et je pense que le gendarme, quand il décide de devenir gendarme, il a une vraie vocation qui est "OK, je vais défendre la république." Mais je crois qu'entre le moment où il démarre et où il commence à faire ses études, et puis, comme dans un entonnoir, où il se retrouve dans le car et où il va taper sur des gens qu'il ne connaît pas, je pense qu'il y a dissolution. Qu'est-ce qu'ils disent, eux sur le fait que…pourquoi est-ce qu'ils vont taper sur des gamins ? Pourquoi est-ce qu'ils vont taper sur des sans-papier ? Comment ils acceptent qu'on les envoie dans des manifs ? Sur quelle logique psychologique ils vont aller courser des gamins de dix-sept ans et les massacrer à coup de tazer, etc. Moi, c'est ça qui m'intéresse. C'est la même chose dont on avait parlé auparavant : j'avais vu un documentaire sur un nazi qui fracassait la tête d'un nouveau né contre un mur. Et je me suis dit, ma première réaction c'était "Oui, salaud de nazi, etc." Mais après je me suis dit "Par quel est le mécanisme il a réussi à penser que ça pouvait faire du bien au monde de se débarrasser d'un enfant juif ?" Donc ce qui te semble être juste, pourquoi, selon quelle logique, selon quelle sémantique ? C'est là où c'est …

IA: Moi il y a une chose que j'ai réalisée là, c'était que les gendarmes en fait n'avaient pas le statut de citoyens 1, parce qu'ils n'ont pas le droit de dire ce qu'ils pensent de leur boulot, devoir de réserve sur tout, et puis en fait tu t'aperçois qu'ils ont des conditions de boulot qui sont de pire en pire, que ce soit le logement, que ce soit la politique du chiffre… Avant par exemple ils étaient payés pour essayer de limiter les dégâts au niveau de la criminalité, si tu veux, tandis que là, ben non, parce que si on fait ça, ça va augmenter les statistiques de la délinquance, donc il ne faut pas augmenter les statistiques de la délinquance 2.

RM : Ca dépend, vu que la frayeur, c'est le moteur principal de l'économie, la peur de perdre son emploi, peur de se faire voler, peur de se faire violer, c'est un moteur formidable de la société; Aujourd'hui tu votes uniquement parce qu'il y a cette peur-là. S'il n'y a plus la peur, tu ne vas pas aller voter pour des personnages comme Sarkozy ou Ségolène Royal. C'est totalement incohérent, ça ne tient pas la route une seconde. Donc pourquoi est-ce que les gendarmes renforcent la peur ? Fais cette expérience, j'ai fait une expérience un jour : j'ai un scooter, je laisse les clefs dessus pendant une nuit, on ne me l'a jamais volé, jamais. J'ai des amis qui ne ferment pas leur appartement. Donc c'est quoi ce dont on parle ? Il m'est arrivé deux fois de me faire braquer dans la vie, une fois avec un couteau, il me dit "File-moi ton blouson", je lui dis "Non", il me donne un coup de couteau dans le bras, il troue le blouson, et je lui dis "Maintenant tu peux le prendre, il ne vaut plus rien." Et puis une autre fois deux mecs avec un flingue à cinq heures de l'après-midi, rue Vavin : "File-moi ton blé !" Alors j'avais 50 balles dans une poche et 500 dans l'autre. Donc je leur file les cinquante balles et je les insulte : "Espèces de minables, vous ne pouvez pas faire autre chose ? Y a des choses vachement plus intéressantes que de braquer un gamin qui …" J'avais dix-sept ans. "Vous n'avez rien dans votre tête, vous êtes vraiment des petits cons." Et je m'en vais. Le mec me dit "Hé toi, reviens !" Je me dis "Je suis mort !" Et puis ils m'ont rendu les cinquante balles. Donc je pense que tout le mythe de la violence… Regarde comme ça marchait bien, la police de proximité il y a un moment.

IA: Absolument.

RM : Pourquoi est-ce qu'un flic ne doit pas habiter le quartier où il travaille ? Mais c'est quoi cette aberration? A New York, le flic il habite l'immeuble, et c'est quelqu'un qui aide, qui comprend la délinquance. Qu'est-ce que tu veux faire ? Tu acceptes d'être caissier, ou tu acceptes de dealer un peu, machin, tu acceptes de dealer un peu et puis peut être que dans quelques années tu ouvriras ton magasin. Il y a peut-être des passages dans la vie où il faut passer à la lisière de la malhonnêteté pour pouvoir découvrir la vie, et peut être pour pouvoir découvrir l'honnêteté. Et moi je crois beaucoup à ça. Donc il y a beaucoup de travail à faire à ce niveau-là. C'est la même chose avec les banques. Pourquoi est-ce qu'on change toujours les gens dans les banques ? Parce qu'on s'attache. Ben oui, on s'attache. Une banque, elle est là pour rendre service. Donc il y a toute une vie, un système à remettre en place, c'est le citoyen qui doit décider de refuser, mais il ne peut pas, parce qu'il est otage de la peur et otage de perdre son emploi. Moi j'ai discuté avec des banquiers. Beaucoup de banquiers m'appellent pour me demander des conseils, des choses comme ça. Moi, tu vois, conseiller des banquiers, je leur dis tout de suite "Changez de boulot !" Et en fait, ça commence à rentrer dans leur esprit que le modèle mathématique est obsolète. Il faut un modèle poétique, un modèle social, un modèle d’intelligence, c’est à dire être à même de produire des hypothèses et non de s’arrêter à la première solution.

Je leur dis : "OK vous voulez faire de l'argent, mais pour quoi faire ? Pour faire de l'argent? Vous avez besoin de quoi ? De dix millions d'euros ? Qu'est-ce que vous allez faire quand vous aurez quatre-vingt cinq ans et dix millions d'euros ? Parce que vous les aurez certainement quand vous aurez quatre vingt cinq ans. " Et en effet, il vaut mieux gagner moins pour travailler mieux. Qu'on parle d'économie réelle et tout ça, c'est bien, mais j'ai l'impression que la récupération d'idées bonnes à des fins électorales a toujours été exploitée dans le mauvais sens. Et je crois que, pour revenir à notre sujet, je crois que Burroughs et Gysin éveillent à cette vigilance-là. A tous les niveaux il faut divulguer les informations, le faire savoir. En Chine, on ne paye son médecin que quand on est en bonne santé. Ca me paraît le bon sens On va voir son médecin tous les trois mois et alors lui il voit, il voit qu'il y a un léger dérèglement par là, alors il faut manger telle plante, arrêter de manger du foie de veau, etc. Tout se fait naturellement, et on le paye que quand on est en bonne santé. Imagine le système de santé pareil. Si on payait le médecin comme cela aussi il n’y aurait plus de trou a la sécu, le seul hic c’est que ce n’est pas simple de rencontrer les personnes justes. De trouver les complémentarités nécessaires. Beaucoup de médecins n’y arrivent pas car leur réseau de complémentarités n’est assez nourri.

 Fin de l’enregistrement.

Notes:

1 Voir à ce sujet le « Rapport sur les droits de l'homme dans l'armée française 2005-2008 » de l'ADEFDROMIL.

2 Voir « SOS détresse policiers ».

 

Interview de Ramuntcho Matta par ALAIN DISTER - France Culture (2000)

Interview de Ramuntcho MATTA :10 septembre 2004 par Isabelle Aubert-BAUDRON

 Ramuntcho MATTA: Exposition à la galerie Anne Barrault : http://www.geocities.com/clemsnide23/ramuntcho3.html et http://www.geocities.com/clemsnide23/ramuntcho4.html (septembre-octobre 2004)

"Clin d'Oeil" de Pascale LISMONDE : Marjory, un tableau de Matta (France-Culture, 19 juin 2004 : Ramuntcho MATTA, Regis DEBRAY