1964: LE VOYAGE EN BRETAGNE.

L'on trouvera ci-après la traduction des articles publiés par Alvaro Cunqueiro au printemps 1964 dans le "Faro de Vigo". Lors du voyage, Alvaro Cunqueiro était accompagné de son photographe Carlos Espinosa et d'un collègue Pedro Rial. Tous nos remerciements à Gwenola, Nolwenn et Soizig Monjarret qui nous remis les textes publiés par le Faro ainsi que les photos réalisées lors de la rencontre d'Alvaro Cunqueiro avec leur mère et leur père: Zaig et Polig Monjarret. Les articles d'Alvaro Cunqueiro débutent par cet avertissement:

Il ne s'agit pas d'un carnet de voyage; ce sont des notes prises au gré du chemin. Il ne s'agit pas non plus de découvrir la Bretagne, chose que j'ai faite il y a bien des années, sans l'avoir parcourue, dans mon livre " Les Chroniques du sous-chantre". La vérité est que la Bretagne réelle a fait tout son possible pour ressembler à la Bretagne de mon livre. L'Aulne est telle que je l'avais rêvée, et Quimper et Pontivy des villes connues dans les rues desquelles je ne pourrais me perdre, et les calvaires de Pleyben et de Plougastel-Daoulas offraient à mes genoux une pierre familière. Actuellement toute la Bretagne a ses vertes collines couronnées par le jaune des genets et à chaque kilomètre l'on voit une alouette voler entre les peupliers du chemin. Au long du chemin sinueux qui se perd au travers de la forêt de Cleden-Poher le carrosse sur le siège duquel va s'assoir Mamers le Boiteux poussant les chevaux du colonel de Sauvage pourrait suivre sa route. De temps à autre, une vieille et sa coiffe, arborant un mouchoir rouge au bout d'un bâton, traverse la route guidant de lentes et fécondes vaches au cuir brillant. Les mille huit cent voitures qui passent à ce moment sur cette route pendant les congés de Pentecôte s'arrêtent. Nous nous arrêtons dans une auberge et goûtons le cidre frais. Sur l'étiquette de la bouteille, une jeune fille qui porte telle deux ailes de papillons blancs, la coiffe de Quilinen, nous sourit. Quelqu'un est en train d'entonner quelques accords sur son biniou. Quand nous arrivons à Nantes, l'air frais de la mer nous accueille. En même temps, sur la haute tour, la bannière de la Reine Anne nous salue, cette belle et douce duchesse qui arriva à Paris en sabots, apportant comme dot au roi de France ce pays de calvaires, de saints thaumaturges, de brouillard et de mélancoliques chansons.

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A NANTES, SUR LA LOIRE, FLEUVE ROYAL. (29 Mai 1964).

Une nuit à Bordeaux.

La nuit nous a rejoint à Saint-Jean de Luz. A un carrefour, nous lisons un nom présent en notre imagination médiévale: Mont de Marsan. Et nous disons Mormaltan (Mormaltan, de Don Gaiferos, duc d'Aquitaine). Ni Carlos Espinosa, ni Pedro Rial, ni moi-même ne pouvons trouver le ton pour chanter le romance. Il a fait très chaud toute la journée et les pinèdes sentent fort. A onze heures du soir, nous entrons à Bordeaux. Vacances de Pentecôte. Les gens emplissent les bars. Notre hôtel est situé rue Montesquieu, à côté de la Place Gambetta. C'est un hôtel du siècle dernier avec un grand escalier garni de miroirs. Nous pourrions y rencontrer des personnages de Balzac où même Gambetta en personne quand il venait enflammer de sa voix chaude et de son verbe passionné le brasero girondin. Dans le miroir du premier palier, il jetterait un dernier regard à sa chevelure romantique parfumée à la poudre de toutes les Communes. A la réception, une femme âgée qui eut sans doute de magnifiques yeux bleus, aujourd'hui éteints par l'ombre des ans. Il est maintenant tard pour dîner à Bordeaux et, dans un café, nous mangeons des sandwichs au fromage et au jambon. Je salue un camembert frais et racé et après quelques brèves considérations avec Rial qui est notre gestionnaire et avec qui nous profitons de l'occasion pour établir la répartition des dépenses, nous buvons un Château-Lafitte Noir de 1957. Un vin léger, avec des ailes, qui éclairci la voix. Pour la première fois, nous sommes confrontés au détestable café français. Près de la terrasse, une algérienne discute avec un individu aux doigts chargés de bagues et à la chevelure gominée. A côté de l'algérienne, une fillette, presque une enfant, aux grands yeux noirs, la bouche triste, la peau très blanche. Devant notre fatigue et notre sommeil passent des prostituées blondes. Mon lit est énorme avec douze barreau dorés à la tête, un de ces lits pour les banquiers des caricatures de Daumier, qui d'un côté couchait la maitresse et de l'autre les sacs pleins de louis d'or.

Le jour se lève, un brouillard épais. On entend les oiseaux. Je me lève et me penche au balcon de ma chambre et je contemple l'énorme bâtiment du Théâtre Français avec ses fenêtres néoclassiques. Des affiches annoncent le Mai musical et un cycle Shakespeare.

Avant de partir pour La Rochelle, nous cherchons la Poste pour envoyer un télégramme. Sur la place Gambetta un fleuriste espagnol nous renseigne. Il est en train de disposer des fleurs dans un vase. L'accent est valencien.

Arrêt à Pons.

Le brouillard se lève au fur et à mesure que nous allons vers le nord. Des voitures et des voitures sur la route. C'est le deuxième jour des vacances de Pentecôte. Des prairies et des prairies. Des vignobles sur les coteaux ensoleillés. Nous sommes dans le pays des grandes eaux de vie, en pays de Pons et de Cognac, sur la grande terre charentaise. Nous nous arrêtons à Pons -où il y a de grandes foires ou les marchands anglais viennent acheter les excellents cognacs- parce que je veux voir la tour de la ville et entrer dans l'église Saint Vivien où se trouve Notre Dame de la Recouvrance. L'ancienne statue, la statue du miracle disparût lors de la Révolution. Il y en a une nouvelle en bois brut, majestueuse. La pluie, le vent, les années ont rongé la pierre de la façade. Seuls les doigts en y passant lentement reconnaissent les visages des statues d'antan. 

Il y avait une tour à Pons, dont Richard Cœur de Lion ordonna la destruction en 1179. Le seigneur de Pons, qui était seigneur de toute la Saintonge, en fit construire aussitôt une autre qui aujourd'hui domine les vastes horizons, le pays ondulé des vignobles et des pinèdes. On voit de loin le donjon, haut de trente mètres qui domine le pays baigné par la rivière Sévigné. Les seigneurs de Pons étaient, de droit féodal, vassaux du roi d'Angleterre. Deux d'entre eux, Geoffroy et Amaury furent pèlerins de Saint Jacques. Je l’apprends sur un feuillet du chanoine Tonnelier que j’achète à la porte de l’église. J’y apprends également que la maison de Pons passa à celle d’Albret et d’Albret à celle de Lorraine et que le dernier seigneur de Pons fut ce Charles Eugène de Lorraine, comte de Marsan, prince de Pons et de Mortagne, prince de Lambèse qui, étant colonel du régiment Royal Allemand le 12 juillet 1789, donna un coup de sabre à un révolutionnaire sur la Place de la Concorde à Paris. La propagande révolutionnaire transforma ce coup de sabre en « terrible charge du prince de Lambèse aux Tuileries ». Cousin de Marie-Antoinette et de l’Empereur, il émigra en Autriche où il mourût en apprenant le violon…

Un ave maria à Notre Dame de Recouvrance et nous continuions notre chemin vers La Rochelle.

 Nantes, bonjour la Bretagne.

Nous passons par Saintes, la romaine. Dans les arènes, on annonce le cycle Shakespeare. Et pour ce soir même, lundi 18, « Le marchand de Venise ». En plein air dans l’ancien théâtre des jours latins, dont les pierres lézardées ont une couleur dorée. Passé La Rochelle nous mangeons dans un restaurant en pleine campagne au bord d’un canal. Il y a des chardonnerets dans les peupliers. Une sole formidable et un gigot de mouton. Après un Saint-Emilion ordinaire, le garçon se décide à nous apporter le meilleur de la cave, un autre Saint-Emilion, un Grâce à Dieu 1961, avec le cachet et la signature des membres du jury. Un vin svelte, mûr, généreux. Le garçon, avec l’accord de la patronne, une soixantenaire à la chevelure bleutée, souriante, grassouillette, à la démarche chaloupée, nous offre des eaux de vie de sa production : un Charente très délicat et une liqueur aux noyaux de pêches. La patronne se fait photographier avec nous, rit et danse en partant.

Le soir tombe lorsque nous arrivons à Nantes. Comme il faut continuer jusqu’à Lorient, un coup d’œil à la Loire qui s’apprête à être absorbée par la mer, et une visite au château. Comme c’est fête, le drapeau de Bretagne flotte sur la plus haute des tours. Les douves sont emplies d’eau, les cygnes et les canards y naviguent tranquillement. Visite au musée. Drapeau et armes, artisanat breton mais aussi les premières conserves nantaises du XIXe siècle. L’on y voit les premières boites de sardines, les premiers flacons d’asperges. Une vitrine avec des étiquettes de liqueurs nantaises. L’une d’entre elle s’appelle «  Crème de l’infidélité ». Des gravures, des souvenirs historiques, les capitulations d’Anne et de Charles de France, des voiliers, des portraits de marins et de pirates, des arbres généalogiques … Je m’assoie un instant près des fossés et je récite à voix basse la complainte pour la noce d’Anne, la bonne et belle duchesse aux sabots sonores, loin de son pays. Nous allons pénétrer en cette Bretagne aimée. Nous allons voir si le rêve et la réalité se confondent. C’est ici que pour moi commence vraiment le voyage. L’eau tranquille et sombre des fossés, au fond desquelles les herbes vertes évoquent les longues barbes des héros bretons tueurs de dragons et de normands sont comme le miroir lointain et mystérieux dans lequel Anne se contempla une dernière fois, une rose à la main, avant de partir. Mais il y a des colombes autour du drapeau.

Anne offrit son cœur à Nantes, c'est-à-dire à la Bretagne, dans un reliquaire d’or. Des français y ont écrit : 

En ce petit vaisseau

De fin or pur et munde

Repose ung plus grand cueur

Que oncque dame eut au munde

Anne fut le nom delle

En France deux fois royne

Duchesse des Bretons

Royale et Souveraine ».

Ha si ce cœur pouvait avoir des yeux pour voir en mai les vertes collines, et des oreilles pour écouter le biniou sur les bords de la Loire … Anne était petite, la taille étroite, les yeux verts. Elle bégayait un peu. Elle souriait pour un rien et demandait toujours des pommes de son pays. Peut-être savait-elle déjà ce qu’un poète dirait un jour « Toute la saveur de mon pays tient dans une pomme ». 

 

C'était Anne de Bretagne

 

C'était Anne de Bretagne, duchesse en sabot (bis)

Revenant de ses domaines, en sabot Mirlitontaine

ah! ah! ah! Vive les sabots de bois !

 

Revenant de ses domaines, avec ses sabots (bis)

Entourée de châtelaines, en sabot Mirlitontaine

ah! ah! ah! Vive les sabots de bois !

 

Voilà qu'aux portes de Rennes,

L'on vit trois beaux capitaines

 

Offrir à leur souveraine

 

Un joli pied de verveine

 

S'il fleurit tu seras reine

 

Elle a fleurit la verveine

 

Anne de France fut Reine

 

Les bretons sont dans la peine

 

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A TRAVERS LE MORBIHAN. (30 mai 1964).

Nous nous dirigeons vers Vannes, par une longue soirée, à travers un pays d’élevage. Des milliers de voitures sur la route en ce lundi de Pentecôte. Les vacances coûteront à la France les pertes d’une bataille : cent cinq morts et mille cinq cent blessés. Nous traversons la Vilaine à la Roche-Bernard. Les chasseurs de loutres des textes anciens en sont originaires. Les femmes des gentilshommes en portaient les peaux sur leurs épaules lorsqu’elles accompagnaient leurs maris à Rennes ou à Nantes lors des Etats généraux et, selon Chateaubriand, chacune avec une petite tourtière dans laquelle elles récupéraient les restes des meilleurs plats servis lors du dîner du Roi. En amont de la Vilaine se trouve Redon. J’ai inventé une fois cette ville, avec une tour qui n’existe pas …

A droite se trouvent les Landes de Lanvaux, vieille terre d’élevage, par laquelle sont passés quelques uns des grands saints bretons, puissants thaumaturges loquaces et joyeux, certains volant, tous des gens simples, aimant boire un verre de cidre entre amis dans un hameau. Des prairies, des prairies … Rial qui s’intéresse à l’agriculture trouve les pâturages magnifiques, le bétail merveilleux. L’herbe fauchée sèche sur les champs où une machine la met en bottes. Les vaches sont étendues au sol.

Nous avons à peine le temps de nous attarder à Vannes, une des plus vieilles cité de Bretagne. Mais nous avons un regard pour les restes des vieilles murailles, pour les maisons aux toits plats. Les lavoirs qui bordent l’enceinte féodale sont vides. Pas une seule lavandière n’y chante. Deux vieilles portant une coiffe blanche contemplent les allées et venues des canards.Un enfant perd son ballon vert et il pleure. Sur quelques collines exposées au soleil il y a des vignes. Je ne trouve personne à qui demander si ce sont celles qui donnent le muscadet ou le gros-plant, les deux vins blancs de Bretagne, légers et fruités, excellents lorsqu’on déguste des fruits de mer.

Nous allons vers Auray, vers Saint Anne d’Auray où se déroule l’un des grands pardons du pays. Le Loch est comme l’Ulla et offre de grands espaces d’eau dorée le soir venu. Nous ne pouvons acheter les galettes aux œufs de la sainte. Une plaque sur une maison rappelle que c’est là que débarqua Franklin, l’homme au paratonnerre et au grand harmonica (*) avec ses deux petits enfants en 1776. Et tout comme Baiona (*) connut la première la nouvelle de la découverte des indes occidentales, Auray fût la première ville du vieux continent à faire connaissance avec le drapeau américains, ses bandes et ses étoiles, quand en 1778 arriva le « Ranger » du commandant Jones. Le navire américain fût accueilli solennellement par l’escadre du christianisme et les anglais envoyèrent des courriers de protestation.

Sainte Anne d’Auray comme Sainte Anne de la Palud, reçoit le jour de son grand pardon la visite des bretons, des cornemuses et des chansons. Les cierges emplissent l’église dans laquelle sourit Saint Corentin, le poisson à la main, et Saint Pol plante son bâton dans la terrible mandibule du dragon. La vue de la gueule ensanglantée du dragon donne soif et il faut boire quelque chose, par exemple un muscadet bien frais.

Le Blavet et Lorient.

Nous sommes en plein cœur du Morbihan. Le soir tombe lentement. A gauche, a droite, plaine et collines, des champs, toujours des champs. Jusqu’à présent, je n’ai pas encore vu un seul arpent de terre bretonne avec du mais, des pommes de terre, du blé ou du seigle. Seulement des petits potagers près des maisons et de ci de là, de petits bosquets de peupliers et de petits chênes. Nous avons salué les ajoncs et de temps à autre le genet des Plantagenets, blanc et doré. Sur les collines, de petites tenues avec deux cheminées. Des tracteurs, des faucheuses. Une femme assise sur un tabouret surveille les vaches en plein champ. Près des vaches, il y a toujours un cheval pour les travaux des champs, pour tirer la charrette, des chevaux normands ou percherons au large poitrail et à la croupe imposante. Des milliers de personnes rentrent après deux jours de vacances sur les plages du nord. Des centaines de voitures croisent la notre.

Nous allons vers Hennebont, où, si la carte ne nous ment pas, nous devons traverser le Blavet. Le Blavet ! Pardonnez-moi si je prononce le nom de ce fleuve avec une émotion particulière. J’ai écrit à son sujet et je ne l’ai jamais vu. C’est un fleuve qui est notre, comme l’Umia par exemple à Ponte Arnelas, ou le Masma dans mon pays natal de Mondoñedo. En amont se trouve Pontivy où mon sous-chantre joueur de saxhorn était prébendier.

Combien y-t-il de kms pour aller à Pontivy ? demande-je à un ancien qui, assis à l’entrée d’un chemin  conduisant à une ferme, tire sur sa pipe.

Pontivy ? Quarante !

Le Château des Rohan est-il toujours debout ?

Ah le château ! Oui, les Rohan !

Il dit Rohan en ouvrant bien la première voyelle O en trois ou quatre Rooohan.

Espinosa photographie le Blavet. Les lumières qui s’allument de l’autre côté de la ria sont celles de Lorient. Le Blavet coule lentement, s’ouvre en trois ou quatre bras, des bancs de sable au milieu. Le Blavet et le Scorff sont les deux fleuves qui constituent l’estuaire de Lorient. Le Blavet invite toutes sortes d’arbres fluviaux pour qu’ils assistent à sa mort. Des pigeons volent vers leurs nids. Les saules pleureurs posent leurs fines branches sur le courant. Saint Cado marchait sur ces eaux en chantant des ave marias. L’on raconte que certains jours l’on peut voir dans les eaux sombres les traces dorées de ses pieds. Je salue avec émotion un fleuve que je pense mien, dont je décrivis les méandres et les ponts. Quelques pêcheurs reviennent après une journée sur ses eaux. Un chien noir court devant un troupeau de brebis grises qui, menées par un berger grand et blond, descend vers le pont d’Hennebont.

Nuit à Lorient.

Il fait déjà nuit quand nous arrivons à Lorient. Personne dans les rues. La ville a été détruite à 95% lors de la dernière guerre. Les allemands résistèrent dans la base attaquée par les anglais et les américains. Il ne reste rien de la vieille ville. Il se fait tard et pour dîner, il faut se contenter de quelques sandwichs. Nous goutons un bordeaux, un modeste Luzac. Une grosse serveuse blonde, souriante, nous apporte le beurre breton bien doré. Informé de notre arrivée, Monsieur Monjarret (photo), président de la fédération des sonneurs de Bretagne vient nous saluer. Robuste, souriant, cordial, enthousiaste. Il connait déjà Vigo ou il vint l’an dernier avec le Bagad Cadoudal, accompagné de sa femme, la célèbre chanteuse bretonne Zaig. En Bretagne, il faut le dire une bonne fois, on parle de cornemuse comme ici de football. Monjarret a déjà réglé sa venue à Vigo avec des groupes bretons et un autre auvergnat : cornemuse, vielle et tambourins. « Le meilleur joueur de tambourin qu’il y ait en Bretagne est un jeune de seize ans, fils du secrétaire de la mairie de Nantes » nous affirme-t-il. « Il connaitra les tous les roulements,, le roulement de 13 et aussi ceux des pardons, des débuts de concerts … ! ». « Demain, nous irons à Quimper » nous dit-il.

Quimper ! Le siège de Saint Corentin. Je l’interroge sur le saint, sur les saumons qu’il baptisa, sur les marchands qui avaient droit de porter l’épée, et si les gentilshommes de Cornouaille en arpentent toujours les rues avec leurs pourpoints verts, caressant les fines têtes des lévriers des Montagnes Noires. Les Montagnes Noires, c’est une façon de parler: ce sont quelques collines arrondies couronnées de chênes, sur la rive gauche de l’Odet, rivière de Quimper.

Les rossignols sont revenus sur les rares arbres de Lorient. Je les écoute dans la nuit.

NB: l'article d'Alvaro Cunqueiro était accompagné de trois photos accompagnées de commentaires. Voici le premier:

"Saint Pol enfonce son bâton dans la gueule du dragon qui se soumet. La jeune fille qu’il est en train de dévorer sort indemne car d’un souffle, Pol disperse le soufre infernal. Avec Pol un autre grand guerrier combattit le dragon, un breton de noble engeance dont on conserve encore la maison Kergournadeac’h c'est-à-dire « la maison de l’homme qui ne sait pas fuir ». Saint Pol mena le dragon agonisant jusqu’aux rives de l’océan et le jeta du haut d’une falaise à la mer. L’on entend encore de nos jours le cri terrible du dragon les jours de tempêtes".         

[ Note personnelle: ce commentaire se rapporte à son passage à Sainte Anne d'Auray avec une allusion à la cathédrale saint Corentin, donc Quimper. Il semble qu'il y ait eu une importante confusion car le saint Pol évoqué par Cunqueiro n'est pas à Sainte Anne d'Auray mais à Tréguier à la cathédrale Saint Tugdual qui est aussi un saint saurochtone. Cette sculpture se trouve sur la rampe ouest des stalles basses sud de la cathédrale. Les auteurs de la représentation sont Tugdual Kergus et Gérard Dru. Elle a été réalisée entre 1509 et 1511. Je remercie Florence Piat et Stéven Le Guellec d'avoir levé cette confusion. Je préciserai que la sculpture est abimée puisqu'il manque l'étole que St Pol (ou Tugdual) avait passée au cou du dragon pour le conduire à la falaise, et, la crosse (ou le bâton) qu'il enfonce non dans la gueule mais dans le dos. La sculpture mesure une quarantaine de cms de longs sur  trente de haut. Quant à la jeune fille, le dragon a plutôt l'air de l'avaler. Par contre, il existe dans la même cathédrale, une sculpture aux dimensions humaines représentant clairement Saint Tugdual (le nom est porté sur le socle), enfonçant son bâton dans la gueule d'un minuscule dragon. Comment Cunqueiro qui n'est jamais venu à Tréguier a-t-il pu prendre cette photo s'il l'a prise ? Ou bien s'agit-il d'une carte postale ? Toute précision sur ce mystère sera la bienvenue. Merci d'avance à qui pourra nous éclairer.        Pierre Joubin.]

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Le Blavet, un des fleuves qui se jettent en mer dans l’estuaire de Lorient. C’est la rivière de Pontivy. Comme notre

Umia à Ponte Arnelas par exemple. Je la décrivis dans mon «sous-chantre» : «Pour aller de  Pontivy à Quelven, il fallait franchir le Blavet par le Pont du Passage et gravir ensuite un petit raidillon ; au sommet, on avait une belle vue sur la plaine riante du Blavet : des prairies au centre, des champs de navets et d’avoine en bordure, des bouquets de cerisiers et de pommiers sur les rives du cours d’eau … Au dessus des tuiles pourpres de Pontivy se dressait l’héroïque donjon du château recouvert de lierre.. ». (Chapitre II). C’est le pays des chevauchés du sous-chantre Charles Anne Guénolé Mathieu de Crozon. Ici sur ces hauteurs, il voulait posséder une pommeraie. Et quand il cessera de jouer de son instrument, c’est là qu’on pourra le retrouver.

Dans une église de Pleyben sur le portique, notre seigneur Saint Jacques. La coquille au chapeau et avec son bourdon. Quand nous le saluâmes, le soleil apparut et l’illumina jusqu’à sa barbe. Ce fut sa façon de nous sourire, à nous les galiciens, Rial, Espinosa et moi.

(*)  Il s’agit d’une sorte d’orgue de barbarie, Cf chap II-VI.

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LE SAUMON DE SAINT CORENTIN (31 mai 1964).

Nous nous promenons de bonne heure à Lorient reconstruite. De grandes places, de larges rues. Du ciment et du verre. Il faudra une centaine d’années pour qu’il y ait à nouveau une ville qui ressemble à une ville, qui soit autre chose qu’un tas de blocs de béton. Des architectes sans imagination et sans le moindre sens de l’harmonie ont bâti une agglomération humaine insipide au bord d’une jolie baie. Nous changeons de l’argent espagnol dans une banque dans laquelle tous les employés sont des femmes à l’exception d’un type à moustache qui marche curieusement entre les bureaux. Grandes, blondes, souriantes et lentes dans les formalités bancaires.

A dix heures et demie du matin, le couple Monjarret nous retrouve à l’Hôtel Atlantic. Conversations sur les groupes qui viendront à Vigo en aout. Demain le commandant de la base aéronavale nous recevra. Nous allons faire en sorte qu’il nous accorde ses musiciens, les clairs et solennels sonneurs de Lann Bihoué. Rial précise, suggère, discute dans son français pittoresque avec lequel il parvient à atteindre des vitesses endiablées. Madame Monjarret, la célèbre Zaig ouvre étonnée ses magnifiques yeux bleus. Tout se règle vite et bien. Il y aura des sonneurs, il y aura des danses; les filles du groupe de danses seront vêtues de costumes des divers terroirs bretons.

Zaig, la grande chanteuse bretonne, photographiée au bord de la Laita (avec Polig à gauche et Alvaro Cunqueiro à droite), près de la colline aux Cornemuses où sera construite l’école où la jeunesse bretonne viendra apprendre à jouer du biniou, de la bombarde et du tambourin.

Voici l’heure de partir pour Quimper. Nous passerons par Quimperlé par la route côtière et nous déjeunerons à Guidel, à l’embouchure de la Laita une douce rivière formée par deux autres, l’Elle et l’Isole. La côte rappelle les marinas de Lugo. Les prairies arrivent jusqu’au sable. Nous nous arrêtons pour nous faire photographier sur un poste du Mur de l’Atlantique hitlérien. Blockhaus, postes souterrains, nids de mitrailleuses … On raconte que le maréchal Rundsteedt affirma « Rien et derrière, rien ». Les alentours sont déserts. C’est une zone ou l’émigration est très forte. Il existe un « Comité d’expansion de la Cornouaille » qui réalise un grand effort, attire des industries, démontre que l’éloignement géographique n’est pas un obstacle insurmontable et qu’en tous cas il est compensé par le climat social qui compte également sur la productivité des entreprises. Les jeunes qui sortent des écoles techniques partent vers d’autres régions faute d’une véritable structure industrielle. Quelques succès sont obtenus. Les papeteries de Quimperlé et de Scaer dominent le marché français du papier fin pour les cigarettes. Et celle de l’Odet a conquis le marché européen du papier industriel supplantant les producteurs allemands et fournissant le marché soviétique. L’élevage est extraordinaire. Le paysan breton possède télévision, voiture, toute sortes de matériel agricole, un troupeau de première qualité. Mais il abandonne peu à peu la campagne et fait de Paris la plus importante ville bretonne. Et le breton n’est pas le seul à émigrer. La population rurale française diminue tous les ans de 3%. Je parle de tout cela avec un responsable du mouvement autonomiste breton. Je lui demande « Quelle est votre préoccupation immédiate ? ».

« Avant l’autonomie, avant la langue, mettre un terme à l’émigration. C’est le premier et principal objectif. C’est difficile car les gens de la campagne française n’abandonnent pas la terre parce qu’ils vivent dans la routine et la pauvreté comme la paysannerie galicienne. Ils vont à la ville car c’est dans l’air du temps, un mouvement de l’histoire contre lequel il n’est pas facile de lutter tant que l’élan perdure. La France est un jardin, merveilleusement cultivé. En Bretagne, on ne tolère pas une seule culture antiéconomique. Mais de cela, nous reparlerons un autre jour ».

Le matin qui commença dans le brouillard s’ensoleille peu à peu. Et c’est avec le soleil que nous arrivons à l’embouchure de la Laita. Sable clair et rivière calme. La plage me fait penser à celle de Foz. Nous mangeons à l’auberge de la plage, en face de la rivière. Quelques huitres, des fines de claire (pleine de mer), des petites langoustines, des amandes, des bigorneaux. Du colin servi avec une crème dorée très épicée, puis des côtelettes de mouton. Et le plateau de fromages sur lequel figure un fromage que je n’ai jamais vu : un fromage de chèvre dont la croûte est faite de grains de raisins. Comme blanc nous buvons un Gros Plant 1961, clair, doux et frais et comme rouge un Château Auxonne 1957. Avec le fromage, ce bordeaux rend toute sa qualité, il emplit la bouche, lève la tête jusqu’à toucher le palais, réchauffe les lèvres. Nous sommes restés déjeuner près de la Laita car nous allons visiter, là tout près, la Kerhoad Bencoal, c'est-à-dire la Colline aux Cornemuses.

Un terrain a été cédé aux sonneurs bretons, à la B.A.S., en haut d’une colline dominant la Laita. Sur la colline, il y a une demi-douzaine de bosquets qui vont être respectés quand sera construite l’Ecole de Cornemuses. Deux cent élèves environ y séjourneront. Et tous ces pigeons et ces merles, ces chardonnerets et ces alouettes qui les peuplent actuellement, iront-ils également à l’Ecole ? Toute la jeunesse bretonne apprendra sur cette colline à jouer du biniou, de la bombarde et du tambourin … Les comités des fêtes, les institutions et la base aéronavale de Lorient soutiendront cette école.

Le calvaire de Tronoën.

Comme nous avons le temps, nous allons faire un tour pour voir le calvaire de Tronoën, un des plus anciens et plus surprenants calvaires de Bretagne. De l’Annonciation à l’Ascension, toute la vie de Notre Seigneur Jésus Christ y figure. Parmi les apôtres, nous pouvons reconnaitre, grâce à la coquille, Saint Jacques. Il portait déjà un chapeau orné d’une coquille de pèlerins en ce temps là ! C’est ici que se célèbre une grande procession, un pardon solennel, et le vent de la colline dénudée caresse les blanches coiffes. Peut-être pour ne pas être emportés par le vent, les deux anges qui recueillent dans des calices le sang du Christ, n’ont pas d’ailes. Le calvaire de Tronoën, sur une colline aimée par le vent, où naissent le genêt et l’ajonc. En touchant la vasque du Lavement puis en frottant les yeux des aveugles, il est arrivé quelques fois que ceux-ci recouvrent la vue.

C’est cette contrée que Saint Theleau parcouru monté sur un cerf. Le roi lui avait promis que sa paroisse comprendrait tout le territoire qu’il aurait parcouru en vingt quatre heures. Le cerf franchirait facilement les haies de genêts et d' ajoncs. L’ajonc est présent dans ces vers :

« Doux paradis des saints au bord des landes,

Où pleurent les ajoncs, larmes d’or ».

Une femme qui passe avec ses brebis se signe. Le vent s’est levé. Zaig chante une vieille complainte bretonne, du temps où les mères se rendaient au pardon en laissant les nouveaux nés dans des couffins à la porte de leurs maisons. La voix de Zaig venait de loin, émouvante, forte comme la terre qui la vit naitre. Plusieurs fois nous vîmes des gens qui écoutaient la radio commenter : « C’est Zaig !. » Et ils s‘arrêtaient pour écouter. Cette voix est l’un des mystères de la Bretagne actuelle. On l’entendra à Vigo.

Vers Quimper.

Ils nous attendent pour diner. Et je veux voir l’Odet et les maisons anciennes au long des canaux, les potiers, et pénétrer dans la cathédrale Saint Corentin, le saint qui s’alimenta d’un seul poisson au cours de sa vie et nourrit même un roi et ses turbulents guerriers. Le poisson était un saumon. Je vous conterai cela demain.

 

Le Bas Pouldu à Guidel. Ici la Laita, fleuve formé par l’Ellé et l’Isole, se jette en mer. A droite de grandes vasières, les champs arrivent au bord de mer. De temps à autre, des vestiges du Mur de l’Atlantique. 

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EN CORNOUAILLE. (2 Juin 1964).

La première chose que nous fîmes en arrivant à Quimper, une très jolie ville traversée par l’Odet et ses jolis ponts, une jolie promenade le long des murailles de l’ancien palais épiscopal devenu aujourd’hui musée, fût d’aller à la cathédrale pour voir Saint Corentin et son poisson.

Comme je vous le disais avant-hier, Saint Corentin avait eu de longues conversations relatives à la foi chrétienne avec les saumons et les truites de la rivière et finalement, il les avait convertis et baptisés et les saumons laissèrent à coté de l’ermitage du saint (là ou est actuellement la cathédrale) l’un d’entre eux qui était en vérité un poisson miraculeux car chaque jour, Corentin le sortait de l’eau, en mangeait un morceau puis le poisson retournait dans l’eau. Et le lendemain, le poisson était en pleine forme et s’offrait de bonne grâce pour calmer la faim de l’ermite. Quand Corentin prêchait, on l’entendait dix lieues à la ronde. Un jour, l’archevêque voulut lui envoyer un message à Rennes ; il attachât le message à la queue du vent qui passait et le message lui parvint en un instant. Corentin convertit plus facilement les saumons que le roi Gradlon, qui se montrait insolent à cheval, mais qui dut se soumettre car un jour, Corentin l’invita à manger ainsi que ses guerriers, et le poisson de l’Odet suffit pour tous … Corentin est sur le maitre autel avec sa mitre et de la main droite serre le poisson contre son cœur, un poisson argenté, aux yeux énormes qui me regardent avec beaucoup d’attention et me suivent alors que je déambule dans l’église ou je rencontre Saint Yves (San Yeun en breton), avocat entre le riche et le pauvre, et Saint Jacques avec un grand chapeau et de nombreuses coquilles tant sur le chapeau que sur la cape de son habit de pèlerin … Et à peine sortis de la cathédrale, Monsieur Begot, président du Comité des Fêtes de Cornouaille, nous invite à admirer un saumon qu’il avait pêché dans l’Odet une demie heure auparavant. Le prince argenté remue encore la queue de temps à autre. Il doit bien peser cinq kilos. Celui de Saint Corentin n’était pas plus beau.

« Nous le mangerons ce soir » me déclare Mr Begot. Il sourit satisfait et son sourire provoque le mien.

Et effectivement ce soir là, il fût préparé avec une sauce hollandaise, une sorte de mayonnaise très légère, très épicée avec une petite pointe de vinaigre. Le saumon de l’Odet était délicieux et nous n’en laissons pas une miette pour le saint évêque. Nous l’accompagnâmes d’un muscadet d’une cave particulière qui était très entier, agréable et allègre. Le restaurant, très bien placé, s’appelle « La Tour d’Auvergne », à l’entrée se trouve le premier grenadier de France, peint avec tous ses atours, harangant ses troupes, baïonnette au canon. Et le bâtard de Bouillon (dont la biographie fut écrite par le général Weygand), s’écrie « Que ceux qui veulent bien manger me suivent ! ». Le muscadet mis les cœurs en joie, tout comme le Château du Bouilh, un bordeaux respectable. Carlos Espinosa décora la fille de la patronne, Nicole, une blonde bretonne au doux sourire et au cou délicat, avec un écusson de Vigo. Pierre Rial dû écouter pendant tout le repas l’explication que lui donna le régisseur des spectacles sur les Fêtes de Cornouaille, Mr Le Bourhis (prononciation bretonne du français « bourgeois ») que tous connaissent sous le nom de Lili (*). Car les Fêtes de Cornouaille se célèbrent à Quimper. 

Abaden Veur.

Abaden Veur signifie « la grande assemblée ». Il y a une messe bretonne à la cathédrale et un grand défilé auquel prennent part mille sonneurs et trois mille personnes en habits de fête. En 1962, quatre vingt quatorze groupes de sonneurs et de danseurs y participèrent, à commencer par les sonneurs de la base de Lann Bihoué et pour terminer la Kevren de Quimper. On élit une reine et on la couronne. Portant la jolie coiffe de la région, elle sourit sur son trône. Et après le défilé, chant et danses de Bretagne se succèdent toute la journée. Et Zaig chante. Et par les vieilles et étroites rues proche du canal, et au long de la grande avenue qui suit la rivière, les bagadous défilent inlassablement. Cent mille personnes se retrouvent à Quimper pour les Fêtes de Cornouaille, et la vieille ville de Saint Corentin n’est que joie. Ce sont de grands jours pour les bretons, ivres de cornemuses et de tambours. Nous savons par Renan combien étaient bruyants les celtes d’antan.

Mais tout n’est pas que fête lors d’Abaden Veur. On profite de l’occasion pour que tous les groupes de Bodadeg Ar Sonerien, l’assemblée des sonneurs, perfectionnent leurs techniques, se rendent compte des évolutions au cours du temps tout en demeurant fidèles lors des interprétations à l’esprit de la musique bretonne, en « ressuscitant » les anciennes mélodies en les « purifiant ». Par exemple, prenons un air traditionnel comme Laret Hul Dein. Loeiza er Meliner le chante de la façon la plus ancienne. Dans le même style, on sonne le biniou et la bombarde. Immédiatement, Zaig Monjarret l’interprète. (A chaque fois que je parle d’elle, je dois faire l’éloge de l’une des voix les plus émouvantes que je n’aie jamais entendue). Ensuite, un bagad –en l’occurrence le Bagad Roazon de Rennes- l’interprète à son tour. Et puis toujours le même air par une chorale, celle de Guingamp, et pour terminer une version pour orchestre et bagad.

Comme les bretons veulent avoir leur musique propre, celle des cornemuses et bombardes, dans toutes les fêtes il y a une autre édition de l’Abaden, par exemple « La cornemuse et la bombarde dans la vie d’aujourd’hui ». Il y a dix parties: à l’école par un bagad d’enfants, au lycée par un autre, dans l’armée par le Bagad de Lann Bihoué, lors des fêtes de nuit, au premier bal des filles, lors des mariages, lors de la fête du Vin, dans les usines, dans les syndicats et pour terminer lors des processions et pardons dans les églises ou près des calvaires. Pour chaque jour, pour chaque évènement, un chant, un air de cornemuse.

Nous aurons beaucoup à en apprendre en Galice si nous voulons donner ses lettres de noblesse à notre gaita, et sauver nos chants.

L’artisanat.

Et autour des Fêtes de Cornouaille, à Quimper comme dans d’autres villes bretonnes, un artisanat surprenant apparait. Les vieux tissages fleurissent (Ah, les tissages de la Compagnie des Indes de Colbert, à Locronan !), pâtisseries, céramiques, dentelles, petites cornemuses, poupées bretonnes, Et la grande entreprise de céramique de Quimper, Henriot, avec plus de cent ouvriers. De ses fours sort la vaisselle aux motifs bretons, des figurines avec différents costumes, des pèlerinages entiers, des pots et des assiettes avec les motifs traditionnels. Certains rappellent ceux de Talavera la Reina. Tout est étudié, affiné, et constitue une inégalable source de richesses. Sur la place de Locronan par exemple, dans une vieille maison de l’ancienne corporation des tisserands de la Compagnie des Indes des métiers du XVIIIe siècle fonctionnent encore et, en face, en plein air, un sculpteur à la jolie barbe –la barbe des saints et des ermites d’antan- façonne des images des patrons de Bretagne, des pietas, des saintes familles, des vierges émouvantes, Sainte Anne et Saint Pol avec de terribles dragons.

Il s’appelle Job. Il est sculpteur et avec ses gouges et ses couteaux, il taille des saints bretons, Saint Theleau juché sur son cerf, Pol conduisant le dragon vers la mer, Galoec volant en compagnie d’un loup pour retrouver une brebis égarée, Sainte Anne et sa mantille … Son atelier, quand le temps le permet, est en plein air, sur la place de Locronan. Sur la même place, il y a une ancienne maison de tisserands, il y fonctionne toujours un ancien métier de la Compagnie des Indes. L’artisanat breton est une des richesses du pays.Tout le pays est mis en valeur: des galettes de Pleyben jusqu’à la plus délicate coiffe du Finistere que la riche fiancée de Brest porte lorsqu’elle va à l’église recevoir la bénédiction nuptiale.Et des milliers de cartes postales. Toute la Bretagne est représentée mille fois et merveilleusement, sous tous les angles.

Au revoir Quimper.

Quimper est belle dans la nuit. Les lumières se reflètent dans la rivière. On entend une chanson au loin. Lili dont l’éloquence a été triplée par le vin de Bordeaux, veut nous entrainer dans une vieille taverne pour prendre le dernier verre. Zaig entonne une triste chanson. Celle des condamnés qui vont à Cayenne (« La vieille canaille ») quand ils embarquaient à Brest, les fers aux chevilles. La rue qui était déserte une demi-heure avant est maintenant pleine de gens au pas des portes ou sous les platanes : « C’est Zaig ! ».

Nous retournons à Lorient par Rosporden. A un carrefour où nous nous arrêtons quelques instants, nous lisons sur une pancarte « Le Faouët ». C’est de là que venait mon notaire de mon « Sous-chantre », lui qui citait tant des textes de lois en latin. « Moi, je suis né près d’ici, dans un bourg nommé Le Faouët. Si nous montions maintenant dans le clocher, nous apercevrions peut-être une lumière, au sommet de la colline, vers le sud » (Chap III).

La Bretagne dort dans la nuit, mais à la tête de son lit, il y a toujours un rossignol.

NB: deux photos illustrent cet article:

La Reine a été élue. Aussi belle qu’Anne de Bretagne. Comme elle, elle porte une haute coiffe amidonnée et fleurie sur ses cheveux blonds. Plus de cent mille personnes viennent à Quimper pour ces fêtes. La foule applaudit la gentille princesse. Au fond, les tours de la cathédrale Saint Corentin. (Photo: Faro de Vigo).

Quimper, la ville de Saint Corentin qui dans les eaux de ce canal près de l’ancien

évêché, possédait le poisson de ses repas. Une ville qui conserve, tout près des nouvelles avenues, les ruelles médiévales. Traversée par l’Odet, Quimper possède une magnifique cathédrale. Les Fêtes de Cornouaille s’y déroulent chaque année. (**).

 

(*): Le créateur des Fêtes, Louis le Bourhis est né à Elliant en 1880 et est décédé en 1955. C'est son fils dénommé également Louis, membre du Comité d'Organisation des Fêtes que Cunqueiro a rencontré en 1964. Cette même année des galiciens de Vigo ont participé aux Fêtes. En 1955, c'est le Coro Galego de A Coruña qui y participait. P.J.

(**): La reine 1964 était Paule Crueldo de Chateaulin. P.J.

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EN FINISTERE, NOUS TRAVERSONS L’AULNE. (3 juin 1964).

Nous ne voudrions pas que les sonneurs de la grande base aéronavale de Lorient manquassent au festival de Vigo. Le commandant de la base, un capitaine de la marine, breton, nous reçut dans son  bureau. La base est immense et a une piste de trois kilomètres pour les avions. Les vaches paissent, pacifiques, entre les hangars et les bâtiments. La rencontre a lieu de bonne heure car le commandant doit recevoir à onze heures le fils ainé de Hailé Selassie, le Negus Negusti.

Le commandant est disposé à envoyer les sonneurs à Vigo s’il peut empêcher qu’ils n’aillent à Hambourg pour un concours international de fanfares militaires. (*1) Le commandant, -yeux bleus, menton volontaire, intelligent, vif-, se plaint de la façon dont la reconstruction de Lorient (détruite comme nous le savons par les bombardements et les combats entre alliés et allemands), a été décidée de Paris. Lorient est une ville laide dans un merveilleux écrin. La plupart des maisons sont des cubes de béton et de verre. Toutes les rues sont identiques. C’est une ruche, pas une ville.

Par la faute du fils du Prêtre Jean, nous ne pouvons écouter les sonneurs de Lann Bihoué qui doivent se rassembler avec la compagnie qui rendra les honneurs à l’abyssin. Que l’éthiopien visite la Bretagne maintenant n’a aucune importance. Mais si cela était arrivé il y a cinquante ans, que n’auraient pas inventé les imaginatifs bretons ! Le fils ainé du Prêtre Jean, Prince d’Ethiopie en Finistère, sur les roches où la terre s’achève entre les vagues sonores !

A Locronan et Plougastel.

Zaig, Polig Monjarret et d'Alvaro Cunqueiro ici à Locronan (Cliché Carlos Espinosa). 

Nous allons déjeuner à Locronan et à midi nous traverserons l’Aulne pour aller à Châteaulin. Sans nous rendre compte de leur existence, nous passons les Montagnes Noires, qui ne sont que quelques collines couvertes de genêts. Et à midi, nous sommes sur la place de Locronan. La petite ville des riches tisserands qui édifièrent leurs maisons sur la place, ceux là même qui tissaient pour la Compagnie des Indes, celle qui du temps de Colbert fondit la ville de Lorient. Ils tissaient pour les navires de la Chrétienté qui partaient à la découverte de la Guinée, pirater dans les Indes occidentales, aux comptoirs de l’Inde ou de Guinée… vous savez que Colbert avait un « petit conseil » -dans lequel travailla Perrault- où l’on inventait des pays riches en or et en pierres précieuses afin de soutirer aux français de l’argent pour subvenir aux besoins des véritables établissements. Ici l’on fabriquait des voiles pour des navires qui allaient dans des iles qui n’ont jamais existé. Des jeunes femmes souriantes devant des métiers encore en fonctionnement d’où sortent linge de table, draps ….. Le lin est du pays et sa production a augmenté ces dernières années.

« Nous avons le droit d’utiliser le nom de « Tissages de la Compagnie des Indes » m’assure un homme qui m’a semblé chargé de l’atelier.

Sur la place, entre les belles maisons du XVIIIe, il y a le puits communal. Il appartenait aux seigneurs de Riec mais un jour les tisserands coupèrent la main droite au percepteur du domaine et l’impôt fut supprimé.

L’église Saint Ronan trône sur la place, c’est là qu’il est enterré; le sarcophage soutenu par six anges agenouillés, six anges féminins portant coiffes et longues robes. Saint Ronan était très beau et fut accusé par une reine veuve qui le voulait pour elle seule, d’avoir ravi sa fille cadette. La reine avait caché la fillette dans la huche à pain. Les princes bretons trainèrent Ronan en justice et celui-ci demanda que l’on apporte la huche au tribunal. La huche arriva. Ronan l’ouvrit et dedans l’on trouve la fillette morte. Ronan la ressuscita. Là où il frappait de son bâton, Ronan faisait jaillir l’eau. Il est invoqué contre la sécheresse et l’on dit sept fois son nom si l’on veut retrouver un objet perdu. Mais seulement dans le cas où l’objet perdu se trouve à l’intérieur de quelque chose, une caisse, un portefeuille, une armoire …

Je touche la mitre de Ronan ; comme il est de coutume, je donne trois petits coups comme pour le réveiller et ensuite je pose ma tête à côté de sa main droite qu’il tient comme pour bénir. On dit que cela rend la mémoire.

Sur la place de Locronan, face à l’atelier en plein air du sculpteur Job, il y a un restaurant « Au fer à cheval ». De l’enseigne pend une énorme ferrure. Ils servent un bon blanc du pays nantais et pour ce qui est du rouge, nous prenons un Saint-Emilion-trop jeune.

Locronan est célèbre pour ses pommes de terre. Ici elle ne dégénère pas et l’on ne fait pas venir de semence d’ailleurs. C’est une pomme de terre petite, allongée, savoureuse. Ils l’expédient de bonne heure pour les meilleures tables anglaises comme les fraises et les framboises de Plougastel. La fraise de Plougastel possède un parfum délicieux. La mode consiste à l’arroser de quelques gouttes de citron. Vous avez qu’actuellement il y a par ici des barbares qui l’arrosent de kirsch. Comme si la douce et délicate fraise pouvait avec cette forte liqueur faire éructer tous les ecclésiastiques et copistes d’outre Rhin !

La région de Plougastel est l’une des plus riches de Bretagne et cependant, ici non plus, il n’est possible de contenir l’émigration. La population rurale diminue de quatre pour cent chaque année et la population des villes se maintient difficilement. Ceux qui sont partis travailler à la reconstruction de Brest par exemple, ne sont pas revenus. Les femmes également émigrent, à Brest, à Rennes, à Paris, en Angleterre. Les fils se marient et veulent leurs maisons, les filles ne veulent pas se marier avec des paysans. L’on ne sait quelle voix possèdent les villes de ce siècle pour attirer les cœurs juvéniles. Les tentatives d’industrialisation ne résolvent pratiquement rien. La Bretagne est une terre rurale et d’élevage et elle doit vivre d’une agriculture forte et d’un élevage prospère. Et avec les deux elle peut avoir le niveau de vie du Danemark par exemple. Mais les gens sont pressés et s’en vont.

Le calvaire de Plougastel.

Le ciel s’est couvert, de gros et sombres nuages viennent de la mer. Il commence à pleuvoir quand nous arrivons au calvaire de Plougastel, dans l’atrium de l’église sur la petite place de la ville. C’est un calvaire magnifique et il y a peut être en lui la plus belle sculpture que j’ai vue sur un calvaire de Bretagne: la Vierge de la fuite en Egypte. Sur le calvaire de Plougastel, il y a un saint avec un chapeau et une coquille mais, selon le livre de Débidour, ce n’est pas Saint Jacques mais Saint Roch. A ses cotés, Saint Pierre et Saint Sébastien. Le diable de la Tentation possède une longue corne sur le front; de ses mains, il lisse sa barbe caprine. On dit que la nuit, on entend les paroles avec lesquelles il tente le Seigneur Jésus …

Sous la pluie, nous continuons jusqu’à Brest. Je veux traverser l’Aulne de jour, voir les gués de la rivière en amont de Châteaulin. Je veux savoir si l’Aulne est telle que je l’ai décrite: une rivière vive et claire qui se faufile entre les rives de saules et de peupliers.

Elle l’est. Ici, où je m’incline pour mouiller mes mains dans son eau, peut être le gué de mon sous-chantre « Dans la descente du gué de l’Aulne, un cours d’eau vive et claire, le postillon retenait ses chevaux… Le sous-chantre était juché sur le siège extérieur pour le plaisir de voir les chevaux patauger dans l’eau. (Chap 3-1). Les alouettes, amies de midi, chantaient.

Nous laissons l’Aulne, le doux, bleu, doré, ondulé pays de l’Aulne pour arriver à Brest où nous allions être reçus par la Chambre de Commerce et où Rial, lors d’un splendide repas, négocierait avec Monsieur Louit, président des fêtes de la ville, la participation de «Frores Mareliñas» (*2) et de la chorale Casablanca (*3) aux fêtes locales. Mr Louit, un apothicaire bavard, petit, remuant, voudrait savoir si « Frores Mareliñas » danse le flamenco. Rial lui explique les régions espagnoles.

Dans la nuit de Brest, sous la pluie fine et froide nous prenons congés du couple Montjarret à qui nous devons tant d’attentions.

« A Vigo ! ».

Nous dormons à l’hôtel Duquesne, en face de la place. C’est fête à Brest : Paola de Liège est en visite. Nous la voyons de loin, vêtue de bleu, sur les marches de la mairie. La formidable soupe de poisson qu’on m’a servie à « L’ancre d’or » et un Médoc – les pâles violettes du Médoc !- m’ont donné envie de dormir. Les nuages s’en sont allés et une énorme lune apparait sur la Bretagne.

Deux photos illustrent l'article:

Le magnifique calvaire de Plougastel-Daoulas. Le démon de la tentation a une unique corne sur le front et se caresse sa barbe caprine des deux mains. On dit que la nuit, on l’entend tenter le Seigneur. Sur la face ouest, il y a un saint avec un chapeau et une coquille : c’est Saint Roch. Le corps du Christ pour la Descente est énorme. Pilate se lave les mains en tirant la langue. (Photo: Mairie Plougastel).

La fuite en Egypte du calvaire de Plougastel. La plus belle représentation de Marie, majestueuse et douce, de tous les

calvaires de Bretagne. Le grain compact et rugueux de la pierre bretonne ajoute de la beauté à ce premier plan. L’âne a un visage humain, bonasse, et sa patte droite donne une réelle impression de mouvement. La pierre a ses contraintes et il s’est retrouvé quasiment sans oreilles. Saint Joseph est un laboureur breton qui revient d’arroser son champ. Précisions: (*1) : malheureusement, le Bagad ne put se rendre au grand complet à Vigo. C'est une formation réduite qui participa aux Fêtes et donna des prestations en couple. Mais l'important était de participer.

(*2) : groupe musical fondé à Redondela près de Pontevedra en 1958.

(*3) : chorale fondée en 1957 à Vigo.