Israël,
éternel exutoire des passions primaires
Tribune publiée le 3 septembre 2021 dans le journal
(Numéro daté du 4 septembre 2021, page 29)
En réponse aux multiples prises de position accusant Israël de pratiquer un « apartheid » vis-à-vis des Palestiniens, un groupe d’intellectuels, dont plusieurs spécialistes de ce conflit, souhaitent procéder à la mise au point suivante.
La situation actuelle au Proche-Orient ne résulte pas uniquement de dizaines d’années d’affrontement entre Israéliens et Palestiniens, elle se nourrit également de centaines d’années de persécutions des Juifs dans les pays arabes et en Europe. Ce conflit multiséculaire, extraordinairement complexe, aux racines à la fois historiques, religieuses, géopolitiques et diplomatiques, nourri par la corruption, l’ignorance mais aussi la haine et la radicalité, ne peut pas être réduit à la vision binaire d’un affrontement entre les « gentils Palestiniens » et les « méchants Israéliens », sinon par des propagandistes ou des ignorants.
Or c’est précisément à cette simplification outrancière que se livrent plusieurs organisations - nous pensons à certains rapports des Nations Unies -, des organes de presse, ainsi qu’un nombre significatif d’intellectuels et d’artistes, de figures politiques et médiatiques. Une tribune publiée le 6 juillet sur le site de l’Aurdip (Association des universitaires pour le respect du droit international des Palestiniens), appelant à "l'élimination" et à la "répression" du "crime d'apartheid en Palestine historique", témoigne d'une large mobilisation "antisioniste" au sein des milieux universitaires. Pour qualifier la politique d’Israël vis-à- vis des Palestiniens, cette tribune et d'autres appels usent du terme infamant d’« apartheid » associé à des expressions criminalisantes comme « nettoyage ethnique », « crimes de guerre » , voire « crimes contre l’humanité ».
La cruauté, l’inhumanité, la violence paroxystique et le racisme abject que suggèrent ces accusations à forte valeur émotive sont utilisés à dessein pour faire réagir une population occidentale particulièrement sensible aux violations des droits de l’homme et l’amener à voir en Israël un Etat criminel contre lequel tout humaniste qui se respecte aurait le devoir de se révolter.
Les nombreux zélateurs de ce victimisme de combat se présentent la plupart du temps comme des « experts » alors qu’ils agissent là en tant que militants. Leur croisade est d’autant plus efficace que le sujet est compliqué et fondamentalement très mal connu ; en même temps, il est si omniprésent dans les médias que tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à l’actualité internationale se sentent obligés de prendre position.
L’efficacité de ces plaidoiries doit beaucoup aux nobles principes derrière lesquels elles dissimulent la violence de leurs véritables objectifs : ainsi des « droits humains », de la « lutte contre les discriminations raciales, ethniques, religieuses » (ou même « sexuelles » dans la tribune de l’Aurdip), de la « démocratie », de la « justice » et même de la « paix » et de la « réconciliation » …
La démarche est habile, certes, mais il ne faut pas s’y tromper : sous couvert de bons sentiments, il s’agit là d’une propagande étaticide, consistant à inventer le crime pour mieux tuer l’État au prétexte de mettre un terme à un régime d’apartheid qui n’existe pas (les Arabes israéliens bénéficient des mêmes droits que les Juifs israéliens, ont des députés à la Knesset, un juge à la Cour Suprême, certains des consuls et des ambassadeurs israéliens sont arabes, des médecins et des infirmiers arabes travaillent avec des Juifs dans les hôpitaux israéliens… Rien à voir avec la situation de la population noire en Afrique du Sud entre 1948 et 1991) (voir l’article de Georges Bensoussan publié dans Tribune Juive le 2 août 2021 : https://www.tribunejuive.info/2021/08/02/georges-bensoussan-reponse-a-la-tribune-parue-dans-liberation-du-27-juillet-2021/. L’exigence du droit au retour pour tous les Palestiniens « exilés » - qui en pratique signerait la fin d’Israël - figurant dans la tribune de l’Aurdip est à cet égard particulièrement éloquente. Éloquente aussi est la présentation partiale, partisane, manichéenne que les signataires de cette tribune font des récents rapports de Human Rights Watch et B’Tselem dont les conclusions sont loin d’être aussi tranchées que les leurs.
Récuser l’accusation d’apartheid ne revient pas à nier la difficulté de l’existence au quotidien des Palestiniens dans les territoires occupés (ou « disputés », selon les perspectives). Cela n’implique pas non plus de s’abstenir de toute critique envers la politique du gouvernement israélien. Mais la question israélo-palestinienne ne doit pas être l’exutoire des passions primaires ni l’instrument de procès ou règlements de comptes en Europe ou aux États-Unis dont les dynamiques idéologiques occidentales ignorent tout des réalités moyen-orientales. Or beaucoup - Hezbollah, Gardiens de la révolution, antisémites de tous poils en Orient mais aussi en Occident - sont prêts à faire tuer jusqu’au dernier Palestinien pour servir leur propre agenda. A vouloir plaquer sur le conflit israélo-palestinien le schéma de l’antiracisme en parlant d’apartheid ou en détournant le slogan Black Lives Matter, on ne fait pas progresser la vérité, on rend la haine des Juifs acceptable et même impérative.
Comprendre ce qui se passe entre Israéliens et Palestiniens, entre Juifs et Arabes, entre Orient et Occident, se déterminer de manière autonome sur ces sujets exige une connaissance très large et une réflexion approfondie qu’il faut du temps et du travail pour acquérir et que cette tribune n’a pas vocation à nourrir. Il s’agit seulement ici d’inviter le lecteur de bonne foi à prendre du recul. La cause qu’il défend n’est peut-être pas celle qu’il croit.
Liste des signataires de la tribune
Razika Adnani, écrivaine, philosophe et islamologue, membre du Conseil d'orientation de la fondation de l'islam de France
Mehdi Aïfa, chargé de clientèle, ancien président de l’amicale des jeunes du refuge
Waleed al Husseini, réfugié palestinien, fondateur du Conseil des ex musulmans de France, essayiste
Michel Albouy, professeur émérite des universités
Edward Amiach, président de l’UPJF (Union des Patrons et Professionnels Juifs de France)
Marc Angenot, professeur honoraire, McGill University, Montréal
Jeanne Assouly, journaliste
Elisabeth Badinter, philosophe
Julien Bahloul, ancien journaliste. spécialiste de la société israélienne
Elie Barnavi, historien
Arié Bensemhoun, directeur d'ELNET
Jean-Pierre Bensimon, professeur de sciences sociales, chroniqueur de la revue « Controverses »
Georges Bensoussan, historien
Aurore Bergé, députée des Yvelines, présidente du groupe d’amitié entre la France et Israël
Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, Chargée de recherche CNRS
Maurice Berger, pédopsychiatre, responsable de DU à Paris 5
Paul Berman, essayiste américain
Russell A. Berman, professeur, Stanford University
Frédéric Joseph Bianchi, président de l'association Terra Eretz Corsica Israël
Guillaume Bigot, Directeur Général de l’IPAG Business School
Andreas Bikfalvi, Professeur d'Université
Laurent Bouvet, professeur des Universités en science politique
Jean-François Braunstein, philosophe
Blandine Brocard, députée du Rhône
Gérald Bronner, sociologue, professeur des universités
Pascal Bruckner, essayiste, membre de l’Académie Goncourt
Belinda Cannone, écrivain
Sarah Cattan, journaliste, directrice de Tribune Juive
Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre
Hassen Chalgoumi, imam de la mosquée de Drancy, président de la conférence des imams
Bruno Chaouat, Professor of French and Jewish Studies, University of Minnesota
Sophie Chauveau, écrivain
Elie Chouraqui, cinéaste
Joseph Ciccolini, hospitalo-universitaire
Éric Conan, journaliste et essayiste
François Cormier-Bouligeon, députe du Cher
Charles Coutel, philosophe, essayiste et universitaire
Brice Couturier, journaliste et essayiste
Jacqueline Cuche, ancienne présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de France
Sara Daniel, journaliste
Xavier Darcos, membre de l’Académie française
Emmanuel Debono, historien
Annick Duraffour, agrégée de Lettres modernes
Bassem Eid, Palestinien, militant pour la paix, expert des droits de l'homme, analyste politique et journaliste
Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val d’Oise, secrétaire du Sénat
Luc Ferry, philosophe
Michel Fichant, professeur émérite, Sorbonne Université
Alain Finkielkraut, philosophe, membre de l’Académie française
Annie Fourcaut, Professeur émérite d'histoire contemporaine, Université Paris I Panthéon Sorbonne
Renée Fregosi, philosophe et politologue
Alexandre Freschi, député du Lot-et-Garonne
Gilles-William Goldnadel, avocat et essayiste
Monique Gosselin-Noat, Professeur émérite des Universités
Philippe Gumplowicz, professeur des Universités, musicologue
Noémie Halioua, journaliste
Maurice Ruben Hayoun, ancien professeur de philosophie à l’université de Genève
Nathalie Heinich, sociologue
Alain Herbeth, essayiste
Florence Heymann, anthropologue
Marie Myriam Ibn Arabi, chef d’établissement
Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS
Günther Jikeli, historien, université de l’Indiana
Pierre Jourde, écrivain professeur émérite des universités
Jacques Julliard, historien, journaliste et essayiste
Liliane Kandel, sociologue
Saïda Keller-Messahli, auteur, enseignante (Suisse)
Danielle Khayat, magistrat en retraite
Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS
Matthias Küntzel, professeur de science politique
Françoise Laborde, ex-sénatrice
Francoise Laborde, journaliste
Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe
Michel Laval, avocat et écrivain
Daniel Leconte, producteur et réalisateur
Damien Le Guay, philosophe et essayiste
Didier Lemaire, professeur de philosophie
Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel, ancienne ministre
Andrée Lerousseau, maître de conférences
Franck Lessay, Professeur émérite à l’Université
Bérénice Levet, philosophe, essayiste
Jacqueline Lipszyc, PhD de biologie moléculaire
Norbert Lipszyc, ingénieur des mines, master of sciences de l’université de Columbia, essayiste
Mohamed Louizi, ingénieur-responsable de bureau d'études et essayiste
Fadila Maaroufi, directrice de l’Observatoire des fondamentalismes de Bruxelles
Sylvain Maillard, député de Paris et président du groupe de lutte contre l'antisémitisme
Pierre Manent, philosophe
Aurélien Marq, haut fonctionnaire
Ilana Masson, professeur des universités
Samuel Mayol, maître de conférences
Isabelle de Mecquenem, philosophe
Giulio Meotti, journaliste
Serge Mestre, écrivain et traducteur
Naïma M'Faddel, essayiste, spécialiste des quartiers populaires
David Mikics, écrivain, professeur de littérature
Thibault de Montbrial, avocat, fondateur du CRSI
Anne-Elisabeth Mouttet, journaliste, écrivain
Frank Muller, Professeur émérite d'histoire moderne
Perrine Nahum, philosophe, Ecole Normale Supérieure
Hillel Neuer, executive director, United Nations Watch, Genève
Pierre Nora, Historien, membre de l’Académie française
Edith Ochs, journaliste, traductrice, écrivain
Michel Onfray, philosophe
Hala Oukili, journaliste
Andreas Pantazopoulos, politiste, Université Aristote de Thessalonique
Rémi Pellet, juriste, professeur des universités
Pascal Perrineau, professeur émérite des Universités à Sciences Po
Céline Pina, essayiste, éditorialiste, présidente de Viv(r)e la République
Richard Prasquier, cardiologue, président d’honneur du CRIF
Michaël Prazan, écrivain et réalisateur
Gérard Rabinovitch, philosophe
Philippe Raynaud, professeur émérite des universités
Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'histoire sociale
Simone Rodan Benzaquen, directrice de l'AJC Europe
Richard Rossin, médecin orthopédiste conflits Darfour, Soudan, Éthiopie, cofondateur de Médecins du Monde. Ancien secrétaire général de MSF
Fred Rothenberg, docteur ès sciences, ancien secrétaire général de l’AISCAI (Association des Ingénieurs, Scientifiques et Cadres Amis d’Israël)
Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme
Jean-Pierre Sakoun, éditeur numérique, essayiste
Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences
Boualem Sansal, écrivain
Peggy Sastre, journaliste et essayiste
Josiane Sberro, chef d’établissement, cycles de conférence « l’antisémitisme à l’éducation nationale »
Alice Schwarzer, journaliste et éditrice
Alain Seksig, inspecteur d'académie honoraire
André Senik, philosophe
Jean-Paul Sermain, professeur des universités
Damien Serieyx, éditeur
Bruno Sire, Président Honoraire Université Toulouse Capitole
Rafik Smati, entrepreneur, président de Objectif France
Wiktor Stoczkowski, directeur d'études à l'EHESS
Jeremy Stubbs, journaliste et écrivain
Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées
Jacques Tarnero, sociologue
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe
Thibault Tellier, Professeur des universités
André Tiran, professeur émérite université de Lyon
Vincent Tournier, maître de conférences
Sam Touzani, comédien, auteur
Dominique Triaire, professeur émérite de littérature française
André Unterberger, professeur des universités, mathématicien
Julianne Unterberger, professeur des universités, mathématicienne
Philippe Val, journaliste et écrivain
Caroline Valentin, avocat et essayiste
Manuel Valls, ancien premier ministre
Pierre Vermeren, historien
André Versaille, écrivain et documentariste
Bernard de la Villardière, journaliste
Marin de Viry, écrivain et critique littéraire
Christophe de Voogd, historien, professeur affilié à Sciences Po
Michael Walzer, professeur émérite à l’Institute for Advanced Study de Princeton (New Jersey)
Aude Weill-Raynal, avocat
Michel Gad Wolkowicz, psychanalyste, professeur associé à Paris Sud
Yves Charles Zarka, philosophe
François Zimeray, avocat, ancien Ambassadeur de France
Sylvie Zucca Quesemand, psychiatre et psychanalyste