Tadamoon, l'Humain avant tout...

TADAMOON° est une association mancelle fondée en 2015 pour accompagner demandeurs d'asile et réfugiés, sur un plan humain, juridique et matériel.

Elle est composée uniquement de bénévoles qui travaillent sans relâche: des juristes, des professeurs de français, des interprètes, des médecins, des bonnes volontés de toutes sortes qui convergent pour rêver d'un monde meilleur.

Nos amis sont principalement soudanais, érythréens, yéménites ou tchadiens.



"La durée de ma vie est hors de mon pouvoir, être homme de bien tant que je vivrai,

voilà qui dépend de moi." Sénèque.

*Tadamoon signifie solidarité




  • SOCIÉTÉ Journal Le Monde 7-8 Septembre 2019

« Le secteur de la pomme cherchait des bras ; ceux des migrants ne demandaient qu’à se rendre utiles »

Frédéric Potet

Devant les difficultés des arboriculteurs à recruter, Tadamoon, une association d’aide aux demandeurs d’asile, a convaincu plusieurs exploitants de la Sarthe de faire appel à des réfugiés, raconte dans sa chronique Frédéric Potet, journaliste au « Monde ».

Dans un verger près de Château-du-Loir (Sarthe), premier jour de cueillette pour un groupe de 25 migrants, le 5 septembre. FREDERIC POTET

Chronique. La cueillette de la pomme vient de commencer dans le sud de la Sarthe, cœur d’une des principales régions de production de fruits à pépins en France. Pour la troisième année consécutive, une petite partie de la récolte est faite par des migrants, dans le cadre d’une opération visant à mettre ceux-ci sur un chemin auquel ils ont difficilement accès : celui de l’emploi. Originaires du Soudan, d’Erythrée, du Tchad, de Somalie, du Yémen et d’Ethiopie, une cinquantaine d’hommes, payés au smic, travaillent dans les vergers de deux exploitations, au contact de variétés (gala, golden, elstar…) dont ils ignoraient le nom jusque-là.

C’est en lisant les « unes » de la presse locale alertant sur les difficultés de la filière à recruter des saisonniers chaque année à pareille époque que Brigitte Coulon-Marques, la présidente de Tadamoon, une association d’aide aux demandeurs d’asile, a eu l’idée de rapprocher les deux mondes, en 2017. Le secteur de la pomme cherchait des bras ; ceux des migrants ne demandaient qu’à se rendre utiles : l’évidence a sauté aux yeux de cette professeure de droit du Mans. « J’ai pris les Pages jaunes de l’annuaire à la recherche d’arboriculteurs, et j’ai téléphoné », se souvient-elle.

Après un certain nombre de refus, la présidente de Tadamoon (« solidarité », en arabe phonétique) a réussi à convaincre plusieurs exploitants agricoles des environs de Château-du-Loir de l’accompagner dans son projet. Un obstacle important s’est alors vite dressé devant elle : comment acheminer les travailleurs, hébergés dans des foyers du Mans (quand ils ne dorment pas dans la rue), jusqu’à la zone de production, située à 50 kilomètres ? « Certains étaient prêts à prendre le train et à marcher 12 km jusqu’aux vergers, et autant pour le retour. J’ai imaginé la scène dans ma tête : 50 Africains sur le bord d’une route, au milieu de la Sarthe… Je me suis que non, cela n’allait pas le faire. »

« Bosser est capital pour eux »

Un bus a finalement été affrété par l’association. Celui-ci part tous les matins à 6 h 15 du centre-ville du Mans et revient le soir, le boulot terminé. La location du véhicule (485 euros par jour) est financée par plusieurs collectivités : l’Etat (par la direction départementale de la cohésion sociale), la ville du Mans et le conseil départemental de la Sarthe. Une participation de 3 euros par jour est demandée à chaque saisonnier, manière « de rappeler que rien n’est gratuit », insiste Brigitte Coulon-Marques. « Bosser est capital pour eux, poursuit la militante. D’abord parce que leur famille crève de faim. Ensuite parce qu’ils culpabilisent d’être aidés, ou de toucher le RSA pour certains, sans rien pouvoir donner en échange. »

Qu’ils aient le statut de réfugiés ou de demandeurs d’asile, la majorité n’a jamais travaillé depuis qu’ils ont posé le pied en Europe. Ainsi Mohamed Yagoub, un Darfouri de 26 ans arrivé au Mans en juin 2018, cinq ans après avoir quitté le Soudan : « La dernière fois que j’ai travaillé, c’était en Libye, où j’ai été plombier sur des chantiers. Nous n’étions pas payés tous les jours, mais j’ai pu accumuler assez d’argent pour payer le passeur afin de traverser la Méditerranée. Une seule tentative a suffi », raconte ce fils de cultivateurs, dans un français récemment appris sur les bancs de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Mohamed Yagoub a quitté le Soudan en 2013. Il participe cette année à la cueillette des pommes dans le sud de la Sarthe, près de Château-du-Loir, le 5 septembre. FP

Travail physique en extérieur, la cueillette de la pomme ne requiert pas un savoir-faire particulier. Juste de la délicatesse dans le geste, afin de ne pas meurtrir le fruit. De l’assiduité aussi – le maître mot pour de nombreux producteurs, désespérés d’enrôler des saisonniers locaux qui lâcheront le job en cours de route ou ne reviendront pas l’année suivante. « Ne me faites surtout pas dire que les Français sont tous des fainéants, s’emporte un exploitant, qui ne souhaite pas voir son identité apparaître. Mais s’il tombe une goutte de pluie un matin, je suis sûr que quinze cueilleurs engagés localement manqueront à l’appel. Idem s’il fait trop chaud. Les réfugiés, eux au moins, sont toujours présents. »

La xénophobie, un mal ancien dans le secteur

L’autre arboriculteur impliqué cette année aux côtés de Tadamoon réclame lui aussi l’anonymat, et pour cause : des litres de fuel avaient été déversés par des inconnus sur l’une de ses plates-formes de cueillette, en 2017, après que l’association a communiqué sur son nom. « Il y a de grandes chances pour que cela ait un lien, même si on n’a jamais rien pu prouver », confie-t-il, non sans rappeler que la xénophobie est un mal aussi ancien dans le secteur des emplois saisonniers que le recours à une main-d’œuvre étrangère. Son arrière-grand-père, qui créa les vergers familiaux il y a un siècle, embauchait déjà des cueilleurs portugais.

Ceux qui arrivent aujourd’hui dans les champs de pommes du Sud Sarthe, habillés et chaussés par des associations caritatives, ont ceci de différent qu’ils ont risqué leur vie pour venir vivre en France, en traversant la Méditerranée sur de fragiles esquifs. « Quasiment tous sont également passés par la Libye, où sévit l’esclavage à l’encontre des migrants, souligne Brigitte Coulon-Marques. Quand on évoque avec eux la question des conditions de travail dans le secteur de la pomme, ils ne savent pas de quoi on parle. »

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La récolte devrait durer entre cinq semaines et deux mois. Après ? Nombre d’entre eux retrouveront l’oisiveté et la rue. L’un des projets de Tadamoon est précisément d’ouvrir un café associatif où réfugiés et demandeurs d’asile pourraient se retrouver afin de jouer aux cartes, regarder le foot à la télé, apprendre à faire un CV, s’initier au code de la route… « L’idée est de créer un point d’ancrage, explique Brigitte Coulon-Marques. Voir des gars en errance dans la ville n’est jamais bon, sauf pour le vote d’extrême droite. »

Frédéric Potet