Genèse et dynamique des inégalités sociales dans la province du Kasaï


Ramazani Wadiabantu Shimashima

p. 7-20

Vol. XXI, n°3, juin 2024 


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Résumé

Deux paradigmes fortement antagonistes déchirent la Province du Kasaï et surtout son chef-lieu qu’est Tshikapa : les inégalités sociopolitiques et la lenteur des mécanismes de recherche des solutions idoines. L’histoire politique et sociale d’occupation du territoire de Tshikapa subit de déformation chaque jour qui passe au profit aussi bien du positionnement que de la politique bien défigurée de « l’autochtonéïté ».

Introduction

L’appréhension des inégalités en RD Congo comme ailleurs se réalise à travers les facteurs et mécanismes qui affectent l’accès inégal aux ressources et au pouvoir. Lorsque cet accès inégal produit des inégalités de pouvoir et des richesses perçues et vécues comme injustes et illégitimes, privant la majorité de la jouissance de leurs droits au bien-être et à une vie décente, ces dernières sèment les germes de la division, de frustrations et de fissuration du tissu (PNUD, 2015).

Comme on le voit, cette argumentation du PNUD se transpose facilement sur la situation que traverse la province du Kasaï, représentée dans ce cadre d’étude par la Ville de Tshikapa, pivot déclencheur et l’épiphanie même des inégalités.

Alors qu’elles sont appelées à s’inscrire dans le processus d’inclusivité et de solidarité, les populations de la province du Kasaï, surtout celles de la Ville de Tshikapa, fortement hétérogènes se retrouvent condamnées de vivre dans un système où dominent les classes sociales : celle des privilégiés dites des ‘’autochtones’’ ou mieux des ‘’originaires’’ et celle dites des ‘’Venants’’.

Cette discriminalité pluridimensionnelle, ces disparités, cette insociabilité, cette exclusivité joue un rôle destructeur contre le processus de cimentation de la cohésion (PNUD,2015).

La décentralisation inféodée et instrumentalisée, fondée sur l’administration des originaires et soutenue par une Kleptocratie odieusement cupide, saturée d’instincts clientélistes et ethniques, renfermée dans un contexte de domination, d’exclusion, de négation et donc d’inégalités caractéristiques et gravement génocidaires, serait le germe d’inégalités socio-politiques au Kasaï et dans la Ville de Tshikapa.

On ne s’en doute guère, le gâteau tant politique que social se partage entre ceux qui se prétendent autochtones dans le cadre d’intercommunauté sans référence aux autres considérés comme ‘’chiens de chasse’’.

Les mécanismes par lesquels les inégalités socio-politiques au Kasaï sont générées, reproduites et perpétuées, seront compris lorsque nous allons développer les points suivants :

§  L’occupation de la Ville de Tshikapa ;

§  Genèse et voies de reproduction des inégalités au Kasaï ;

§  Les mécanismes d’inclusivité et de cohabitation.

1. Chronogramme d’occupation du territoire de Tshikapa

Il sied de noter que, avant 1700 de notre ère, l’espace Tshikapa, à en croire Haveaux (1954) fut entièrement occupé par trois grands groupes de populations dont les origines sont différentes. Les plus importants de ceux-ci furent les Bashilange ou Bena Lulua.  Pour spécifier, Haveaux fait remarquer que, dans l’Entre-Kasaï-Luebo, il faut y ajouter du sang Babindji (sic).

Toutefois, pour Monseigneur Kabongo et Bilolo Mababinge (1994), on considère les Babindji et les Bakete comme des peuplades premières occupantes de la contrée.

Dans sa carte ethnographique de 1900, Haveaux situe au nord de Tshikapa les Bashilele, les Bawongo, les Bakua Fuyi ; au Centre les Bashilange, les Babindji et au Sud-Est les Kete et les Badinga.

Les actuelles tribus qui se prévalent aujourd’hui autochtones de Tshikapa figurent nulle part et moins encore dans celle de 1650. Cependant, Haveaux signale les Bapende dans le Bandundu et les Tshiokwe au Sud de Tshikapa, donc en Angola.

Considérant les différentes vagues d’occupation de Tshikapa, Vansina signale vers 1700, au-delà de la rive droite de la rivière Kasaï, les Villages de Mayi-Munene et de Kabeya Lumbu alors qu’au centre entre la rivière Kasaï et Tshikapa vivent les Babindji, premiers occupants de la contrée et cette réalité est aussi confirmée par Haveaux (Cfr Carte ethnographique de 1650).

C’est seulement vers 1920, à l’arrivée de la Forminière que les autres tribus qui jadis occupaient l’Est et le nord de Tshikapa viennent se joindre aux Babindji et se placent respectivement à Kele et à Bena Nshimba pour enfin renforcer la main d’œuvre constituée essentiellement des Babindji, premiers creuseurs des diamants (Nganga Mushidi, 2015).

C’est seulement vers 1937 que les autres groupements cités dans l’arrêté de 1937 font partie du Secteur et du Territoire de Tshikapa. Aucun autre groupement de ceux qui se prétendent aujourd’hui originaires de Tshikapa n’y figurent. Mais d’où viennent-ils et quand se sont-ils installés à Tshikapa ? La réponse à ces questions demeure jusqu’en ces jours énigmatique.

Ainsi, c’est dans ce cadre d’occupation que l’exploitation de nouveaux sites miniers vierges est entreprise et Katshianga, Mayi Munene, Ngombe, Senge, Mulundu, Mayanda, Lubami, pour ne citer que ceux-ci, sont occupés par cette main d’œuvre, ces premiers déjà-là et restent désormais leurs villages. C’est ce qui rassure que les principales tribus du Kasaï sont : les Luntu, Kuba, Bindji, Lele, Lualua, Salampasu, Kete et Lulua (Vansina).

Pour certifier la thèse des premiers-venus et des déjà-là qui fait suffisamment couler d’encre quant aux autochtones de Tshikapa, Dr.G.L. Haveaux confirme : « les populations de Tshikapa rencontrées par les Pende sont les Bashilange et les Babindji du sang (Haveaux,1954).

En effet, les premières réalisations des infrastructures que compte Tshikapa ont été entre autres l’œuvre de Babindji, Baluba, BenaLulua, Bakete, Balualua, etc. Contacté à ce propos, Monsieur Edouard Muinaminayi, sujet lulua, né en 1911, ressortissant de Bakwa Luntu (Luluabourg), nous confirme avoir pris part aux travaux de la construction du Pont Kasaï, sur la rivière du même nom et avoir vu son inauguration, le 30 novembre 1940.

De l’autre côté, Monsieur Mfuamba Kasanji, membre influent du village Beena Nshimba, actuel Dibumba, affirme qu’il fut l’un des maçons ayant construit l’Eglise catholique de Saint André de BeenaNshimba et renchérit que tous ces centres extra coutumiers étaient occupés de part et d’autre par les Bindji, les Luba, les Lulua et leurs assimilés et que les récentes tribus se prévalant aujourd’hui d’autochtones étaient presqu’inexistantes.

Après des années de prestations satisfaisantes, surenchérissent Monsieur Muinaminayi et Kankonde Mukenyi Nsanga, chef de groupement de Bakwa Luntu de Beena  Nshimba (né en 1936), la société Forminière, dans son système de pension aux ouvriers leur octroyait des portions de terre à habiter et qui à la longue devenaient leurs villages définitifs et autonomes.

C’est donc dans cette perspective que Tshikapa de la Forminière fut disséqué entre les Bindji au Centre, les Baluba à BeenaNshimba et les Lulua à Kele. (Voir le tableau de chronogramme ci-dessous).

Tableau n°1. Chronogramme d’occupation des portions de terre à l’époque de la Forminière

2. Genèse et voies de reproduction et de contamination des inégalités socio-politiques au Kasaï

Sous cette rubrique, notre analyse consistera à rechercher les domaines à travers lesquels filtrent les inégalités socio-politiques au Kasaï. En effet, la perpétuité et la dynamique de ces inégalités sont régénérées par la politique et l’administration.

2.1. Les inégalités par la politique

La province du Kasaï dans son actuelle configuration est pétrie d’une longue histoire politique, elle fut d’abord une entité primitive dont le sommet était le District du Kasaï, basé à Luebo.

Il importe ainsi de souligner que dans le temps, aller à Tshikapa était synonyme d’aller partout, dans ces entités primitives regroupées autour du District du Kasaï.

Des simples groupements autonomes des Babindji, des BenaLulua et des Baluba avant, pendant et après la Forminière, Tshikapa devenait tour à tour Secteur, Province dite de l’Unité kasaïenne, Cité, Territoire, Ville et aujourd’hui épicentre des institutions provinciales du Kasaï.

Toutes ces institutions avant l’avènement de l’actuelle province, furent gérées par des sujets tant bindji que d’autres tribus constituant la configuration de Tshikapa. On note la présence de certains notables Bindji, Kete et autres dans la gestion de la Chose publique à Tshikapa notamment : Kengele Athanase (Bindji,Ministre de l’Intérieur), Kamanga Grégoire ( Kete, Gouverneur de l’Unité kasaïenne), Malumba Mbumba Sylvain, ( Bindji, Chef de Cité, Commissaire de Zone Assistant,etc), Kawungamina et Tulumuna, notables (Bindji, Commissaire de Zone et Commissaire de Zone Assistant ), Idriss Kokodila  Koma (Notable Salampasu, Administrateur de Territoire), Marie-Jeanne Bipungu Kadabila (Bourgmestre adjointe de la Commune de Kanzala, Dame de fer Bindji ) La liste n’est pas exhaustive ( Archives du Secteur, de la Cité et  du Territoire de Tshikapa) .

De ce qui précède, il ne se fait aucun doute que la gestion de la ‘’Res Publica’’ des différentes institutions politiques d’avant l’actuelle province à Tshikapa était consensuelle, donc l’affaire de tout le monde. Mais d’où viennent la discrimination, la marginalisation, le système d’inter communautarité que nous vivons aujourd’hui ? La responsabilité incombe à la politique et aux politiciens. La théorie d’autochtonie qui fait couler beaucoup d’encre, de salive et même de sang aujourd’hui n’est que de la pire fiction des politiciens des communautés.

De fait, pour faire mieux comprendre à nos lecteurs comment la politique de Tshikapa a réussi à supplanter et à surseoir la consensualité de la gestion de la chose publique, nous allons décrire les mécanismes mis en conjugaison par les amoureux de la politique de l’exclusion au Kasaï. La décentralisation, les élections, le partage des postes politiques sont les domaines de prédilection où se joue le jeu de la kleptocratie.

En effet, nous faisons nôtre constat de Gilbert Malemba N’Sakila (2013) : ‘’L’accession à un poste (…) de responsabilité (politique, administrative, managériale) (…) est généralement entouré en amont et en aval des faits singuliers et paraformels en dépit des canaux institutionnels.

En amont, notamment, l’initiation, le soutien et parrainage d’une candidature à un mandat (…)  sont tuyautés par la « mutualité tribale », (…) du prétendant. Le tuyautage vise à positionner un membre de la communauté tribale et faire triompher l’intérêt de cette dernière au détriment des intérêts des autres communautés. En aval, dès que la nomination ou la promotion est annoncée officiellement, les membres du clan et de la tribu du bénéficiaire d’abord et les ressortissants de sa province d’origine ensuite entourent le promu, s’adonnent à des festins exclusifs, à des séances de travail de leur « représentant ». (…).

2.2. La décentralisation

Bien qu’elle soit l’un des principes de base de la démocratie, la décentralisation est aujourd’hui au service des politiciens. Au lieu de servir à une approche administrative des populations, elle est devenue une ‘’Tour de Babel’’, un instrument qui sert d’outil entre les mains de ceux qu’on appelle à tort ‘’originaires’’, leur servant de renforcer et de relancer le processus dit « Umela » et donc d’éternisation au pouvoir public.

En outre, elle est « une vaste opération de manipulation politique (…) orchestrée par le pouvoir et ses thuriféraires sous prétexte de rapprocher culturellement les administrés de leur administration, placée entre les mains des soi-disant originaires. Elle (consiste) à s’en prendre aux non-originaires, supposés être des opposants (PNUD,2015).

La décentralisation a mauvaise réputation, elle est « au service de ‘’la boulimique et affreuse manducation politique (…)’’, la cupidité odieuse, la nature rentière des pseudo-élites nationales, les instincts clientélistes et ethniques (…) s’entrelacent, se combinent et minent la décentralisation. » (Kabasu Babu Katulondi, 2012).

En effet, la décentralisation kabiliste, « au lieu d’unir les ethnies dans une force de construction d’une nation véritable, cimentée par une histoire commune, on en vint à inventer des ancrages localement définis, qui (divisent) le pays soit entre les prétendus vrais autochtones (…) et les autres congolais venus d’ailleurs et désignés par des noms d’insectes comme au Katanga (…) (KäMana,2012). Et des Bena « Biduadua » ou des Kamuena Nsapu dans la province du Kasaï.

A la faveur du redécoupage territorial opéré en 2015 confirme le Rapport de FIDH et alii (2017), les autorités de Kinshasa ont procédé à la nomination de plusieurs nouveaux responsables de l’administration territoriale. Elles/ils sont pour l’essentiel de l’ethnie Tchokwe.

En outre, selon le témoignage accablant d’un ancien Gouverneur de Province, non seulement la décentralisation est féodalisée, parce qu’exploitée par des politiciens pour des motifs de prédation et d’accumulation mais elle est instrumentalisée à des fins de politique du ventre (PNUD, 2015 :72).

Au Kasaï, faudra-t-il le dire sans peur d’être contredit, depuis l’avènement de la province, les choses se désagrègent d’avantage, épongeant l’élan d’antan où chaque tribu prenait sa part à la gestion de la chose publique comme au temps de Kengele, Kamanga, Malumba Mbumba, Kawungamina, Kokodila Koma, Marie Jeanne Bipungu Kadabi, etc. La territorialisation du pouvoir politique est à son âge d’or au Kasaï bien plus qu’ailleurs, du Gouvernorat aux localités, la méritocratie est dans la rue et a cédé sa place à la tribalité. Les statistiques d’occupation des postes par tribus et par territoires qui seront détaillées en sont une preuve.

Tableau n°2. Répartition des postes politiques des Commissaires spéciaux.

 

Nom et post nom

Territoire et Communauté

Observation

Manyanga Ndambo

Ilebo, Lele

Commissaire Spécial Titulaire

Mbingho Mvula

Tshikapa, Pende

Commissaire spécial Adjoint en charge de PAJ

Tshiebeyi Kitoko Pemba

Mweka, Kuba

Commissaire spécial Adjointe en charge des Finances

 

Le tableau n°2 décrit l’exclusion pure et simple des populations autochtones dans les nominations des Commissaires spéciaux représentés seulement par trois (3) tribus : Lele, Pende et Kuba. Ces nominations sont l’œuvre de Boshab et Maker les prétendus leaders du Kasaï.

Tableau n°3. Répartition des postes politiques au Gouvernorat du Kasaï (1er Gouvernement de Manyanga)

 

Noms

 Fonction

Territoire et Communauté d’origine

ManyangaNdambo

Gouverneur

Ilebo, Lele

Mbingho N’Vula

V/Gouverneur

Tshikapa, Pende

Ndala Kasala Colin

Secrétaire provincial

Tshikapa, Nyambi

Kantokola Kabue Boketo

Ministre en charge de l’intérieur & sécurité

Luebo, BenaMvula

Mataba Kambamba

Ministre de Finances

Tshikapa, Tchiokwé

Adrien BOKELE

Ministre des Infrastructures et Travaux Publics

Dekese

Tshioko Kuete Minga

Ministre Enseignement et Santé

Mweka, Kuba

Wilfred Kuma kinga

Ministre de Terres, Mines et Energie

Mweka, Kuba

Nono Kinona

Secrétaire exécutif

Tshikapa, Pende

 

Le premier gouvernement du Kasaï dirigé par Manyanga Ndambo comme Gouverneur de Province renforce d’avantage l’exclusion tout en y ajoutant par ailleurs trois communautés précédentes (Cfr Tableau N°2) à savoir : les Tshiokwé, les Nyambi et les Bena Mvula de Luebo). Toutefois, les Pende et les Kuba dominent dans ce gouvernement.

Tableau n°4. Répartition des postes au Gouvernorat (2ème Gouvernement)

Le tableau n°4 décrit le 2ème Gouvernement provincial du Kasaï nommé par Monsieur Kabila et formé par le Gouverneur Dieudonné PIEME, représenté par les quatre Communautés soi-disantes autochtones ou de base que nous interprétons en pourcentage de la manière suivante :

§  Nyambi             : 6 Représentants soit 46,15%

§  Kuba                 : 3 Représentants soit 23,07%

§  Pende               : 3 Représentants soit 23,07%

§  Lele                   : 1 Représentant soit   7,6 %

2.3. Les élections

Les élections est un des principes d’un Etat démocratique, ainsi, elles requièrent crédibilité, liberté, compétitivité, transparence et pluralisme. Elles aident tous les Congolais, où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, à accéder au pouvoir politique et cela sans discrimination des tribus.

Toutefois, l’exemple de la province du Kasaï dans ce domaine est révoltant et sert de mauvaise leçon. Dans tous les processus électoraux : l’enrôlement, les campagnes électorales, les politiciens kasaïens sont tolérants et associent tout le monde pour la facilité des opérations préliminaires, le discours de la campagne  est propagandiste et reconnait que la province du Kasaï appartient à tous, on est ensemble, mais dès lors  qu’il s’agit  des candidatures, des élections proprement dites et de partage des postes politiques, les verrous sont renforcés et la porte hermétiquement fermée à ceux que l’on nomme ‘’non originaires’’. Pas de représentativité pour eux, ils doivent aller chez eux.

Toutefois, par la force de chose, si l’un des non originaires s’infiltrait sur la liste électorale, sa course finit à la compilation où la fraude atteint son point culminant et où le tribalisme se professionnalise.

Comme on le voit, les élections constituent une voie sûre où se développent la ‘’Pendelisation’’, la « Tchiokwelisation » et la « Nyambilisation » du pouvoir. Pour y arriver, les agents électoraux sont affectés selon le modèle standardisé d’intercommunauté.

C’est ainsi que, tous les postes clés de la CENI au secrétariat exécutif provincial du kasaïet à l’antenne sont partagés selon le ‘’quota’’ des communautés dites de base. Le Secrétariat exécutif est du quota Pende où Monsieur Mbongela est le recommandé de Maker alors que l’antenne urbaine est le patrimoine des Nyambi, Monsieur Félicien Katanda est le protégé de Tshimanga Buana et de Théo Kazadi. Les Tshiokwe eux ont la main mise dans la compilation.

Tout est calculé de sorte que le statu quo soit maintenu et que l’hégémonie soit exercée sur les autres tribus considérées comme des venants alors que majoritaires.

2.4. L’administration

L’Administration tant publique que privée est un des domaines privilégié et stratégique par lesquels s’infiltrent les inégalités socio-politiques. Par l’administration actuellement modérée, le quota a dépassé le seuil de la ‘’Tritribalité’’ pour une ‘’Multitribalité’’ mais toujours individualisée, les Kuba, les Lele et même les Tshiokwe d’Ilebo longtemps marginalisés sont « quotifiés » et ont accès facile au bosquet initiatique du pouvoir politique.

En dehors de différents tableaux décrits précédemment dans cette étude, prouvant que la politique et l’administration dans la province du Kasaï sont tribalisées, il faut y ajouter la nomination décriée de ceux que l’on a appelé ‘’Coordonnateurs des guichets uniques’’ qui, tous sont issus de l’intercommunauté, dans le respect des clauses du quota. Les différentes divisions provinciales sont aussi menacées d’ensorcellement par ce culte occulte alors que le recrutement respecterait un criterium focalisé sur un curriculum vitae vertébré.

Ce culte a envahi et même avalé le domaine d’enseignement tant primaire, secondaire qu’universitaire. Le système de quota y est trop professionnalisé, chaque politicien du Kasaï a son poste de recommandation. L’ISP/Tshikapa appartient au Pende, l’ISTM aux Nyambi alors que l’ISC est le patrimoine de Tshiokwe mais le poste de l’académique général est celui du Député Théo Kazadi. Bref, tous les comités de gestion ne sont que tribalisés.

Le même système s’est intensifié jusqu’au secteur privé et aux établissements para-étatiques, dans les agences humanitaires et ONG où les recommandations militent toujours pour maintenir le système de représentativité intercommunautaire tribalisé à trois plus.

En somme, ce système n’est pas seulement une bombe à retardement mais aussi une ponction amère qui injecte les inégalités socio-politiques dans la province du Kasaï et amoindrit les compétences capables de booster son développement. Il faut donc rechercher une thérapie adaptée à cette maladie en vue de sauver la province du Kasaï, d’où les mécanismes d’inclusivité et de cohabitation sociale suivants seront proposés.

3. Mécanismes d’inclusivité et de cohabitation pacifique des populations du Kasaï

La maladie dont souffre la province du Kasaï, caractérisée entre autres par des inégalités socio-politiques, culturelles et économiques n’est pas, comme le croiraient certains pessimistes, incurable bien que grave. Elle appelle une thérapeutique appropriée pour l’éradiquer une fois pour toute. Certes, les inégalités socio-politiques au Kasaï sont devenues très dangereuses et menacent de se transformer en un virus à contamination qu’il faut vite combattre, car, mieux vaut prévenir que guérir, dit-on.

Aussi, faudra-t-il trouver des mécanismes adaptés pour renverser le paradigme d’exclusivité, de reproduction et de contamination des inégalités socio-politiques au Kasaï, lesquels mécanismes seront conçus en propositions et suggestions faites à tous les échelons de l’environnement socio-politique du Kasaï et de la RD Congo.

3.1. L’Etat congolais

En tant que principal acteur dans le développement de la Nation, nous lui recommandons :

§  De lutter contre la politique de l’administration des originaires ;

§  D’accorder à la décentralisation son vrai sens et veiller à son application correcte ;

§  D’éviter la politique des leaderships provinciaux dans la prise des décisions au sommet de l’Etat ;

§  De libérer le processus d’élections de tout carcan tribaliste et lui accorder son sens de transparence, de liberté et de démocratie ;

§  De libérer dans toutes les provinces, tous les postes politiques et administratifs de tutelle des leaders communautaires et politiques ;

§  De privilégier la méritocratie dans l’accession des postes politiques et administratifs ;

§  De veiller à la cohabitation pacifique des populations vivant au Kasaï ;

§  D’éradiquer le culte de tribalisme et des communautés de base, source des déséquilibres socio-politiques au Kasaï.

3.2. Aux communautés

§  Revenir à l’ancien système de la gestion consensuelle de la chose publique par toutes les communautés depuis l’Unité kasaïenne ;

§  Privilégier la réconciliation, le pardon mutuel et la cohabitation pacifique.

Conclusion

En guise de conclusion, les inégalités socio-politiques, culturelles et économiques qui gangrènent le tissu de la Province du Kasaï ne sont pas du tout incurables comme d’aucuns peuvent en penser. Il suffit seulement que les parties prenantes prennent conscience et se décident d’y travailler avec détermination.

D’une part, la politique de notre pays doit se défaire d’une politique politicienne et inégalitaire et d’autre part, les leaders communautaires doivent cesser d’être les échos de sirène des politiciens et se mettre au service de la communauté en luttant contre les antivaleurs qui ont élu domicile au Kasaï. C’est donc en ceci que peuvent se résumer les mécanismes d’inclusion et de cohabitation au Kasaï. 

Bibliographie

Haveaux, G.L. (1954). La tradition historique des Bapende orientaux, Mémoire, inédit.

Kâ Mana (2012). Réflexion sur l’invention et la refondation de l’Etat en RDC. Créer un nouvel imaginaire politique, Goma, Juin 2012.

Kabasu Babu Katulondi (2012). Gouverner une Province en RDC, Johannesburg : Ubuntu Pubications.

Kabongo Kanundowi, E. & Bilolo Mubabinge (sd). Conception bantu de l’autorité. P.U.A, Munich-Kinshasa.

Malemba N’sakila, G. (2013). Le choix d’appartenance au clan ou à la Nation et les rapports de pouvoir, in Identités, Ressources naturelles et conflits en RDC. Défis méthodologiques et voies de sortie. Paris : Harmattan.

PNUD (2018). Inégalités politiques, socioéconomiques et édification de la Nation/Etat en République Démocratique du Congo, Kinshasa.

Vansina, J. (1956). Migration au Kasaï, Bruxelles.