Pour une solution sociale à la délinquance juvénile en République Démocratique du Congo
Lupungu Lupungu
p.61-66
Vol. XXI, n°2, mars 2024
Résumé
La délinquance juvénile fait partie des problèmes auxquels font face les Etats modernes actuellement. On met en place des mesures pour venir à bout du phénomène, mais la situation ne fait que s’empirer. Ce qui est normal étant donné que parmi les facteurs de la délinquance, il y en a d’origine constitutionnelle et donc non modifiable. L’auteur propose la communautarisation de la protection de l’enfance comme alternative aux modèles judiciaires.
Introduction
La problématique de la délinquance juvénile n’est ni neuve, ni propre à la R.D.C. Elle est une préoccupation sociale et partant, un problème politique constant. Moins constants sont les divers regards qui, au fil des années, ont été portés sur ce phénomène.
Dans un premier temps, je me propose de brosser à gros traits les diverses étapes législatives et les philosophies qui les sous-tendent et se sont succédé depuis le début du XXème siècle jusqu’à la récente réforme.
Dans un second temps, je donnerai un aperçu de la nouvelle loi relative à la protection de la jeunesse, dans le souci d’éclairer le lecteur soucieux d’approcher les derniers développements d’une législation particulièrement complexe.
La montée de la délinquance juvénile à Kinshasa et dans certaines grandes villes de la RD Congo constitue un vif sujet d’inquiétude au quotidien. La forme la plus courante de cette délinquance est connue sous le label de « Kuluna » à Kinshasa notamment. Armés de machettes, burins, canifs et autres, des jeunes gens commettent des actes de vandalisme et sont à la base des vols avec violence dans les différentes agglomérations du pays.
Quelle explication donne-t-on aux difficultés des délinquants, à leur vulnérabilité, à leurs carences, à leurs déviations ?
Quelles réponses la RD Congo décide-t-elle d’apporter au phénomène afin endiguer l’insécurité qu’il maintient et maintenir l’ordre social ?
1. Quelques facteurs de la délinquance juvénile
Il s’agira dans ce point, de montrer les facteurs ou les motivations génératrices de délinquance. Il faut dire que ces facteurs varient d’une société à une autre. Cela se passe dans les réalités sociales dans lesquelles les enfants évoluent, et qui peuvent faire qu’un comportement ou un autre soit fréquemment adopté par ces derniers.
1.1. La pauvreté
Ce motif a été le plus soulevé et les enquêtes ont relevé des cas des enfants qui quittent leurs maisons avec la bénédiction des parents. C’est le cas de deux enfants d’une même famille dans la Commune de Katuba, alors que leur père avait perdu son emploi à la Gécamines, il a commencé à mener une vie difficile. Le père ne pouvant plus garantir la ration à ses enfants, il a autorisé ces enfants, non seulement à aller travailler dans la rue pour soutenir les finances du ménage et également pour y passer la nuit.
La pauvreté de la famille peut donc générer les criminels. Il est évident de constater que ce sont les enfants des pauvres qui constituent la grande majorité des enfants dits de la rue. Il y a donc une négligence consentie des parents qui amène les enfants à se créer eux-mêmes le cadre éducatif, où ils agissent eux-mêmes et d’où se développe la délinquance.
1.2. La maltraitance
Nous avons groupé dans cette rubrique toute sorte de traitement subie par les enfants au niveau de famille sensée les protéger. Cela varie de la privation de la nourriture, au renvoi du domicile en passant par l’enfermement des enfants dans le congélateur. Donc à ce niveau, ce sont plutôt les enfants de la rue qui apparaissent en tête de fil avec 14,6% contre 12% des enfants dans la rue.
Le décès d’un de parent ou la séparation des parents et l’abandon par les parents dans une famille recomposée ; la recherche d’un revenu ; « la sorcellerie », etc. sont à la base de la maltraitance des enfants, auxquels il faut ajouter les dispositions personnelles de l’enfant comme la brutalité, la kleptomanie, les envies, le mensonge, l’insolence, etc.
2. Quelques modèles de la protection de l’enfant
2.1. Le modèle pénal
En RDC ancien Congo Belge, jusqu’en 1985, les jeunes délinquants n’ont pas vraiment de statut pénal particulier. La responsabilité pénale étant fondée sur le libre arbitre, la réaction sociale à la commission d’une infraction est déterminée par la gravité logique punitive de culpabilité et de répression seulement atténuée par la circonstance atténuante liée au degré de discernement du coupable.
Ce modèle tend à ne satisfaire que la société qui reçoit réparation à travers la sanction infligée. Il ne rencontre ni l’attente de la victime dans son besoin de reconnaissance, ni le souci de sécurité. La question de la réintégration de l’auteur des faits qui revient à la société après avoir purgé sa peine, n’est pas réglée par ce modèle. En conséquence, l’ancien condamné rentre dans la société avec les mêmes problèmes qui ont causé sa délinquance.
La délinquance et la criminalité sont en accroissement constant. Le système pénitentiaire n’amende pas les jeunes coupables. La force est dès lors, de constater que modèle pénal est un échec.
2.2. Le modèle protectionnel
La loi sur la protection de l’enfant
Au début du XXème siècle, la R.D. Congo actuel connait un fort développement des sciences humaines et évolue dans un contexte socio-économique favorable pour une classe bourgeoise dominante mais défavorable pour la classe laborieuse trop souvent stigmatisée en classe dangereuse.
Pour la plupart issus de cette classe laborieuse, de nombreux enfants sont moralement et matériellement abandonnés et deviennent des « recrus potentiels » pour l’armée, le vagabondage, la prostitution et le crime. Dans ce contexte, la société congolaise va percevoir le jeune comme une source d’insécurité parce qu’il est un individu vulnérable, lui-même victime d’une société inégalitaire.
L’Etat doit se donner le droit d’intervenir dans les familles, de protéger, de placer en institution dans le souci de rééduquer pour empêcher toute dérive future. Le législateur va donc s’atteler à élaborer une autre politique de la jeunesse axée sur la prévention et l’éducation pour reformer les penchants vicieux alors qu’il est encore temps de les combattre.
La première loi générale applicable aux mineurs ou aux enfants en R.D. Congo jette les bases du modèle protectionnel. Pour la première fois, le législateur institutionnalise le juge des enfants, évoque la déchéance de la puissance paternelle, instaure l’irresponsabilité pénale de moins de 16 ans, qu’il soit ou non donné de discernement, et prône les mesures de garde, de préservation ou d’éducation.
La loi du 10 janvier 2009 s’applique depuis maintenant une dizaine d’années. Au fil, de ces années, le contexte socio-économique congolais se modifie profondément, et le législateur, influencé par le discours de la psychologie et des sciences sociales sur les causes et traitement de la délinquance juvénile, développe davantage sa logique protectionnelle. Il vote une nouvelle loi pour l’enfance, dont le centre de gravité sera « le mineur en danger.
Dans ce courant protectionnel, le législateur invite la société à ne pas réagir à la délinquance juvénile en fonction de la gravité du fait commis mais en raison des facteurs endogènes et exogènes qui ont influencé le comportement du mineur et dans le seul intérêt de celui-ci.
Qu’il soit indiscipliné, victime d’un milieu familial déficient, vagabond ou délinquant, le jeune est perçu comme inadapté aux conditions de vie qui lui sont imposées par la famille de par son éducation. La loi va instituer une réelle collaboration entre le social et le judiciaire pour enrayer les déficiences familiales et empêcher la délinquance juvénile. Elle agit sur les causes sociales en accentuant la prévention, l’accès aux services sociaux, psychologiques et médicaux, et en intervenant dans et à travers la famille (protection sociale).
En cas de refus d’aide ou d’insuccès, la loi prévoit l’intervention du tribunal pour enfant (protection judiciaire) qui pourra prendre à l’égard du mineur et dans son intérêt, des mesures contraignantes de garde, de préservation et d’éducation.
La mise en œuvre de la loi du 10 janvier 2009 fait l’objet de nombreuses critiques :
§ Une judiciarisation excessive au détriment des réponses sociales et préventives ;
§ Une approche paternaliste des décisions (« j’agis pour ton bien ») au détriment des droits des jeunes, les enfants et leur famille ;
§ Déplacements excessifs, alors que la loi préconisait une solution dans et à travers la famille ;
§ Un amalgame entre mineur « victime » et mineur « délinquant ».
3. Vers la communautarisation de la protection de la jeunesse
La fédération de l’Etat congolais va largement modifier le paysage institutionnel de la R.D. Congo et contribuer à la réforme de la loi ancienne. Désormais, les communautés sont compétentes pour « exercer le rôle premier et central dans le domaine de la protection de l’enfant.
Elles sont chargées, chacune à sa manière, d’apporter l’aide nécessaire à la jeunesse en danger et en difficulté. Tous les mineurs délinquants sont donc traités selon la même norme, tandis que les mineurs en danger ou en difficulté sont pris en charge, par les services et selon les règles de sa propre communauté.
La délinquance juvénile inquiète. Les faits répréhensibles sont de plus en plus graves. Ceux qui les commettent sont de plus en plus jeunes. Les parquets sont surchargés, les policiers démotivés, les jeunes déresponsabilisés, les victimes incomprises. A nouveau, la société perçoit les jeunes comme facteur de risque et d’insécurité qu’il s’agit de « contrôler ». La loi de 2009 n’apporte pas les bonnes réponses.
Devant ces difficultés, tout le mone s’accorde sur la nécessité de réformer la loi. Dans la nouvelle loi le mineur de plus de 14 à 17 ans doit être entendu personnellement par le juge de l’enfant avant toute mesure. Cette obligation cesse si le mineur n’a pu être trouvé ou si son état de santé s’y oppose ou s’il refuse de comparaître. Il y a une motivation accrue de décision. Il y a aussi droit d’office dès la phase préparatoire à l’assistance d’un avocat. Le mineur a le droit de le consulter avant de participer à la médiation. Si le mineur n’a pas fait le choix d’un conseil, il lui en sera désigné un d’office par le Bâtonnier de l’ordre des avocats ou le Bureau de consultation gratuite ou aussi le tribunal pendant audience tenante.
A côté de la déchéance de l’autorité parentale et de la tutelle aux prestations familiales ou autres allocations sociales, la nouvelle loi devra envisager la formation des parents. Cette mesure a pour objectif de faire prendre conscience aux parents de leur rôle et de les contraindre à assumer pleinement l’éducation des personnes dont ils ont la charge.
Conclusion
Nous sommes parti du constat selon lequel de nos jours, le problème de la délinquance juvénile se pose avec beaucoup d’acuité dans le monde en général et en particulier en R.D. Congo. Les jeunes emportés par l’agitation, le plaisir d’être vite satisfaits, fournissent de moins en moins d’effort devant les difficultés de la vie, se laissent dans la facilité qui les pousse à se livrer dans des pratiques peu honorables qui finissent à la délinquance dont l’une des conséquences est l’augmentation du nombre d’infractions commis par les jeunes gens qui fait intervenir la question d’enfant en conflit avec la loi.
La discussion autour de la question montre que, ce phénomène résulte d’un ensemble de facteurs que nous regroupons en trois grands groupes : les facteurs liés à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, les facteurs familiaux et les facteurs sociaux. Pour donner des réponses efficaces à ce phénomène, il y a également plusieurs mesures à envisager : des mesures juridiques et judiciaires, sociales et religieuses.
Bibliographie
Kubuyi, G. (2014). Criminologie générale. Notes de cours G3 Droit UNILU, inédit.
Likulia Bolongo (1985). Droit pénal spécial Zaïrois, Paris : Harmattan.
Lupungu Lupungu (2018). L’analyse descriptive sur les causes de la délinquance juvénile dans la ville de Lubumbashi, Mémoire de licence en Droit, Université de Lubumbashi, inédit.
Tultkens, Fr. et Moreau, Th. (2000). Le Droit de la jeunesse en Belgique. Bruxelles : Larcier.