Les facteurs de fistules obstétricales prises en charge à l’Hôpital Général de Référence de Tshikapa en 2022


p.99-108

Vol. XXI, n°2, mars 2024

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Résumé

La RD Congo s'est engagée dans une campagne de chirurgie des fistules à travers diverses activités, soutenues par ses partenaires techniques et financiers. Durant l’année 2022, au moins 50 nouveaux cas des fistules ostétricales ont été recus et pris en charge à l’HGR Tshikapa avec l’appui de l’UNPA.

La majorité de ces cas proviennaient des milieux ruraux où les soins obstétricaux sont très précaires, et des familles à très faible revenu. Les circonstances de survenue sont : l’accouchement dystocique à 80% ; le traumatisme obstetrical 18% et les causes non élucidées 2%.

Introduction

Au monde, l'organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 2 millions de jeunes femmes à travers le monde vivent avec une fistule non traitée et que 50.000 à 100.000 nouvelles femmes sont touchées chaque année. La grande majorité des cas est recensée en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est (OMS, 2014).

Selon l'OMS, environ 800 femmes meurent chaque jour dans le monde du fait de complications liées à la grossesse ou à l'accouchement. La quasi-totalité de ces décès (99%) se sont produit dans des pays en voie de développement, dont plus de la moitié en Afrique subsaharienne (57%), ce qui fait de l'Afrique la région du monde où le ratio de mortalité maternelle est le plus élevé (OMS).

On estime à environ 2 à 3,5 millions, le nombre de femmes souffrant de manière permanente des problèmes liés à la Fistule Obstétricale dans les pays en voie de développement, avec 50 000 à 100 000 nouveaux cas chaque année.      Pratiquement éradiquée dans les pays développés, la Fistule Obstétricale continue à faire des ravages dans les pays pauvres notamment ceux de l'Asie et de l'Afrique subsaharienne (OMS Ibidem).

En Afrique subsaharienne, deux accouchements sur 100 se compliquent du fait d’une fistule obstétricale, elle reste la zone la plus touchée par ce fléau (UNFPA, 2013).

Dans les pays à faibles ressources, où l’accès aux soins pendant l’accouchement reste restreint, les fistules sont dues à un travail prolongé ou à une dystocique, survenant le plus souvent lorsque la tête du fœtus se coince dans le petit bassin de la mère, coupant ainsi le flux sanguin vers les tissus environnants. Cette ischémie prolongée peut évoluer vers la nécrose tissulaire dont la chute conduit à la formation de la fistule (UNFPA Idem).

Au Sénégal où l’incidence est estimée à 400 nouveaux cas par an, la fistule obstétricale touche la femme jeune en pleine activité génitale avec prédominence en milieu rural (Lansac et coll., 2006).

Au Cameroun, c'est plus de 19 000 femmes qui souffrent de fistule obstétricale ; la majeure partie se trouvant dans la région de l'extrême-nord (Tebeu, 2008).

Les impacts liés à la fistule obstétricale sont d'une part des conséquences anatomo-fonctionnelles (infections à répétition, stérilité, infirmité sexuelle, incontinence urinaire et/ou fécale). D'autre part des conséquences sociales telles que l'exclusion sociale, le rejet par le mari, la stigmatisation, discrimination et une pauvreté iatrogène sont remarquables (Kaboré et coll. 2014).

En RDC, la majorité de cas des fistules obstétricales surviennent à la suite des dystocies, caractérisées par un travail prolongé, sans possibilité de césarienne. Ce fait est en relation directe avec la sous-médicalisation, la pauvreté et la situation de guerre.

L’incidence exacte des fistules reste difficile à apprécier car les données statistiques concernant l’ampleur de l’affection sont difficiles à déterminer avec certitude, compte tenu de l’absence d’enquêtes épidémiologiques appropriées (Minisante, 2005).

L’Enquête Démographique et de Santé (EDS) de 2007 indique que 0,3% des femmes déclarent avoir déjà présenté des symptômes de la fistule. Les fistules obstétricales sont un fléau persistant malgré les campagnes de préventions et d’éradication comme le constate le rapport d’évaluation du Fonds des Nations Unies pour la Population en 2003.

Les femmes ayant des fistules vivent souvent dans des conditions difficiles associées, qui découlent soit de la fistule elle-même, soit du travail prolongé (UNFPA, 2003).

Les conséquences les plus évidentes sont l´incontinence, soit urinaire, soit fécale ou encore les deux. La fuite constante d´urines et de fèces peut également entraîner des dommages à la vulve et les cuisses (UNFPA, 2010).

Les fistules conduisent à l’ostracisme social et à la stigmatisation.   Beaucoup de séries de cas montrent des taux élevés de divorce ou de séparation conjugale, l’absence de rapports sexuels, la perte de fertilité, l’aménorrhée et la dépression chez les femmes fistuleuses.

Les fistules affectent dans la majorité des cas des femmes jeunes. Celles-ci sont le plus souvent à leur première grossesse qui, à l’issue d’une dystocie, débouche sur la mort du fœtus.

La ville de Tshikapa n’est pas épargnée par cette situation qui se fait sentir avec acuité. Notre préoccupation dans la présente étude est de faire une sorte d’épidémiologie de la fistule dans la Ville de Tshikapa. Ainsi, nous nous proposons de répondre à la question principale suivante : quels sont les facteurs sociodémographiques déterminants des femmes fistuleuses soignées à l’HGR de Tshikapa ?

1. Les stratégies de la prévention des fistules obstétricales

La fistule obstétricale (FO) est une lésion du tissu pelvien causée par un accouchement prolongé et difficile. En l'absence de soins obstétricaux appropriés pour y remédier (Mbungu, 2015) déclare qu’Il se crée ainsi un orifice entre le vagin et la vessie ou le rectum, voire les deux. Cette dernière provoque une incontinence urinaire et/ou fécale chronique, ayant des effets nocifs sur la vie sociale et l’état de santé de la femme.

Les recommandations pour prévenir les Fistules Obstétricales sont de trois types :

Stratégies de prévention primaire

Les préventions primaires visent à garantir que les grossesses soient planifiées, désirées et arrivent au bon moment dans la vie de la femme. Elles sont fondées sur les principes d’éducation et de promotion de la santé développées pour garantir que toutes les femmes, leur famille et toute la société comprennent la nécessité de retarder l’âge de la première grossesse, ainsi que les avantages de l’espacement des naissances et de l’accès à la planification familiale.

Stratégies de prévention secondaire

Une fois qu’une jeune fille ou une femme est enceinte, elle, sa famille et la communauté doivent être conscientes qu’il est nécessaire de faire plusieurs choses : recourir aux consultations prénatales, être assistée par un personnel compétent lors de l’accouchement, et connaître les signes et symptômes des problèmes pouvant survenir pendant la grossesse et l’accouchement, tels que le travail prolongé.

Pour ce faire, il faut sensibiliser la communauté, développer la formation des matrones, améliorer les connaissances des femmes sur la grossesse et l’accouchement normal et leur apprendre à recourir à bon escient aux services de santé. Cependant, l’amélioration des connaissances n’est pas suffisante. Il est primordial que les femmes puissent facilement avoir accès à une unité locale de soins obstétricaux.

Pour réduire la mortalité maternelle et prévenir la formation de fistule obstétricale, il est très important d’une part de s’assurer que les femmes sont assistées par un personnel compétent pendant l’accouchement, et d’autre part accès à des soins obstétricaux complets (FNUAP, 2005).

Stratégies de prévention tertiaire

Ces stratégies sont conçues pour identifier et prévenir le développement d’une fistule obstétricale pendant le travail ou chez des femmes à risque qui ont accouché récemment.

Elles comprennent le monitorage du travail par l’utilisation du partogramme, pour repérer les femmes à risque et les transférer rapidement, dans le cas où les services ne sont pas disponibles sur le site, vers un centre obstétrical offrant des soins d’urgence complets, incluant la césarienne et l’extraction instrumentale.

2. Méthodologie du travail

Cette étude a eu lieu à l’hôpital général de référence de Tshikapa, crée vers les années 1930 par la société Forminière, avec une capacité d’accueil de 370 lits. Cet hôpital est situé au quartier hôpital, Commune de Dibumba I, ville de Tshikapa, Province du Kasaï en République Démocratique du Congo. La population de cette étude est constituée de 50 femmes ayant consulté le service de l’HGR Tshikapa, pour les cas de fistules obstétricales durant l’année 2022.

Pour y trouver les informations nécessaires à cette étude, nous avons utilisé la méthode d’enquête rétrospective, appuyée par la technique d’analyse documentaire. Concrètement, nous avons parcouru le registre et les fiches des malades dans le service de gynéco-obstétrique, afin d’identifier les cas de fistules, ressortir les principaux déterminants en fonction de la conduite thérapeutique appliquée pour chaque cas.

3. Résultats de l’enquête

Tableau n°1. L’âge des femmes fistuleuses

Tranche d’âge

fréquence

Pourcentage

22- 28 ans

29

58,0

29-34 ans

18

36,0

35-41 ans

3

6,0

Total

50

100,0

Ce tableau révèle que les enquêtées de la tranche d’âge de 22-28 ans sont plus observées avec 58% suivi de celles de 29-34 ans avec 18 cas soit 36% et celles de 35-41 ans qui sont moins représentées avec 6%.

Tableau n°2. La parité des femmes fistuleuses 

Parité

fréquence

Pourcentage

Primipare

7

14,0

Paucipare

17

34,0

Multipare

26

52,0

Total

50

100,0

Ce tableau stipule que la majorité des enquêtées sont des multipares avec 52, 0%, suivies de paucipares avec 34,0%, enfin les primipares 14,0%.

Tableau n°3. La situation matrimoniale des sujets d’enquête

Situation matrimoniale

fréquence

Pourcentage

Mariée

29

58,0

Célibataire

7

14,0

Veuve

5

10,0

Divorcée

9

18,0

Total

50

100,0

 

Ce tableau révèle que la plupart des enquêtées sont des mariées avec 58%, suivies de divorcées avec 18 %, les célibataire ont représenté 14%, et enfin les veuves 10%.

Tableau n°4. Le niveau d’étude des sujets

Niveau d’étude

fréquence

Total

Sans niveau

8

16,0

Primaire

28

56,0

Secondaire

11

22,0

Supérieur

3

6,0

Total

50

100,0

 

Ce tableau renseigne que la majorité des enquêtées était du niveau primaire, soit 56%, suivies de celles du niveau secondaire avec 22%, %celles n’ayant pas un niveau 8 % et supérieur 6%.

Tableau n°5. Le statut socioéconomique des sujets

Statut

fréquence

Pourcentage

Bas

38

76,0

Moyen

10

20,0

Plus ou moins élevé

2

4,0

Total

50

100,0

 

Il ressort ce tableau que les enquêtées du statut socio-économique bas prédominent avec 76%, par rapport à ceux du statut moyen avec 20% et le statut plus ou moins élevé 4%.

Tableau n°6. La voie d’accouchement au moment de la fistule

Voie d’accouchement

fréquence

Pourcentage

Basse

13

26,0

Haute

37

74,0

Total

50

100,0

Ce tableau révèle que la majorité des enquêtées ont connu une fistule après un accouchement par voie haute à 74%, et par la voie basse à 26%.

Tableau n°7. La circonstance de survenu

Circonstance

fréquence

Pourcentage

Accouchement dystocique

40

80,0

Traumatisme obstétrical

9

18,0

Cause non élucidée

1

2,0

Total

50

100,0

 

Il se dégage dans ce tableau que les enquêtées ayant connu une fistule après un accouchement dystocique représentent 80%, par ailleurs le traumatisme obstétrical a été identifié avec 18%, et les causes non connues avec 2%.

Tableau n°8. La situation psychosociale des sujets avoir contracté la fistule

Situation

fréquence

Pourcentage

Vit en famille et acceptée

35

70,0

Vit en famille stigmatisée

6

12,0

Divorcée

9

18,0

Total

50

100,0

Les résultats de ce tableau révèlent que la majorité des enquêtées ayant connu une fistule obstétricale vivant en famille représentent 70%, Celles qui ont connu le divorce 18%, et celles qui sont stigmatisées par leurs familles sont à 12%.

 

 

Discussion des résultats

Les résultats du tableau n°1 révèlent que les enquêtées de la tranche d’âge de 22-28 ans sont plus observées avec 58% suivi de celles de 29-34 ans avec 18 cas soit 36% et celles de 35-41 ans qui sont moins représentées avec 6%.

Ceci se justifie par le fait que les femmes de la tranche d’âge de 22 à 28 ans sont sexuellement actives et reproductives et la multiplicité des accouchements parfois trop rapprochés, peuvent conduire facilement aussi des fistules. Ces résultats partagent le même point de vue avec Lansac et coll. (2006), qui soulignent que la fistule obstétricale touche souvent la femme qui est encore en pleine activité génitale.

Le tableau n°2 stipule que la majorité des enquêtées sont des multipares avec 52, 0%, suivies de paucipares avec 34,0%, enfin les primipares 14,0%. La multiparité est considérée comme un facteur majeur dans la survenue des fistules obstétricales. Ceci s’explique par le fait que les femmes victimes des fistules ont eu à rencontrer non seulement des grossesses précoces mais également rapprochées qui occasionnent des fistules.

Quant à ce qui concerne le tableau n°3, les résultats montrent que la plupart des enquêtées sont des mariées avec 58%, suivies de divorcées avec 18%, les célibataires ont représenté 14%, et enfin les veuves 10%.  Ceci se justifie par le fait, les mariées sont en activité sexuelle quotidienne et régulière et tombent facilement enceinte, par rapport aux célibataires qui ont de rapports sexuels occasionnels ou circonstanciels.

Le tableau n°4 renseigne que la majorité des enquêtées était du niveau primaire, soit 56%, suivies de celles du niveau secondaire avec 22%, %, celles n’ayant pas un niveau, 8% et supérieur 6%. Ceci s’explique par le fait que la plupart des femmes Kasaïennes liées par leurs coutumes préfèrent bien se marier en lieu et place des études.

Le niveau d’étude bas constitue un facteur précurseur des fistules obstétricales car les femmes moins instruites recourent difficilement aux services prénataux et rejettent toutes bonnes pratiques qui préviennent les fistules obstétricales.

 

Eu égard au tableau n°5, Il ressort que les enquêtées dont le statut socio-économique bas prédominent avec 76%, par rapport à ceux du statut moyen avec 20% et le statut plus ou moins élevé 4%. Ceci se justifie par le fait que les femmes à faible revenu ont de grand problème pour consulter le service gynécologique, sachant que la présence dans une formation sanitaire oblige toujours la présence de l’argent pour payer la fiche de CPN, les examens…, elles se voient incapables sur le plan financier.

Ces résultats soutiennent l’idée de l’UNFPA (2010) qui souligne que, les pays à faibles ressources rencontrent des difficultés d’accès aux soins pendant la grossesse et l’accouchement. Les fistules sont dues à un travail prolongé ou dystocique, survenant le plus souvent lorsque la tête du fœtus se coince dans le petit bassin de la mère coupant ainsi le flux sanguin vers les tissus environnants.

En ce qui concerne le tableau n°6, Il ressort que la majorité des enquêtées ont connu une fistule après un accouchement par voie haute à 74%, et par la voie basse à 26%. Ces accouchements qui surviennent dans des conditions déplorables et difficiles, parfois dirigés par des personnes non qualifiées, entrainent facilement des complications dont les fistules. Et certaines césariennes se font sans indication thérapeutique, mais également sont mal pratiquées et laissent les séquelles à la mère qui devient esclave des linges à la suite de l’incontinence de liquide par communication pathologique entre deux orifices.

Concernant le tableau n°7, Il se dégage un constat selon lequel les enquêtées ayant connu une fistule après un accouchement dystocique représentent 80%, par ailleurs le traumatisme obstétrical a été identifié avec 18%, et les causes non connues avec 2%.  Les structures des soins ne réunissent pas le minimum de conditions, pour aider correctement la femme en cas d’une dystocie. Raison pour laquelle la plupart des cas finissent toujours par des complications de fistules même après une intervention chirurgicale.

Les résultats du tableau n°8 révèlent que la majorité des enquêtées ayant connu une fistule obstétricale vivent en famille (70%), celles qui ont connu le divorce représentent 18%, et celles qui sont rejetées par leurs familles sont à 12%. La raison majeure de toutes ces difficultés reste l’inconfort de la victime de fistule, qui n’arrive plus à s’épanouir et à satisfaire correctement le désir de son partenaire. Cette observation a été aussi faite par Mbungu (2015), qui affirme que la fistule provoque une incontinence urinaire et/ou fécale chronique, avec des effets nocifs sur la vie sociale et l’état de santé de la femme.

Conclusion

La fistule obstétricale est une réalité dans la Ville de Tshikapa. Les autorités sanitaires du pays, doivent très vite organiser des sessions de formation pour le renforcement de capacité des prestataires, sur la prévention et la prise en charge intégrée des fistules obstétricales.

Les supervisions des établissements des soins de santé doivent être régulières pour s’assurer de la qualité des soins dispensés. Enfin, il faut organiser des campagnes de sensibilisation à l’attention des femmes sur la prévention des fistules obstétricales.

Bibliographie

Camey, M. (1998). Les fistules obstétricales. Paris : Editeur Progrès en Urologie.

Kabore, A.F. et coll. (2014). Aspects épidémiologiques, étiologiques et impact psychosocial des fistules urogénitales dans une cohorte de 170 patientes consécutives, prises en charge dans trois centres du Burkina Faso de 2010 à 2012.

Lansac, J. et coll. (2006). Pratique de l’accouchement. Paris : Masson.

Mbungu, R. (2015). Obstétrique : Grossesse normale et accouchement eutocique. Notes de cours D1BM, inédit.

Ministère de la Santé (2005). Rapport sur l’estimation de l’ampleur et des besoins sur les fistules urogénitales en RDC. Kinshasa : Programme National de Santé de la Reproduction.

Ndiaye, R. (2012). Facteurs sociodémographiques et prise en charge des fistules obstétricales au Sud-Est du Sénégal.

Tebeu, PM. (2008). Connaissance, attitude et perception vis-à-vis des fistules obstétricales par les femmes camerounaises Une enquête clinique conduite à Maroua, capitale de la province de l'Extrême-nord du Cameroun. Elsevier : Masson.

UNFPA (2005). La fistule obstétricale. Rapport d’évaluation des besoins : leçons tirées de 9 pays Africains. New York : UNFPA.

UNFPA (2010). Conséquences psychosociales des fistules obstétricales au Togo et capacités de prise en charge dans les communautés.