Les conséquences du silence du législateur congolais concernant la prise en charge de la victime de viol après la condamnation de l’auteur


Richard Kabeya Lobo

p.33-38

Vol. XXI, n°2, mars 2024 

Télécharger Pdf 

Résumé

L’intérêt majeur de cette étude que nous avons l’honneur de rendre publique est de rappeler le législateur congolais que, dans son combat de lutter contre les violences sexuelles, l’aspect prise en charge de la victime n’a pas été prise en compte. La seule brèche accordée aux victimes pour solliciter les dommages et intérêts, notamment, la constitution de la partie civile devant la juridiction militaire, fait planer plusieurs zones d’ombre dans le sens que, la plupart des victimes des violences sexuelles, n’ont pas de moyens pour se conformer à cette exigence procédurale.

Introduction

La République Démocratique du Congo se considère un état de droit aux termes de sa Constitution telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006. Elle réaffirme son rattachement aux droits humains en éliminant toutes les formes des violences sexuelles et veille au respect des instruments juridiques nationaux comme internationaux projetés des droits de l’homme tels que coulés dans le Statut de Rome de 1998 entré en vigueur le 1er juillet 2002, lequel Statut a créé la Cour Pénale Internationale.

Actuellement, les instruments juridiques internationaux ont imposé une innovation qui fait des infractions des violences sexuelles imprescriptibles sur le plan tant national qu’international et leurs auteurs sont sévèrement sanctionnés conformément à cette Constitution du 18 février 2006 en ses articles 11, 12 et 15.     La sagesse de ces dispositions stipule que la République Démocratique du Congo garantit les droits humains et élimine toute forme des violences sexuelles.

Les lois n°06/018, n°06/019 du 20 juillet 2006 et 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, toutes les trois relatives aux violences sexuelles sont des preuves que la République Démocratique du Congo accorde beaucoup d’intérêt et lutte efficacement contre ces fléaux des violences précitées.

Notre problématique ne réside pas aux légiférations des lois relatives aux violences sexuelles. Mais plutôt au silence du législateur congolais face à la non-prise en charge des victimes de ces fléaux après la condamnation du bourreau ou de l’auteur de ce forfait (violence sexuelle), c'est-à-dire, l’application rigoureuse de la loi à l’encontre des auteurs des violences sexuelles qui abandonnent à mi-chemin la victime de celle-ci, si elle ne s’est pas constituée partie civile.

En plus, la lecture combinée des articles 77 et 226 du Code Judiciaire Militaire de la Loi n°023/2002 du 18 novembre 2002, stipule que : l’action pour la réparation du dommage causé par une infraction relevant de compétence des juridictions militaires peut être poursuivie par la partie lésée en se constituant partie civile en même temps et devant le même juge de l’action publique saisie car, une loi douce qui ne rencontre pas les réalités sociales devient une loi désuète.

De l’analyse de ces deux dispositions, il est évident que les victimes des violences sexuelles devant les juridictions militaires ne sont considérées que s’ils se sont constitués parties civiles, c'est-à-dire en consignant des frais y relatifs. Faute de quoi, ils seront entendus comme des simples renseignant, et la condamnation qui sera rendue ne fera pas mention des dommages et intérêts en faveur de la victime.

Notre préoccupation majeure dans cette réflexion est de décortiquer les conséquences du silence du législateur congolais sur la prise en charge des victimes des violences sexuelles après la sanction de l’auteur des faits dès lors qu’il ne s’est pas constitué partie civile.

1. Les conséquences du silence de législateur face à la non- prise en charge des victimes des violences sexuelles

La matière des violences sexuelles a une histoire. Il s’agit des guerres successives qu’a connues notre pays avec le viol commis depuis l’entrée massive en République Démocratique du Congo des réfugiés rwandais en 1994, jusqu’aux conflits ethniques dans la partie Est du pays, en passant par les guerres à répétition dites « de libération » (RDC, MLC, CNDP, M23, etc.).

Les violences sexuelles en général entraînent plusieurs chocs graves tels que le banditisme psychologique, la fragilité, les blessures, tentative de suicide, la baisse de rendement, l’auto-exclusion, la grossesse non autorisée, les infections sexuellement transmissibles, les IST, le VIH/SIDA, le divorce, l’agitation, la mort pour ne parler de ces cas.

Dans tout ceci, le bourreau se voit lourdement infligé la peine. Tandis que, la personne qui a subi la négativité de ces comportements se retrouve sans assistance juridique ou judiciaire parce que la peine qui a sanctionné l’acte de viol ne rétablit pas la victime traumatisée dans ses droits. Faudrait-il recourir aux juridictions de droit commun pour entamer la procédure. Ce long processus fatigue la partie civile et très souvent, elle abandonne la procédure.

Malgré les modifications et les compléments des décrets de 1940 et 1959 portant respectivement le Code Pénal et de la Procédure Pénale Congolaise par les lois 06/018, 06/019 et 09/001, toutes relatives aux violences sexuelles, la prise en charge de la victime n’a pas été prise en compte par ces innovations juridico-judiciaires ; ce qui fait que, en son temps, seule la femme était victime des violences sexuelles et seul le sexe était l’organe ciblé par le législateur.

A ce jour, avec ces innovations, toutes les personnes des sexes différents peuvent faire l’objet des violences sexuelles et plusieurs d’autres orifices du corps humains sont ciblés pour déduire les actes des violences sexuelles. Notamment, les oreilles, la bouche ou l’attachement de certaines zones sacrées du corps.

Mais alors, depuis le décret de 1940 en passant par les apports juridiques nés des réformes et d’innombrables innovations qu’a connu notre décret, nulle part, le législateur congolais n’a songé à l’avenir de la victime d’actes des violences sexuelles.

N’ayant pas des orientations juridiques, certaines victimes des actes des violences sexuelles préfèrent des arrangements à l’amiable en lieu et place du procès, car selon elles, la longue procédure en la matière qui exige de gros moyens financiers aboutissent très souvent au non-recouvrement des dommages et intérêts. Les hommes en uniforme notamment les soldats des Forces Armées de la République Démocratique du Congo et les policiers en font également lois dans plusieurs zones des conflits en instrumentalisant les violences sexuelles comme armes de guerre. Tels que décrié par le Docteur MUKWEGE de l’Hôpital Panzi de Bukavu. 

Les problèmes juridiques rencontrés relatifs au silence du législateur face aux intérêts de la victime des violences sexuelles qui ne s’est pas constituée partie civile.

La loi congolaise relative aux violences sexuelles n’a pas prévu de manière textuelle un mécanisme de prise en charge des victimes des violences sexuelles. Ce qui constitue un grand obstacle pour les juridictions militaires à pouvoir y statuer aisément.  Aussi, la peine privative de liberté infligée à l’auteur des violences sexuelles et les amendes que le juge prononce à son encontre n’est pas à l’avantage de la victime de viol qui ne s’est pas constituée partie civile devant les juridictions militaires (Museme, 2016).

En conséquence, tout délinquant habitué à la peine privative de liberté et amende ne se rendra pas compte de la charge financière sur son patrimoine aussi longtemps que la victime ne s’est pas constituée partie civile devant la juridiction militaire. Pareille disposition ne permet pas l’éradication sur le territoire congolais, des infractions des violences sexuelles telles que le veut le législateur. (Rubens, 1978) 

Après l’analyse des conséquences du silence de la législation congolaise lié à la prise en charge des victimes, il nous parait important d’aborder les perspectives dans le point qui suit. 

2. Les perspectives

Au-delà de toutes les considérations relatives à la défaillance due au silence du législateur congolais tel que constaté, particulièrement à pouvoir textualiser un mécanisme juridico-judiciaire pour la réglementation de la prise en charge des victimes des violences sexuelles, notre optique dans le cas d’espèce est de demander au législateur ce qui suit :

§  Associer certains collectifs des victimes des violences sexuelles dans la légifération des textes légaux en vue d’apporter la solution attendue par cette catégorie des personnes qui se sentent non concernées par les réformes des lois relatives à ces fléaux (violences sexuelles), notamment les lois n°06/018, 06/019 et 09/001 qui n’a fait qu’aggraver la situation ;

§  Créer les cellules de prise en charge psycho-sanitaires des victimes ;

§  Modifier la loi n°023/02 du 18 novembre 2022 portant Code Judiciaire Militaire spécialement en ses articles 77 et 226 relatifs à la Constitution de la partie civile et l’allocation des dommages et intérêts devant les juridictions militaires, car ces derniers ont trop de limites.   Au besoin, inclure l’allocation d’office des dommages et intérêts à la compétence des juridictions militaires en vue de compenser tant soit peu les douleurs des victimes dépourvus des moyens financiers relatifs à la Constitution de la partie civile ;

§  Créer un cadre de concertation juridique constitué des juristes, membres de la société civile locale, et les victimes pour favoriser la sensibilisation communautaire relative à la confiance de la population à l’égard du législateur qui semble être boudé ;

§  Créer des centres d’apprentissage des métiers aux victimes des violences sexuelles pour leur permettre à s’intégrer à la société qui les avait rejetés. 

Conclusion

Cette étude a été centrée sur le rappel relatif au mutisme (silence) du législateur congolais au sort d’une victime des violences sexuelles qui ne s’est pas constituée partie civile devant une juridiction militaire.

Dans ce travail au-delà d’un désir réel lié à un plaisir sincère de faire partager la science, notre enquête personnelle a dévoilé le caractère muet de la loi constatée dans les différentes réformes des lois répressives du pays qui n’a jamais abouti à la moitié de la solution escomptée par les victimes, à savoir la réparation du préjudice.

Le silence macabre du législateur qui, dans son ministère a méconnu la place de la victime et s’est contenté à infliger des lourdes peines à l’auteur de l’infraction. Ceci sans faire allusion aux dispositions de l’article 33 du Code Civil Congolais Livre III qui stipule : tout fait quelconque de l’homme qui cause préjudice à autrui nécessite une réparation.

La tâche est difficile mais pas impossible ; les lois n°06/018, 06/019 même si innovatrices en matière des violences sexuelles, n’ont pas impacté en faveur de la victime des violences sexuelles mais plutôt à la discipline et aux répressions des auteurs.

Nous avons ensuite la pleine indéniable conviction que notre sonnette d’alarme lancé au législateur congolais rencontrera son assentiment en vue de procéder à d’autres réformes du système juridique congolais qui permettra aux juridictions militaires et parquets près ces juridictions à mieux faire leur travail.   

Bibliographie

Akele Adau (2004). Droit Pénal Spécial, Notes de cours à l’attention des étudiants de 3ème Graduat en Droit, Université de Kinshasa, inédit.

Cizungu Mugaruka, B. (2005). Les infractions de A à Z. Kinshasa : éd. Laurent Nyangezi.

Museme Ngaruka (2016). Le Guide du Policier enquêteur, Kinshasa : Ministère de la Justice et Droits Humains.

Nyabirungu Mwene Songa (2011). Traité de droit pénal général, Kinshasa.

Rubbens, A. (1978).  Instruction criminelle et la procédure pénale, Kinshasa : PUZ.

Conventions internationales et lois

Statut de Rome de 1998 entrée en vigueur le 1er juillet 2002, portant statut de la Cour Pénale Internationale

Constitution de la République Démocratique du Congo telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011, portant révision des certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006.

Lois n°06/018, 06/019 du 20 juillet 2006 et 09/001 du 10 janvier 2009 portant respectivement modification et complément du décret du 30 janvier 1940 portant Code Pénal Congolais, décret du 06 août 1959 portant Code de Procédure Pénale et portant protection de l’enfant ;

Loi n°023/002 du 18 novembre 2002 portant Code Judiciaire Militaire ;

Loi n°09/001 du 10 janvier 2009, portant protection de l’enfant ;

Loi n°06/018 du 20 juillet 2006, modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code Pénal Congolais.