La gestion des déchets ménagers et des excreta dans la zone de santé de Kanzala
Marie Kinda Nyami
p. 129-136
Vol. XXI, n°2, mars 2024
Résumé
Il s’agit d’une enquête prospective réalisée dans la zone de santé de Kanzala (aire de santé de Tshikapa) de janvier 2021 à juin 2022, afin de comprendre comment les ménages de cette zone de santé gèrent-t-ils les déchets ménagers. Les résultats montrent que la gestion des déchets ménagers par les ménages ne se fait pas selon les normes, ce qui expose la population aux maladies tant hydriques que de mains sales.
Introduction
Au fur et à mesure que la crise socio-économique s’accentue en République Démocratique du Congo, la population en général et celle de la zone de santé de Kanzala en particulier s’appauvrit du jour au jour. Elle cherche à survivre sans tenir compte de certaines situations qui sont susceptibles d’entraver son bien-être et de compromettre sa vie notamment : l’insalubrité du milieu.
De manière générale, le constat est amer dans l’ensemble de la commune de Kanzala. Le problème d’assainissement qui se pose maintenant dans ladite commune est très important et touche essentiellement la gestion des ordures ménagères, la pollution, les inondations, les érosions et l’évacuation des excreta dans certains quartiers de cette commune.
Nonobstant l’existence des services spécialisés comme celui de l’hygiène et assainissement de la ville, la ville de Tshikapa évolue dans l’environnement insalubre. Selon le rapport de l’OMS sur les maladies infectieuses en 1999, 150 enfants meurent toutes les heures des maladies liées à l’eau et au péril fécale en République Démocratique du Congo.
Le souci de mettre la population congolaise à l’abri de toute pollution environnementale afin de leur garantir une bonne santé a amené l’Etat congolais consacré le « droit à l’environnement sain ». Ainsi, l’article 53 de la Constitution stipule : « Toute personne a droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral. Elle a le devoir de le défendre. L’Etat veille à la protection de l’environnement et à la santé des populations ».
Le droit à l’environnement étant un droit constitutionnellement garanti et reconnu aux citoyens, il prévoit quelques mesures de protection en vue de garantir à la population, la vie dans un environnement sain pour une meilleure santé.
Malheureusement, dans la ville de Tshikapa, plus particulièrement la zone de santé de Kanzala, ce droit est loin d’être une réalité. La mauvaise gestion des déchets ménagers et des excreta conduit à la contamination du sol et des sources d’approvisionnement en eau. Les excreta constituent un foyer où les mouches et d’autres arthropodes prolifèrent et propagent les infections.
En tout état de cause, l’hygiène et l’assainissement, dépendent en grande partie de la population. Notre préoccupation dans ce travail est de chercher à savoir comment la population de l’aire de santé de Tshikapa gère-t-elle les déchets ménagers et les excreta ; l’objectif général étant de contribuer à la lutte contre l’insalubrité publique dans l’aire de santé de Tshikapa.
1. Méthodologie du travail
1.1. Population et échantillon
Muila Kabumvu Leta (2021) signale que la population d’une étude scientifique est un ensemble des sujets, des objets, des éléments, des évènements… ayant une certaine caractéristique commune que le chercheur retient pour son étude. Pour notre étude la population est constituée de 2069 ménages dénombrés dans 1700 parcelles de l’aire de santé de Tshikapa.
L’échantillon est défini par le même auteur comme étant une fraction représentative d’une population donnée ou population d’étude. Notre échantillon dans la présente étude est constitué de 870 ménages habitant 600 parcelles de l’aire de santé de Tshikapa.
1.2. Méthode et techniques
Pour réaliser cette étude, nous avons utilisé la méthode d’enquête prospective qui nous a permis de mener une recherche sur terrain.
La technique étant un ensemble des procédés ordonnés et mises au point scientifique, permettant au chercheur de rassembler des informations sur un sujet donné ; Pour concrétiser cette étude, nous avons utilisé les techniques suivantes :
- L’observation directe : cette technique nous a permis d’entrer en contact avec l’objet observé sans intermédiaire. Nous avions observé les puits à ordures dans certaines parcelles, des déchets ou insalubrités sur les avenues, …
- Le questionnaire : nous a permis d’entrer en contact avec nos enquêtés sur base d’un questionnaire préétabli que nous retrouvons sur notre fiche d’enquête.
L’instrument de collecte de nos données était une fiche d’enquête contenant les variables statistiques suivantes : le nombre de ménages dans la parcelle, présence d’un trou à ordures ménagères, existence de toilettes dans la parcelle, partage d’une même toilette avec les membres qui ne sont pas de la parcelle, nombre de ménage utilisant la toilette et enfin les conséquences de la mauvaise gestion des déchets ménagers et des excréta.
2. Résultats de l’enquête
Tableau n°1. Existence des toilettes dans la parcelle
Réponses
fréquence
Pourcentage
Oui
320
53,3
Non
280
46,7
Total
600
100
Le tableau renseigne que 320 parcelles soit 53,33% disposent des toilettes et 280 parcelles soit 46,66% n’en disposent pas.
Tableau n°2. Types des toilettes
Réponses
fréquence
Pourcentage
Fosse septique
25
7,8
Fosse arabe
295
92,2
Total
320
100
Il ressort de ce tableau que 295 toilettes soit 92,2% sont des types fosse arabe et 25 toilettes soit 7,8% sont des types fosse septique. Le type fosse arabe est souvent préféré dans la mesure où il est moins couteux.
Tableau n°3. Partage d’une même toilette avec des membres d’autres parcelles
Réponses
fréquence
Pourcentage
Oui
200
62,5
Non
120
37,5
Total
320
100
Le tableau renseigne que 200 ménages soit 62,5% partagent leurs toilettes avec d’autres personnes qui ne sont pas de leurs ménages, tandis que 120 ménages, soit 37, 5% ne partagent pas leurs toilettes avec les membres des autres ménages.
Tableau n°4. Présence d’un trou à ordures dans la parcelle
Réponses
fréquence
Pourcentage
Oui
210
35
Non
390
65
Total
600
100
Les trous à ordures ménagères sont présents dans 210 parcelles soit 35% contre 390 parcelles soit 65% qui en manquent.
Tableau n°5. Comment se fait le traitement des déchets ?
Réponses
fréquence
(%)
Jet dans la rivière ou cours d’eau
62
7, 1
Jet dans le ravin
271
31,1
Jet sur les avenues ou rues
327
37,6
L’incinération
18
2,1
Usage en agriculture
23
2,6
Décharge brute
98
11,3
Décharge contrôlée
71
8,2
Total
870
100
Les données de ce tableau renseignent que le jet des déchets sur les avenues reste la pratique la plus fréquente de ménages, soit 37,6 % (327 ménages), par rapport aux autres procédées. Le jet dans le ravin est pratiqué par 271 ménages soit 31,1%. Les autres pratiques ce sont la décharge brute (98 ménages soit 11,3%), la décharge contrôlée (71 ménages soit 8,2%), le jet dans les cours d’eaux (62 ménages soit 7,1%). 23 ménages soit 2,6% utilisent les déchets pour l’agriculture et enfin 18 ménages soit 2,1% procèdent à l’incinération.
Discussion des résultats
L’analyse des données recueillies sur terrain soit à l’enquête, sur la situation géographique, démographique et sanitaire révèle en premier lieu que l’aire de santé de Tshikapa qui dans une grande partie n’est pas convenablement urbanisé à cause des constructions anarchiques.
Notre enquête a porté sur 870 ménages habitant 600 parcelles parmi lesquelles, 320 soit 53,33%, ont des toilettes et 280 parcelles soit 46,66% ne possèdent pas des toilettes. Il y a lieu de dire que les matières fécales présentes dans les avenues et rues proviennent des parcelles qui ne possèdent pas des toilettes. Ça peut expliquer le taux de prévalence élevé des maladies issues d’une mauvaise hygiène fécale.
En outre, la plupart de parcelles utilisent les fosses arabes, 295 soit 92,2% et 25 parcelles seulement soit 7,8% ont les fosses septiques. Les fosses arabes sont moins couteuses et ont une durée limitée. Elles exposent aussi la population aux diverses pathologies du fait que les matières fécales sont très accessibles aux parasites et aux différents arthropodes hôtes intermédiaires des maladies.
La promiscuité de la population de l’aire de santé de Tshikapa étant très marquée, 200 parcelles soit 62,5% partagent leurs toilettes avec les autres habitants des parcelles qui en manquent et 120 parcelles soit 37,5% n’acceptent pas l’utilisation en commun de leurs toilettes. En rapport avec l’usage des latrines, ces résultats dépassent de loin les proportions de Lanoix et Roy qui préconisent 10 à12 personnes par fosse arabe.
L’évacuation incorrecte des excréta conduit aussi à la contamination du sol et des sources d’approvisionnement en eau. Ces excréta constituent d’autre part des gites favorables au développement larvaire des mouches et d’autres arthropodes métazoaires qui propagent des infections.
Concernant l’évacuation des déchets, nous avons constaté que 390 parcelles, soit 65% qui ne possèdent pas des trous à ordures ménagères et 210 parcelles soit 35% qui ont des trous à ordures, ce qui nous pousse à confirmer que la majorité de parcelles de l’aire de santé de Tshikapa n’a pas des trous à ordures, ce qui est susceptible de favoriser la multiplicité des mouches, moustiques, rats, cafards etc. qui sont les hôtes intermédiaires des maladies dans le milieu malsain.
En outre, plusieurs procédés de traitement des déchets existent mais la majorité de ménages de l’aire de santé de Tshikapa préfèrent les procédés qui ne répondent pas aux normes hygiéniques à savoir :
§ Le jet des déchets dans les avenues ou rues dont 327 ménages soit 37,6% ;
§ Le jet dans le ravin par 271 ménages soit 31,1% ;
§ La décharge brute par 98 soit 11,3% ;
§ Décharge contrôlée par 71 ménages soit 8,2% ;
§ Le jet dans les cours d’eaux par 62 ménages soit 7,1%
§ Font usage des déchets pour de fins agricoles : 23 ménages soit 2,6% ;
§ Et enfin 18 ménages soit 2,1% ont opté pour l’incinération.
Ceci nous conduit à dire que la population de l’aire de santé de Tshikapa est responsable de l’impact de mauvais traitement des déchets et des excréta qui pèse sur sa santé. En effet le traitement des déchets se fait par des procédés malsains favorisant les différentes maladies parmi lesquelles nous avons : la malaria, l’ankylostomiase, la diarrhée, la fièvre typhoïde etc.
Conclusion
A l’issu de nos investigations qui ont porté sur la gestion de déchets ménagers et des excréta au sein la population de la zone de santé de Kanzala, nous remarquons que la population ainsi que l’Etat se préoccupent très peu du traitement des déchets ménagers et du contrôle des latrines dans l’aire de santé de Tshikapa.
L’absence des installations hygiéniques et des trous à ordures dans des parcelles, l’inexistence d’un système hygiénique d’évacuation d’eau de douches et des eaux usées exposent la population à des maladies. Les excréments sont jetés sur les avenues dans des sachets en plastique, les eaux usées sont déversées aux alentours des maisons créant un site malsain qui attire les mouches, moustiques, blattes et rongeurs qui pourront ensuite souiller les aliments et l’eau de boisson dans les maisons.
La gestion des déchets des ménages et des excréta doit constituer tant pour les autorités publiques que pour la population, une préoccupation importance et capitale, si l’on veut bien garantir et sauvegarder la santé de la population.
La bonne gestion des déchets ménagers est un élément important de l’assainissement de l’environnement et la mauvaise gestion peut être un facteur favorisant la propagation des nombreuses maladies. Toutes les actions préventives qui visent la promotion de la santé ne peuvent être efficaces que si elles sont menées dans un environnement compatible avec la vie saine. Ainsi nous recommandons :
A la population :
§ De disposer des latrines dans chaque parcelle, un cabinet à fosse améliorée, qui est de conception simple, d’utilisation et entretien faciles. Celle-ci a une durée de cinq à quinze ans. Elle est peu couteuse, évite la pollution du sol, évite la contamination des eaux et elle est à l’abri des mouches et des cafards si le trou reste fermé ;
§ Elle doit créer des espaces vides ou bacs métalliques pour le jet contrôlé qui sera enlevé deux à trois fois par semaines ; ou alors creuser une fosse à ordures où les déchets ménagers seront déposés et recyclés.
§ Elle doit avoir un petit bac en bois ou en métal muni d’un couvercle, ensuite bruler les déchets pendant la nuit.
§ Aux pouvoirs publics de :
§ Renforcer le programme d’hygiène et assainissement planifié, échelonné et soutenu par la participation communautaire efficace de la population ;
§ Amorcer une campagne d’éducation sanitaire pour amener la population à mieux entretenir la latrine et à en assurer la propreté ;
§ Créer une communication de suivi d’exécution des recommandations sur l’hygiène publique dans chaque entité (quartier, localité, avenue, parcelle).
§ Motiver les services d’hygiène et assainissement ainsi que celui de l’environnement pour un contrôle régulier des parcelles dans la ville de Tshikapa en général et dans l’aire de santé de Tshikapa en particulier afin de contrôler la mise en application des instructions relatives aux normes hygiéniques en vigueur.
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